Blanc.Noir.Blanc ou noir...C'est ainsi que je voyais les choses auparavant.Pas de compromis possible, aucune autre alternative à ce manichéisme patent.Tout était simple, tout paraissait clair à mes yeux.C'était peût-être plus facile ainsi...Ne jamais douter, ne jamais se remettre en question et toujours aller de l'avant.

Au Sanctuaire, ma réputation s'était fondée sur mon intransigeance et mon inflexibilité aussi envers les autres que moi-même.D'aucuns diront que c'est la marque de fabrique de tous les Saints du Scorpion et que je n'échappe pas à la règle, mais...je pris rapidement connaissance des avantages que cela me confèrait et je ne tardai pas à m'attirer les faveurs du Grand Pope, qui fit de moi le «médiateur officiel» du Sanctuaire.

Dans un premier temps, je fut donc chargé de maintenir l'ordre entre les chevaliers et de faire l'intermédiaire entre eux et le Grand Pope.L'existance de cette Saori Kido-dixit la réincarnation de notre Chère Déesse Athèna-porta énormément préjudice à notre communauté, en semant le trouble et le doute.Cela décrédibilisa le Pope, surtout.Depuis qu'il avait ordonné qu'on assassine le loyal Ayoros, chevalier du Sagittaire, pour avoir protègé la jeune Saori, rien n'avait plus été pareil.Dokho, de la Balançe, puis Mü le doux chevalier du Bélier, furent les plus illustres à quitter le Sanctuaire, sans donner d'explication.

Cela fit d'autant plus de bruit que le Pope était censé être Shion, le bien-aimé maître de Mü et grand ami de Dokho.Pourquoi défièrent-ils ainsi son autorité et s'écartèrent-ils de lui? Et Ayoros n'avait-il pas été victime d'une méprise? Comment avait-il pu nous trahir...lui qui était si bon, si généreux...comment avait-il pu s'écarter ainsi de notre déesse et nous tourner le dos?

La situation du pope devenait de plus en plus improbable et il dut se sentir vraiment menaçé pour faire appel à mes services...Trop de chevaliers commençaient à se détourner de lui...il devait donc frapper un grand coup pour ne pas devoir faire face à une véritable insurrection au sein du Sanctuaire.

Ces derniers temps, le bruit courait que cinq chevaliers de Bronze avaient miraculeusement vaincu de puissants chevaliers d'Argent au nom de la prétendue déesse et l'armure d'Or du Sagittaire était toujours vacante, ce qui sema un vent de panique en Grèce. Les chevaliers ne savaient plus qui croire ou non et la confusion la plus totale règnait au Sanctuaire.Nous autres, les chevaliers d'Or, l'élite de l'élite, devions montrer l'exemple à nos frères d'armes, en conservant notre calme et notre foi.Pourtant... certains de mes compagnons commençèrent à douter, contrairement à d'autres qui s'enfermèrent dans une cécité totale.Je fis partie de ces derniers et accèptai la tâche à laquelle m'assigna le Pope: devenir l'espion et assassin du Sanctuaire.

Mon rôle serait de punir les traîtres et de reconduire dans le troupeau les brebis égarées.Je devins alors l'épée de Damoclès qui pesa sur de nombreuses têtes, l'ennemi à abattre.Cette tâche ingrate m'attira la haine et le dégoût de la plupart de mes compagnons, alors que d'autres n'y voyaient que le reflet d'une certaine quotidiennement les chevaliers-puisqu'étant l'un d'eux-j'étais vraiment le plus à même de conforter le Grand Pope dans ses suspiçions, la plupart du temps, infondées et erronées.J'étais devenu un instrument dans les mains d'un pouvoir que je ne comprenais pas vraiment et dont les enjeux me dépassaient...J'étais devenu l'instrument potentiel de la perte de mes frères, la main qui se refermerait sur leur gorge, le poignard qui s'enfonçerait dans leur chair...

J'aurai pu refuser...J'aurai DU refuser! Mais à l'époque, j'étais un utopiste, un petit chien bien dressé à obéir aux ordres et à remuer la queue quand je recevais une récompense.Je ne pensai même pas à refuser, je ne pensais même pas en avoir le DROIT ou non...Pour moi, c'était un honneur.

Un honneur suprême, une preuve de la reconnaissance de mon potentiel.C'était un peu comme...une promotion dans ma carrière...Oui, c'est cela...une sorte de montée en grades.Je me croyais au dessus de tous.Certains ne manqueront pas de vous dire que j'étais hautain et extrêment imbu de moi-même! Un jeune con arrogant et sans expérience qui ne savait pas dans quoi il venait de s'embourber...

Je ne pensais qu'à me faire bien voir de mon supérieur et je repoussai mes limites...Jusqu'ici, je n'avais jamais tué.Je me l'étais toujours interdit par respect pour la vie.C'était quelque chose de bien trop précieux, c'était sacré pour moi et j'en chérissais chaque instant.Mais ce soir là, la foudre tonna très fort dans la plaine quand mon ennemi tomba sous mes coups.Son corps inanimé percuta lourdement la terre grasse et je restai là, à le regarder...totalement immobile et affichant la plus parfaite impassibilité alors qu'au fond de moi...je n'étais plus sûr de rien.

Qu'avais-je fait? Comment en étais-je arrivé là? Bizarrement...je ne ressenti rien.Ni dégoût, ni honte, ni fierté, ni plaisir...Rien, le néant le plus total.Et c'est cela qui m'inquièta et m'empêcha de trouver le sommeil.Je connaissais la valeur de la vie que j'avais prise, je n'avais pas tué au hasard, ni sur un accès de haine.

Non, j'avais tué de mon propre chef, sans raison personnelle, juste parce que c'était mon devoir.Je ne doutais absolument pas de la légitimité de ce que je venais de réaliser et j'allai faire immédiatement mon rapport au Grand Pope.Je réalisais à peine ce qui venait de se passer...Tout avait paru si facile, si «normal»...Je pensais tout de même éprouver un peu plus d'émotion que cela en tuant pour la première fois et j'avais toujours redouté cet instant.Pourtant, tout avait été si naturel...comme si ça avait toujours été inscrit en moi, quelque part.

Le grand Pope ne sembla pas surpris outre-mesure de mon sang froid. Il tenta néanmoins de me rassurer, comme s'il me fallait une justification rationnelle à cet acte.Il jura que j'avais plutôt «fais preuve d'un altruisme admirable en écourtant la misérable vie de ce traître» et que j'avais «protègé éfficacement les intérêts du Sanctuaire et de notre Déesse».Je ne savais pas encore pourquoi, mais ses paroles ne sonnèrent pas faux dans mon esprit.Rien ne me choqua, rien ne me fit réagir sur le moment.Ces mots si cruels n'éveillèrent rien en moi.J'avais l'impression d'avoir fait au mieux.J'avais eu raison. Raison...

A partir de ce jour, mon allégeance totale envers le Pope devint ma principale motivation, mon principal but.En devenant la griffe laçèrant la nuque de ses ennemis, je vis le moyen de servir la Déesse et de me rapprocher d'elle, au plus près.J'étais totalement aveugle et galvanisé par la promesse de plus de sang... comme pris d'une soif aussi irrépressible que morbide.

Rien ne semblait à même d'étancher ma soif et il me semblait qu'elle grandissait chaque jour davantage.Je devins une implacable machine à tuer, toujours en quête d'un «complot» potentiel, d'une attitude «suspècte» ou d'une «traîtrise» quelconque.Je n'étais plus moi-même, je n'étais plus un chevalier d'or, je n'étais plus Humain...Je voulais comprendre, trouver des réponses à mes questions savoir pourquoi je ne ressentais rien en tuant.

Cela devint mon obsession et cela me hanta, tel un spectre invisible et effrayant.Je ne vivais plus que pour une seule chose: «purifier ce monde...», je me sentais investi d'une mission divine, tel l'Elu, le Vengeur et protecteur le plus fervent du Pope.Oui, du Pope.La déesse ne semblait même plus compter.Après tout, il était le représentant direct d'Athéna.Le décevoir, aurait été comme s'attirer le courroux de notre Idole...J'étais passé de l'outil au simple jouet qu'on manipule aisément avant de le briser et de le jeter...

Et j'aurai sans doute perdu pied...j'aurai sombré dans les abysses de la Haine, dans la folie meurtrière et la paranoïa si...

...S'il n'était pas entré dans ma vie, en me redonnant foi en l'Humanité.Lui, le chevalier au coeur de Glace et à l'allure si noble.Aujourd'hui encore il ne doit pas savoir à quel point il a compté pour moi, ni à quel point il compte encore.Il m'a littéralement sauvé du pire ennemi que j'ai eu à affronter: moi-même.

Il devint mon point d'encrage, le phare qui illumine les froides nuits de tempête me guidaint quand je m'éloignais trop du rivage...Je me suis raccroché à lui desespèrément, de toutes mes forçes.J'y ai mis toute ma volonté et même si je me sentais fallir...je n'avais qu'à puiser l'inspiration et la combativité nécessaires dans ses magnifiques yeux cristallins.

Cet homme, je lui doit tout...C'est grâce à lui que je peux vivre en harmonie avec moi-même et en paix avec les autres.Grâce à cet homme qui préfèra prendre la vie de son bien-aimé disciple afin d'éviter qu'il ne vienne orner la façade murale du temple de notre estimé confrère Masque de Mort...

Grâce à cet homme altruiste et bon qui préfèra sacrifier sa propre vie afin d'inculquer une ultime technique à son élève...Ce fut sa première, dernière et plus belle preuve d'amour.

A toi mon cher Camus, je dédis cette histoire et espère que là où tu es tu as enfin pu trouver le repos de l'âme et l'estime que tu méritais.En ta mémoire, je continuerai à regarder les étoiles tous les soirs sur la colline où se trouve ton temple...comme nous aimions tant le faire, conclus-je en levant mes yeux vers la constellation du Verseau, totalement dégagée ce soir...