Titre : Where do we go from here ? – Chapitre 6

Auteur : Mu-sama

Base : Saint Seiya

Personnages : euh... presque tous les chevaliers d'Or

Pairing : Je vous laisse lire, c plus drôle comme ça

Genre : sérieux (enfin, j'essaye)/Romance /Drama / Yaoi

Dicslaimer : Aucun des personnages ne m'appartient, ils sont la propriété intellectuelle exclusive de Masami Kurumada et de la Toei. Je ne fais que m'amuser avec eux.

Note : Bon ben finalement l'esclandre de DM sera pour le prochain chapitre. Ca me paraissait plus logique de couper l'histoire à cet endroit là – en terme de temporalité et d'action - plutôt que de faire un chapitre trop long ou de bâcler la fin. (Mu-sama qui retourne travailler sur ses fics en cours en s'excusant platement d'avoir autant de retard pour certaines)

6- S'ADAPTER AU MONDE MODERNE

Au fond du corridor, la grande horloge sonna une heure.

Rhadamanthe, blotti entre ses oreillers, profitait de ce moment de calme où le château, plongé dans le silence, semblait dormir d'un sommeil profond. D'ici quelques heures, l'activité allait reprendre et une nouvelle journée commencer. Dehors, le vent soufflait et faisait battre la pluie contre ses fenêtres. Etrangement ce soir, il ne parvenait guère à se concentrer sur son livre. Cela faisait maintenant plus d'un mois que ses invités forcés étaient installés chez lui et il ne pouvait s'empêcher de repenser aux semaines écoulées.


Quelle n'avait été sa surprise, quelques heures seulement après avoir pris congé des chevaliers ce premier soir, de voir débarquer en trombe dans son bureau, un Kanon affolé et à bout de souffle. Il se rappelait l'exaspération qu'il avait éprouvée à cette énième interruption dans son travail, exaspération qui s'était vite envolée lorsque Kanon avait réclamé un médecin pour Mû. Il avait eu beau se douter que l'absence de Cosmos aurait d'importantes répercussions physiques sur l'Atlante, rien ne l'avait préparé à la vue qui l'attendait dans cette chambre : Mû gisait inconscient dans son lit, le corps en proie à une forte fièvre et secoué de spasmes irréguliers. Son visage était blafard à l'exception de deux plaques rouges au niveau de ses joues et de la sueur perlait à ses tempes, plaquant ses cheveux sur son visage. Là où lui-même n'avait souffert que d'une légère dépression, Mû semblait la proie d'une douleur intense, comme si c'était l'ensemble de son système nerveux qui se trouvait en état de choc.

Rhadamanthe avait aussitôt contacté son médecin et entrepris de faire baisser la fièvre en passant un gant rempli de glaçons sur le corps de Mû. Kanon, pendant ce temps, n'avait cessé de tourner en rond en jetant des coups d'œil de plus en plus nerveux à la porte de la chambre. Finalement, elle s'était ouverte pour laisser passer le docteur MacNamara mais celui-ci n'avait rien osé prescrire, impuissant face à un phénomène dont il ne comprenait pas la cause. Pendant des heures, ils s'étaient relayés pour combattre la fièvre et ce n'était qu'au petit matin que celle-ci était tombée. Mû semblant enfin dormir d'un sommeil paisible, le docteur était rentré chez lui.

-« Un jour, mon cher Lord, il faudra que vous me racontiez ce qu'il s'est réellement passé ici, » avait-il déclaré sur le seuil de la porte d'entrée.

D'un pas titubant de fatigue, Rhadamanthe était retourné dans la chambre de Kanon et de Mû, heureux que les autres chevaliers n'aient pas prêté attention aux allées et venues de la nuit ; il n'aurait plus manqué qu'ils se soient trouvés encombrés de dix adultes supplémentaires à un moment où toute leur attention devait être focalisée sur l'Atlante.

Il s'était effondré sur le fauteuil près du lit de Mû et avait trouvé le regard de Kanon fixé sur lui. Il avait brièvement pensé à la vision qu'il devait offrir : les yeux cernés, les cheveux en bataille et la barbe naissante. Il s'était retenu d'envoyer paître Kanon (la fatigue le montrait rarement sous son meilleur jour) et avait tenté de l'ignorer. Mais comme il sentait toujours ce poids sur ses épaules, il avait cédé avec un soupir et s'était forcé à affronter le regard de l'ex-marina, tout ça pour s'entendre dire :

-« J'en reviens pas que tu sois plus vieux que moi ! »


Encore maintenant, Rhadamanthe ne savait toujours pas si il devait rire ou s'offusquer d'une pareille remarque. Kanon s'était-il seulement rendu compte qu'ils avaient failli perdre son camarade cette nuit là ? Que tout ce qu'ils auraient pu tenter pour le ramener auprès d'eux aurait très certainement échoué ? A moins que cette remarque, dans son incongruité, ait reflété le soulagement de Kanon que tout soit redevenu à peu près normal. Peut-être avait-ce été sa manière à lui de dédramatiser la situation ?

Rhadamanthe soupira et ôta ses lunettes. De sa main libre, il se frotta l'arrête du nez en fermant les yeux, dans un geste d'intense réflexion. Il avait du mal à saisir le caractère changeant du Gémeau, tour à tour agressif ou docile.


C'était l'échine courbée que Kanon était venu le trouver dans l'après-midi du lendemain pour lui demander si il avait du travail pour lui. Rhadamanthe avait été tenté de refuser de but en blanc ; après tout, l'ex-marina était celui qui s'était montré le plus odieux depuis son arrivée et Rhadamanthe l'imaginait mal se comporter comme un employé modèle du jour au lendemain. Cependant, comme le lui avait si bien fait remarqué sa secrétaire, la saison hivernale allait débuter et il manquait cruellement de main-d'œuvre. Les démarches d'embauche allaient prendre quelques semaines et il ne pouvait décemment augmenter une fois de plus la charge de travail de ses employés. Kanon, tout novice et indiscipliné qu'il soit, devait être capable de donner un coup de main.

Bien entendu, il avait été trop optimiste. Trois jours ne s'étaient pas écoulés que Kanon faisait déjà des siennes. Rhadamanthe admettait qu'il n'avait pas été tendre avec lui : plutôt que de lui assigner une tâche précise il en avait fait l'homme à tout-faire du château, le chargeant de préparer les chambres, aider aux cuisines, faire la plonge, nettoyer les toilettes, bref, toutes les taches ingrates auxquelles il avait pu penser. Si une partie de lui s'était réjouie de se venger ainsi de l'ex-marina, Rhadamanthe avait surtout agit ainsi afin de le tester mais Kanon, avec son caractère emporté, avait rapidement dépassé les bornes.

Ce jour là, Kanon avait été chargé d'éplucher des kilos de légumes. Pommes de terre, carottes et navets étaient amoncelés sur son plan de travail et un seul coup d'œil avait suffi pour se rendre compte que Kanon n'aurait jamais terminé avant le coup de feu. Rhadamanthe avait échangé un regard avec le chef ; un aide cuisinier se dirigeait déjà dans la direction de Kanon lorsque celui-ci avait redressé la tête et l'avait aperçu. Il avait aussitôt lâché son couteau pour foncer sur lui, l'air furieux :

-«Rhadamanthe ! » tonna-t-il à travers la pièce ; « Sale Lord de mes deux ! J'espère que ça t'amuse de faire de moi ton larbin ! Je t'ai demandé un travail et regardes comment tu me traites ! Non mais, pour qui tu te prends ?

-Et toi, pour qui te prends tu ? » avait-il grondé en réponse, une lueur dangereuse dans le regard.

Kanon avait aussitôt compris le sérieux de sa situation et s'était tu pendant que les employés observaient la scène avec stupeur.

-« Simon ? » avait-il interpellé. « Pouvez-vous vous passer de lui pour le service ? »

Au hochement de tête affirmatif de son chef, Rhadamanthe s'était adressé à Kanon.

-« Tu peux retourner dans ta chambre, » l'avait-il congédié avant de quitter la pièce, sa démarche raide étant le seul indice trahissant sa rage.

De retour derrière son bureau, Rhadamanthe s'était contraint à prendre une grande inspiration avant d'appuyer sur l'interphone :

-« Katya, dans mon bureau s'il vous plaît.

-Monsieur ? avait demandé sa secrétaire un instant plus tard.

-Kanon est renvoyé. Je vous charge de lui régler son salaire pour ses deux jours de travail.

-Bien monsieur. Autre chose ? »

Il avait secoué la tête en signe de négation. Il réfléchissait déjà aux permutations possibles entre les membres de son personnel afin de pouvoir assurer le service du soir. Katya quitta la pièce sans un mot.

Moins d'une demie heure plus tard, la porte de son bureau s'était ouverte avec fracas. Il n'avait même pas pris la peine de redresser la tête du dossier dans lequel il était plongé.

-« Tu me renvoies ? » avait hurlé Kanon en prenant appui des deux mains sur son bureau.

Il avait fermé son dossier d'un geste sec et s'était laissé aller dans son fauteuil.

-« J'ai fait ce que n'importe quel patron aurait fait dans ma position.

-Je n'ai fait que dire la vérité et ça t'énerves, avoues le, s'était moqué Kanon.

-Que tu aies dit ou non la vérité importe peu. Le fait est que tu as ouvertement dénigré mon autorité et ce, devant MES employés, » avait-il accusé avec plus de force qu'il ne le voulait.

Il n'avait même pas cherché à se justifier, convaincu, à juste titre, que Kanon continuerait à croire à une conspiration contre sa personne. Il s'était depuis longtemps rendu compte que plus le Gémeau avait tort, et plus il avait tendance à s'entêter.

-« Si je dois tolérer ton attitude en privé, rien ne m'oblige à la supporter dans le cadre du travail. La prochaine fois, tu réfléchiras peut-être à qui tu t'adresses avant de parler.

-Laisses moi travailler, avait ordonné Kanon.

-Hors de question. Tu es renvoyé.

-Je veux travailler. »

Il avait observé Kanon pendant un instant avant de secouer la tête.

-« Non.

-S'il te plaît.

-Que se passera-t-il la prochaine fois que tu auras à faire quelque chose qui ne te plait pas ? Ou que ta journée aura été trop fatigante ? Tu comptes me faire un esclandre devant les clients ?

-Non… Je… »

Kanon s'était tu.

-« Je ne te fais plus confiance, Kanon. »


Rhadamanthe ne comprenait que trop bien ce que traversaient Kanon et ses compagnons. Lui aussi avait été ressuscité avant d'être propulsé dans un monde qu'il ne connaissait pas et auquel il ne comprenait rien. Lui aussi s'était vu renié de son identité, dépouillé de l'essence même qui faisait de lui un chevalier et sommé de trouver un nouveau sens à sa vie. Cela n'avait pas été chose facile. La perte de son cosmos l'avait rendu dépressif et passif. Pendant des mois, il s'était contenté de vivoter, croyant à une mauvaise blague, espérant que son Dieu le rappellerait à ses côtés et lui restituerait le statut qui était le sien. Il avait fallu l'intervention musclée de celui qui allait devenir son mentor pour lui faire prendre conscience de sa naïveté et lui montrer la chance que constituait une telle opportunité pour un homme comme lui, asservi depuis sa plus tendre enfance.

Il devait tout de même reconnaître qu'il avait eu de la chance : il avait été ressuscité à une époque où sans identité, sans diplômes ni connaissances, il était encore possible de faire ses preuves. Certes, il avait dû plus d'une fois ravaler sa fierté mais était parvenu, au fil des années, à se faire un nom dans la Finance avant d'investir dans le Tourisme. Les Chevaliers d'Athéna, n'auraient pas cette chance car si il avait consenti à leur procurer des papiers (par des moyens pas très légaux qui plus est), leur survie ne dépendrait que d'eux et de leur faculté à s'adapter.

En un mois, il y avait eu des moments à mourir de rire. La découverte par les chevaliers des moyens modernes de télécommunication restait incontestablement son préféré. Rhadamanthe avait tenu à les y initier le plus tôt possible afin d'éviter des réactions dignes d'hommes de Neanderthal en public. Il avait commencé par la télévision, pensant qu'il s'agissait de l'objet avec lequel ils se sentiraient le plus à l'aise, puisqu'elle existait déjà à leur époque. La bonne nouvelle, c'est qu'ils avaient bien reconnu l'instrument. La mauvaise c'est que, dans sa hâte de bien faire (et avouons-le aussi, de se débarrasser d'eux pour l'après midi), Rhadamanthe s'était servi par erreur de la télécommande dans leur dos. Il avait zappé sur plusieurs chaînes afin de leur montrer les différents types de programme et les chevaliers, bouches bées et les yeux rivés sur le petit écran, avaient cru qu'il changeait de chaîne par la seule force de son esprit ! Ils avaient commencé à prendre des paris pour savoir quelle chaîne allait s'afficher. Rhadamanthe, pris au jeu, s'était amusé à les faire tourner en bourrique… jusqu'à ce que, dans un accès de rage, Death Mask jette un cendrier sur l'écran et le réduise en miette. Il avait dû racheter un téléviseur.

Il y avait donc énormément à faire avant qu'il puisse, en toute bonne conscience, abandonner les chevaliers à leur propre sort. Mais contrairement à ce qu'il avait pensé au départ, les aspects techniques et pratiques de la vie moderne n'étaient pas les plus difficiles à surmonter. Pour preuve, Camus, Shaka et Mû restaient désormais des heures à regarder la télévision ; Death Mask et Aphrodite étaient devenus accros à l'Internet et il était même parvenu à inculquer des notions de Word à Seiya et à Saga, et ce, malgré leur apathie. Quant à Aiolia, Aldebaran et Milo, ils ne quittaient plus le téléphone portable qu'il leur avait prêté et utilisaient la messagerie SMS pour rencontrer des filles en ville. Non, le véritable problème se situait ailleurs. Rhadamanthe s'était très vite aperçu, qu'en dépit de tous les progrès que faisaient chaque jour les chevaliers d'Athéna, ils n'étaient pas prêts. C'était comme si une force invisible les retenait et les empêchait d'avancer. Ce n'était que suite à une longue discussion avec Mû qu'il avait pris conscience de l'emprise que le passé avait encore sur certains chevaliers.

Rhadamanthe s'était senti attiré par le côté calme et réfléchi de Mû dès leur rencontre et, suite à la maladie de ce dernier, les deux hommes s'étaient rapprochés. Rhadamanthe s'était occupé de Mû pendant sa convalescence, se chargeant de lui apporter ses repas, lui fournir un peu de lecture ou de discuter de sujets insignifiants lorsque l'Atlante n'était pas trop fatigué. Cela n'avait duré que deux ou trois jours mais ces brefs moments avaient suffis pour créer entre eux, non pas une amitié indéfectible, mais les bases d'une entente cordiale. Suite à cela, les deux hommes avaient pris l'habitude de se retrouver autour d'un verre de whisky pour discuter.

Peut-être était-ce l'effet de l'alcool (il suffisait d'à peine deux verres pour que Mû ne tienne plus debout) ou peut-être était-ce que l'Atlante avait décidé de lui accorder sa confiance mais toujours était-il qu'un soir, Mû s'était épanché. Il avait d'abord parlé de la relation privilégiée qui l'avait uni à son maître Shion, un homme certes parfois dur et exigeant mais toujours juste. Mû avait reconnu, après avoir descendu son whisky d'une seule traite, que son erreur avait probablement été d'idéaliser son maître et d'occulter sa position en tant que chevalier. C'était ce qui avait rendu sa trahison plus difficile à encaisser que celle des autres. Pour autant, il avait toujours su que les liens qui l'unissaient à Shion étaient chose rare au Sanctuaire. Pour commencer, il n'avait jamais eu à entrer en compétition pour l'armure avec d'autres enfants de son âge. Le fait qu'il soit Atlante avait suffit pour le nommer futur chevalier d'Or du Bélier. Il n'avait pas eu non plus à se battre contre son maître pour obtenir l'armure d'or. Somme toute, la vie avait été plutôt douce avec lui et c'était naturellement que l'enfant candide qu'il avait été s'était mis à considérer Shion comme le père qu'il n'avait jamais eu. Une affection dangereuse dans le monde de la chevalerie. Rhadamanthe n'avait guère été étonné lorsque Mû avait décrit la douleur et la trahison qu'il avait ressenti en voyant Shion revêtu d'un Surplis. Il s'en était voulu d'avoir cédé à son maître, d'avoir laissé s'exprimer ses sentiments plutôt que d'accomplir son devoir de chevalier, convaincu qu'il était, au fond de lui, que Shion ne pouvait avoir renié Athéna pour les fausses promesses d'Hadès. Paradoxalement, la vérité ne lui avait pas apporté le soulagement escompté mais un sentiment de trahison plus profond encore. Pourquoi son maître ne s'était-il pas confié à lui ? L'avait-il jugé indigne ou incapable de sauver Athéna ? Il n'avait pas osé poser ces questions à Shion lorsqu'ils s'étaient revus, quelque part, il préférait ne pas connaître les réponses, mais de ne pas savoir le minait peu à peu.

Depuis la bataille contre Hadès, c'était toute l'assurance et la tranquille confiance en soi de Mû qui s'était envolée. Il subissait les évènements, les laissait décider pour lui du cours des choses et se laissait porter par le courant. C'est ainsi qu'il s'était laissé allé à coucher avec Aphrodite tout ça pour se sentir encore plus misérable par la suite. Il fallait qu'il se reprenne.


Un but. C'était aussi ce qui avait manqué à son cher Kanon, pensa Rhadamanthe. Il éteignit sa lampe de chevet et se glissa sous les draps avec un bâillement maîtrisé. Après avoir tendu l'oreille quelques secondes pour s'assurer qu'il n'avait pas réveillé son compagnon, il se rapprocha subrepticement de son corps chaud et vint se blottir contre son dos avec un soupir de contentement.

Si quelqu'un avait suggéré un mois plus tôt que Kanon et lui finiraient dans le même lit, il aurait éclaté de rire.


Dire que le mois de Décembre avait été difficile était un euphémisme. Ses relations avec les chevaliers d'Athéna s'étaient refroidies suite à son altercation avec Kanon, même Mû lui avait jeté des regards réprobateurs, c'était dire.

Ses problèmes de personnel étaient loin d'être arrangés : si la nouvelle gouvernante s'était montrée digne de confiance, ce n'était pas le cas des extras qu'il avait dû embaucher à la va-vite, faute de mieux. A l'avenir, il s'abstiendrait d'engager des étudiants. Ils étaient certes nombreux sur le marché du travail, surtout en période de vacances, mais rares étaient ceux qui maintenaient la qualité de leur travail une fois leur période d'essai terminée. Rhadamanthe s'était rapidement vu contraint d'assurer une partie de leurs tâches. Son temps de travail avait doublé en quelques jours et c'était à peine si il parvenait à fermer l'œil plus de quatre heures par nuit. Il aurait pu tenir la distance si il n'avait dû, en parallèle, assurer le rôle de l'hôte parfait auquel s'attendaient ses clients. Tous voulaient voir s'incarner avec lui l'image qu'ils se faisaient d'un Lord sur ses terres : oisif, nonchalant et flegmatique. Chaque sortie à cheval, chaque partie de bridge, chaque conversation inutile voyait l'exaspération de Rhadamanthe monter d'un cran. Il en était presque venu à haïr ses clients. A ce moment là, l'aide Kanon aurait presque été une bénédiction mais Rhadamanthe était alors trop têtu pour reconnaître que l'ex-marina, aussi énervant soit-il, n'avait jamais été avare de ses efforts.

De fait, Rhadamanthe s'était montré exécrable durant cette période, reportant ses sautes d'humeurs sur ses collègues. Le manque de sommeil le faisait voir rouge à la moindre broutille. Comme pour l'énerver davantage, Kanon lui avait régulièrement proposé son aide et Rhadamanthe avait eu beau se montrer de plus en plus cinglant, il revenait à la charge tous les jours. L'ambiance au château était devenue tellement invivable que cela avait commencé à avoir des répercussions sur le service. Or, la famille McPherson était alors attendue d'un moment à l'autre et il n'était pas exagéré de dire que la recette de la saison dépendrait uniquement de leur bon vouloir. Malgré leurs nombreux séjours, si ils venaient à trouver l'accueil insatisfaisant, il ne leur faudrait guère plus de dix minutes pour partir avec armes et bagages, entraînant dans leur sillage, une bonne partie de leur clientèle fortunée.

Tout ça pour dire que sans l'intervention de Kanon, les évènements auraient pu très mal tourner. C'était au lendemain de sa cinquième nuit consécutive sans sommeil que l'ex-marina avait pris les choses en main. Sans plus demander l'avis de Rhadamanthe, il avait repris son ancien travail d'homme à tout faire et s'était chargé des extras de manière plutôt… énergique. En quelques heures, les choses avaient repris un semblant d'ordre.

Rhadamanthe avait d'abord pris cette intervention comme une énième provocation de Kanon : à coup sûr, l'ex-marina cherchait par là à affaiblir sa position en tant que patron et bientôt ce serait tous ses employés qui rebelleraient et n'en feraient qu'à leur tête. Il s'était fait vertement – et en privé – remettre à sa place puisenvoyé au lit pour quelques heures. Etait-ce sa fatigue ou l'inhabituelle assurance de Kanon ? Toujours était-il que Rhadamanthe avait obéi sans protester et c'était de manière beaucoup plus détendue qu'il avait entamé la journée suivante.

Kanon avait réintégré son poste.

Pour autant, Rhadamanthe ne considérait encore Kanon que comme un employé. Leurs seules interactions étaient d'ordre professionnel et pas un moment, Rhadamanthe ne s'était senti attiré par lui. Il lui trouvait un corps agréable et une certaine prestance mais avait noté ces détails de manière mécanique et froide, comme toute personne travaillant dans un secteur où l'apparence physique avait son importance. Pour dire la vérité, Kanon avait tendance à l'agacer avec ses réactions au quart de tour, ses insultes et son cynisme désinvolte. Il ne trouvait pas alors qu'il y ait quoi que ce soit d'intéressant en lui. Pourtant Kanon, lui aussi, cachait bien son jeu. Et il lui avait fallu surprendre une conversation entre lui et Milo pour se rendre compte à quel point.

Ce soir là, Rhadamanthe faisait son dernier tour d'inspection avant d'aller se coucher. Le service était depuis longtemps terminé ; tout le monde s'était retiré dans sa chambre. En voyant un faible rayon de lumière filtrer sous la porte du restaurant, Rhadamanthe avait pensé qu'un des extra n'avait pas encore terminé la mise en place. Il s'apprêtait à pousser la porte lorsqu'il avait aperçu Kanon, assis seul à une table, éclairé par à peine quelques spots. Rhadamanthe s'était figé dans son geste, choqué par la figure prostrée qu'il avait sous les yeux et qu'il ne parvenait pas à associer à l'habituel extérieur arrogant de l'ex-marina. Il était resté plusieurs minutes à l'observer en cachette jusqu'à ce que, sur un soupir, Kanon s'extraie de sa chaise et éteigne les lumières restantes avant de se diriger vers la sortie. Rhadamanthe s'était aussitôt faufilé dans un coin sombre et avait retenu son souffle lorsque Kanon était passé près de lui. Il l'avait suivi du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse au tournant du couloir.

Incapable d'ôter l'image de Kanon replié sur lui-même de sa mémoire, Rhadamanthe s'était pris à l'observer avec plus d'attention. Maintenant qu'il avait vu l'autre facette de sa personnalité, il s'apercevait combien ses grands gestes, sa voix forte étaient forcés, comme si il s'obligeait à agir comme il l'avait toujours fait. Il n'y avait qu'avec Milo que l'ex-marina laissait tomber son masque et Rhadamanthe avait surpris plusieurs conversations entre les deux hommes, où Kanon confiait à son ami le mal-être qu'il ressentait vis-à-vis de sa perte de cosmos ; son envie de rattraper le temps perdu, de retrouver son frère ; sa jalousie vis-à-vis d'Aphrodite, qu'il considérait comme un moins que rien.

Et Rhadamanthe, au fil de ses espionnages, s'était peu à peu rendu compte qu'il éprouvait autre chose que de l'indifférence pour Kanon…