Chapitre 18 : Trop tard…
Trop tard…
La prison était vide, comme tous ces labos qui puaient la mort à plein nez. La fille avait du s'enfuir. Elle avait eu de la chance… beaucoup de chance.
David avançait parmi les carcasses déchirées qui n'avaient plus rien d'humain, il avait hâte de pouvoir enfin quitter ce tombeau souterrain. Mais il lui restait quelque chose à faire.
Voix : Alors, on chie dans son froc ?
David : Pas encore…
Il arriva finalement devant l'immense ordinateur principal. Le jeune homme grimaça en apercevant ce qui avait du être un scientifique allongé sur le tableau de commande. Il allait devoir le déplacer. Il agrippa fermement le cadavre éventré et tenta de le faire glisser, mais le corps restait immobile. Découragé, David agrippa une pokéball.
(?) : Besoin d'un coup de main ?
Le jeune garçon sursauta en se retournant. Un homme au visage à demi caché par un masque étrange, nappé de symboles fins et courbés, lui faisait face en souriant. Un homme d'une vingtaine d'années. Son unique œil visible était vide, aucune expression ne transparaissait dans son iris incolore encerclant une pupille contractée. Ses cheveux aussi blancs que le teint pâle de sa peau étaient ébouriffés et emmêlés, comme le pelage d'un grand fauve. Seul un cerne appuyé ombrageait son regard. David déglutit. Il connaissait cet homme. Ils avaient fait certaines de leurs classes ensemble dans la Team Rocket, et il avait été autant que lui promis à un brillant avenir dans l'organisation. Mais il avait changé, beaucoup changé. Il semblait même que cet homme n'ait plus rien de comparable avec le camarade plein de fougue que David avait connu autrefois.
David : Cédric ?
L'homme au masque grimaça, mais il reprit bien vite son expression sereine au sourire sculpté.
Cédric : On ne m'a pas appelé comme ça… depuis une éternité. Qu'est-ce que tu fais ici ?
Le jeune homme sentit un frisson le parcourir en entendant la voix sans timbre de son ancien compagnon. Son regard se posa sur l'Absol qui suivait Cédric, et qu'il n'avait pas, étrangement, repéré plus tôt. David se souvenait de ce pokémon, celui qui lui avait apporté plusieurs défaites lorsqu'ils s'étaient affrontés autrefois, celui qui ne quittait jamais son dresseur et avait toujours prouvé sa loyauté inébranlable. Celui qui avait lui aussi été plein de vie, mais dont le corps semblait à présent éreinté, courbé en avant comme si ses pattes antérieures, sous ses épaules saillantes et décharnées, avaient été les dernières forces vitales qui le maintenaient assis. Son arrière train, avachit sur le sol dans une position improbable, comme s'il s'était trouvé désossé, laissait croire que le grand chien blanc ne traînait avec lui qu'une demi-vie. Ses yeux gris comme l'orage, sans pupilles, étaient perdus dans un gouffre infini, et ne laissaient plus entrevoir les vives étincelles d'existences que David avait pu admirer il y a bien longtemps. Le jeune homme hésita, puis reprit en bafouillant.
David : Je… Je voulais juste… récupérer quelque chose. Et toi ? Ça fait un sacré bout de temps qu'on ne s'est pas vu…
L'homme partit soudain d'un rire fort qui fit trembler les panneaux métalliques. David eut un renvoi, les carcasses béantes semblaient hurler leur lente agonie au travers de ce rire macabre. L'homme au masque se tut enfin et fixa le jeune garçon qui lui faisait face. Son sourire avait reprit sa forme initiale. Il tendit brusquement une main vers ses pokéballs, David en fit de même. Les deux sphères s'ouvrirent face à face. Cédric reprit la parole de sa voix lente et fatiguée.
Cédric : Si tu me bats… je t'autorise à m'appeler Cédric, jusque là je suis Djurepan…
David : Le fameux faucheur ? Tu es donc devenu un simple tueur à gage ?
L'homme haussa les épaules.
Cédric : Appelle ça comme tu l'entends… La direction que j'ai choisie ne peut pas plaire à tout le monde…
Il avait insisté sur le mot «choisie», David en était sûr. Le jeune homme ne put s'empêcher de lâcher dans un soupir :
David : Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ?
Pour toute réponse, le sourire de Cédric s'élargit légèrement, tordant ses lèvres blêmes sur un rictus peu amical. David observa le nouvel Absol à qui venait de faire appel l'homme au masque, magnifique celui-ci, à la fourrure blanche comme la neige qui le fixait de ses yeux rouges et brillants sans faire un mouvement. Cédric haussa doucement les épaules, et ses cervicales émirent un craquement désagréable.
Cédric : Je n'ai plus vraiment l'habitude des combats…
Face à lui, les deux pokémons souris se préparaient au combat avec sûreté. L'homme au masque leur offrit un sourire plus doux.
Cédric : Deux pokémons dans une même pokéball ?
David sourit à son tour, sans cesser de fixer son adversaire.
David : Exact. Ce sont des jumeaux, personne ne les a jamais battus : leur synchronisation leur promet une victoire absolue.
Les yeux de l'homme reflétèrent soudain la curiosité.
Cédric : Voyons ça, je te propose un match en trois coups.
David : Que…
Cédric : Sickles, Requiem !
A nouveau, la pièce sembla vibrer sous le chant des charognes grimaçantes, tandis que le Absol femelle poussait un sifflement semblable à une symphonie. David ne se démonta pas, l'atout de la vitesse était de son côté.
David : Négapi, Coup d'Main ! Posipi, Vive Attaque !
La petite souris rouge poussa un cri entendu et disparut brusquement pour charger l'adversaire.
Cédric : Sickles, Reflet !
Le grand chien à la fourrure hivernale s'estompa lentement, puis se divisa. Les vingt silhouettes apparaissaient, puis disparaissaient, encerclant les jumeaux souriceaux. Posipi ne se laissa pas intimider et continua sa charge en frappant chaque adversaire qui se présentait à elle. Mais les reflets ne faisaient que s'estomper un peu plus avant de réapparaître complètement.
Cédric : Prépare ton Coupe Vent !
David : Croco Larme et Chargeur !
Aussitôt, Négapi se mit à sangloter tandis que sa sœur se concentrait en lui serrant la patte. Les reflets du Absol ralentirent légèrement leur course pour permettre la préparation de l'attaque meurtrière malgré les larmes du bébé souris. Un lueur agressive brillait maintenant dans yeux de Cédric.
Cédric : Ne t'occupe pas de ce rat, envoie ton attaque !
David : Maintenant, utilise la Cage-Eclair !
Les pleurs de Négapi cessèrent brusquement et une cage dorée et crépitante partit de ses minuscules bras. L'attaque enveloppa la pièce, secouant les cadavres comme un dernier souffle de vie. Les silhouettes immaculées disparurent en même temps qu'une expression de stupeur apparut sur le visage d'Absol, le Coupe Vent était stoppé.
David : Posipi, Fatal Foudre !
Un éclair blanc, presque invisible, descendit des quelques néons restant pour se loger dans la grande faux qui ornait le crâne du chien des neiges. Puis la foudre apparut dans une explosion retentissante. Le grand chien s'affaissa au milieu des corps inertes, souillant sa fourrure blanche de grandes marques rouges. Il ne se releva pas. Cédric soupira sans perdre son sourire.
Cédric : Vraiment plus l'habitude… Mais j'avoue que tu m'impressionnes.
L'homme au masque rappela son pokémon inconscient.
Cédric : Si tu cherches Sato tu perds ton temps. Il est partit il y a un moment… plus malin que tous ces abrutis.
David frémit une nouvelle fois en laissant glisser son regard sur la mer de cadavre, puis il reposa ses yeux dans ceux de Cédric.
David : Où est-il ?
L'homme au masque sourit cette fois d'une façon qui ne plut pas du tout à David, comme s'il éprouvait de la compassion, de la pitié pour lui.
Cédric : C'est lui qui m'envoie te chercher… il voudrait te parler.
La surprise prit le dessus sur les traits de David.
David : A propos de quoi ?
Cédric : De tout ça… (il ouvrit les bras comme pour englober les bancs de charognes) Toutes ces expériences qui devaient les mener à l'Etre absolu.
David : L'Etre absolu ? Tu veux dire que tout ce qui se faisait ici a servit de base à la création de SET ?
Cédric : Exact… et apparemment tu as quelque chose à voir avec ce projet.
David : C'est quoi ces conneries ! Je n'ai pas du tout participé à la création de ce truc !
L'homme au masque ne répondit pas, se contentant de scruter David. Puis il tourna les talons, se dirigeant vers la porte. Il s'arrêta avant de la franchir et posa son œil mort sur le jeune homme.
Cédric : Si tu veux en savoir plus, tu sais ce qu'il te reste à faire…
