Chapitre 2.
La vision de son reflet dans le miroir lui tira enfin un sourire.
Il s'était réveillé de mauvaise humeur et ce n'était ni le gentil message qu'avait laissé Waya sur son répondeur ni le soleil qui brillait déjà dans le ciel clair de ce printemps agréable qui avaient pu le dérider.
L'annonce faite à la radio que le lauréat du prix littéraire Pinokyo (très côté au Japon :-D) était l'auteur de « Go and love » puis l'invitation pour le Gala (où il serait encore la cible privilégiée de toutes les railleries) trouvée le matin dans sa boîte aux lettres avaient eu raison de son optimisme.
Cette histoire ne s'arrêterait jamais !
Ces dernières semaines, il avait pourtant fini par en tirer parti. Mais ce prestigieux prix littéraire allait considérablement doper les ventes et son calvaire recommencerait comme au début...
Au début... Il y a quatre mois de cela...
Un jour d'hiver, il y a quatre mois, alors qu'il prenait le métro, il avait senti quelque chose qui le serrait de près, frottant son jean. Incommodé, il s'était retourné brusquement pour constater avec surprise qu'un jeune homme à l'allure banale était en train de lui palper allégrement les fesses.
Il lui avait alors jeté un regard furibond et était descendu à l'arrêt suivant. Mais plus surprenant encore, cet épisode fâcheux s'était renouvelé à plusieurs reprises durant les semaines suivantes. Et devenant plus méfiant, il s'était aperçu que beaucoup d'hommes se mettaient à le regarder de façon étrange.
C'est uniquement lorsque Waya lui avait parlé de « Go and love » qu'il avait compris...
Il était devenu une icône gay !
Cela l'avait tout d'abord beaucoup énervé ! Jusqu'à présent, ses airs sages et raisonnables et son mignon petit minois lui assurait un certain succès auprès de la gente féminine, succès dont il pensait se voir priver s'il était affublé de l'étiquette « Homosexuel ».
Mais il en fut tout autrement pour sa plus grande satisfaction.
Il reçut bientôt des déclarations enflammées de la part d'admiratrices, conquises par le récit de sa passion amoureuse avec 'Ogatou'. Il leur répondit d'abord timidement et fixa même rendez-vous à certaines d'entre elles qui tombèrent dans ses bras sans se faire prier, tellement fières d'avoir réussi à le faire changer de bord, croyaient-elles.
Une admiratrice acharnée eut même l'idée d'acheter une voiture identique à Maître Ogata pour reproduire l'une des scènes cultes du livre où les deux hommes mettaient à l'épreuve les amortisseurs du puissant bolide.
Il ne se passait pas un jour sans qu'au moins une demoiselle l'aborde dans la rue et même Akira Toya, le chouchou des fans féminines de go, le jalousait à présent.
Il ne se priva donc pas de profiter de cette soudaine et inattendue notoriété.
Mais cela n'eut qu'un temps. Ce fut un article qui parut dans Go Weekly qui le tira des jours heureux qu'il coulait, partagé entre ses matchs de go et ses rendez-vous galants.
Ce fut comme un électrochoc. Une biographie qui lui était consacrée en tant que nouveau professionnel, le dépeignait comme un play-boy superficiel, imbus de son image et surtout.... Nul au go ! Quelqu'un ne le connaissant pas et lisant rapidement l'article pouvait penser qu'il était devenu pro en raison de sa belle gueule.
Cet article le mit hors de lui pendant plusieurs semaines où il se montra imbuvable avec ses amis. Pour se venger, il fit même courir la rumeur qu'Amano, le rédacteur en chef du torchon, entretenait une liaison avec le jeune Mashiba. Cela fit scandale. Le journaliste fut forcé de démissionner pour une question d'éthique et son hebdomadaire, racheté par une maison de presse gay, forte heureuse d'avoir trouver un vrai vivier dans ce jeu et décidée à exploiter le filon.
La ligne éditoriale changea du tout au tout et Ko Yongha, bien que coréen de naissance, fit régulièrement la une du magazine tandis qu'on entendait plus parler de Kurata.
Après cet incident douloureux, il s'était plus largement consacré au go et avait abandonné des maîtresses désespérées (certaines menaçant même d'aller s'immoler devant l'Institut de Go) pour rester chez lui à étudier. Et il venait de se qualifier pour le troisième tour d'un tournoi important mais la légende était tenace. Il était toujours considéré comme le 'Anna Kournikova' du go.
Et c'est pour cela qu'il n'avait aucune envie de mettre les pieds à cette petite réception. Les appareils photos seraient immanquablement braqués sur lui (surtout que Jean-Paul Gaultier en personne l'avait supplié durant des semaines au téléphone de le laisser redessiner sa garde robe et qu'il arborerait donc un magnifique costume rose à paillette) mais tout cela ne l'amusait plus à présent.
Le taxi qu'il avait appelé un quart d'heure plus tôt était certainement arrivé et il abandonna la contemplation de sa propre personne pour descendre les escaliers de la maison et claquer la porte derrière lui. Il ne s'était pas montré plus chanceux à l'examen du permis de conduire qu'à celui de professionnel de go et après trois tentatives infructueuses, avait renoncé définitivement à le passer, sa dernière expérience s'étant également soldée par une proposition malhonnête de l'examinateur qui avait visiblement réussi à saisir le message principal de « Go and love » malgré son air qui ne reflétait pas de la plus grande intelligence.
Il ouvrit la porte arrière du véhicule et s'engouffra à l'intérieur, saluant brièvement le chauffeur. Il remarqua que ce dernier lui adressait un petit sourire moqueur mais y étant habitué, il ne releva pas.
La voiture démarra et prit la direction de la salle où devait se dérouler le gala tandis qu'Isumi regardait défiler le paysage, l'air préoccupé.
Il ne réagit même pas lorsque le véhicule stoppa devant l'entrée de la salle de réception. Tiré de ses pensées par une quinte de toux du chauffeur, il régla tout de même la course et descendit, réarrangeant sa veste rose pastel qui avait été froissée durant le voyage.
Il n'eut pas le temps de faire deux pas qu'un Hikaru Shindo, suivi comme un petit chien par une ombre sombre se précipita à sa rencontre.
« Hikaru ! Akira ! » fit-il sur un ton faussement enthousiaste « Que je suis heureux de vous voir ! »
« Salut Isumi, tu vas bien ? » demanda le jeune garçon aux mèches décolorées et maintenant teintes en vert.
« Ca va, ça va... »
Tout en échangeant quelques politesses avec son ex-camarade de chez les Insei et toujours suivis par un Akira vêtu de cuir noir parce qu'il avait adopté un look gothique depuis peu, ce qui n'était pas tout à fait au goût de son père, ils entrèrent dans le grand hall.
« S'il vous plait... s'il vous plait... veuillez-prendre place dans l'assistance. La conférence va débuter dans deux minutes... » les invita une voix féminine au microphone.
Plongeant les mains dans les poches de sa veste, Isumi se dirigea d'un pas nonchalant vers l'un des sièges, prenant bien gare à ce qu'Ogata se trouve exactement à l'opposé de lui et ne jetant à celui-ci que de petits regards furtifs pour éviter d'attirer l'attention.
« Qu'est-ce que c'est que cette histoire de conférence... ?! » ronchonna Isumi.
« Il paraît qu'il y a un invité... C'est lui qui va parler. » lui répondit Akira, ouvrant la bouche pour la première fois de la soirée.
« Ah oui ? Et parler de quoi ? » questionna à nouveau le jeune homme brun.
Ce fut l'élégante speakerine qui répondu à sa question. S'avançant au centre de l'estrade dans sa jolie robe de soirée, elle posa le micro sur son repose pied et après avoir demandé le silence, elle commença à parler :
« Cette année a été exceptionnelle pour la fédération japonaise de go. Elle a recensé plusieurs milliers d'inscriptions. Et pas que des petits niais de huit ans qui ont abandonné les pokemons après avoir lu Hikaru no go ! Non, beaucoup de jeunes adultes se sont montrés très intéressé par ce jeu. Et ce succès, nous n'ignorons pas que nous le devons en grande partie à ce best seller que vous connaissez tous... »
Il y eut un comme un grand frisson qui traversait l'assemblée et Hikaru qui se trouvait assis à côté de l'ex-premier de la classe des Insei sentit que tout le monde se retournait vers eux.
« ...j'ai nommé bien sûr, 'Go and love' ! »
Isumi se boucha les oreilles pour ne pas entendre prononcer la malédiction tandis qu'un grand bruit de chaise fit se retourner Zama-sensei. Derrière lui, n'ayant même pas attendu le verdict, Ogata venait d'avoir un malaise.
« Et ce soir, exceptionnellement, car il ne se montre d'ordinaire jamais, son auteur est parmi nous pour nous en parler ! »
Une clameur s'éleva de la foule permettant à l'évacuation d'Ogata vers l'infirmerie de se faire dans la plus grande discrétion. Isumi se leva d'un bond pour faire face à cette personne qui lui avait empoisonné l'existence, bien décidé à lui dire en face ce qu'il pensait de sa littérature.
Hikaru, le sentant s'emporter comme à son habitude, lui prit le bras pour le retenir. Mais Isumi ne bougea pas davantage, attendant en retenant sa respiration l'entrée sur l'estrade de son ennemi numéro un.
Il allait enfin savoir ! Qui se cachait donc derrière ce pseudonyme ?
Le rideau remua. Lentement, une main l'écarta, laissant apparaître des épaules sur lesquelles retombaient de longues mèches de cheveux châtain foncé.
Et soudain, le visage de la personne la plus mystérieuse de l'année apparut en pleine lumière.
Et alors qu'il avait eu l'intention de se ruer sur elle pour lui prouver sa virilité et ses talents de boxeurs, Isumi resta figé, trop surpris par la douceur des traits de ce visage souriant. Perdu dans ses pensées, la mâchoire tombante, il ne pouvait détacher ses yeux de cette créature.
Seule la main d'Hikaru qui se crispait sur son avant-bras finit par le ramener à la réalité.
« Aïe ! Tu me fais mal ! Qu'est-ce qu'il se passe, Hikaru ?! »
Il se retourna vers son jeune camarade qui lui aussi semblait pétrifié par la stupéfaction.
« Ce n'est pas possible... » murmura le jeune japonais. « Ce n'est pas possible... »
« Hikaru ? » s'inquiéta également Akira, le trouvant tout à coup étrange.
Mais ne les écoutant plus, le jeune garçon lâcha soudain le bras d'Isumi pour se faufiler parmi les rangées de chaises, se dirigeant vers l'estrade.
« Mais qu'est-ce qui lui prend ? » demanda Akira.
« Je ne sais pas... Mais je pense que nous allons avoir bientôt la réponse.... » murmura Isumi pour lui-même.
