Merci Megara pour tes reviews (toujours assi adorables), je n'en ai pas vraiment besoin d'autres en fait, du coup ;-) mais pour le coup de l'anonymat je ne savais pas (déjà que j'ai passé un bon quart d'heure à comprendre comment on pouvait ajouter des chapitres... quand je dis que je suis désespérante ce n'est pas pour rien)


(And she was, Talking Heads)

- « Je peux l'enlever maintenant ? » supplia Sara avec une adorable petite moue.

- « Non, tu dois garder ce bandeau jusqu'à ce que je te le dise » rétorqua Grissom, amusé, tout en négociant un virage serré.

Il s'était déroulé une semaine depuis cette fameuse première soirée – et Nick rentrait dans deux jours. Durant cette semaine, à la grande surprise de Sara, Gil et elle avaient multiplié les sorties. Uniquement à l'initiative de l'entomologiste pour tout dire. D'abord il avait rappelé à la jeune femme qu'il comptait bien goûter à sa cuisine. Résultat, ils s'étaient retrouvés chez elle devant un plat de lasagnes végétariennes. La fois d'après, c'était chez lui, devant des plats chinois qu'ils avaient commandés. Et puis ils étaient allés voir un vieux film muet avant de se retrouver dans un charmant petit restaurant français. Au fur et à mesure de leurs rendez-vous, les sujets abordés se faisaient de plus en plus vastes et de plus en plus personnels. Cela devenait de plus en plus naturel. Voire évident.

Il n'était question que d'amitié bien sûr. Mais ils savouraient chacune des minutes qu'ils passaient ensemble en dehors du travail. Pour Grissom il s'agissait sans aucun doute des moments les plus agréables qu'il avait vécu depuis… depuis bien longtemps. Et cela se ressentait au labo. Il était d'une bonne humeur exemplaire. Se rapprocher de Sara était ce qui pouvait lui arriver de mieux – de l'avis de tout le laboratoire. Et de son avis à lui, c'était tout simplement idyllique. Elle se montrait si enjouée, si ouverte, si enthousiaste, si pleine de vie et si passionnée lors de ces moments de tête à tête… Il ne se lassait jamais de l'écouter s'extasier sur un livre qu'elle avait lu, un film qu'elle avait vu. Tout son visage s'animait alors et il aurait pu se noyer dans ses grands yeux chocolat qui brillaient de milles éclats ambrés.

Ce soir, lorsqu'il était passé la prendre, il lui avait demandé de mettre un bandeau sur ses yeux. Il lui avait réservé une surprise. Il était sûr que cela allait lui plaire et s'en réjouissait d'avance. Elle avait donc accepté de se priver momentanément de l'usage de ses yeux. Mais elle n'avait cessé de l'interroger sur leur destination tout au long du trajet. Ils avaient quitté le centre ville depuis bientôt une heure et elle trépignait d'impatience comme un enfant devant ses cadeaux le matin de Noël. Et il trouvait ça adorable. De toutes façons, plus il passait de temps avec elle, plus il la trouvait adorable. A tous points de vue. Adorable, jeune, belle et hautement désirable. Ce n'était pas une surprise du reste. C'est pour ça qu'il avait évité de passer du temps avec elle auparavant. Parce qu'il savait que plus il la verrait et plus chaque moment de sans elle à ses côtés se révèlerait intolérable.

- « Voilà, on est arrivé » annonça finalement Grissom en se garant sur un petit terre-plein devant des grilles en plein milieu de nulle part.

- « C'est pas trop tôt » grogna la jeune femme.

Elle se savait de mauvaise fois. En fait, elle était positivement ravie. Elle n'était pas vraiment fan des surprises mais elle avait une totale confiance en Gil. Et puis ce petit frisson d'excitation qui lui parcourait l'échine se révélait très agréable. Sans compter que passer quelques heures avec lui était déjà un plaisir en soi. Elle aimait découvrir l'homme qui se cachait derrière son supérieur, elle se sentait bien avec lui. Sans doute un peu trop bien même… Elle avait d'abord été étonnée - voire stupéfiée – par le nouveau comportement de Grissom. Et puis elle s'était laissée aller à l'apprécier. Elle avait l'impression d'être revenue au temps de leur première rencontre. Quand il n'y avait pas encore cette tension destructrice entre eux.

- « Et maintenant ? » demanda la jeune femme en faisant mine de vouloir enlever le bandeau qui recouvrait ses yeux.

- « Non, non, non » fit l'entomologiste en l'empêchant d'atteindre son but, emprisonnant ses mains dans les siennes. « Tu dois le garder » lui commanda t'il sur le ton qu'aurait pris un père pour sermonner son enfant. « Attends, je vais t'aider » ajouta t'il en sortant de la voiture.

Il vint lui ouvrir la portière et lui prit la main pour l'aider à descendre. Elle accepta son soutien avec un faux air hautain qui le fit sourire. Après avoir fermé la voiture, il invita Sara à avancer. Il la guidait, une main dans son dos et l'autre tenant la sienne. Elle n'avait aucune idée de l'endroit où elle était. A part qu'il faisait nuit, froid et humide. Et d'après les différents bruissements et hululements qu'elle percevait, ils devaient se trouver à proximité d'une forêt.

- « Tu sais, je ne suis pas persuadé que le temps soit vraiment propice à un pique-nique dans les bois » ironisa t'elle en se laissant conduire… quelque part. C'est lui, qui, dès leur deuxième dîner, avait exigé qu'elle le tutoie. Il avait avancé que Catherine le faisait bien, elle. Sara avait jugé cette justification assez piètre mais l'idée lui plaisait. Par contre elle ne se décidait pas à abandonner le vouvoiement au labo. Elle ne s'y sentait pas prête. C'était un trop grand pas. Oui. Un trop grand pas… Mais un pas vers quoi ?

- « Tant mieux » rétorqua Grissom au creux de son oreille en souriant. « J'ai oublié les sandwichs… »

- « Oh, c'est malin ça » lui lança t'elle avec une grimace espiègle. « Dis, j'espère que tu n'as pas l'attention de m'emmener dans un coin sombre pour me tuer au moins. Parce que je te préviens, je refuse de mourir en portant ces chaussures » fit-elle d'un ton qui se voulait très sérieux mais démentit par les prémices d'un sourire malicieux qui naissait sur ses lèvres.

Il résista de son mieux à l'urgent besoin qui le tenailler de l'embrasser sur le champ. Elle était tellement – et peut-être même un peu trop – parfaite. En règle générale. Et pour lui en particulier. Il ne répondit rien et l'entraîna encore sur quelques mètres avant de la faire s'arrêter. Il passa devant elle et lui fit face. Son visage à moins de 10 centimètres du sien. Il pouvait sentir son souffle chaud contre sa peau. Il pouvait voir le moindre de ses traits jusqu'à l'adorable petite fossette qui marquait le coin de sa bouche. L'envie de goûter à ses lèvres, de caresser sa joue, de glisser sa main dans ses cheveux se fit plus pressante. Mais il s'obligea à penser à autre chose – comme Ecklie en slip de bain, ewww… Efficace. Pourtant il ne put retenir un soupir de frustration qui la fit se figer.

- « Tu es prête ? » souffla t'il doucement en posant ses mains sur son bandeau.

- « Oui » fit la jeune femme sur le même ton, incapable d'en dire davantage.

Tout son esprit était concentré sur le contrôle des tremblements de son corps. Tremblements qui menaçaient depuis qu'elle l'avait senti si près d'elle. Trop près. Elle pouvait quasiment sentir la chaleur de son corps à quelques centimètres du sien. Et son souffle… Mon dieu. C'était beaucoup plus qu'elle ne pouvait le supporter. Mais il le fallait. Elle s'obligea à respirer doucement et à occulter le fait qu'il s'agissait de l'homme dont elle était follement amoureuse. C'était son ami. Son superviseur. Son mentor. Et son ami. Elle était seulement son amie, pas vrai ? Donc il était son ami. Juste son ami. C'est cette pensée qui lui permettait d'être elle-même à ses côtés. D'agir avec lui comme elle l'aurait fait avec n'importe quel autre de ses amis.

- « Bien, alors allons-y » murmura Grissom en lui ôtant délicatement le morceau de tissu avant de faire un pas en arrière.

Une fois libérée de toute entrave Sara cligna légèrement des yeux mais la quasi obscurité qui régnait autour d'elle ne constituait pas une transition trop importante. Elle s'y habitua donc rapidement puis embrassa du regard le paysage autour d'elle. Rapidement elle avisa les grilles, la petite maisonnette sur le côté et la pancarte qui la surplombait. Elle resta un instant interdite puis son visage s'illumina d'un magnifique sourire. Elle se retourna vers Grissom les yeux brillants. Et avant qu'il n'ait pu comprendre ce qui lui arrivait, un corps chaud et gracile se pressait contre le sien et deux bras fins se nouaient autour de sa nuque. Il encaissa le choc et sans se poser plus de question il glissa ses propres bras autour de la taille de la jeune femme qui riait contre son épaule. Manifestement la surprise lui avait plu…

- « Tu es adorable ! » s'exclama finalement Sara en se détachant légèrement de lui. « La ferme des cadavres. » Elle secoua la tête en souriant, fixant Grissom d'un regard intense comme si elle cherchait à lire en lui.

- « Tu n'as plus peur que j'essaye de t'étrangler avant d'abandonner ton corps dans la forêt ? »se moqua t'il en la libérant – à regret – de son étreinte.

- « En fait si… » plaisanta t'elle. « Mais au moins je mourais heureuse ! » fit la jeune femme en laissant son regard fébrile s'égarer tout autour d'elle.

Il songea que, pour sa part, s'il mourait maintenant il ne serait pas totalement heureux. Disons que le fait de la savoir heureuse aiderait, mais pour être comblée il lui en fallait un peu plus. Il avait besoin d'elle. Il avait besoin qu'elle soit à lui. Et il n'avait besoin que de ça.

- « Gil ! » s'écria un homme en s'avançant vers eux, un grand sourire aux lèvres.

- « Walter ! » renchérit Grissom en serrant la main qu'il lui tendait. « Laisse-moi te présenter Sara Sidle, une… amie » fit l'entomologiste non sans une certaine fierté. « Sara, voici Walter Mackenzie, il s'occupe de la ferme la nuit. »

- « Enchanté miss » salua le nouvel arrivant en adressant à la brunette un regard amical et appréciateur.

Sara le jugea tout de suite sympathique. Il devait avoir le même âge que Grissom – ou peut-être quelques années de plus. En revanche il était légèrement plus petit et plus svelte. Il avait un visage avenant et respirait la gentillesse. Il faisait un peu plus… paternel. Et il était bien moins craquant que son supérieur. Mais peut-être n'était-elle pas très objective sur ce plan là. Même en tant qu'amie – et juste en tant que telle – elle pouvait admettre que l'entomologiste avait un magnétisme particulier. Et que c'était loin de la laisser indifférente. Elle admettait bien que Nick était l'un des hommes les plus sexy de l'Etat. Rien de sentimental là-dedans. C'était une simple constatation. Idem pour Grissom.

- « Alors, que nous vaut le plaisir de ta visite, Gil ? Et en si charmante compagnie qui plus est… » reprit Walter avec malice.

- « Sara n'était jamais venue et elle en mourrait d'envie » expliqua le scientifique avant de passer un bras dans le dos de la jeune femme en la couvant d'un regard affectueux et complice. Elle lui sourit en retour, plus radieuse que jamais.

- « C'est bien la première fois que je vois le docteur Grissom amener quelqu'un dans ses promenades nocturnes, vous en avez de la chance mademoiselle » poursuivit le gardien avec un sourire plein de sous-entendu.

Grissom lui lança un regard noir et fit de son mieux pour ne pas rougir. C'était effectivement une chose – parmi tant d'autres – qu'il n'aimait pas partager. Sauf avec elle. Quand il releva les yeux il rencontra les yeux chocolat de sa jeune coéquipière. Yeux dans lesquels dansait cette lueur espiègle qu'il affectionnait tant. L'entomologiste s'éclaircit la gorge et se tourna vers son interlocuteur. Il allait répliquer quand une sonnerie importune se fit entendre. Sara grimaça et porta sa main à sa ceinture. Elle jeta un œil à son portable avant d'adresser une mimique d'excuse aux deux hommes et de s'éloigner de quelques pas. Elle regarda le numéro qui s'affichait. Mattew. Et le message. 'Je pense à toi. Tu me manques'. Elle sourit, attendrie. Puis elle soupira.

C'est ce qu'on aurait pu appeler un mauvais timing. La soirée qu'ils avaient passée ensemble avait été des plus agréables. Le docteur Carter était un homme des plus agréables. Intelligent. Charmant. Drôle. Attentionné. Parfait en somme. Ils avaient dîné dans un grand restaurant puis s'étaient promenés dans la ville – et elle n'avait presque pas pensé à Grissom. Il l'avait raccompagnée chez elle – et elle n'avait pratiquement pas pensé à Grissom. Et il l'avait embrassé délicatement sur le pas de sa porte – et à ce moment là Grissom lui était totalement sorti de l'esprit. Avant de lui souhaiter une bonne nuit et de se retirer. Un véritable gentleman. Qui embrassait particulièrement bien en plus. Ils n'avaient pas pu se revoir de toute la semaine à cause de leurs emplois respectifs.

Mis à part un bref et délicieux déjeuner, deux jours auparavant, ponctué de nouveaux – et savoureux – baisers. Mais ils s'étaient téléphonés régulièrement. Presque tous les jours en fait. Disons que Mattew l'avait appelée et qu'elle appréciait sincèrement ces longues discussions téléphoniques. Ils s'entendaient vraiment bien et Sara envisageait sérieusement de poursuivre et d'approfondir cette relation naissante. Pourtant quelque chose la retenait. Quelque chose ou plutôt quelqu'un. Grissom. Ok, elle avait décidé que – pour sa propre santé mentale – ils ne pouvaient être qu'amis. Mais voilà, entre ce qu'elle décidait de faire et ce qu'elle faisait effectivement… Bon, il était vrai qu'il n'y avait pas que ça. Sa 'mésaventure' avec Hank l'avait quelque peu refroidie.

Bien sûr il y avait eu d'autres hommes depuis – enfin, pas tant que ça quand même – seulement elle ne savait pas si elle était vraiment prête à s'engager. Durant ces dernières années elle s'était accrochée à l'idée d'une possible relation avec Gil Grissom. Et pas forcément pour de bonnes raisons. Quelque part, le fait de l'aimer, lui, évitait d'être blessée par une quelconque autre aventure. Se focaliser sur quelque chose qu'elle ne pouvait pas avoir, l'aidait à ne pas souffrir à cause de quelqu'un d'autre. La preuve, quand elle avait appris que Hank trompait sa petite amie avec elle – et la trompait elle par la même occasion – elle avait été choquée. Certes. Peiné. Aussi. Blessée dans son orgueil. Mais elle n'avait pas eu aussi mal qu'elle aurait pu le prédire.

Parce que tout compte fait, elle n'avait jamais réellement tenu à cet homme. Quoiqu'il en soit, elle ne savait pas trop comment agir avec Mattew. Elle ne voulait pas lui donner de faux espoirs. Pourtant elle avait envie d'être avec lui. Vraiment. Du moins, elle le croyait. C'était très confus. Elle ne savait pas où elle en était. Elle ne le savait plus. Le changement de comportement de Grissom la déstabilisait. Cela lui plaisait mais la troublait. Enormément. Elle était un peu perdue aussi, ne sachant pas réellement où il voulait en venir et n'étant pas sûr de partager ses intentions. Son comportement n'était pas 'normal'. Bon, il n'avait jamais été totalement 'normal' mais là, c'était encore différent. Cela lui faisait peur quelque part. Elle ne voulait pas 'mal' interpréter ses actions. Leur amitié était trop précieuse.

Malgré tout sortir avec Mattew était une bonne chose. Pour elle au moins. Le seul vrai problème c'est qu'elle avait la désagréable impression de tromper Matt. Avec Grissom. Et pas le contraire – non pas que cela eut été préférable. Parce qu'elle ne lui parlait pas de ses sorties avec l'entomologiste. Mais l'inverse était également vrai. Ils avaient parlé de beaucoup de chose avec Gil mais pas du docteur Carter. Jamais. Pas plus que de Sofia du reste. Et puis il ne s'agissait que de sorties entre amis, pas vrai ? Alors pourquoi se sentait-elle aussi coupable ? Elle soupira avant de rejoindre les deux hommes discutant un peu plus loin. Elle n'allait pas gâcher cette soirée pour quelques sombres pensées…

- « Qu'est-ce que c'était ? » lui demanda Grissom, concerné alors qu'elle arrivait à son niveau.

- « Juste un message d'une amie » répondit la jeune femme, priant pour qu'il ne détecte pas la pointe de culpabilité dans sa voix et la gêne dans son regard. C'était déjà un miracle qu'elle n'ait pas rougi… « Rien d'important. Je la rappellerais plus tard » conclut-elle en closant le sujet. « Alors, on va les voir ces cadavres ? »

- « Je crois qu'il commence à pleuvoir » fit remarquer Gil à la jeune femme souriante qui était accrochée à son bras.

Ils se promenaient dans la ferme depuis près de deux heures. Et cela faisait près d'une heure qu'elle avait pris son bras. Soit disant parce qu'elle avait du mal à marcher dans la forêt avec ses chaussures de ville… Quoiqu'il en soit, il n'avait pas protesté. En fait, il adorait ça. Et aurait encore pu passé une éternité comme ça. La chaleur de son corps à ses côtés. La douce pression de ses doigts fins sur son bras. Elle semblait radieuse et lui parlait avec encore plus de facilité et de liberté qu'auparavant. Il sourit en la regardant se délecter de sa sucette tout en s'extasiant sur les différents cadavres qu'ils rencontraient. L'entomologiste s'amusa des réactions de la jolie brune. Catherine avait trouvé l'endroit horrible. Sara paraissait être à Disneyland… Une nouvelle goutte de pluie glissa sur sa joue. Suivie de dizaine d'autres.

- « Sara, il pleut. Vraiment » répéta Grissom, constatant que sa première intervention avait été sans effet.

- « Oh… si peu » élagua la brunette, chassant cette idée d'un gracieux geste de la main.

A peine avait-elle prononcé ces mots qu'une pluie battante s'abattit sur eux. En quelques secondes ils furent trempés jusqu'aux os malgré leurs épais manteaux. Les deux experts se fixèrent en moment avant d'éclater de rire. La situation était vraiment cocasse.

- « Okay, là il pleut » admit Sara en riant, espiègle.

- « On retourne à la voiture » proposa l'entomologiste en l'attrapant par la main et l'obligeant à le suivre sur le chemin du retour.

Cinq minutes plus tard, mi-courant mi-marchant, ils arrivaient sur le parking. Trempés, frigorifiés, essoufflés, tremblants et riants, ils se glissèrent dans la voiture. Sara, après avoir ôter sa parka, se laissa aller contre son siège en fermant les yeux. Grissom fit de même mais un léger mouvement à ses côtés lui fit rouvrir les yeux. La jeune femme frissonnait. Mais elle était plus belle que jamais songea t'il en profitant de son inattention pour la dévorer des yeux. Ses cheveux dégoulinant de pluies collaient à son front et le long de sa nuque. Des gouttes perlaient à ses longs cils noirs. Le scientifique déglutit péniblement lorsque ses yeux s'égarèrent un peu plus bas. L'humidité avait traversé ses vêtements qui la moulaient à présent comme une seconde peau. Révélant avantageusement ses formes.

Et quelles formes… pensa t'il alors que certaines idées – et certaines images – peu professionnelles qui lui traversaient l'esprit. Il secoua brusquement la tête en sentant son corps réagir de façon peu appropriée. Il se détourna et enclencha le moteur afin de pouvoir mettre en marche le chauffage. La douce chaleur qui se propagea lentement dans le véhicule les détendit visiblement. Un soupir de bien-être s'échappa de la bouche de Sara, faisant sourire son compagnon.

- « Je suis désolé » commença Grissom en passant une main dans ses cheveux. « Ce n'est pas vraiment comme ça que j'imaginais les choses… » continua t'il avec un sourire contrit.

- « Ne sois pas désolé. Je ne m'étais pas autant amusée depuis des mois » le rassura la jolie brune, souriante.

- « Humm… Pour me faire pardonner je te propose une pizza et un bon film à la maison. Sans compter qu'on devrait se sécher si on ne veut pas attraper une pneumonie. Je ne voudrais pas que ma meilleure CSI tombe malade à cause de moi » reprit-il avec malice.

- « Seulement si je choisis le DVD » exigea t'elle, taquine.

- « D'accord, je m'incline… » soupira l'entomologiste, faussement désespéré.

Il était près de 22 heures 30 quand ils franchirent le seuil de la maison de Grissom, trempés jusqu'aux os. La pluie avait cessée depuis une dizaine de minutes déjà, disparue aussi vite qu'elle était venue. Ils riaient encore – et de bon cœur – de leur mésaventure quand ils se débarrassèrent de leurs manteaux détrempés à même le sol, dans l'entrée. Y abandonnant également leurs chaussures.

- « Tu n'as qu'à aller prendre une douche si tu veux » proposa Gil en souriant à Sara qui enchaînait éternuement sur éternuement. « J'ai un sèche linge et je te trouverais bien quelque chose le temps que tes affaires sèchent » fit-il avec une légère hésitation, redoutant la réaction de Sara face à une telle situation.

La jeune femme sembla remarquer son incertitude et la comprit. Ils s'étaient sans doute rapprochés cette dernière semaine. Voire beaucoup rapprochés. Mais prendre une douche dans 'sa' salle de bain, mettre 'ses' habits… c'était trop intime. Trop tôt. C'était tentant également. Trop sans doute. Pourtant avec Nick, Warrick ou Greg, ce genre de chose ne l'aurait pas gêné. La preuve, elle s'était bien douchée avec Greg une fois. Elle sourit à ce souvenir et se résonna. Si elle ne quittait pas ses vêtements, elle allait vraiment tomber malade. Ce n'était pas le moment de se montrer puérile. La soirée avait été tellement agréable. Tellement parfaite. Elle n'était pas prête à l'écourter maintenant.

- « D'accord, je rêve d'une douche brûlante » répondit finalement la brunette avec un faux air extatique et un ton taquin qui détendit immédiatement l'atmosphère.

- « Je vais te préparer ça… » s'empressa de répliquer Grissom en quittant la pièce.

Une petite vingtaine de minutes plus tard il était de retour dans la cuisine. Le café était en train de passer. Sara était sous la douche. Et il avait mis le couvert sur la table basse du salon. Salon qu'il avait rangé de fond en comble. Trois fois. Histoire de se distraire du fait que Sara – sa Sara – était sous la douche – sa douche. Histoire de ne pas laisser ses pensées vagabonder sur des chemins peu recommandables. Sara. Nue. L'eau ruisselant sur sa peau pâle et douce. Arg… 'Gil arrête ça tout de suite !' se commanda t'il le plus fermement possible. Il hésita un moment à laisser la cafetière sur la plaque. Il ne savait pas vraiment quand Sara aurait fini. Elle n'était sans doute pas du genre à passer des heures dans une salle de bain mais il ne pouvait pas en être sûr. Manque de pratique.

Une pensée le frappa soudain de plein fouet. Il lui avait bien donné deux serviettes de bain. Il s'en souvenait parfaitement. Mais en revanche, il ne lui avait donné aucun vêtement pour se changer. Il avait complètement oublié. Il faut dire que la simple idée de la savoir bientôt dans cette salle de bain, nue, avait sérieusement court-circuité ses neurones. Donc… Donc il allait certainement la voir débarquer d'ici peu de temps. En serviette. Avec une ridicule petite serviette. Rien qu'une minuscule serviette. C'était absolument inconcevable. Son cœur n'y survivrait certainement pas. Abandonnant là son café, il se précipita dans sa chambre. A moitié priant pour qu'elle ne soit pas encore sortie de la douche – de façons à ce qu'il n'ait pas à la croiser peu vêtue. Et à moitié priant pour que se soit le cas – pour la raison inverse. Logique.

(You look good in my shirt, Keith Urban)

La sensation de l'eau chaude sur son corps était délicieuse. Exquise. Bienfaitrice. Réconfortante. Sara tendit la main vers une bouteille de gel douche. Elle l'ouvrit et la porta à ses narines. Humm… l'odeur de Grissom. Elle ferma les yeux un instant pour s'imprégner de la sensation. Avant de se morigéner d'avoir cette attitude pathétique. Toutefois cela ne l'empêcha pas de ce servir de 'son' gel douche, de 'son' shampoing et de s'enrouler dans 'sa' serviette avec une délectation presque coupable. Elle se positionna devant le petit miroir surplombant le lavabo. Elle en effaça la buée d'un revers de main et s'y contempla un moment. Oui, pas trop mal… Elle sourit à son reflet. Une curiosité un peu infantile la poussa à ouvrir la petite armoire derrière la glace.

Rien de notable. Aspirine, désinfectant, quelques crèmes, dentifrice, fil dentaire – elle étouffa un petit rire en l'imaginant momentanément prendre soin de ses dents – de l'après rasage… A quoi s'attendait-elle ? Un cadavre dans son armoire à pharmacie ? Peu probable. Une photo d'elle jalousement conservée ? Absolument impossible. Elle était définitivement bien trop pathétique. Coucou, elle était sensé tout faire pour se 'désintoxiquer' de Grissom. Pas fantasmer dans sa salle de bain. Pfff… Songeant que, justement, elle avait déjà passé un peu trop de temps dans cette pièce elle referma le placard et s'en détourna. Embrasant l'espace du regard, elle se figea brusquement. Ah. Evidemment. Pas de vêtements en vue. Autres que les siens – gorgés de pluie – en tous cas.

Ciel. Elle avait bien mis toutes ses affaires dans le sèche linge avant de passer sous la douche mais elle doutait qu'elles puissent être d'ores et déjà prêtes. Ses sous-vêtements l'étaient sûrement en revanche. C'était déjà ça. Elle décida les enfiler. Certes. Mais elle ne sortirait pas comme ça. C'était tout à fait hors de question. Bien sûr elle pouvait se répéter à longueur de journée que Grissom n'était que son ami – son esprit pouvait même le croire à certains moments – mais son corps ne semblait pas prêt à l'envisager. Rien qu'à voir les vagues de chaleur qu'avait provoquées en elle la simple vue de son torse moulé sous un tee-shirt sombre… Non. Elle jugea plus sûre de remettre sa serviette par-dessus. Prenant une grande respiration, elle mit sa main sur la poignée et sortit.

Une vague de fraîcheur la submergea agréablement. Elle s'avança timidement dans le couloir. La jeune femme hésita. Où convenait-il d'aller maintenant ? Directement dans sa chambre – où elle supposait qu'il rangeait ses affaires. Ou dans le salon. Vaste dilemme. Mais elle n'eut pas à réfléchir plus longtemps. Elle se retrouva soudainement pressé contre le corps chaud qui venait de la percuter. Une main la maintenait fermement pour lui éviter de basculer. A moitié étourdie, elle ne réalisa pas immédiatement ce qui lui arrivait. Pas plus que Grissom d'ailleurs. Il ne s'attendait certainement pas à trouver Sara sur son chemin. Pas du tout. En fait, il avait même prié pour que ça ne soit pas le cas. En vain manifestement. Pourtant, maintenant qu'il y était, il n'aurait échangé sa place pour rien au monde.

- « Je suis dés… »

Les excuses moururent sur lèvres de l'entomologiste alors qu'il prenait pleinement conscience da la situation. Elle était là. Dans ses bras. Très – mais alors vraiment très – peu vêtue. Ses cheveux sombres, encore humides, ondulant gracieusement autour de son visage. Quelques gouttes étincelant au creux de sa poitrine... Sa bouche s'assécha. Rester calme. Surtout, rester calme. Il s'éclaircit la gorge, tentant désespérément de conserver un minimum de calme et de self-contrôle.

- « Je… J'allais te chercher quelques… des vêtements… » expliqua maladroitement Grissom en libérant la jeune femme de son étreinte.

Encore un peu confuse, elle se contenta d'hocher la tête et de le suivre en silence jusqu'à sa chambre. Sa chambre. Elle déglutit péniblement à cette pensée. Lui et elle, dans sa chambre. Elle qui n'aurait pas détoné dans un défilé de lingerie fine. Et lui qui semblait venir de gagner un concours de tee-shirt mouillé. Inconsciemment, elle étouffa un léger rire à cette pensée. Elle pinça ses lèvres pour dissimuler l'amusement qui la gagnait. Sans grand succès. Grissom choisit précisément pour sortir le nez de son armoire, une chemise bleu pâle dans une main et un caleçon gris dans l'autre. Il haussa un sourcil étonné devant la bonne humeur manifeste de la brunette. Son air surpris redoubla l'amusement de Sara qui ne put se retenir plus longtemps et éclata finalement de rire.

Après une demie seconde d'ahurissement complet, l'entomologiste sourit à son tour. Il sourit parce qu'elle riait, parce qu'elle était là avec lui, parce quelle semblait heureuse – et que ce fait était, en soi, une bonne raison de sourire. Et il sourit parce qu'il saisit à son tour le comique de la situation. Son comique et son 'étrangeté'. Il attendit donc patiemment – et avec le sourire – que la jolie brune en face de lui se calme. Quand ce fut fait, il lui tendit les habits qu'il avait dénichés pour elle. Non, 'dénichés' n'était pas le terme exact. Il savait exactement, voir très exactement, ce qu'il voulait lui voire porter. Ce qu'il avait toujours rêvé de la voir porter dans une situation comme celle-ci – non pas qu'il avait prévu la chose mais on ne savait jamais… Cette chemise – sa préférée – et ce caleçon.

Caleçon qui présenterait l'avantage de ne rien dissimuler de ses longues jambes. Ses jambes – fines et délicatement galbées – qu'il faisait de son mieux pour ne pas dévorer des yeux. Le problème étant que, s'il ne les fixait pas, son regard était irrémédiablement attiré par une autre partie de son corps. A son grand désarroi, il n'avait que l'embarras du choix. Ses épaules en particuliers… Le noir de sa lingerie tranchait d'une manière exquise avec la blancheur de sa peau. Ça relevait plus de la torture qu'autre chose à ce niveau là. Il n'était pas humainement possible de résister à 'ça'. Pas pour lui toujours. Aussi il se cantonna à fixer un point sur le mur, derrière elle.

- « Merci » fit Sara en recevant les vêtements.

Elle n'avait manqué ni le subtil va et vient de son regard le long de son corps, ni l'obscurcissement significatif de ce regard d'ailleurs. Hésitant entre être flattée et gênée, elle décida de détourner les yeux. Pourtant, aussi bizarre que cela puisse paraître, elle appréciait plutôt ce moment. Bon, il y aurait du y avoir moins de tension entre eux mais ils restaient deux scientifiques anti-sociaux et absolument nuls en relations humaines – surtout lui… Elle aimait juste être là. Avec lui. Chez lui. Bien ou pas, elle aimait vraiment ça. Elle faisait attention – très attention – à ne pas se laisser entraîner trop loin sur ce chemin. Qu'elle soit amie avec lui était une bonne chose. Qu'elle se surprenne à tomber encore davantage amoureuse de lui l'était moins. Surtout pour elle.

- « Bien » reprit Grissom, un peu mal à l'aise. « Je vais… Je vais prendre une douche aussi. Tu n'as cas… t'habiller et faire… enfin… ce que tu veux… » exposa t'il à grand renfort de gestes désignant successivement le couloir, la chambre, les vêtements, la chambre et à nouveau le couloir. Le tout sous l'œil espiègle de Sara.

- « Vas-y, je vais me débrouiller » le coupa t'elle, consciente de – et compatissant à – son malaise.

Il s'enfuit plus qu'il ne sortit réellement de la pièce. Une fois seule, Sara en profita pour examiner un peu la chambre. Quatre murs blancs. Quelques lithographies. Une armoire sur le côté gauche. Un grand lit au milieu. Des draps blanc et gris. Basiques. Deux tables de chevet. Une commode. Le tout en bois clair. Sobre. De très bon goût. Bien rangé. Trop. Peut-être manquant de… vie, de spontanéité. Du moins c'était son avis. Laissant tomber la serviette qui l'enserrait, la jeune femme déposa le caleçon de Grissom sur le lit et enfila la chemise. Sa chemise. Elle en savoura le doux contact sur sa peau. Elle regretta immédiatement le fait que le vêtement soit propre. Il aurait été tellement agréable de sentir sur elle cette odeur si particulière qu'était celle de son superviseur – et accessoirement ami.

Mais c'était tout de même sa chemise. A lui. Pour un homme qui ne supportait pas de laisser quiconque pénétrer son intimité… Enfin, il ne valait mieux pas qu'elle dérive sur ce terrain là. Ce n'était pas sûr. Elle enfila ensuite le caleçon en se faisant à elle-même la réflexion qu'il était pour le moins inutile. Il disparaissait quasiment entièrement sous la chemise. Sara maudit un instant Grissom pour le manque évident de miroir dans sa maison. Ok, les hommes coquets la faisaient hurler de rire mais là, tout de suite, elle aurait bien aimé savoir à quoi elle ressemblait dans cette tenue. Elle soupira devant sa propre puérilité et rejoignit le salon. Elle s'offrit le luxe de se repoudrer quelque peu – davantage pour cacher ses cernes que par coquetterie.

Constatant que le café était prêt, elle s'en servit une tasse. Puis elle s'adossa au plan de travail. La jeune femme n'était pas mal à l'aise. Il ne lui avait fallu que très peu de temps, en fait, pour s'habituer à évoluer dans l'univers de l'entomologiste. Et quelque part ça lui faisait peur. Le fait qu'il l'ait laissée s'y habituer, qu'il l'ait même poussée à s'y habituer lui faisait encore plus peur. Que cherchait-il au juste ? Même quand ils avaient été amis, dans le passé, ils n'avaient jamais aussi proches. Et surtout il n'avait jamais aussi… ouvert avec elle. Ni avec personne à son humble avis. Mais il agissait normalement. Il ne recherchait pas les contacts. Il plaisantait volontiers – et sur les sujets les plus divers. Un ami. C'est ce qu'il semblait vouloir être pour elle.

Et ce qu'elle voulait qu'il soit – c'était préférable si elle ne voulait pas retomber dans cette spirale infernale de désespoir, de dépression et de solitude... De toutes façons il ne l'aimait pas. Il lui avait bien fait comprendre durant ces dernières années. De la manière la plus douloureuse qu'il soit. Ou plutôt, non. Il tenait à elle. Beaucoup. Plus qu'il ne l'aurait voulu. Mais il avait tiré un trait sur eux. Il avait condamné leur histoire avant même qu'elle ne voie le jour. Il ne pouvait pas le faire. Elle n'en valait pas la peine. Un voile de tristesse passa dans les yeux de la brunette. Amis, c'était la seule chose qu'elle n'obtiendrait jamais de lui. Et c'était mieux ainsi. C'est la sonnerie lancinante du téléphone qui la sortit de ses réflexions. Machinalement, encore un peu perdue dans ses pensées, elle s'approcha du combiné.

- « Sidle » fit-elle en décrochant avant de se rendre compte de sa bévue. Elle ferma les yeux un instant, se traitant mentalement de tous les noms. Elle pria pour qu'il ne s'agisse que d'un banal vendeur par correspondance. Mais le silence – visiblement choqué – à l'autre bout de la ligne ne présageait rien de bon.

- « Sara ? »

Oh, non. Pas ça. Catherine. Pitié. Tout mais pas elle.

- « Sara ? » répéta la voix familière.

- « Catherine… » hasarda la brunette, incertaine quant à la démarche à suivre.

- « Je suis désolée Sara, j'ai du me tromper de numéro » reprit son interlocutrice, visiblement remise du choc.

- « Heu… si tu cherchais Grissom je crois que c'est effectivement le bon numéro » suggéra Sara en se mordant nerveusement la langue inférieure. Evidemment elle aurait pu mentir mais Catherine aurait fini par découvrir la vérité… Et puis ce n'était pas comme si elle faisait quelque chose d'interdit ou de 'mauvais'. Si ?

- « Tu es chez lui ? » demanda Cath. Son incrédulité perçait nettement dans sa voix mais elle n'était pas non plus dénuée d'un certain amusement. Sara aurait mis sa main au feu de sa collègue souriait à l'instant même.

- « Oui… c'est-à-dire qu'on devait aller à la ferme des cadavres… pour le travail… mais il s'est mis à pleuvoir et… » tenta d'expliquer la brunette, bien consciente que sa gêne ne faisait qu'aggraver son cas.

- « Je vois » répondit la jeune femme blonde avec malice.

- « Cath ! » fit Sara, exaspérée. « Ce n'est pas du tout ce que tu crois » se défendit-elle sans grand espoir de convaincre son interlocutrice.

- « Oh mais je ne crois rien » la taquina Catherine à l'autre bout du fil avant de continuer sur sa lancée d'un ton espiègle. « Une promenade romantique dans la forêt suivie d'une petite soirée en tête à tête… Je me disais bien aussi que ça allait mieux entre vous ces derniers temps… Et Gil était beaucoup plus détendu…Plus détendu que jamais en fait. »

Sara aurait adoré pouvoir lui rétorquer quelque chose, la faire taire d'une réplique bien sentie… ou au moins pouvoir aligner deux mots – deux mots cohérents, de préférence. Mais malheureusement rien ne lui vint à l'esprit. En fait, elle restait bloquée sur la dernière affirmation de son aînée. 'Gil était beaucoup plus détendu'. C'était vrai. Nonobstant le fait qu'il était beaucoup plus détendu avec elle, cette nouvelle attitude semblait se répercuter sur son caractère en général. Est-ce que c'était vraiment grâce à elle ? Etait-ce vraiment leur amitié reforgée qui l'avait fait changé ? Etait-ce si important pour lui ? Etait-elle si importante ? Si oui, c'était plutôt flatteur. Voire très flatteur d'exercer ce genre d'influence sur lui – monsieur 'je ne laisse personne me dicter ma conduite'.

- « Sara ? Tu es toujours là ? » s'enquit Catherine au bout de quelques secondes de silence, un peu inquiète.

- « Heu… Oui. Je… Grissom est sous la douche. Tu veux qu'il te rappelle ? » proposa finalement Sara, en reprenant ses esprits.

- « Non, ça ira. Il n'y a rien de spécial » répondit la femme blonde. « C'était juste au cas où il s'ennuierait. Mais visiblement il a mieux à faire… » ajouta t'elle, goguenarde.

- « Catherine ! C'est une simple soirée entre amis » tenta de se disculper la jeune brune.

- « Bien sûr, bien sûr… » fit Cath, manifestement peu convaincue. « Bon, je vais te laisser alors. On se voit demain de toutes façons. Passez une bonne soirée » conclu t'elle, d'un ton plein de sous-entendus.

- « Cath, ce n'est… »

Sara s'interrompit au beau milieu de son explication. Son interlocutrice avait déjà raccroché. Avec un mouvement mi-rageur mi-amusé elle en fit de même. Elle alla ensuite s'effondrer dans le canapé. La tête pleine de questions. Se demandant avec appréhension ce que Catherine allait bien pouvoir faire le lendemain. Elle ne lâcherait certainement pas l'affaire si facilement. Pfff… Elle retint un soupir en imaginant la réaction de Grissom en apprenant l'incident. Ce n'est pas qu'ils se cachaient réellement mais ils n'avaient mis personne au courant de leurs 'rendez-vous'. Sans vraiment savoir pourquoi. Quelque part ils voulaient garder ça pour eux… Chassant toutes ses pensées dérangeantes, elle alluma la télé. Et, blottie dans les coussins, elle commença à zapper de chaînes en chaînes.

Grissom ne put s'empêcher de sourire en posant son regard sur la jolie brune lovée dans son canapé. Elle n'avait pas encore remarqué sa présence. Pour tout dire, elle semblait passionnée par la scène qui se déroulait sur l'écran en face d'elle. Il ne pouvait pas voir ce qui l'intéressait à ce point mais ne s'en souciait guère. Il l'observait. Elle était vraiment adorable avec cette chemise et ce petit air concentré. Il ne sut pas exactement combien de temps il était resté là avant que la sonnerie de l'entrée le fasse sursauter. Les fasse sursauter en fait.

- « J'y vais » fit l'entomologiste à l'attention de la jeune femme avant d'aller ouvrir.

Quand il revint, cinq minutes plus tard, un grand carton à pizza dans les mains, Sara n'avait pas bougé. Gil déposa son fardeau sur le plan de travail et vint s'asseoir aux côtés de la jeune femme. Elle continuait de fixer l'écran sur lequel 4 personnages – manifestement des militaires : un homme poivre et sel, une blonde, un petit brun à lunettes et un grand black à la stature imposante – passaient à travers une espèce de cercle en fer… Peu lui importait en fait. Il préféra fixer son attention sur la jolie brune alanguie à quelques centimètres de lui.

- « La pizza est prête si… » commença doucement le scientifique.

- « Shhhhh ! » le coupa la brunette en lui faisant signe de se taire en agitant une main devant son nez avec un agacement certain.

Perplexe, il obéit cependant. En observant la jeune femme du coin de l'œil, il se surprit à regretter qu'elle ait replié ses jambes sous elle. En même temps il n'avait qu'à fermer les yeux pour les revoir. Pour revoir ses sublimes et interminables jambes. Et pas qu'elles d'ailleurs. Souvent le soir, quand il n'arrivait pas à s'endormir, il fermait les yeux et se plongeait dans les siens. Deux océans de chocolat soyeux aux reflets d'ambre et parsemés de paillettes dorées. Ce regard si profond. Parfois tendre et rieur. Parfois assombri par la peine ou la colère. Mais toujours aussi beau. Il voyait son sourire aussi. Ce merveilleux sourire. Celui qui le faisait fondre. Celui pour lequel il aurait tout donné. Il rouvrit ses yeux – qu'il ne se souvenait pas avoir clos – lorsqu'il sentit un mouvement à ses côtés.

Sara avait détourné son attention de la télé – sur laquelle on pouvait maintenant voir un zèbre turquoise à rayures roses venter les bienfaits d'une nouvelle marque de limonade. A présent elle le regardait, la tête légèrement penchée sur le côté. Curieuse. Songeuse. Son nez était délicatement retroussé. Ses lèvres étaient étirées d'un sourire qu'il avait bien du mal à qualifier. Serein peut-être. Amusé aussi. Satisfait. De toutes façons assez encourageant. L'expression de son regard était plus mitigée, plus troublée. Il avait l'impression qu'elle cherchait à lire en lui. Ou plutôt en elle. Elle le regardait mais elle semblait être tournée vers l'intérieur. Et il n'imaginait pas à quel point il voyait juste…

A partir du moment où la publicité avait remplacé – pour quelques instants – les aventures de SG1, Sara s'était retourné vers Grissom. Elle l'avait observé. Les yeux clos. Le sourire aux lèvres. Elle avait sourit elle aussi. Parce qu'elle savait. C'était pour elle qu'il souriait. C'était ce sourire. Celui qui étirait toujours ses lèvres quand ils étaient ensemble. Avant. Avant qu'elle ne vienne à Vegas – quoiqu'elle l'avait tout de même revu en de rares occasions depuis. Avant qu'elle ne gâche tout de ses faux espoirs et de cette obsession vaine qu'elle entretenait pour lui. Peut-être que si elle n'avait pas agi de la sorte, peut-être que si elle n'avait pas toujours recherché son approbation, son admiration, son amour de cette manière excessive qui la caractérisait… Alors peut-être que tout aurait été différent.

Peut-être qu'ils seraient restés amis. Peut-être qu'ils auraient été heureux comme ça. Peut-être même qu'elle aurait pu trouver quelqu'un à aimer vraiment. Quelqu'un qui l'aimerait en retour. Peut-être qu'elle n'aurait pas autant souffert. Peut-être que ce genre de scènes – elle et lui dans son salon – lui paraîtraient plus 'normale'. Quoiqu'elles étaient déjà d'une normalité surprenante. Peut-être qu'elle aurait pu se réfugier dans ses bras quand ça n'allait pas – comme elle pouvait le faire avec Nick ou Warrick. Peut-être que cela lui aurait suffi en fin de compte. Mais ce n'était pas uniquement sa faute. Ça non. Il n'aurait pas du flirter avec elle. Il n'aurait pas du faire ces promesses silencieuses qu'il ne tenait pas. Il n'aurait pas du agir de cette façon. Elle non plus… Match nul ?

- « Hey » fit doucement Grissom en souriant, incertain quant à la conduite à tenir.

- « Hey… » lui répondit la jeune femme sur le même ton, semblant sortir de sa rêverie.

- « Alors, qu'est-ce que tu regardais avec tant d'attention et qui ne souffrait pas d'être interrompu ? » la taquina le scientifique en retrouvant ses moyens avec une facilité qui le déconcerta lui-même mais dont il se félicita.

- « Stargate » dit Sara avec un gracieux haussement d'épaules, comme si cela expliquait tout.

- « 'Stargate' ? » répéta Grissom en fronçant les sourcils, confus. Il ne voyait pas vraiment de quoi elle parlait… Une série sans doute. De la science fiction vu le nom. Il lui semblait avoir déjà entendu la jeune femme en parler avec Nick ou Greg au labo.

- « Tu ne connais pas ? » demanda la brunette, malicieuse, faisant mine d'être choquée.

- « J'ai bien peur que non » admit l'entomologiste, amusé.

- « Mais Stargate c'est… c'est… » Elle s'arrêta un instant, cherchant ses mots. « Génial. C'est génial ! » s'enthousiasma t'elle finalement, les yeux brillants.

- « Et ça parle de quoi ? » interrogea innocemment Grissom, ravi de la voir ainsi et de pouvoir partager ça avec elle.

- « Vous… » Décidément, elle ne s'y habituerait jamais songea t'elle sous le regard de son supérieur et ami. « Tu veux vraiment savoir ? » s'enquit Sara, bien consciente que si elle s'embarquait sur ce terrain, elle pourrait passer des heures à – trop – parler.

- « Oui, vraiment » l'assura le scientifique avec un léger sourire en coin.

- « Okay… » fit la jolie brune en se redressant dans le canapé. Elle n'en revenait pas. Grissom qui lui demandait de parler de sa série préférée. Waow. Ça c'était inattendu. Ils pouvaient parler de sciences, de littérature, de cinéma, d'arts, de politique, de problèmes de société, de leur travail, de leurs amis pendant des heures. Mais d'une série de science fiction…

- « Parfait » approuva t'il. « Mais d'abord j'apporte la pizza » fit Gil en se levant. « Je suis sûre que tu as faim. En tous cas, moi, j'ai faim » ajouta t'il depuis la cuisine, taquin.

- « Quoi comme pizza ? » demanda Sara avec suspicion.

- « Jambon-ananas. Sans jambon. Avec des olives noires » indiqua l'entomologiste, visiblement fier de lui.

- « Comment… ? » balbutia la jeune femme, interloquée. D'accord, ils connaissaient beaucoup de choses l'un sur l'autre. Vraiment. Mais ça ?

- « J'ai mes sources » répondit-il, mystérieux. « Coca light ? »

- « Avec plaisir » fit-elle en reportant son attention sur l'écran sur lequel Samantha Carter venait de réapparaître aux côtés de ses coéquipiers, son P90 en bandoulière.

Une bonne heure plus tard, les deux experts grignotaient des oréos tout en discutant. Et y en prenant visiblement beaucoup de plaisir. Le cadavre du carton à pizza reposait sur le sol, vide. Durant cette heure, Sara avait expliqué – en long en large et en travers – les grandes lignes du scénario à Grissom. Le tout à grand renfort de gestes de la main. Le scientifique ne l'avait pas quitté une seule fois des yeux. Sauf très brièvement lorsqu'elle lui montrait un nouveau personnage qui apparaissait sur l'écran. Pour tout dire, il ne pensait pas vraiment qu'il pouvait s'intéresser à ce genre de chose. Mais si ça intéressait Sara, il pouvait bien faire un effort. Du reste son enthousiasme était communicatif.

- « Donc si je comprend bien » commença Grissom, histoire de récapituler. « Il s'agit d'une équipe de quatre explorateurs qui visitent de lointaines planètes en empruntant une sorte de vortex et qui sauvent le monde. » Elle acquiesça en souriant et il se sentit fier. « Un colonel sarcastique, une astrophysicienne major dans l'armée, un archéologue multi linguiste et un guerrier extraterrestre. Et ils voyagent dans des vaisseaux spatiaux, ils… »

- « Imbécile ! » s'exclama soudain Sara, le coupant dans son élan.

- « P… pardon ? » fit l'entomologiste, pour le moins confus.

- « Pas toi » se reprit la jeune femme en posant une main amicale et rassurante sur son avant-bras – ce qui eut pour principal effet de faire grimper la température corporelle de Grissom de quelques degrés. « Je parlais à Jack » expliqua t'elle en désignant l'écran.

- « 'Jack' ? » la taquina t'il, soulagé de ne pas être 'l'imbécile' en question. « Tu es consciente qu'il n'existe pas vraiment, j'imagine ? »

- « Mais oui » fit la brunette en secouant ses boucles brunes. « Je sais. Mais il est tellement… frustrant ! C'est un véritable calvaire pour les shippeurs un mec aussi borné » continua t'elle, en poussant un soupir d'exaspération.

- « Les 'shippeurs' ? » répéta t'il. « Qu'est-ce que s'est ? » Sa curiosité fut d'autant plus piquée que Sara s'était mise à rosir délicieusement.

- « Je ne sais pas si… » Mon dieu, c'était tellement ridicule. Elle ne pouvait pas croire qu'elle venait de laisser échapper 'ça'. Nick passait déjà son temps à la taquiner à ce propos mais Grissom… Qu'est-ce qu'il allait bien pouvoir en penser ? Ce genre de truc n'arrivait qu'à elle.

- « Ah, tu en as trop dit ou pas assez » renchérit Gil, le regard espiègle, en penchant la tête sur le côté pour mieux la jauger.

- « Vous… Tu vas trouver ça stupide » souffla t'elle en se mordant nerveusement l'intérieur de la joue.

- « Mais non » fit-il en souriant. « Allez, vas-y » l'encouragea gentiment l'entomologiste.

La jeune femme le regarda un instant avant de détourner les yeux. Elle prit une grande inspiration puis se lança. Ils étaient amis après tout. Cette conversation était des plus banales. Pas de quoi en faire un drame, hein ?

- « Bon, le truc c'est que le colonel O'Neill, celui qui devient général, et le major Carter, la scientifique qui passe colonel, ils sont… comment dire… entre eux… » entama – bien maladroitement – la brunette avant de s'interrompre.

Elle se passa une main dans les cheveux. Bon sang, elle allait le dire oui ou non ? Ce n'était pas si compliqué pourtant ! Mais c'était terriblement gênant… Elle s'éclaircit la gorge avant de reprendre, plus posément. Courage.

- « Enfin, le coup classique, ils sauvent le monde et ils s'aiment. Mais il y a quelques complications… Déjà le règlement de l'armée fait qu'ils ne sont pas supposés avoir de 'relation'. Mais ça c'est pas très important en fait. Seulement voilà, le principal problème… Le problème c'est lui, Jack, il a déjà été marié, il a perdu son fils et il est un peu… échaudé. On voit bien qu'il est fou d'elle mais il ne veut pas l'avouer parce que, en plus du règlement, il est plus vieux qu'elle, il est moins intelligent, il ne s'en juge pas digne, quoi. Et pour Sam, c'est la même chose. Elle pense qu'il n'éprouve rien pour elle et puis elle a une trop grande conscience professionnelle. Mais surtout, ils ont peur. Tous les deux. Peur de souffrir. Peur de décevoir l'autre... »

Là, elle reprit son souffle, étonnée par sa propre facilité à évoquer une histoire qui lui rappelait tellement la leur. Sauf que lui ne l'aimait pas. Ce qui n'était pas forcément moins douloureux. Mais ça faisait moins drame shakespearien… Elle releva les yeux une seconde et réprima un sourire. Grissom la fixait avec intérêt, comme il l'aurait fait si elle lui exposait sa vision de la théorie du Big Bang, équations quantiques à l'appui.

- « Les shippeurs sont un groupe de fans qui s'intéressent particulièrement à cet aspect de la série » continua Sara. « L'aspect sentimental. On s'intéresse aussi à l'action bien sûr mais ça devient un peu secondaire. Et donc, pour les shippeurs c'est assez frustrant parce que dans presque tous les épisodes il y a des indices à propos de leurs sentiments. Parfois même des aveux ou des actions. Mais c'est toujours un pas en avant, deux pas en arrière. Et puis au fil des ans ils ont eu des aventures, tous les deux. On voit que l'autre en souffre et ça c'est encore plus frustrant. Dans la saison 8, Sam est sur le point de se marier avec un autre homme. Elle a essayé de parler au général mais il est du genre 'elle sera plus heureuse sans moi', 'je ne suis pas digne d'elle'… Donc elle a en quelque sorte laissé tomber, elle a renoncé. Surtout qu'elle découvre que Jack a une nouvelle liaison. Mais lorsque son père est sur le point de mourir, il lui parle et on découvre qu'en fait il le savait. Il savait qu'il avait quelque chose entre sa fille et son supérieur. Ou plutôt qu'il n'y avait rien entre eux… Enfin, bref la maîtresse de Jack le laisse tomber parce qu'elle l'a compris aussi. Sam rompt avec son fiancé… »

- « … et ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfant ? » proposa Grissom avec beaucoup de sérieux mais une pointe d'amusement dans la voix. La jeune scientifique la plus acharnée du laboratoire qui s'enflammait pour une romance entre deux héros de fiction… Adorable.

- « Non. Ils vont pêcher. Avec leurs amis » rectifia Sara en souriant. « On n'en sait pas plus. Très frustrant, comme je l'ai dis. » conclut'elle doctement.

- « Je ne t'imaginais pas aussi… » entama l'entomologiste, un léger sourire en coin.

- « … futile ? Superficielle ? Stupide ? » le coupa la jeune femme en arquant un sourcil.

- « Non, je ne pensais pas que tu t'intéressais à ce genre de chose, c'est tout. Je trouve ça… mignon » avoua t'il, amusé.

Mignon. Certes. Ça sonnait bizarrement dans sa bouche. Elle ne l'avait jamais entendu prononcé cet adjectif auparavant – il faut dire que dans leur travail il n'était pas très facile à utiliser, 'Oh, quel mignon petit cadavre !' non, définitivement pas. Mais c'était toujours mieux que complètement folle. C'était même plutôt encourageant. Au moins il ne l'avait pas mal pris cette histoire de supérieur plus âgé et sentimentalement 'invalide'.

- « Tu pourras m'initier ? » demanda Gil avec un naturel déconcertant.

- « A quoi ? » interrogea la brunette, déconcertée – précisément.

- « A Stargate. Ça m'a l'air… intéressant » expliqua t'il, malicieux, en ôtant ses lunettes avant de les poser sur la table basse.

- « Bien » fit Sara alors qu'un grand sourire venait étirer ses lèvres. « Mais je te préviens. Huit saisons d'au moins 20 épisodes chacune… tu vas devoir me supporter pendant au moins une bonne centaines d'heures » ajouta t'elle, espiègle.

- « Pas de problème » renchérit Grissom en se retenant très difficilement de sauter de joie. Plus de cent heures à partager un canapé avec Sara ? Elle pensait vraiment qu'il allait passer à côté d'une telle opportunité ?

(It's in his kiss, Vonda Shepard)

Le rêve qu'il faisait était particulièrement réaliste cette fois. Délicieusement réaliste. Lui et Sara. Lui et Sara confortablement allongés dans un canapé. Elle, blottie dans ses bras. Tout contre lui. Il pouvait même sentir la chaleur de son corps. Sa joue contre son torse. Sa main sur son épaule. Ses jambes mêlées aux siennes. Son souffle contre sa nuque. Ses chevaux qui chatouillait son menton et sa taille fine sous ses doigts. C'était sans doute le rêve le plus agréable qu'il n'avait fait depuis des mois. Et il était totalement hors de question qu'il se réveille. Jamais. Mais au moment même où il prenait cette résolution une sonnerie désagréable vint le distraire. Une sonnerie dans un rêve ? Il sentit la jeune femme se lover davantage contre lui et gémir dans son cou. La sonnerie était toujours là. Bizarre.

A contre cœur, il tenta d'ouvrir un œil. Puis l'autre. Bon, il était manifestement dans son salon et les rayons du soleil levant pénétraient dans la pièce. A part ça, ses membres étaient engourdis, sa bouche pâteuse et il avait faim. Donc… Donc à priori il ne rêvait plus. Comment, dans ce cas là, expliquer le fait que Sara était toujours à moitié allongée sur lui ? C'est un posant son regard sur les restes qui jonchaient la table basse que tout lui revint. La veille, ils avaient continué à discuter devant des rediffusions de série de science fiction. Un long moment. Ensuite il ne se rappelait plus vraiment mais tout indiquait qu'ils s'étaient tout bonnement endormis. Il faut dire qu'il avait travaillé toute la journée et avec leur petite escapade à la ferme des cadavres.

En attendant, il était 7 heures passées et dans moins d'une heure et demie ils devraient être au labo. Ce qui sous-entendait qu'ils devraient se lever – à son très grand regret, il devait bien l'avouer. Seulement voilà, il ne pouvait pas se lever sans la réveiller puisqu'elle était littéralement allongée sur lui – pour son plus grand plaisir. Elle était tellement belle quand elle dormait. Il passa une main hésitante dans les boucles brunes de la jeune femme et soupira de satisfaction. Parfait. Ce moment était tout bonnement parfait. Mais il fallait y mettre fin d'une manière ou d'une autre. D'une part parce qu'ils allaient tous les deux finir par être en retard. Et d'autre part parce qu'il pourrait difficilement se retenir plus longtemps de réagir de manière inconsidérée si ils conservaient cette position.

- « Sara » souffla t'il contre son front.

- « Humm ? » grogna la jeune femme en réponse, le nez dans son cou.

- « C'est l'heure de se lever » reprit Grissom à voix basse, amusé par sa réaction.

Il devina qu'elle ouvrait les yeux quand ses longs cils frôlèrent sa peau, le faisant frémir. Elle se redressa légèrement en s'appuyant sur ses coudes – et accessoirement sur lui. L'entomologiste croisa son regard chocolat alors que sa tête n'était qu'à quelques centimètres de la sienne. Il la trouva positivement adorable – et non moins désirable. Son air perdu, ses cheveux en bataille, sa petite moue confuse, ses joues roses… Soit elle n'avait absolument pas conscience de l'effet qu'elle lui faisait. Soit elle avait un penchant certain pour la torture. Juste comme il souriait à cette pensée, Sara s'écarta brusquement de lui. Rougissant de plus belle, elle était à présent assise sur ses cuisses et le fixait avec un mélange de stupéfaction, de gêne et une pointe d'amusement.

- « Griss ? » fit-elle, incertaine et pas encore très bien réveillée.

C'était elle où elle avait vraiment passé la nuit dans les bras de son supérieur hiérarchique ? Non pas qu'elle n'eut apprécié mais… Son propre malaise semblait plutôt faire sourire l'entomologiste constata t'elle alors qu'il se relevait à son tour – se rapprochant d'elle par la même occasion – une expression espiègle sur le visage. La jeune femme en était relativement perplexe. Lui, l'homme qui ne laissait jamais transparaître la moindre émotion, qui plaçait par-dessus tout la préservation de sa vie privée… Et il ne semblait même pas gêné. Elle avait aimé dormir et se réveiller dans ses bras. Trop sans doute. Mais c'était une chose qu'elle ne pouvait pas se permettre. Disons qu'elle aurait pu se le permettre avec un ami 'normal'. Et pas avec un ami dont elle était éperdument amoureuse. C'était malsain.

- « Petit déjeuner ? » proposa Gil avec le sourire, désireux de dissiper les tensions provoquées par ce réveil un peu… spécial.

- « Avec plaisir » répondit Sara en souriant à son tour avant de se lever, soulagée par la tournure des évènements. Elle n'aurait pas aimé que leur nouvelle – et encore fragile – amitié soit gâchée à cause de 'ça'.

- « Œufs brouillés et toasts » annonça l'entomologiste en se dirigeant vers la cuisine. « La salle de bain est à toi… »

Une demie heure plus tard – tous deux habillés de pied en cap – ils déjeunaient sur le bar de la cuisine. Grissom avait fait du café – pris dans sa réserve 'grandes occasions' – et Sara avait pressé des oranges. Ils discutaient et plaisantaient très naturellement en évoquant quelques épisodes d'Andromeda qu'ils avaient vu la nuit dernière.

- « Ces yeux brouillés sont délicieux » fit la jolie brune, extatique, après en avoir avalé une nouvelle bouchée.

- « Tu m'en vois ravi » répondit Grissom, flatté et amusé. « La prochaine fois je te ferais des pancakes mais là je manquais de temps » ajouta sa bouche sans même d'avoir pris la peine de consulter son cerveau en premier lieu. Se rendant compte de sa bévue – venait-il réellement de lui proposer un prochain petit déjeuner ? – il évita soigneusement de croiser le regard de la jeune femme. Il n'ignorait pas que la situation avait mis Sara mal à l'aise et il ne trouvait rien de mieux à faire que de remettre ça sur le tapis.

- « Entendu » répondit pourtant la brunette au bout de quelques secondes. « Du moment que tu évites le bacon… »

Quand il releva les yeux, Sara lui souriait avec malice. La scène avait rappelé à la jeune femme la fois où l'entomologiste avait suggéré un prochain dîner. Il s'en était effectivement suivi quatre autres dîners – en 7 jours. Si il en allait de même pour le petit déjeuner… Elle ne disait pas non, seulement… Elle n'était pas sûre que cela soit réellement très judicieux. C'était mieux pour elle qu'ils soient amis. C'était mieux pour eux. Ils n'étaient prêts ni l'un ni l'autre à aller plus loin. Et quoi que fussent ses pensées, à lui, elle n'était pas vraiment sûre de vouloir encore aller plus loin. Elle l'aimait encore, ça oui. Mais ça ne suffisait plus. De toutes façons, ce n'était certainement pas dans les intentions de Grissom. Il essayait seulement d'être amical.

Et comme ce n'était pas dans ses habitudes, il s'y prenait relativement mal. Disons qu'il était un peu maladroit. Quelque part c'était attendrissant. Ses efforts, sa gentillesse, sa prévenance, ses démonstrations d'affection, sa sensibilité, son ouverture… C'était sans doute aussi nouveau pour lui que elle. Ce n'était pas facile. C'était plus facile que ce qu'ils avaient imaginé mais ce n'était pas si facile. Ils s'étaient vus un soir sur deux cette semaine. Peut-être était-ce trop. Peut-être aurait-il fallu qu'ils prennent plus de précaution, qu'ils y aillent plus doucement. Mais elle avait besoin de lui. Elle voulait être avec lui. Peu lui importait qu'il ne soit pas amoureux d'elle si au moins il tenait à elle. Seulement dans ce cas elle devait prendre garde à ne pas s'attacher à lui de manière démesurée.

- « C'est promis » lui assura Grissom en lui rendant son sourire.

- « Tu pourras me déposer chez moi avant d'aller au labo ? » demanda la jeune femme en portant la tasse à ses lèvres. « J'ai quelques petites choses à faire et il faut que je récupère ma voiture » expliqua t'elle tandis qu'elle déchiquetait consciencieusement le dernier toast de son assiette avant d'en grignoter de petits morceaux.

- « Bien sûr. De toutes façons il va bientôt falloir y aller si on ne veux pas être un retard » fit Grissom en finissant son verre de jus d'orange.

- « Si tu veux être en avance plutôt » le taquina Sara. « Mais bon, c'est toi le patron… »

- « En effet » souligna l'entomologiste sur le même ton.

- « Au fait, j'ai oublié de te le dire mais Catherine a appelé hier soir » fit soudain la jeune femme qui venait de se souvenir de cet incident.

- « Et… ? » fit Grissom, plus amusé que soucieux.

- « Et elle est tombée sur moi » explicita Sara, un peu surprise du détachement – voire de l'amusement – de son supérieur.

- « Je crois qu'elle s'en remettra… » répondit l'entomologiste avec un sourire en coin.

Cela aurait sûrement du le contrarier mais en fait, là, tout de suite, il n'en avait pas grand-chose à faire. Ça viendrait sûrement. Ça viendrait, il faisait confiance à Catherine pour ça. Mais il venait de passer la nuit la plus reposante – et la plus agréable – qu'il n'ait eu depuis très, très longtemps. Alors toute autre pensée était secondaire…