Chapitre 17
Une simple barrière leur avait interdit l'accès à l'extérieur de la ville, mais pas longtemps. Ils s'arrêtèrent pour récupérer leurs affaires, et virent que personne ne les poursuivait.
« Ils doivent certainement avoir trop à faire dans la ville même » supposa Thomas.
Une heure plus tard, Cassandra s'éveilla, et supplia presque immédiatement que le mouvement de la voiture cesse, ce qui était facilement compréhensible, vu la taille de la bosse qu'elle avait sur l'arrière de son crâne.
Ils s'arrêtèrent donc, et montèrent un petit bivouac. Fatigués par leur travail, ils mirent au point un tour de garde jusqu'au lendemain. Chad prit le premier tour, et en profita pour voir si le choc avec la barrière n'avait pas trop endommagé leur véhicule. Après une rapide vérification, il en vint au fait que seule la carrosserie avait été un peu froissée.
« Alors, quoi de neuf, docteur ? entendit-il derrière lui.
- Juste de la tôle froissée » répondit-il en se retournant.
Derrière son faux air décontracté, Jessie était perturbée par l'aboutissement de la tentative d'assassinat, persuadée que c'était de sa faute. Et cela l'empêchait de dormir.
Chad revint jeter une bûche au petit feu qu'ils avaient allumé, avant de retourner vers elle, maintenant assise sur le capot du véhicule, regardant la lune se lever.
« Quelque chose ne va pas ? lui demanda-t-il en s'asseyant à côté d'elle.
- Hein ? fit-elle. Non… Tout va bien, je n'ai juste pas sommeil. »
Elle ne voulait pas lui en parler.
« Tu me déçois… »
Cette phrase revenait sans cesse dans sa tête.
« Tu t'inquiètes pour l'autres équipe, c'est ça ? continua-t-il après un moment, et rajouta, vu l'absence de réponses : Je m'attendais à ce que ça rate…
- Comment ça ? demanda-t-elle, croyant qu'il se doutait de quelque chose.
- Tuer une sorcière avec une seule balle, c'était impossible. Comme Thomas l'avait dit…
- Je me demandais pourquoi ils n'ont pas fui, mais sont partis tenter de la tuer par des moyens plus… conventionnels, mentit-elle.
- C'était sans doute les ordres, supposa-t-il.
- Et ils suivraient les ordres même s'ils leur disaient de se jeter dans le feu ?
- Non, c'est autre chose que du suicide, argumenta le noir.
- Quoi alors ? L'honneur ? grinça-t-elle.
- Certains suivent la voie de l'honneur toute leur vie, commenta-t-il, regardant pensivement sa main droite.
- Et c'est ton cas ? demanda-t-elle, regrettant d'avoir raillé cette vertu.
- Je ne sais pas… » avoua-t-il, relevant la tête vers la lune.
La lune, d'abord rouge sang lorsqu'elle avait surgi de l'horizon, était passée au rose et pâlissait lentement.
« Pourquoi voulais-tu voir les yeux de l'officier, à Dollet ? demanda-t-elle finalement après un moment de silence.
- Je ne peux pas te le dire… répondit-il.
- Et pourquoi ça ? lança-t-elle, un peu frustrée.
- Je ne veux pas de ta pitié, souffla-t-il.
- Je n'en aurai pas, si c'est ce que tu veux.
- Et de celle des autres…
- Je ne le répèterai pas.
- Vraiment ? dit-il en se tournant vers elle.
- S'il faut le jurer, soupira-t-elle, exaspérée du manque de confiance du jeune homme. Je te jure que je ne le répèterai pas…
- Bien, sourit-il. Je veux bien te faire confiance, alors…
- Génial, il me fait confiance, dit-elle en roulant des yeux. Je t'écoute… »
Chad enleva sa paire de mitaines, et regarda sa cicatrice.
« Celui qui m'a fait ça, dit-il évasivement… et celui qui a lâchement tué mes parents, ajouta-t-il d'un ton plus hargneux en fermant son poing… »
Jessie hocha la tête, comprenant qu'il était en train de chercher ses mots.
« Les seules choses dont je me souvienne de lui, c'était qu'il était Galbadien.
- Et les autres choses… ? poursuivit la brune pour lui.
- Les autres choses… ses yeux. Et son rire sadique lorsqu'il les a tués.
- Ah, fit-elle, ne sachant pas trop quoi dire.
- C'était il y a dix ans. J'avais sept ans…
- Je suis désolée, fit-elle.
- Il y a dix ans, poursuivit-il un peu plus fort et levant son regard vers les étoiles, ne semblant entendre Jessie. J'ai juré que je chercherai cet homme toute ma vie, et que je lui ferai payer, que je le ferai souffrir autant que j'ai souffert ! »
Jessie ne fit aucun commentaire à cette déclaration, apprenant de nouvelles choses sur le jeune homme, et comprenant la solennité de l'instant.
Elle avait continué d'observer la lune, allongée sur le capot de la voiture, et s'était peu à peu faite entraîner par Morphée. Lorsqu'elle se réveilla à l'aube, elle se rendit compte que quelqu'un l'avait protégée du froid de la nuit avec l'une des couvertures qui étaient rangées dans le véhicule. Balayant son regard autour d'elle vit aussi que Thomas et Cassandra semblaient encore endormis.
Elle tourna alors son regard vers l'horizon rosissant, puis aperçut une silhouette familière un peu plus loin, à sa gauche.
La pointe de son katana plantée dans le sol, le tranchant dirigé vers les lueurs les plus vives, ses mains jointes autour de la garde, Chad était agenouillé dans la même direction, la tête baissée, tel dans une étrange prière dont seul lui connaissait la signification. Alors que l'orbe doré apparaissait, il releva la tête et l'observa un instant.
Jessie crut voir ses lèvres bouger, mais, étant trop loin, n'entendit pas ce qu'il dit. Il se redressa alors, et empoignant son arme toujours fichée dans le sol, lui fit faire un arc entier, comme s'il fendait le soleil, et il se retrouva finalement dos à celui-ci, l'épée rengainée dans le même mouvement.
« Magnifique », voulut-elle dire, mais rien ne sortit de sa bouche.
Il revint vers le camp, le visage aussi fermé qu'à son habitude.
« Bonjour, lança-t-il en passant devant Jessie.
- Euh… Oui, bonjour, fit-elle, encore émerveillée. Tu es debout depuis longtemps ?
- Je n'ai pas dormi, répondit-il accroupi à côté de Thomas, le secouant doucement.
- Hein ? marmonna le blond, les yeux mi-clos.
- Il est l'heure de partir, déclara le noir.
- Okay… répondit-il, se redressant pour s'empêcher de sombrer à nouveau dans le sommeil.
- Pas dormi, marmonna Jessie pour elle-même, toujours assise sur le capot de la voiture.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? articula péniblement Cassandra, qu'avait à son tour réveillé Chad.
- On part, répéta-t-il.
- Hein ? geignit-elle. Mais le soleil se lève à peine…
- On s'est arrêtés pour toi, remarqua-t-il. Il est temps de repartir.
- Mais…
- Le navire ne nous attendra pas toute la journée » coupa-t-il sèchement, n'ayant pas envie de palabrer des heures, en retournant derrière le volant.
Un peu blessée dans son orgueil, la rousse prit néanmoins tout son temps pour ranger ses affaires. Soupirant d'exaspération devant la lenteur de sa camarade, Jessie tendit sa main vers le contact, et démarra le moteur. L'effet ne se fit pas attendre, et la jeune fille se précipita vers le véhicule, sa couverture roulée en boule sous le bras.
« Tiens, railla la brune en regardant à l'arrière. On est réveillée, maintenant ? »
L'autre ne répondit rien, la fusillant du regard.
Chad desserra le frein à main, et la voiture repartit en direction de Dollet.
Ils étaient encore à une heure du duché, lorsqu'un Wendigo sorti de nulle part se mit en travers de la route, obligeant le SeeD à piler brusquement. Excité par le crissement des pneus, il frappa de ses deux poings sur le capot juste devant lui. Sortant de l'engin, Thomas, Jessie et Chad se préparèrent à affronter le monstre. Cassandra, elle, resta à l'intérieur, tétanisée par l'irruption et l'attaque de la créature.
Le noir tentait en vain d'entailler le cuir épais du Wendigo, et Jessie de le transpercer, avec la même réussite que son chef, lorsque le blond lui lança un Brasier. La chair monstrueuse sembla se calciner un instant, mais la bête sembla folle furieuse, et Chad put éviter son premier poing, mais pas celui qui se cachait derrière, le recevant en pleine cage thoracique. L'air s'échappant violement de ses poumons, il fut propulsé quelques pas en arrière, KO pour le compte.
« Lance-lui un… commença Jessie, voulant abréger le combat le plus vite possible.
- Glacier ! » lança Thomas, comprenant où elle voulait en venir.
Le monstre fut immobilisé quelques instants, où la lancière prit appui sur la voiture pour sauter plus haut, effectuer un demi-tour en plein vol, et atterrir violement, la pointe de son arme en première, sur l'amas de glace enfermant le Wendigo. Il ne put l'éviter, et sa peau ne put rien face à la vitesse à laquelle la lance le transperça.
Alors que les deux SeeDs se précipitaient vers leur chef, Cassandra en fit de même, et fit un rapide diagnostic.
« Il a certainement deux ou trois côtes de brisées, déclara-t-elle, sinistre.
- Tu peux le soigner ? demanda une Jessie inquiète.
- Oui, répondit-elle, regardant la brune d'un air de mépris. Mais à une seule condition.
- Quoi ? s'exclama-t-elle. Que veux-tu dire ?
- Je ne le soignerai que si tu arrêtes de lui tourner autour, déclara-t-elle, triomphante.
- Tu sais qu'il risque de crever, et tu me demandes ça ? explosa-t-elle.
- À toi de voir… ricana-t-elle.
- Si tu ne le soignes pas, coupa court Thomas, je lui applique un sort de Soin. »
Le blond avait toujours quelques Soin en réserve, mais il préférait les garder en cas d'extrême nécessité, et généralement pour lui. Il était sérieusement en train de se demander s'il n'allait pas réviser son jugement sur la jeune infirmière.
« Soit, répondit la rousse en lui jetant un regard noir. Je vais le faire. Après tout, c'est mon boulot. »
Elle avait appuyé sur les derniers mots de sa phrase, comme pour faire comprendre à Thomas qu'il n'avait pas à se mêler de ses affaires, puis elle se mit au travail, sortant de son sac plusieurs potions et quelques bandages.
Après avoir jeté un dernier regard courroucé à la rousse, Jessie s'assit au volant, et tourna la clé sur le contact. Le moteur émit un petit toussotement, et n'alla pas plus loin.
Jurant, elle tapa un coup sur le volant de frustration, puis tira sur la manette d'ouverture du capot. Thomas le souleva, et ouvrit de grands yeux en apercevant les dégâts causés par les poings du monstre, puis il regarda Chad, impressionné.
« Sa G-Force doit vraiment lui donner une meilleure constitution, pour avoir survécu à ces poings…
- Que veux-tu dire par l… lui demanda Jessie. Oh putain ! » s'exclama-t-elle ensuite, voyant à son tour les dommages causés au moteur.
(Bon, je ne m'y connais pas trop en vocabulaire mécanique, alors la liste des dommages je la laisse à votre imagination, ok ?)
Tout ce qu'ils purent faire se résuma à une réparation de fortune, en particulier pour le radiateur, où ils utilisèrent les morceaux de glace restant autour de la carcasse du monstre (dont Jessie préleva ce qui lui semblait être des composants qui pourraient certainement améliorer son arme) pour remplacer, en fondant, le liquide de refroidissement.
« Il ne faudra pas trop pousser le moteur, finit pas annoncer Thomas. Sinon, il risque de vraiment rendre l'âme, ou pire, de nous sauter à la figure. »
Cassandra avait fini ses soins, et Chad, toujours inconscient, n'aurait plus que deux côtes fêlées. Ils durent le transporter sur la banquette arrière, où Cassandra veilla attentivement sur lui, la tête du jeune homme sur ses genoux à croire que c'est le premier geste appris lorsqu'on vient au secours d'un beau gosse…
Ils mirent trois heures pour rallier Dollet, au lieu de la seule prévue au départ. Peu avant leur entrée en ville, Chad reprit connaissance, et tenta de se lever, avant qu'une douleur lancinante ne lui déchire la poitrine.
« Doucement, lui dit Cassandra. Tu t'es pris un sacré coup.
- Je l'avais remarqué, marmonna le noir, se relevant plus doucement, et un peu avec l'aide de la rousse.
- On arrive » déclara Jessie.
Lorsque la voiture s'arrêta, ils sortirent tous du véhicule, et, pendant que Chad remettait son t-shirt et sa veste – Cassandra avait prétendu que les bandages devaient rester à l'air libre tant qu'il ne se réveillait pas – par dessus son plastron de pansements, le concessionnaire siffla de stupeur lorsqu'il vit l'impact.
« Vous vous êtes pris un arbres durant l'orage ? supposa-t-il.
- Non, répondit Thomas. Un Wendigo sur le chemin du retour…
- C'était un sacré arbre » marmonna Chad, un nouvel éclair de douleur lui traversant la cage thoracique.
Après avoir déclaré que cette voiture était bonne pour la casse, l'homme les salua. Le remerciant, ils prirent donc cette direction.
« J'allais bientôt partir » leur dit le capitaine du navire, heureux que les quatre jeunes gens reviennent - presque- entiers.
