PARTIE 1 : Déambulations

Chapitre 1 : Le jouet du Diable

David avançait dans les couloirs sombres de la base. Un frisson parcourut son épine dorsale : cet endroit était vraiment sinistre. Les murs d'acier, noirs et froids, semblaient se refermer sur son passage pour l'engloutir de leur sombre métal. Le jeune homme accéléra et arriva avec soulagement dans le grand hangar qui servait d'entrepôt à la Team Rocket. Les lumières aveuglantes le firent cligner des yeux avec insistance et il se figea dans l'encadrement du grand portail d'acier. Les regards de quelques techniciens se posèrent sur lui avec indifférence avant de retourner à leurs tâches présentes. Le jeune homme secoua la veste grise marquée d'un R pourpre pour évacuer la chaleur étouffante qui avait pris racine dans ses vêtements. Son T-shirt était baigné de sueur mais le tissu noir ne laisser transparaître aucune auréole disgracieuse. David grogna en sentant ses pieds oppressés dans ses lourdes bottes noires, lacées sur le bas de son jogging grisâtre. Il passa finalement une main dans ses cheveux blancs pour en chasser l'humidité de sa transpiration, puis caressa ses mèches qui viraient brusquement au noir sur sa nuque. Un soupir las lui échappa. Ses yeux balayèrent l'immense salle en s'attardant sur les énormes machines qui soulevaient les cages pour les entreposer au centre du hangar. Puis son regard aux teintes minérales, presque incolores, se posa sur la montre en argent qui pendait à son poignet gauche. Le bijou avait toujours était trop grand pour ses os fins mais le garçon refusait de s'en débarrasser, bien que l'objet n'ait aucune valeur sentimentale à ses yeux. Une grimace déforma ses traits enfantins ; il était vraiment en retard.

David tourna la tête dans toutes les directions qui s'offraient à lui ; son supérieur lui avait demandé de se rendre au laboratoire 302.

David : Voyons… si mes souvenirs sont bons…

Ce qui n'était pas le cas. Le jeune homme longea les couloirs faiblement éclairés pendant une bonne demi-heure sans pouvoir trouver le laboratoire. Cette base de la Team Rocket était vraiment immense ; David faisait partit de l'élite et travaillait ici depuis plus de 10 ans, pourtant il n'arrivait toujours pas à se repérer. Sa claustrophobie n'arrangeait pas les choses, et le jeune Rocket commençait déjà à regretter les missions certes épuisantes mais à ciel ouvert.

Oubliant son orgueil légendaire, il se décida finalement à demander son chemin à un homme en blouse blanche qui semblait plutôt pressé, le visage plongé dans une paperasse qui semblait peu ordonnée.

David : Excusez-moi, je cherche le labo 302.

L'homme leva la tête un court instant avant de se replonger dans ses documents, sans cesser de marcher.

Scientifique : Il est à l'autre bout du couloir, suivez-moi.

Soulagé, David emboîta le pas de l'homme en blouse. Ce dernier semblait très excité, il marchait d'un pas rapide et affichait un sourire satisfait tout en feuilletant son foutoir portatif. En essayant tant bien que mal de suivre le scientifique sans courir, le jeune Rocket se permis un coup d'œil dans la direction de son guide. L'homme était grand, plus grand que la moyenne, et assez maigre avec des épaules hautes. Ses cheveux bruns virant au gris étaient plaqués sur son crâne vers l'arrière. Ses yeux étaient cachés par des lunettes sombres et les rides sur son visage laissaient ressortir son âge avancé. Sur sa blouse était épinglée une étiquette arborant un nom, Tomas.

Tomas : Ça y est !

David sursauta. Une porte grise, menaçante, se dressait face à lui. Le jeune homme leva la tête, une inscription qui avait sans doute été un chiffre s'étalait sur l'acier rongé par les années, au-dessus de la porte.

Le scientifique l'observa un court instant, son regard s'attardant sur le médaillon en améthyste, taillé en forme de croix qui pendait au cou du garçon, puis il s'engouffra avec hâte par la porte du labo. David hésita, puis s'avança à son tour. Il craignait la colère d'Esteban, après tout, il n'était… qu'un gosse. Pourtant, du haut de ses 18 ans, le jeune homme avait réussit à atteindre les classes supérieures, et cela il ne le devait qu'à lui seul, à lui et à ses pokémons.

Le labo n'était éclairé que par quelques néons grésillants, si bien qu'il était difficile de distinguer les hommes en blouses pourtant très nombreux dans un espace si restreint. David s'avança au milieu des scientifiques qui s'affairaient dans le sombre laboratoire, tels des spectres.

(?) : David, te voilà enfin !

Le jeune homme se retourna. Esteban, son supérieur, lui faisait face et le fixait de son regard courroucé. Ses iris noirâtres reflétant tant d'orgueil semblaient le transpercer pour semer en lui le venin de la culpabilité. Mépris et dédain se lisaient comme toujours sur son visage aux traits fins, à la beauté féminine, encadré de cheveux noir de jais, lâchés sur ses omoplates, et faisant ressortir les minces sourcils d'ébène qui surmontaient les deux gouffres d'arrogance. Deux mèches sombres s'étaient posées sur le devant de ses épaules de chaque côté de sa gorge, se détachant sur sa peau laiteuse. La grâce de sa silhouette élancée n'était en rien altérée par la blouse immaculée et les simples vêtements grisâtres qui recouvraient son corps. Oui, décidément cet homme portait bien son surnom d' «ange des bas-fonds». La voix dure du scientifique (dure mais ô combien mélodieuse et attirante, autre fondement de son charisme incroyable) s'éleva à nouveau avec rudesse.

Esteban : Tu es en retard !

David : Désolé, je me suis perdu…

Esteban fit un geste agacé de la main, un geste empli d'élégance et de légèreté malgré la colère qui l'habitait.

Esteban : La prochaine fois tu feras en sorte de repérer les lieux à l'avance ! Maintenant suis-moi !

Sans dire un mot David s'avança à la suite de son supérieur en soupirant ; ce n'était pas aujourd'hui que la colère divine s'abattrait sur lui, du moins il le pensait. Une voix dans sa tête (qu'il connaissait parfaitement) le raillait, d'un rire fort et violent.

Voix : On fait son malin face aux dresseurs de seconde zone, mais on s'incline, la queue entre les pattes devant le premier trou-du-cul haut gradé qui se présente.

Son amour-propre en prit un sacré coup, comme à chaque fois que cette saloperie de voix spectrale se faisait entendre, mais il ne dit rien et se contenta de suivre Esteban vers ce qui devait bientôt l'entraîner dans la gorge brûlante des Enfers.

Alors il apparut, se dressant face à lui tel la créature démoniaque en qui les conditions de sa naissance le condamnaient à s'incarner. David déglutit. La peur s'empara de lui sans qu'il puisse détourner les yeux du monstre encore endormi. Un frisson nauséeux le parcouru ; il avait un mauvais pressentiment Lentement, le jeune homme avança une main hésitante vers ses pokéballs.

Esteban : N'est-il pas magnifique ?

David se tourna vivement vers son supérieur, l'air béat

David : Magnifique ?

Sa voix lui avait paru lointaine, comme si le mot qu'il venait de prononcer n'avait pas lieu d'exister en de telles circonstances. L'homme à la silhouette d'ange n'y fit nullement attention et commença ses explications sans quitter l'être des yeux, ces yeux à présent remplis d'admiration.

Esteban : Voilà maintenant plusieurs années que nous essayons de créer un pokémon de toute pièce. Nous avions essayé à partir des cellules d'un pokémon déjà existant mais nous avions échoué. Aujourd'hui nous avons atteint notre but avec ce monstre surpuissant.

David observa la chose à travers le tube de verre ; au milieu des tuyaux caoutchouteux, emmêlés, qui faisaient penser à un Tentacruel fou, se trouvait le pokémon mutant. A première vue, il semblait inoffensif. Sa petite taille et la corne qui ornait son front le faisait ressembler à un Nidoran, et son air serein semblait figé, infini, comme s'il ne se réveillerait jamais. Mais une aura maléfique s'échappait de cet être, une aura oppressante qui semblait vouloir broyer toute personne osant la fixer. Esteban reprit.

Esteban : Il s'appelle SET, une liberté de ses créateurs (dit-il avec un ricanement hautain). Son système nerveux s'est mis en route il y a 5 heures à peine. Bientôt il se réveillera complètement.

David frémit, puis se figea lorsque la main fine et légère de l'homme se posa sur son épaule.

Esteban : À ce moment, il te sera confié.

Le garçon leva les yeux, abasourdi, vers le visage du scientifique.

David : Comment ça ?

Le sourire fier d'Esteban glaça le sang du jeune homme.

Esteban : Tu es le meilleur en matière de dressage. Je suis sûr que tu feras de lui un bon combattant.

David recula. C'était donc ça, c'était dans ce but qu'il l'avait fait descendre dans ces laboratoires souterrains. C'était là qu'il voulait en venir, ce rôle lui avait été assigné, celui de s'occuper de cette chose. La voix qui l'habitait revint à la charge, tout excitée. Elle hurlait dans son crâne, évoquant la créature comme un messie sanguinaire.

Voix : Tu vas t'occuper de ce monstre et lui faire découvrir sa puissance, puis il prendra conscience de son pouvoir, et après…il te tuera ! Il tuera tout le monde ! Puis il engloutira la planète et les cadavres qui la recouvriront, et nous devrons expier nos fautes dans les flammes de la Géhenne !

David agrippa sa tête entre ses mains.

David : Il n'en est pas question ! Je refuse de m'occuper de cette chose ! Vous n'auriez jamais du le créer, ne sentez-vous pas cette aura meurtrière qui émane de lui ? Si vous le réveillez, il nous tuera tous !

Sa main tremblante se referma sur la croix que la lumière rendait pourpre, reflétant son aura sanguinaire sur la gorge du garçon.

David : Vous venez d'offrir un cadeau au Diable !

Esteban s'était figé. Son visage s'assombrit soudain, ses yeux charbonneux plantés dans ceux du jeune homme paraissaient vouloir trancher son corps et son âme. Sa voix ne fut qu'un sifflement obscène lorsqu'il reprit parole.

Esteban : Comment oses-tu dire une telle chose ?

Tous les scientifiques s'étaient immobilisés, la plupart ne comprenant pas ce qui se passait. Des murmures interrogateurs s'élevèrent de la masse d'hommes en blanc, la tension montait peu à peu. Tous savaient que la colère d'Esteban n'était pas loin, et aucun d'eux ne voulait y assister.

Esteban : Tu obéiras !

Le ton menaçant, plus que ça, assassin de l'ange des bas-fonds redonna cependant courage au jeune homme se dressa face à lui en reprenant avec colère.

David : Si ça veut dire jouer le chien bien dressé pour un connard voué à l'asile, je préfère quitter la Team Rocket. Je n'ai pas besoin qu'on me dicte ma conduite. Je suis mon propre maître !

Les derniers mots du garçon résonnèrent sourdement dans la pièce close. Il jeta un regard aux hommes terrorisés qui observaient maintenant la scène avec effroi. Parmi eux, il aperçut Tomas qui semblait désolé ; David ne sortirait pas d'ici vivant d'après lui. Mais ce dernier avait pas mal de ressources et il comptait bien en profiter. Son bras surentraîné vint décroché une pokéball de sa ceinture d'un geste aussi rapide que précis.

David : A moi, Rhinoféros !

Dans un éclair rouge, l'énorme pokémon se matérialisa, emplissant une partie de la pièce de sa masse imposante et détruisant quelques machines d'un coup de queue nonchalant. Un rugissement agressif s'échappa de sa gueule en signe d'avertissement. Mais Esteban était prêt, comme s'il avait toujours prévu les réactions de son jeune subalterne.

Esteban : Tortank, débarrasse-moi de ce traître !

Et dans un éclair similaire apparut la tortue massive, prête au combat, ses deux canons monstrueux surgissant entre ses omoplates pour fendre l'air vers les cieux indistincts.

Esteban : Hydrocanon !

Le pokémon braqua ses deux énormes bazookas sur Rhinoféros. Malheureusement pour lui, le pokémon rocailleux et son dresseur l'avaient déjà devancé, pressentant le type de l'attaque qui leur serait destinée. Sur les ordres de son dresseur, Rhinoféros se rua vers son adversaire avec une force et une vitesse explosive malgré sa taille monstrueuse. Il précipita sa masse imposante faite de muscles et de roches vers le tank vivant qui lui faisait face.

David : Queue de Fer !

Profitant de sa vitesse, Rhinoféros exécuta un demi-tour sur lui-même, frappant violemment de sa queue le pokémon tortue qui fut projeté comme un boulet de canon avant de s'écraser durement contre le mur d'acier du labo, fissurant sa carapace ainsi que le métal rouillé. Le Tortank poussa un cri de douleur qui couvrit ceux des scientifiques apeurés, mais David n'avait pas le temps de s'apitoyer sur son sort.

David : Maintenant, Ultralaser vers le toit !

Rhinoféros : Rhino !

Ignorant Esteban qui jurait en choisissant une autre pokéball, Rhinoféros se concentra.

Esteban : A toi Grolem !

Trop tard, l'Ultralaser était formé. Le coup partit avec une telle violence qu'Esteban et son pokémon furent projetés sur les machines. Les scientifiques fuyaient dans la plus grande pagaille. David espérait que l'Ultralaser détruirait le pokémon maléfique qui pataugeait entre ses tubes, mais quand la lumière de l'attaque disparut, laissant place à une épaisse fumée, il s'aperçut que le verre de son cocon maternel n'était même pas fissuré.

David : Merde !

Un dossier aux bords carbonisés atterrit aux pieds du jeune homme. Il s'en empara sans se poser de questions.

(?) : Dépêchez-vous ! Il va s'enfuir !

Tiens, les renforts arrivent, pensa David amèrement. Heureusement, l'attaque du pokémon Roche avait traversé les différents étages souterrains jusqu'à l'air libre comme l'avait espéré le dresseur.

David : Parfait ! Rhinoféros revient ! Libégon !

En un instant, le dragon apparut. David l'enfourcha en vitesse.

David : Prête ?

Libégon : Libééé !

David : C'est parti !

D'un seul coup d'aile rapide et puissant, le dragon s'engouffra dans le trou formé par l'Ultralaser sous les jurons et les menaces d'Esteban, l'ange des mondes souterrains qu'un simple humain avait osé défier.

Le soleil était aveuglant pour des yeux restés si longtemps sous la terre. Pendant que Libégon volait paisiblement, David étudiait le dossier qu'il avait ramassé en clignant fortement des yeux comme pour en chasser les dernières bribes d'obscurité. Ce dossier parlait de la création de SET sans pour autant dévoiler ses… «secrets de fabrication ». Mais David y avait tout de même découvert quelque chose… quelque chose qui le poussa définitivement à haïr la Team Rocket.