NdA : Et hop ! un nouveau chapitre ! Normalement, je devrais vous recommander de sortir les mouchoirs, mais quelque chose me dit qu'au fond, vous n'en aurez pas besoin…

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Chapitre 15 : Indifférence

Jenny Potter laissa retomber sur son bureau le dossier qu'elle lisait avec un soupir irrité, s'attirant l'attention d'un jeune homme en train de classer plusieurs photos à un autre bureau.

- Un souci ? s'enquit-il, apparemment soucieux de la femme.

- Comme s'il pouvait n'y en avoir qu'un en ce moment, répliqua-t-elle un peu agressivement.

Le jeune photographe rougit fortement et baissa les yeux sur son travail en bredouillant des excuses. Mme Potter secoua la tête tout en se frottant le front.

- Non, c'est moi qui m'excuse, je suis sur les nerfs en se moment, soupira-t-elle.

Son collègue redressa la tête et attendit qu'elle poursuive.

- Que pensez-vous de Bartemius Croupton ?

Il hésita un instant avant de répondre.

- Je pense qu'il est rassurant de le savoir à la tête du département de la justice magique, car lui au moins agit mais… j'avoue que j'ai du mal à savoir quel est mon avis sur sa politique assez… agressive.

- Agressive est le mot juste, acquiesça-t-elle en désignant du menton le dossier qu'elle venait de consulter. Son projet d'autoriser les Aurors à utiliser les sortilèges Impardonnables est en bonne voie, il compte le soumettre à Herbert d'ici peu.

- Vous pensez que ça passera ?

- Cette fois-ci, non, j'en doute fortement, mais il ne s'en tiendra pas là et la prochaine fois…

Le jeune homme ne fit aucun commentaire, faisant confiance au jugement de cette femme qui connaissait les rouages de la politique sorcière peut-être mieux que les politiques eux-mêmes. Jenny Potter était reconnue dans sa profession pour la justesse de ses articles et son sens du discernement, ce qui était rare parmi les reporters de la Gazette.

- Vous désapprouvez sa politique, n'est-ce pas ? demanda-t-il.

- Totalement, confirma la femme. Ils feraient mieux d'exercer les Aurors à mieux maîtriser les sortilèges de capture plutôt que de les initier à celui de mort. Croupton espère dissuader d'autres personnes de rejoindre le camp de Voldemort par cette mesure mais il n'a pas encore compris que ce n'est pas cela qui le fera reculer.

- Excusez-moi mais je ne comprends pas. De ce que j'en sais, le centre Belaube n'a pas à discuter de ses programmes avec le ministère. En plus, Bhagavant, le doyen, n'est pas en accord avec le gouvernement actuel, et il en est de même pour le sous-doyen Freyr.

- Belaube a un statut assez particulier, expliqua Jenny Potter. D'un côté il s'agit d'une faculté indépendante du ministère, de l'autre on y forme les Aurors qui seront forcément appelés à travailler là-bas. Leur financement vient bien du ministère mais celui-ci représente la dette qu'il doit au centre pour lui fournir des agents qui assurent avec efficacité la sécurité du monde sorcier. En bref, Belaube se trouve à une position charnière, mais elle est toute puissante sur le reste puisque si elle s'arrête de fonctionner, la formation ne pourra être assurée par aucun autre centre. Je suppose que l'idée de Croupton est de proposer une formation supplémentaire à la sortie de Belaube. Il est en plus prêt à embaucher les élèves avant la fin de leur formation. J'ignore où tout cela va mener mais j'ose espérer que Bhagavant et Freyr ne se laisseront pas faire.

Elle se leva pour allumer une radio moldue posée sur une étagère, la réglant sur une fréquence qui diffusait un tube quelconque. Jenny Potter se tenait toujours au courant des informations du côté Moldu, encore plus depuis la montée en pouvoir de Voldemort. La plupart de ses collègues trouvaient cela ridicule mais cela lui avait permis à de nombreuses reprises de faire des liens avec certaines affaires sorcières, et la connaissance de l'actualité moldue l'aidait également à mieux appréhender celle de son propre monde.

- Et puis il y a Albus Dumbledore ! ajouta le photographe en retrouvant un certain enthousiasme. Lui aussi aura son mot à dire dans cette histoire.

Jenny hocha la tête en écoutant d'une oreille distraite le jingle annonçant le début des informations.

- J'ai terminé mes sélections, je vais les déposer au labo. Vous aurez besoin de moi aujourd'hui ?

- Non, je dois me rendre à Sainte Mangouste et j'ai des recherches à faire cet après-midi. Je suppose que vous allez rejoindre Hans ?

- Il m'a proposé de l'accompagner sur un reportage, confirma-t-il, et nous avons encore quelques petites choses à mettre au point. Si jamais vous avez besoin de moi, je serai avec lui.

- Je doute que j'ai à vous rappeler. Ne vous en faites pas, travaillez avec Hans autant que vous aurez besoin puis rentrez chez-vous, ne vous embêtez pas à revenir.

- D'accord, merci beaucoup. A demain dans ce cas. Bonne journée, Jenny.

- Bonne journée.

La femme ferma les yeux après son départ, posant son visage entre ses mains et le frottant lentement pour lutter contre la fatigue alors que la radio diffusait les informations moldues.

« Rencontre au sommet aujourd'hui entre la reine et le Premier Ministre. La question de l'économie sera au cœur des débats, surtout en ce qui concerne les exportations de… »

- Jenny ! Quelle belle journée nous avons aujourd'hui, n'est-ce pas ?

Mme Potter rouvrit lentement les yeux pour les fixer avec mépris sur la jeune femme qui venait d'entrer sans même frapper et lui souriait de manière tout à fait hypocrite. Un court silence suivit son entrée durant lequel on n'entendit que le reportage radio sur la "rencontre au sommet", puis la chroniqueuse se redressa sur son siège pour jauger la nouvelle venue.

- Je ne me rappelle pas vous avoir jamais autorisée à utiliser mon prénom, miss Skeeter, dit-elle d'un ton sec.

Rita Skeeter fronça légèrement les sourcils, n'appréciant pas la remarque, mais elle retrouva vite son sourire repoussant.

- J'aurai besoin du dossier Croupton et on m'a dit que vous l'aviez en votre possession.

- Je ne m'étonne même pas que vous ayez eu besoin qu'on vous le dise. Après tout, il n'aurait pas pu venir à votre esprit que, dans la mesure où je suis l'auteur de ce dossier et qu'il est en élaboration, je ne pouvais qu'être la seule personne à le détenir.

- Vous auriez très bien pu le passer à un collègue, répliqua Skeeter, franchement énervée.

- A la veille de la conférence privée de monsieur Croupton ? Décidément, miss Skeeter, votre place au poste que vous occupez en ce moment devient de plus en plus discutable. Mais je ne doute après tout pas que vous ayez su jouer de… votre charme pour en arriver là.

La journaliste se crispa et adressa un regard chargé d'éclair à sa collègue, notant aisément que celle-ci s'était retenue de parler de "ses charmes" au pluriel.

- Je ne suis pas… commença-t-elle.

- Je n'ai malheureusement pas de temps à perdre avec vous, la coupa Jenny Potter. Si vous aviez réfléchi un tant soit peu, cela vous aurez évité un déplacement puisque je n'ai nullement l'intention de vous céder ce dossier, dont j'ai bien évidemment besoin pour terminer les préparatifs avant d'assister à la conférence. Je comprends cependant qu'entre perdre du temps à venir me voir et risquer de vous retrouver avec une migraine, vous ayez préféré éviter cette réflexion ô combien pénible pour vous. Je ne vous retiens pas, miss Skeeter.

Elle l'ignora pour se mettre à rassembler différents papiers mais la jeune femme plaqua violemment ses mains sur le bureau, l'air furieux.

- Vous devriez prendre garde, madame Potter. J'ai plus d'atouts en manche que vous ne semblez le penser et vous pourriez le regretter à me mettre à dos.

Jenny Potter planta son regard dans celui de sa vis-à-vis.

- Pour votre information, je n'ai rien à cacher à qui que ce soit. Mais je vous préviens que c'est vous que vous mettez en situation délicate à vouloir me menacer. Vous n'êtes et resterez à jamais qu'une novice pitoyable et dénuée de tout sens moral et vous feriez mieux de ne pas oublier à qui vous vous adressez. Je n'ai pas le temps de m'occuper d'un être aussi insignifiant que vous mais si vous commencez à me chercher, croyez bien que je me chargerez personnellement de votre cas. Maintenant vous allez quitter cette pièce et si à l'avenir vous avez besoin de quoi que ce soit à voir avec moi, je vous serai gré de faire passer le message par un tiers. Au revoir.

Le ton était sans réplique et Skeeter quitta le bureau d'un pas furibond en maugréant des insanités que Jenny Potter préféra ignorer. Une fois la porte refermée, elle se leva pour s'approcher du poste qui venait tout juste de finir de diffuser les informations sur la réunion entre la reine et le Premier ministre.

« Ce matin, tôt dans la matinée, une voiture a explosé à Londres, dans Presence Avenue, faisant trois morts et cinq blessés. Des suspects ont été appréhendés par des badauds et sont en ce moment interrogés par Scotland Yard. On ignore encore… »

Elle coupa la radio en secouant la tête. Les Moldus étaient bien comme eux : d'abord la politique, ensuite la vie des gens. Elle réduisit les dossiers posés sur son bureau et les mit dans une sacoche avant de transplaner.

Le hall de Ste Mangouste était calme en ce premier vendredi d'avril et Jenny Potter put directement avoir accès à l'accueil, présentant sa carte de presse.

- Bonjour, je suis venue voir la guérisseuse Dorcas Meadowes.

La réceptionniste regarda un instant sa carte d'un air suspicieux puis sembla bloquer sur son nom et se détendre.

- Bien sûr madame Potter. Elle a dû s'occuper d'une urgence durant toute la nuit mais je pense que vous pourrez quand même vous entretenir avec elle.

Elle lui indiqua où elle pourrait le trouver et la journaliste la remercia, traversant un couloir avant de monter les étages. Elle se retrouva dans un corridor où s'affairaient plusieurs infirmières, certaines avaient la mine défaite mais la plupart conservaient un air neutre. Jenny Potter avança jusqu'à la salle indiquée par la réceptionniste et poussa la porte. Dorcas Meadowes se trouvait bien là, agenouillée devant un petit garçon aux yeux rougis et aux joues baignées de larme. Elle lui parlait doucement en lui frottant le dos, une jeune infirmière à leurs côtés regardant l'enfant d'un air désolé.

La guérisseuse finit par cesser son mouvement, dire quelque chose au petit en désignant l'infirmière puis se releva et avisa la femme. Elle donna des ordres à l'infirmière avant de s'avancer vers elle.

- Madame ? Vous êtes de la famille ?

- Jenny Potter, journaliste à la Gazette, j'aurai à vous parler.

- Je n'ai rien à vous dire, dit poliment la guérisseuse mais d'un ton qui ne souffrait aucune réplique.

- Je pense le contraire, répondit pourtant Mme Potter avec calme.

Tout en parlant, elle faisait tourner dans sa main un collier accroché à son cou auquel était accroché une forme abstraite. La guérisseuse prit un air dur et voulut la faire partir mais, avisant soudain le pendentif, changea d'orientation.

- Nous serons mieux dans mon cabinet.

Elle la mena à travers les couloirs et la fit entrer dans son bureau, refermant soigneusement la porte derrière elle.

- Qui était cet enfant ? demanda la journaliste comme elle lui faisait signe de s'installer.

- Un autre orphelin de guerre, soupira-t-elle en s'asseyant également. Il s'appelle Jean Lamare, il a dix ans et il n'est même pas anglais. Il était en visite chez son oncle et sa tante avec ses parents, lui et sa cousine sont allés se balader hier soir et à leur retour…

Elle laissa sa phrase en suspens mais il était facile de deviner qu'ils avaient trouvé la marque des Ténèbres scintillant au-dessus de leur maison.

- Sa cousine a piqué une véritable crise d'hystérie, nous avons dû lui donner des calmants. Le père n'était pas mort en arrivant ici, je crois que le gamin espérait qu'on puisse le sauver. On s'en est occupé toute la nuit mais il n'a pas survécu.

- Vous allez l'envoyer dans un orphelinat ? demanda la femme en sentant son cœur se serrer.

- Non, il a une grand-mère en France, c'est elle qui l'aura à sa charge désormais. Quant à la cousine, elle est tout juste majeure, sa situation se présente plus compliquée.

Elle laissa échapper un soupir ainsi qu'un bâillement dû à sa nuit blanche.

- Je suis désolée de venir vous déranger, peut-être préféreriez-vous que je revienne plus tard ?

- Non, je comprends que vous ayez jugé préférable de ne pas prendre de rendez-vous, assura la femme en désignant d'un geste vague le pendentif qu'elle portait. Jenny Potter ? Excusez-moi, j'aurai dû immédiatement réaliser.

- Après une nuit pareille, c'est compréhensible. Votre bureau est sûr ?

- Totalement, vous pouvez parler sans crainte. Dumbledore m'avait dit que certains entreraient en contact avec moi mais... A vrai dire, je ne vous attendais pas si tôt.

- Il m'est plus simple d'approcher les gens de par mon travail, expliqua Jenny. Le professeur préfère que nous nous connaissions assez vite et je comprends ses raisons.

- Nous sommes pourtant encore bien loin de pouvoir accomplir son projet, remarqua la guérisseuse.

- Nous ne sommes pas assez, confirma-t-elle. Il faut du temps pour savoir à qui on peut faire confiance. Certes, tout cela traîne, mais un mauvais départ pourrait être catastrophique.

- J'en conviens, et d'un certain côté, il vaudrait même mieux n'avoir jamais à concrétiser ce projet, dans la mesure où cela signifierait que nous n'en avons pas besoin. En ferez-vous partie ?

- Mon mari et moi l'aurions fait en d'autres circonstances, mais il y a des risques que nous préférons éviter de cumuler par égard pour notre fils. Nous servirons cependant d'intermédiaires et également d'informateurs, mais nous ne pouvons plus nous impliquer dans cette affaire.

- Je ne peux blâmer des parents qui cherchent à protéger leurs enfants, assura Meadowes. Votre mari est déjà au cœur du combat et je sais que vous-même cherchez à influencer la Gazette pour le mieux de tous. Vous êtes bien les derniers que j'accuserai de lâcheté. Pour le moment, nous agissons de manière bien désorganisée, êtes-vous au courant de quand cela changera ?

- Avec le programme optionnel que Dumbledore propose à certains élèves de sixième et septième année, nous aurons de nouveaux alliés à compter de l'année prochaine, jeunes mais de confiance.

- Ça ne sera pas assez, constata simplement la guérisseuse.

- Non, c'est vrai. Je pense que Dumbledore espère, tout comme vous, n'avoir jamais à créer cette organisation. Il y a trop d'incertitudes pour le moment, la mise en œuvre immédiate serait vouer son existence à un échec cuisant et irrémédiable. Nous ne pouvons qu'attendre et espérer que le ministère ne commettra pas l'irréparable.

- Je ne suis guère au courant de l'affaire avec les sylphes, cela a-t-il avancé ?

- Le ministère reste très sceptique quant à une collaboration même minime avec eux, grimaça Jenny. De plus, nous ne pouvons avoir affaire qu'à une minorité de politiques comme ce projet doit rester secret, et ces idiots ne comprennent pas la chance qui nous est offerte. Ils ne réalisent pas que les sylphes sont les moins enclins à nous aider et que le fait qu'ils aient accepté de nous céder une arme représente plus que nous n'aurions jamais pu espérer.

- Les êtres humains se battent pour une couleur de peau ou encore un héritage magique, vous n'espériez pas qu'ils accueillent à bras ouverts une autre espèce ? Même les gobelins sont encore mal vus chez la plupart des sorciers.

- C'est bien le problème actuel, remarqua-t-elle avec un sourire désappointé.

Il y eut un court silence puis la guérisseuse planta son regard dans celui de la journaliste.

- Répondez-moi franchement, Mme Potter, voyez-vous une victoire au bout de cette ère ?

- J'ai survécu à Grindelwald et mes parents y ont laissé la vie, répondit-elle. Je serai tentée de dire que Voldemort ne peut pas gagner, quoi qu'il fasse, mais je mentirai. Grindelwald ne le pouvait pas, on a affaire à tout autre chose aujourd'hui. Voldemort possède plus que la puissance et la folie. Il est un serpent qui charme et dont on ne peut plus s'échapper une fois que ses anneaux se sont resserrés autour de nous. Pourtant je fais confiance, si ce n'est à nous, à nos enfants qui avancent dans cet âge. Je crois en eux bien plus qu'en n'importe quel adulte, c'est pourquoi si j'ai du mal à voir la victoire à la fin de cette ère, je la ressens pour la prochaine, dussé-je ne plus être là.

- J'aimerai avoir votre optimisme… Quand on est guérisseur, on apprend la vie en côtoyant la mort, et en temps de guerre, comme nous le sommes même si personne n'ose le dire, il y en a bien trop qu'on ne peut empêcher. Je ne travaille ici que depuis deux ans et demi et j'ai dû m'occuper d'une centaine de cas graves dont la moitié étaient impossibles à soigner. Je n'ose imaginer ceux qui travaillent au recensement mortuaire. C'est l'hécatombe, à tel point que je m'étonne que le monde sorcier anglais puisse encore fonctionner. Nous assistons à une hémorragie extrêmement grave qui mènera à notre perte si nous ne trouvons pas les moyens de l'endiguer. Je pense aux enfants, mais pas à votre façon. Les Aurors actuels, qui n'ont pas connu Grindelwald, ne sont pas habitués à la guerre et à faire face à ce genre de conflit, ceux qui sortiront prochainement de Belaube seront mieux préparés et donc plus efficaces.

- Attendre, répéta la femme dans un soupir. Attendre et faire de notre mieux pour que les choses n'empirent pas plus.

On toqua et la guérisseuse invita la personne à entrer. Un jeune infirmier poussa la porte.

- Excusez moi de vous déranger docteur mais la femme qui nous est arrivée tout à l'heure est en train d'avoir une autre crise.

- J'arrive.

- Une autre attaque ? s'inquiéta Mme Potter.

- Non, une explosion moldue, assez ironique quand on y pense, répondit la femme, désabusée. Elle a eu de la chance, son mari beaucoup moins : il l'a protégée de son corps et s'est pris la déflagration de plein fouet.

Jenny eut un certain coup au cœur dû au ton employé par le guérisseur. Il était vrai que mourir ainsi dans la situation actuelle du monde sorcier… Par automatisme, elle suivit Dorcas Meadowes, ne tardant pas à entendre des cris. Plusieurs infirmiers tentaient de retenir une femme qui se débattait tout en restant malgré tout recroquevillée sur elle-même. Elle hurlait mais ne prononçait pas la moindre parole, émettant des espèces de borborygmes inquiétants en réponses aux tentatives de communication des personnes l'entourant. Tandis que Meadowes se rapprochait en lui faisant signe de rester en arrière, Jenny Potter examina le visage égratigné et tordu de peur de la femme, les yeux légèrement plissés comme il lui semblait familier. Elle étouffa un cri de surprise en la reconnaissant soudain.

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L'action punitive contre Hargow fut menée de main de maître trois jours après le week-end d'épreuve. Ce fut Sirius qui en eut l'idée et si Remus émit quelques protestations par principe, elles ne furent pas assez virulentes pour dissuader ses amis de le venger.

Ce jeudi matin se déroulait comme tous les autres dans la Grande Salle jusqu'à ce qu'un cri horrifié retentisse à la table des Serdaigle. La totalité des élèves attablés – quasiment toutes les années réunies – se tournèrent vers la source et ouvrirent des yeux exorbités, parfois effrayés, en voyant l'être en lequel venait de se transformer Gerald Hargow.

Ce qui choquait en premier lieu était la disproportion de son corps : ses jambes et ses bras étaient devenus bien trop gros pour un corps maigrelet et sa tête était totalement tordue. Ses yeux n'étaient plus alignés et ressemblaient à deux protubérances qui s'ajoutaient aux furoncles qui recouvraient sa figure, son nez devenu énorme pendait au-dessus d'une bouche qui n'était plus qu'un trou sur son visage. Ses mains étaient atrophiées de manière horrible, boursouflées avec des doigts plus longs que les autres formant des angles étranges. Sa peau avait pris une teinte vert de vase, couverte de pustules et dont certains morceaux pendaient comme s'il était atteint de la lèpre.

Certainement horrifié, il se tourna vers ses condisciples, mais ceux-ci s'étaient empressés de s'éloigner de lui en constatant son état et n'avaient pas l'intention de venir le secourir. Les professeurs Flitwick et Achear arrivèrent assez rapidement auprès de lui et lui demandèrent de les suivre tout en restant à distance pour éviter tout risque de contagion. Les élèves apprirent plus tard que le garçon resterait ainsi jusqu'à ce qu'on ait trouvé un remède mais que son mal n'étant pas transmissible, il continuerait à suivre les cours. Gerald Hargow tenta bien de dire quelque chose en désignant les Maraudeurs lorsqu'il fut ramené dans la Grande Salle mais seuls des gargouillis écœurants sortirent de son semblant de bouche et on le pria de ne plus essayer de parler tant qu'il n'aurait pas retrouvé son aspect normal.

- Ils en ont pour un bout de temps avant de trouver un remède, ricana Sirius alors qu'ils attendaient l'arrivée de Binns dans la salle de classe. S'il y a un remède bien évidemment.

- C'est le problème avec Achear, il a toutes les chances de trouver, soupira James.

- Les professeurs se doutent de notre implication, remarqua Remus. Surtout avec ce qui est arrivé à ses mains en plus du reste de son corps.

- Au fait, tu es totalement remis ? demanda Peter.

- Ça me tire encore un peu mais je peux de nouveau la bouger, acquiesça le châtain en pliant prudemment les doigts de sa main droite. Pomfresh a dit que je ne sentirai plus rien d'ici la semaine prochaine.

- Quel dommage pour Hargow que son nouveau corps soit si douloureux, ironisa Sirius.

Remus hocha vaguement la tête sans répondre, continuant à faire jouer ses doigts en les regardant, comme fasciné, et ne répondit même pas lorsque Peter l'appela.

- Lunard ! insista James devant son manque de réaction, lui faisant relever la tête.

- Quoi ? demanda-t-il en s'arrachant à sa contemplation.

Son ami l'observa un instant, prêt à lui demander une nouvelle fois ce qu'il avait, mais la peur de le voir se braquer prit le dessus et il abandonna l'idée.

- On n'a toujours rien trouvé pour l'Anceps Ortus, dit-il à la place, l'air frustré. A croire que ça n'existe pas !

- Certains livres qu'on voulait consulter n'étaient pas disponibles, lui rappela Peter.

- Ce qui est d'ailleurs étrange vu leurs sujets, nota Sirius. On devrait peut-être aller voir dans la Réserve.

- Mais il nous faudrait un point de départ, soupira James avant de froncer les sourcils. Tu crois que quelqu'un d'autre pourrait s'intéresser à l'affaire ?

- Vu les bouquins qui ont été empruntés, c'est fort probable.

- On a déjà écarté les sorts, les malédictions et les protections, énuméra Peter. Que reste-t-il ? s'enquit-il, perplexe.

- Les dons et les hérédités magiques.

- Les hérédités ?

- Comment peux-tu ignorer tant de choses ? grommela Sirius. Les hérédités magiques sont des pouvoirs qui sont propres aux membres d'une certaine famille ou d'une certaine catégorie de sorciers.

- Les catégories de sorciers ? demanda soudain une voix féminine.

- On écoute les conversations des autres, Evans ? se moqua James.

- J'ai juste entendu la fin de votre discussion et je me demandais ce que Black voulait dire en parlant de catégories de sorciers, répliqua-t-elle.

- C'est vrai qu'étant fille de Moldus, tu ne connais pas ça, remarqua James en perdant toute trace de moquerie. Chacun a une magie qui lui est propre et est définie par ce qu'on appelle une "signature magique". Elle est unique pour chaque sorcier mais toutes ces signatures sont regroupées en catégories qui correspondent à certains traits énergétiques identiques, pour faire simple. On n'a pas encore totalement découvert tout ce que cela peut engendrer mais les sorciers de même catégorie sont plus enclins à avoir le même type de pouvoirs.

- Tu parles des dons ?

- Non, les dons sont généralement très spécifiques, expliqua-t-il. Par "pouvoirs", je fais référence aux hérédités magiques dont on a parlé. Il s'agit en général d'un trait particulier de la magie, mais ça peut tout aussi bien être un domaine, comme la métamorphose ou les sortilèges, qu'un rituel bien particulier ou même simplement une catégorie de sortilèges. On fait encore des recherches là-dessus.

Evans le regardait bizarrement et il haussa un sourcil.

- Quoi ?

- C'est dommage que tu ne sois pas continuellement aussi aimable, dit-elle franchement. S'il n'y avait pas ta prétention, tu en serais presque agréable et sans aucun doute sympathique.

L'arrivée du professeur Binns empêcha James de répondre quoi que ce soit comme la jeune fille se replaçait correctement pour suivre le cours.

- Je suis toujours sympathique, grommela-t-il sous le ricanement moqueur de Sirius. C'est ça, ris de moi, lui lança-t-il. Je peux encore écrire à mes parents pour leur dire que finalement tu préfères passer les vacances ici.

- Comme si tu pouvais te passer de moi. Vois la réalité en face mon petit James, tu es totalement dépendant de ma personne.

- N'oublie pas que la réciproque est vraie, sourit malicieusement son ami. Vous êtes toujours sûrs de ne pas pouvoir venir chez moi pour la semaine de Pâques ? ajouta-t-il à l'intention de Remus et Peter.

- Ça fait un moment que je ne suis pas rentré et mes parents m'attendent, répondit Remus.

- Noël ne remonte pas à si loin, s'étonna Peter.

- Les parents, se contenta de dire le garçon en secouant légèrement la tête.

- Oui, remarque, ma mère est pareille, sourit faiblement Peter.

- Tant pis, on pensera très fort à vous quand on se fera une indigestion de chocolat à deux, assura très sérieusement James.

- Cette pensée va me réchauffer le cœur toutes les vacances, dit Remus en roulant des yeux.

Il suivit ensuite le cours tandis que James et Sirius se lançaient dans une partie de pendu, Peter jetant parfois un coup d'œil à l'avancée des points en écoutant distraitement le cours.

Après le déjeuner, tandis que Remus retournait à la tour Gryffondor pour travailler, ses trois amis sortirent retrouver le professeur Brûlopot qui leur apprenait depuis le mois précédent à s'occuper d'Ethonans, des chevaux ailés à la robe brune. Il devait les autoriser ce jour-là à les monter, ce qui rendait la plupart de ses élèves extrêmement excités à l'idée de voler à dos de cheval.

James et Sirius ne semblaient pas particulièrement impatients de tenter l'expérience, le premier considérant qu'il ne pouvait rien y avoir de plus grisant que le balai et le second qu'il aurait eu mieux à faire que monter un canasson, dusse-t-il être ailé. Peter en revanche était assez craintif à l'idée qu'il puisse tomber, les chevaux ailés n'étant pas harnachés, contrairement à Lily Evans qui avait les yeux brillants d'anticipation

Alors que Brûlopot rappelait les consignes de sécurité, James et Sirius s'éloignèrent légèrement du groupe pour discuter en paix.

- Tu as avancé, non ? lança James. Tu as l'air nettement moins frustré en ce moment quand tu ressors de ta concentration.

- J'ai retrouvé la confiance du chien, reconnut Sirius en souriant dans le vague. Je n'arrive pas encore à le réintégrer – dès que j'essaye, il se sauve – mais on a de nouveau les contacts du début. Je pense qu'on ne peut pas se les réapproprier par la force. Ce sont eux qui choisiront quand ils voudront refaire totalement parti de nous.

- Je pense pareil, acquiesça James. Je sens de plus en plus le cerf. Il est encore farouche bien sûr, mais je le sens qui me jauge… C'est un peu étrange, comme si je me jugeais moi-même mais d'un point de vue totalement extérieur.

- Ce qui n'est pas peu dire pour toi, commenta narquoisement Sirius. Mais ce doit être ça. J'ai la même impression, que tous mes faits et gestes sont surveillés par l'animagus, et je pense qu'il attend quelque chose, mais j'ignore quoi.

- De toute façon, Lunard a raison, le moyen le plus rapide de les réintégrer, c'est de rester nous-mêmes. En parlant de Remus, je voulais te demander…

Il hésita un instant puis regarda son ami droit dans les yeux.

- Je me fais peut-être des idées, parce qu'il n'a plus jamais craqué comme il l'avait fait le jour où on avait vu son écriture, mais tu n'as pas l'impression que son état empire ?

Sirius haussa un sourcil dubitatif. Il lui avait semblé le contraire, justement à cause de cette espèce de crise d'angoisse qu'il leur avait faite quelques temps plus tôt. Il restait de plus en plus souvent dans la lune, certes, mais ça ne lui avait pas paru très préoccupant.

- Pas vraiment, répondit-il. C'est vrai qu'il est assez distrait en ce moment mais il ne s'est plus plaint de trous de mémoire ou autres depuis qu'il a craqué. En fait, j'ai plutôt tendance à penser que de parler ainsi l'a calmé.

James secoua la tête, l'air soucieux.

- Non, je ne crois vraiment pas. Il ne dit plus qu'il va mal, d'accord, mais ça ne veut pas dire qu'il va mieux. Il peut très bien s'être habitué à cet état ou alors il en a enfin parlé à Carvi et il n'a plus besoin d'en discuter avec nous. Je ne plaisante vraiment pas, Sirius, je suis certain que son état s'aggrave. Il a l'air plus absent, il n'entend pas ce qu'on lui dit, a des retards de réaction qui m'inquiètent, il m'inquiète et ça m'énerve de ne pas savoir quoi faire.

Le jeune Black observa un instant son ami sans rien dire. Du fait de sa prétention, nombre d'élèves – bien que l'adulant – le pensaient égocentrique, mais Sirius savait qu'il s'agissait d'un des défauts qu'il ne possédait et ne posséderait jamais. Derrière ses simagrées qui faisaient dire qu'il ne pensait qu'à lui-même, James observait avec attention les personnes qui lui étaient proches, prêt à bondir dès que quelque chose clochait, et n'abandonnait jamais avant d'avoir résolu le problème.

C'était sans aucun doute ce trait de caractère qui faisait de lui le véritable "chef" de leur petite bande. Sirius était bien trop indépendant pour réellement aller chercher des réponses tant que les gens ne venaient pas à lui pour parler, à l'opposé de James en fait. James avait l'âme d'un meneur non pas parce qu'il était doué, fonceur et entêté – si ce n'était que cela, Sirius serait un monarque absolu – mais bien parce qu'il gardait un œil tout à la fois protecteur et critique sur ses compagnons. C'était certainement lui qui connaissait le mieux leurs forces et leurs faiblesses et qui, lorsqu'il aurait mûri, saurait en tirer parti pour qu'ils se donnent au meilleur de leurs capacités sur tous les plans de leur vie.

De l'avis de Sirius, James, à sa manière, était aussi étrange que Remus. Il agissait toujours selon sa nature mais ses agissements semblaient parfois démentir ce qu'il était, ce qui d'un point de vue logique était totalement incompatible. Sirius admirait James, sincèrement. Il l'agaçait parfois, le considérait toujours comme son égal, mais l'admirait dans un sens de respect – et non d'adoration, comme c'était le cas pour Peter. Lui-même ne se sentait prédestiné à rien, il prenait la vie comme elle venait, saisissait ses occasions et ne se demandait pas où elle le mènerait puisqu'il ne pourrait jamais le savoir, mais James… James était fait pour quelque chose. Sirius était peut-être trop jeune pour savoir quoi mais il comprenait déjà que son ami était destiné à être quelqu'un.

S'il avait eu la capacité d'interpréter les signes avant-coureurs, Sirius savait qu'il aurait pu dire maintenant ce que deviendrait James dans le futur, et il se doutait déjà que le James adulte serait bien différent de l'adolescent qui était en train de se construire. Car derrière les fougues de la jeunesse, son attitude vis-à-vis de ses amis montrait au moins une chose indéniable : il serait un homme responsable – pour le moment, inclure "James" et "responsable" dans la même phrase était de l'ordre du burlesque.

- On a parlé de ça une bonne centaine de fois, grogna Sirius d'un air contrarié, et je te répète pour la centième fois ce que je t'ai déjà dit : on ne peut rien faire tant qu'il ne nous en parle pas. On lui a fait des signes, on lui a montré qu'on était là, s'il n'est pas capable de comprendre ça, il n'a qu'à rester dans les jambes de son cher Carvi.

James le regarda avec surprise en notant le ton accusateur et presque rageur avec lequel il avait terminé sa phrase.

- Tu as quelque chose contre Carvi ? demanda-t-il prudemment. Pourtant, Remus a l'air toujours mieux quand il le voit et…

- Justement ! s'exclama-t-il un peu trop brusquement.

Il poussa un soupir d'exaspération avant de poursuivre.

- Écoute, tu me connais bien maintenant et tu sais que je me soucie également de Remus, même si je peux me montrer parfois aveugle… ou plutôt je ne cherche pas particulièrement à savoir, rectifia-t-il en voyant que James allait protester. Je sais que tu trouves que c'est bien pour Remus que Carvi s'occupe ainsi de lui, et tu as certainement raison, mais moi ça ne me plaît pas. Je sais pas, c'est peut-être de l'égoïsme mais ça m'énerve de voir Remus courir vers lui dès qu'il a un souci en nous passant sous le nez sans même nous voir.

Il lança d'un geste rageur un caillou vers le lac.

- Bouse de dragon et dard de billywig ! Je suis peut-être pas du genre à soutirer des explications à mes amis mais il n'en reste pas moins que je me préoccupe d'eux, et si cet abruti n'est pas capable de comprendre que les amis, c'est fait pour ça, il n'a qu'à déménager dans les appartements de Carvi !

James était un peu surpris de l'attaque véhémente du garçon, celui-ci perdant rarement son calme de la sorte, mais au fond, ça lui ressemblait bien.

- Tu es furieux contre Remus, constata-t-il. Tu étais pareil en seconde année, avec moi puis également avec lui.

- A la différence que ça n'a pas changé pour Remus, grommela Sirius pour approuver.

- Je ne comprenais pas pourquoi j'avais l'impression que quelque chose ne collait pas entre vous deux, mais en fait, ce n'était pas qu'une impression. En même temps, c'est plutôt rassurant qu'il s'agisse de ça, je craignais un peu que vous ne puissiez pas vous supporter vu que vous êtes vraiment différents tous les deux.

- Comment tu fais pour être aussi observateur avec nous, toi ?

Sirius le fixait d'un air entre perplexité et amusement et James se contenta de hausser les épaules en souriant.

- Il n'empêche, poursuivit-il en reprenant un air sombre, que tout cela ne nous aide pas à comprendre ce qui arrive à Remus.

Il regarda un moment Peter, que le professeur avait désigné pour être le premier à passer, avancer en tremblant d'un des chevaux comme s'il montait à l'échafaud.

- Tu crois vraiment que si Carvi n'était pas là, il nous parlerait ?

- C'est ironique à dire mais Remus est un vrai loup. Il est sauvage dans ses relations aux autres et il choisit ceux à qui il fait confiance, mais au fond, il ne peut y avoir qu'une personne qui puisse réellement être proche de lui. Si Carvi n'avait pas été là, il se serait retrouvé acculé, et il t'aurait trouvé. Je le vois mal se tourner vers Peter pour ça, grimaça-t-il légèrement.

- Toi aussi tu es observateur, se moqua gentiment James. Tu n'as peut-être pas tort, il aurait fini par nous trouver sans ce prof.

- Te trouver, rectifia vaguement Sirius, occupé à observer avec intérêt l'Ethonan qui s'élevait dans les airs, Peter accroché à son cou en émettant des petits cris de frayeur.

- Tu sais bien que nous ne formons qu'un, sourit malicieusement James.

- Tout autre que toi aurait reçu un maléfice d'aphasie doublé d'un sortilège de furoncle, l'avisa-t-il aimablement.

- Mais c'est de moi, James Potter, dont il s'agit, remarqua James en redressant fièrement la tête.

- Maudits soient tous les James Potter, souffla Sirius.

- Je savais bien que tu m'aimais, sourit grandement son ami. Pour l'alliance, évite une bague en diamant, je préférerai une chevalière.

- Je ne voudrais pas briser le cœur de toutes les demoiselles qui me courent après, répondit très sérieusement Sirius, mais j'en prends bonne note.

- Tu me rassures, mon cœur débordant d'amour n'aurait pas supporté le choc d'un refus clair et net. Allons-y avant que Peter ne soit obligé de refaire un tour, ajouta-t-il en se dirigeant vers le groupe des élèves, où leur ami qui était revenu de son petit tour avait pris une teinte légèrement verdâtre.

James posa une main sur son dos et le frotta d'un air compatissant tandis que Sirius montait sur le dos d'un des Ethonans, le faisant immédiatement s'élever pour se retrouver dans les airs avec Millea Stimpson. James la vit lui dire une chose à laquelle il acquiesça avant que tous deux ne lancent leurs chevaux à vive allure pour faire une course sous les cris indignés du professeur.

Rigolant, James baissa les yeux et vit un peu plus loin Lily Evans, qui revenait d'un vol, en train de caresser la tête d'un cheval. Ses yeux étaient encore plus brillants qu'avant alors qu'elle fixait le mouvement des ailes de l'Ethonan qui les repliait avec grâce. Evans agaçait et amusait James tout à la fois parce qu'elle était toujours à leur faire la morale et à s'offusquer d'un rien, mais il y avait des fois où elle les avait surpris, et d'autres où elle l'intriguait.

Lily Evans était l'une des meilleurs élèves du collège, en fait elle était la meilleure avec lui et Sirius dans leur année – et sûrement au-delà. Elle était fille de Moldus mais se renseignait énormément sur le monde de la magie, de sorte qu'elle en savait parfois plus que certains sangs purs, même si certaines choses évidentes pour eux pouvaient encore la surprendre. Malgré tout cela, le Gryffondor avait toujours vu sa camarade avec des yeux brillants de curiosité et d'intérêt à tout ce qui se racontait, même lorsqu'elle avait déjà pu apprendre le sujet.

En cet instant, ses yeux suivant la course de Sirius et Stimpson, la jeune fille ressemblait à une enfant découvrant ses cadeaux sous le sapin de Noël. Elle avait une capacité à l'émerveillement que James avait perçu sans même savoir comment, et lorsque la jeune fille un peu rabat joie laissait la place à la petite fille au regard plein d'étoiles et de rêves, il avait cette envie étrange de plonger dans ses yeux pour ne plus jamais en ressortir.

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Le vendredi matin s'était parfaitement déroulé pour les Maraudeurs. Jugson leur avait fait faire des travaux pratiques en défense, la potion demandée par Achear n'avait pas été trop complexe, à tel point que Remus et Peter la réussirent presque totalement, et pour parachever cette matinée, ils avaient vu Gerald Hargow recroquevillé dans le coin sombre d'un couloir gémissant sous la douleur des furoncles qui le recouvraient.

Après le repas, Flitwick avait malheureusement décidé de leur faire un cours entièrement théorique et les élèves grattaient sur leurs parchemins depuis presque deux heures lorsqu'on frappa à la porte. James et Sirius interrompirent leur conversation pour tourner leurs regards vers la porte en même temps que leurs condisciples au moment où McGonagall entrait.

- Excusez-moi professeur mais je dois amener monsieur Lupin au bureau du directeur.

Seize paires d'yeux se tournèrent vers le garçon châtain qui rassembla ses affaires avec un air perplexe comme sa directrice de maison le lui demandait et lui emboîta le pas. Il la suivit jusqu'au bureau de Dumbledore sans poser la moindre question, l'esprit un peu vague.

Il était détaché de tout, comme souvent depuis un moment, mais la différence avec les premiers temps était qu'il n'y faisait plus attention. Avant, son état finissait par l'inquiéter et il luttait – le mot n'était pas faible – pour rester concentré sur ce qui se passait. Maintenant, tout lui était totalement indiffèrent, pas vraiment parce qu'il n'avait plus la volonté de combattre mais parce qu'il en était arrivé à un point où il n'était même plus capable de réaliser l'état dans lequel il se trouvait.

- Monsieur Lupin ?

Il redressa la tête pour tomber sur le regard un peu inquiet du professeur McGonagall. Il nota vaguement qu'elle était pâle et s'efforça de se concentrer sur ce qu'elle disait.

- Vous avez eu des soucis aujourd'hui ? demanda-t-elle.

- Non… Excusez-moi, je suis un peu fatigué, dit-il en souriant doucement.

Elle hocha la tête mais ne répondit pas au sourire. Un bref instant, il sembla au garçon voir une expression de détresse sur son visage alors qu'elle passait son regard de l'entrée ouverte menant au bureau du directeur à son élève, mais il avait dû se tromper.

- Venez avec moi, le directeur vous attend, annonça-t-elle d'une voix légèrement rauque en passant devant.

Albus Dumbledore était seul dans son bureau, en train de lire une lettre avec un air fatigué qui aurait pu surprendre Remus en d'autre temps. Il leva un visage grave sur eux lorsqu'ils entrèrent et McGonagall posa ses mains sur les épaules de son élève pour le mener s'asseoir devant le bureau.

Il régnait une ambiance solennelle dans la pièce et malgré son état de torpeur, Remus se sentit mal à l'aise, tournant un instant la tête vers McGonagall avant de revenir sur Dumbledore d'un air interrogateur.

- Monsieur Lupin, commença le directeur, ce que j'ai à vous annoncer n'est pas facile et je ne pense pas qu'il existe une meilleure façon de le faire.

Derrière lui, son professeur serra sa main sur son épaule et l'estomac du Gryffondor se resserra, lui amenant une impression nauséeuse désagréable.

- Vos parents ont été victimes d'un accident, déclara le directeur. Votre mère est en ce moment à Ste Mangouste, elle n'a fort heureusement pas eu de blessures physiques graves.

Il ne poursuivit pas, observant la réaction de son élève, mais celui-ci n'en eut aucune.

Remus gardait son regard fixement dirigé devant lui, tentant d'analyser ce que venait de dire son professeur, mais tout ce que son cerveau arrivait à interpréter de cette phrase était qu'il s'agissait d'une bonne nouvelle. Il y avait la notion d'accident, évidemment, mais sa mère n'avait pas été blessée gravement.

Une information manquait.

L'annonce de Dumbledore était incomplète et Remus avait l'impression qu'il devait maintenant poser une question, mais le problème était qu'il ignorait laquelle. Il savait qu'il y avait un manque, une carence douloureuse dans cette nouvelle, seulement il était incapable de définir laquelle.

Le professeur Dumbledore attendit un instant et fronça imperceptiblement les sourcils en constatant le regard vide de son élève. Il avait l'impression que celui-ci ne l'avait pas entendu, ce qui était impossible. Il attendit encore un peu, espérant qu'il lui poserait la question qu'il aurait dû poser, mais celle-ci ne vint pas, et le directeur se surprit à plus craindre cela que sa réaction à ce qu'il allait lui apprendre.

- Monsieur Lupin, je suis sincèrement désolé mais votre père a été tué dans l'accident.

Un cri, un sursaut, un mouvement des yeux, Dumbledore aurait préféré n'importe quelle réaction plutôt que l'apathie dans laquelle resta le jeune Lupin. La nouvelle semblait ne faire naître aucun sentiment en lui et le directeur échangea un regard inquiet avec le professeur McGonagall, espérant sans doute pour la première fois une réaction violente à venir.

Quelque chose n'allait pas. Les paroles de Dumbledore résonnaient dans l'esprit de Remus mais n'y trouvaient aucun écho. Une part de lui disait que cette information était capitale, qu'il aurait dû l'interpréter d'une certaine manière, mais une autre n'arrivait pas du tout à analyser correctement les éléments composant cette simple phrase. Tout semblait décousu et dépourvu de sens. Il savait que cela concernait son père ainsi qu'un "tué"… ou alors un tueur… impossible de s'en rappeler, incapable de le comprendre. Le pire était qu'il ne parvenait pas à s'inquiéter de cela. Le pire ? Non, il y avait pire, mais quoi ?

Remus secoua la tête et releva la tête pour regarder son directeur.

- Monsieur Lupin ? Votre père est mort, insista-t-il.

La voix de Dumbledore paraissait hésitante et Remus eut l'envie d'en rire tellement c'était incongru de sa part.

- Excusez-moi monsieur… Je peux y aller ?

Un mouvement brusque de McGonagall lui fit tourner son regard vers elle, lui faisant découvrir son expression presque scandalisée. Il ne comprenait pas pourquoi, cela devait avoir un rapport avec ce qu'il n'avait pas réussi à saisir de la situation précédente.

- Vous pouvez vous retirer, acquiesça le directeur après un long silence. Si vous voulez parler, monsieur Lupin, vous pourrez toujours venir me voir, ou le professeur McGonagall.

Le garçon hocha la tête et sortit.

« Votre père est mort », son père était parti ? « Votre père est mort », mort ? Cela signifiait qu'il n'était plus en vie… « Votre père est mort » Notion abstraite tout de même… « Votre père est mort » L'image de son père souriant et parlant avec lui frappa son esprit. « Votre père est… » La tête lui tournait, il était tellement douloureux de réfléchir autant.

Il secoua la tête pour chasser ses pensées et réalisa qu'il avait continué à marcher en réfléchissant – il avait d'ailleurs bien avancé dans le château. Revenant sur ses pas, il mit un certain temps pour se rendre dans la tour Gryffondor et avisa ses amis en train de jouer aux cartes explosives devant la cheminée.

- Lunard ! Qu'est-ce que te voulait Dumbledore ?

Il haussa les épaules, l'air de signifier que ça n'avait guère d'importance puis désigna le jeu du menton.

- Qui gagne ?

- C'est moi ! s'exclama Sirius alors que les cartes explosaient à la figure de Peter. Tu joues ?

- Prépare toi à perdre, Patmol, sourit-il en s'installant avec eux.

Une nouvelle partie s'engagea et aucun élève dans la salle commune ne remarqua le chat qui se faufila en dehors de la salle commune alors que des élèves entraient. Le professeur McGonagall reprit sa forme humaine de l'autre côté du passage sous le regard surpris de la grosse dame. L'air choqué, elle fixa un moment le passage entre incompréhension et angoisse avant de partir dans le couloir à grands pas sans réussir à calmer sa respiration, qui s'était presque faite erratique après avoir assisté à la réaction inappropriée de son élève.

Quelque chose se préparait…

(à suivre…)

Rqe : La fin du chapitre peut être assez… choquante d'un point de vue "moral". La réaction de Remus n'est pas le fruit du hasard et vous comprendrez ce qu'il en est plus tard. Je disais en début de chapitre que vous n'aurez normalement pas besoin de mouchoirs, je dis ça parce que normalement, c'est surtout à la réaction des proches qu'on a envie de pleurer… enfin je trouve. (ne vous inquiétez pas, Remus finira par réagir à cette mort)