- « Alors, qu'est-ce qu'on a ? » s'enquit Grissom en arrivant près de Brass après être passé sous le ruban jaune qui délimitait la scène du crime, son kit à la main.

L'entomologiste – suivit de près par Sara et Catherine – venait d'arriver sur les lieux. En l'occurrence un garage souterrain des quartiers chics. L'endroit, sombre et peu avenant, grouillait à présent d'urgentistes et de policier en tous genre. Quelques projecteurs avaient été apportés afin de conjurer quelque peu l'obscurité ambiante.

- « Deux cadavres » répondit le capitaine en se retournant vers son ami. « Une femme de race blanche, 25 ans environ, tuée par balle. Et un homme, de race blanche également, la quarantaine, multiples coups de couteau » ajouta t'il en consultant ses notes. « Comme d'habitude, pas de témoin et pour couronner le tout, le système de surveillance est en panne depuis hier… Enfin, la scène est à vous. »

- « Merci » fit le scientifique en faisant signe à ses deux collègues de le rejoindre. « Catherine, tu t'occupes des alentours. Sara, tu prends la femme. Je me charge de l'homme » indiqua t'il avant de se diriger vers le corps qu'il s'était attribué alors que les deux jeunes femmes se séparaient également.

- « Docteur Grissom » le salua David qui finissait d'examiner le cadavre.

- « David » le salua Grissom à son tour.

- « On s'est acharné sur celui là… » commença le jeune légiste. « Je compte au moins 11 blessures. Un objet tranchant, assez long et peut-être légèrement incurvé. Je vous en dirais plus après l'autopsie » conclut-il en relevant la tête.

- « Humm… » marmonna Gil en observant attentivement la scène tout en prenant de nombreuses photos. « Il n'a pas été tué ici, il n'y a pas assez de sang » remarqua t'il pour lui-même. « Vous pouvez emmener les corps » ajouta t'il plus haut.

Il se retourna ensuite vers Sara à une dizaine de mètres de lui. Il sourit en resongeant aux quelques heures précédentes. Elle avait dormi dans ses bras. Elle lui avait fait assez confiance, elle avait été assez à l'aise avec lui pour s'endormir dans ses bras. Et ça, plus que tout le reste, l'enchantait au plus haut point. Il n'y pouvait rien, son humeur était exemplaire depuis ce matin. Même Catherine lui en avait fait la remarque – en revanche elle n'avait pas dit un mot à propos de l'appel, étrange. Il se rapprocha de la brunette et l'observa un instant. Dieu qu'il adorait son petit air concentré et perplexe…

- « Qu'est-ce que tu as ? » demanda t'il en s'accroupissant à ses côtés.

- « Trois plaies par balles. Elle était de dos quand on lui a tiré dessus… et elle était déjà morte avant qu'on ne la dépose ici » exposa la jeune femme. « Je pense » ajouta t'elle en se relevant « qu'on l'a traînée jusqu'ici depuis ce point » fit-elle en désignant un emplacement à quelques mètres où l'on distinguait nettement des traces de pneus dues à un freinage brutal. « Elle a du être débarquée d'une voiture. »

- « Bien vu miss Sidle » acquiesça Grissom en lui adressant un sourire approbateur et fier avant de se retourner vers Catherine. « Sara et moi retournons au labo. Rejoins-nous quand tu auras finis ici. »

La femme blonde acquiesça en souriant et se remit immédiatement au travail, inspectant les alentours son appareil photo à la main. Les choses étaient plutôt calmes aujourd'hui pour la police scientifique. Toutes les affaires en cours avaient été bouclées. Et il n'y avait que deux nouveaux cas. Warrick et Greg s'occupaient d'un cambriolage qui avait mal tourné et fait un mort, en banlieue. Les trois autres membres de l'équipe avaient hérité de ce double homicide…

(Love fool, The Cardigans)

- « Tu m'as bipé ? » demanda Grissom en entrant dans le labo où Sara travaillait.

- « Humm… oui » fit la jeune femme, debout devant une large table sur laquelle était étalée toutes les affaire de la victime par balle. « J'ai trouvé quelque chose qui devrait vous intéresser » poursuivit-elle en fouillant dans un des nombreux sacs en papiers qui jonchaient le bureau. « Voilà » s'exclama t'elle, triomphante en brandissant un petit rectangle de carton fin. « C'est l'occasion ou jamais de revoir une de vos amies » lança la brunette, légèrement acerbe, les yeux sombres.

L'entomologiste s'empara de l'objet qu'elle lui tendait avec un peu d'appréhension. Elle n'avait plus utilisé ce ton-là – sec et légèrement obséquieux – avec lui depuis qu'ils avaient retrouvé Nick et ça ne lui disait rien qui vaille. Il retourna la carte de visite entre ses doigts et retint une grimace. Le Dominion. Lady Heather. Evidemment. Il ferma les yeux un instant. Ce n'était vraiment pas le moment. Il savait que Sara n'avait jamais apprécié la femme et son établissement. Il la soupçonnait d'être jalouse de la plantureuse brune – ou du moins de l'avoir été – et il reconnaissait que lui-même n'était pas indifférent à son charme mystérieux. Mais rien à voir avec ce qu'il éprouvait pour sa jeune subordonné. Non, vraiment rien. Il avait mis du temps à se l'avouer mais il aimait Sara.

Et lorsqu'il songeait à avoir avec une famille – ce qui lui arrivait plus souvent qu'il ne l'aurait imaginé ou même souhaité – c'est elle qu'il voyait à ses côtés. Sara. Sara et aucune autre. En revanche, il n'avait jamais envisagé sérieusement d'avoir une liaison avec Heather. Elle l'avait intrigué un temps… rien de plus. Elle était bien trop différente de lui, bien trop… Non, cette femme n'était rien pour lui. Elle l'avait démasqué, mis à jour. Elle lisait en lui d'une façon assez surprenante pour certaine chose – sans doute l'habitude d'observer et de devoir deviner les aspirations de ses clients. Mais elle n'était rien.

- « Bien, peut-être que notre victime y travaillait, c'est une piste à ne pas négliger » dit-il en s'efforçant de conserver une expression neutre et de ne pas prêter attention au regard noir de son interlocutrice. « Tu viens avec moi » ajouta t'il d'un ton qui ne souffrait pas de réplique, en choisissant d'ignorer l'expression de franche incrédulité qu'arborait la jeune experte.

Quarante minutes – et à peine trois mots plus tard – ils arrivaient devant l'imposante bâtisse coloniale qui abritait l'établissement du Dominion. Grissom sortit da la voiture et en fit le tour pour ouvrir la portière à Sara. La brunette quitta le véhicule la tête haute, la mine sombre et le regard meurtrier. Sur le perron ils furent rejoints par le capitaine Brass que l'entomologiste avait appelé en route.

- « Et nous y revoilà ! » fit Jim avec un enthousiasme exagéré avant de ravaler son sourire en croisant le regard de Sara. Il détourna donc les yeux et actionna l'élégante sonnette qui lui faisait face.

Durant les quelques secondes qui s'écoulèrent avant que la porte ne s'ouvre, le silence qui régnait gagna encore en intensité. L'atmosphère était des plus tendues. Electrique même entre les deux experts. Jim aurait presque pu en rire en d'autres circonstances. Il secoua doucement la tête, amusé malgré lui. Ces deux là…

- « En quoi puis-je vous aider, messieurs ? » commença Lady Heather en souriant d'une manière très 'commerçante'. Elle se reprit cependant en découvrant à qui elle avait à faire et son sourire se fit plus naturel et plus amical. « Docteur Grissom, capitaine Brass, c'est un plaisir… Et vous devez être mademoiselle Sidle » continua t'elle, affable, en se tournant vers une Sara plus renfrogné que jamais. « Que me vaut cet honneur ? »

- « Madame » la salua Jim alors que les deux autres se contèrent d'hocher la tête. « Nous voudrions vous posez quelques questions » expliqua t'il ensuite.

- « Evidemment » acquiesça leur hôtesse non sans une certaine ironie. « Je vous en prie, entrez » ajouta t'elle en s'effaçant afin de les laisser passer.

Alors que les deux hommes suivaient rapidement Lady Heather, la jeune scientifique resta un peu en retrait. Elle s'arrêta même complètement dans le hall, stupéfaite. Elle avait pas mal d'à priori par rapport à ce lieu. Déjà, cet endroit n'était pour elle rien d'autre qu'une maison close. Sara s'était toujours considérée comme relativement ouverte d'esprit. Pas plus que ça mais quand même… Pourtant le fait de se trouver là la gênait. Sans compter les pratiques sado-masochiste qui avaient lieu dans ses murs. Elle réprima un frisson. Elle ne connaissait que trop bien les horreurs des violences conjugales... Comment quelqu'un sain d'esprit pouvait rechercher volontairement de telles souffrances ? Elle pouvait à la limite envisager que certains y trouvent du plaisir mais ça la dépassait son propre entendement.

Bon, en toute honnêteté, le principal handicap de cet établissement était sa propriétaire. Et surtout l'attrait manifeste que Grissom éprouvait pour elle. Vaine jalousie. Elle détestait être jalouse et cela rajoutait à son mécontentement général. Pourtant, maintenant qu'elle y était… C'était splendide. Cette ambiance mystérieuse, chaleureuse, luxueuse… agréable en somme. L'endroit était de très bon goût. Elle ne pouvait que le reconnaître. Son regard s'égara sur l'éclairage tamisé des chandelles, sur le velours pourpre des coussins, sur le bois foncé et la dorure délicate des meubles… Sara ne remarqua pas immédiatement que son supérieur était resté. Elle ne remarqua pas son regard tendre et appréciateur. Elle ne remarqua pas la lueur inquiète au fond de ses yeux.

- « Pourquoi détestes-tu autant cet endroit ? » souffla Grissom à son oreille, juste derrière elle, la faisant sursauter. Il n'avait pas pu s'en empêcher. Il ne supportait pas de la voir ainsi. Il ne supportait pas de la savoir en froid avec lui. Ce matin tout semblait si parfait… Il refusait de la perdre pour ça.

Elle frémit en le sentant si proche et résista tant bien que mal au désir de se blottir contre lui – quand bien même ils auraient assez 'proches' pour s'autoriser ce genre de démonstration, ils étaient en services. Elle ne put cependant s'empêcher de sourire. Pourquoi détestait-elle cet endroit ? Elle était prête à lui dire la vérité. Etait-il prêt à l'entendre ? Si ils étaient vraiment devenus amis, oui. Sans aucun doute.

- « Je ne le déteste pas » le corrigea t'elle finalement dans un murmure. « C'est… ce qui me gêne, c'est que vous, vous l'aimiez autant. Ça, ça me met mal à l'aise » avoua t'elle en se retournant pour lui faire face. « C'est un aspect de votre personnalité que je ne connais pas… et, pour être franche je ne suis pas sûre de vouloir le connaître parce que je ne suis pas sûre de l'apprécier ou même de l'accepter » conclut la jeune femme en fuyant son regard. Elle ferma les yeux, un instant, nauséeuse. Elle était allée trop loin. Elle n'aurait pas du…

- « Sara… » fit-il doucement en plaçant deux doigts sous son menton pour l'obliger à relever la tête. « Je n'aime pas particulièrement cet endroit et encore moins ce qu'il s'y fait. Cela… m'intrigue plutôt. Lady Heather est très douée pour deviner les gens. Elle est intelligente. Mais elle est vraiment très différente de nous. Ce n'est même pas une amie. Elle est trop différente de toi » termina t'il d'une voix presque inaudible avec un léger sourire aux lèvres.

Face à un tel 'discours', Sara était tiraillée entre deux sentiments totalement paradoxaux. Elle se sentait horriblement stupide et en même temps terriblement bien. Abandonnant toutes ses bonnes résolutions, elle appuya brièvement son front contre l'épaule de Grissom. Savourant ce contact et la sensation de chaleur qui se diffusait dans son corps. Elle venait de se ridiculiser en manifestant une jalousie et une ingérence très mal placées. Pourtant, loin de s'en formaliser, il avait répondu à chacune de ses inquiétudes – avouées ou non – et était même allé un peu plus loin. Quand elle se redressa et croisa son regard, elle sourit, un peu timidement mais sincèrement. Il en fit de même avant de l'inviter à rejoindre Brass et Heather qui avaient pris place dans le salon de thé.

- « Ah, vous voilà » les accueillit la femme en souriant largement. « Gil, je comprends que vous ne veniez jamais chez nous, il semblerait que les jeunes femmes qui vous accompagnent n'aient rien à envier à celle qui travaille pour moi » lança t'elle à Grissom avec un regard entendu. « Mademoiselle Sidle, aimez-vous ce que j'ai fait de cet endroit ? » continua t'elle en se tournant vers la brunette.

- « C'est… intéressant » répondit Sara avec un demi-sourire feint, après avoir choisi l'adjectif le moins mensonger et le moins insultant possible. Son interlocutrice ne sembla pas être dupe mais ne s'en formalisa pas non plus.

- « Nous aurions voulu savoir si vous connaissiez cette personne » enchaîna le capitaine en sortant une photo de sa poche et en la déposant sur la table entre eux.

- « Mon dieu oui ! » s'exclama Lady Heather en pâlissant sensiblement. « C'est Abby. Abigaïl Preston. Elle travaille pour moi… Je… que c'est-il passé ? » demanda t'elle, l'air sincèrement peiné.

- « Nous ne le savons pas encore » répondit Grissom. « Mais nous allons avoir besoin de tout ce que vous avez sur elle. Caractère, adresse, famille, amis, clients. Il faudrait que nous puissions voir la pièce qu'elle occupait ici » exposa t'il, très professionnel. « Et reconnaissez-vous cet homme ? » interrogea t'il ensuite en faisant signe à Jim de sortir l'autre photo.

- « Oui, il me semble… c'est un des clients d'Abby. Je ne me rappelle pas de son nom mais je peux le retrouver » indiqua la maîtresse des lieux.

- « Bien, rassemblez ce que vous pouvez » approuva l'entomologiste. « Brass, il faut que la chambre d'Abby, ici, et son appartement soient mis sous scellés. Voyez avec Catherine si elle a fini dans le garage » ajouta t'il. « Nous, on retourne au labo pour voir ce que nous dis l'autopsie » conclut-il enfin à l'intention de Sara.

Lorsque les deux experts pénétrèrent dans la morgue, le docteur Robins était en train d'extraire quelque chose d'une des plaies de l'homme. Il se redressa en les entendant arriver et leur adressa un sourire avant de déposer ce qui semblait être un petit bout de métal dans un récipient à portée de main.

- « Je vous attendais, tous les deux » fit le légiste en les invitant à avancer dans la pièce. Il se dirigea lui-même vers le cadavre de la jeune Abby et réajusta ses lunettes sur son nez. « Celle-ci est morte aux alentour de quatre heures ce matin. Elle a eu une relation sexuelle consentie avant ça. Idem pour l'autre, et puisqu'on les a retrouvés ensemble… Trois impacts de balles. Deux sont ressorties mais j'ai pu extraire la troisième. Seule l'une des balles a touché un organe, le poumon droit en l'occurrence. Mais elle a perdu beaucoup de sang. On lui a tiré dessus alors qu'elle était effectivement de dos » confirma t'il en regardant Sara. « Cette jeune femme à des marques de liens aux poignets et aux chevilles mais elles sont plutôt anciennes. Cependant la cheville droite est foulée. Il y a aussi une contusion sur l'arrière du crâne. »

- « Rien d'autre ? » demanda la jolie brune en se penchant sur le corps. « Il y a des marques de griffures sur sa joue… »

- « Et de la peau sous ses ongles, oui » ajouta le docteur.

- « J'irais porter les échantillons d'ADN et la balle au labo » fit Sara, davantage pour elle-même. « Le contenu stomacal ? »

- « Je leur ai déjà envoyé » répondit Al avec un sourire paternel. « Champagne, fraise et réglisse… deux heures et demie à trois heures avant le décès. »

- « Vous êtes un chef » lui lança Sara avec malice.

- « Et pour l'autre ? » demanda Grissom, amusé par cet échange.

- « C'est David qui devait s'en occuper mais il a du se rendre à une formation. Ordre d'Ecklie. J'ai les résultats par ici » indiqua t'il en s'emparant d'un dossier. « Même heure du décès. Le contenu stomacal est sensiblement semblable mais celui-là avait du vin rouge à la place du champagne et assez de somnifère dans le sang pour endormir un éléphant. Il a perdu beaucoup de sang également. Douze coups d'un objet tranchant, long et recourbés, ça a fait pas mal de dégâts là-dedans. Des coups très violent, peu espacés. Pas de blessures défensives. Mais j'ai trouvé un morceau de ce qui pourrait être l'arme du crime » fit-il en désignant le petit triangle argenté qui reposait dans une coupelle.

- « Parfait » dit Grissom. « Sara, va au labo et emporte ça avec toi, je vais m'occuper des empreintes » reprit l'entomologiste.

La jeune femme acquiesça et quitta vivement la morgue en emportant ses échantillons, laissant les deux hommes seuls.

- « Ça va mieux on dirait » remarqua le docteur Robins, mine de rien, en se dirigeant vers la machine à café.

- « Nick va bien maintenant et nous en sommes tous à peu près remis » répondit Grissom tout en prenant les empreintes des cadavres.

- « Je ne parlais pas de ça… » souligna le médecin en se servant une tasse du mélange sombre et fumant.

- « Je sais » répliqua l'entomologiste sans relever les yeux, une pointe de malice dans la voix.

Cinq heures plus tard l'enquête était bouclée. Le coupable sous les verrous et les faits reconstitués. L'homme, Kevin Preston, fréquentait le Dominion – et Abby – depuis plus de 6 mois. A l'insu de sa femme. Enfin, pas si 'à l'insu' que ça… Margaret Preston avait fini par percer à jour cette liaison. Elle avait eu vent d'un rendez-vous entre les deux amants. Peu avant l'heure dite elle avait servi à son mari un verre de vin… saupoudré de somnifère. Au bout d'une heure, l'homme était tombé dans un sommeil profond entre les bras de sa maîtresse dans un petit cottage à la périphérie de Vegas. Là Margaret avait agi. Après avoir assommé Abby, elle avait attaqué son mari à coup de sabre Japonais – symbolique. Sabre qu'ils avaient par la suite retrouvé chez elle, privé de son extrémité et facilement identifiable.

Du point de vue des experts Abby s'était ensuite réveillée, avait lutté avec la femme puis s'était enfuie. Avant de se faire abattre par l'épouse trompée. Faisant preuve d'un sang-froid assez exceptionnel, madame Preston avait chargé les deux cadavres dans la voiture de son mari pour ensuite s'en débarrasser dans ce garage. Ensuite elle avait rejoint le cottage, y avait enterré son arme, fait brûler ses habits souillés, abandonné la voiture. Elle était rentrée avec la sienne en apportant le sabre sans bien savoir pourquoi. Elle avait calculé les choses pour être sûre d'arriver à ses fins mais n'avait rien prévu pour 'l'après'. Peu lui importait de se faire prendre. Elle s'était vengée. D'ailleurs elle n'avait même pas nié. Les preuves étaient accablantes du reste. Cheveux, ADN, trace de sang, mobile, emploi du temps, tout concordait.

(You're my first, my last, my everything, Barry White)

Il était plus de 20 heures 30 lorsque Grissom referma la porte de son bureau derrière lui, prêt à quitter le laboratoire. Sara et Catherine étaient parties deux heures auparavant après avoir mis le point final à l'enquête. Il avait préféré rester un peu. Cette semaine il n'avait pas vraiment eu le temps d'avancer dans ses rapports. Le temps qu'il passait avec Sara était du temps qu'il ne passait pas à travailler. Pas du temps perdu, non. Il adorait ça et en toute honnêteté il n'avait pas pris beaucoup de retard… mais pas d'avance non plus. En passant dans les couloirs un son attira son attention. Une musique. Relativement forte et entraînante. Curieux, il se rapprocha de la source du bruit. La salle de repos. A cette heure-ci l'équipe de jour avait fini et l'équipe de nuit arrivait à peine. Qu'est-ce que… ?

Une fois parvenu devant la porte close il s'arrêta et écouta. Il s'agissait manifestement d'une chanson de Noël. Mais il n'y avait pas que ça. Des chuchotements, des rires… Au moins trois personnes. Une voix en particulier retint son attention. La sienne. Mélodieuse. Claire. Teintée d'amusement. Que faisait-elle ici à cette heure ? Le désir de la voir plus que tout autre chose le poussa à pénétrer dans la pièce. Une fois le seuil passé, il se figea. La salle était métamorphosée. Un sapin de bonne taille trônait dans un coin. De nombreuses guirlandes et décorations égayaient l'endroit sans le surcharger. Le tout dans des tons chauds de rouge et d'or. Un père Noël d'une trentaine de centimètres avait trouvé sa place près de la machine à café. Une guirlande lumineuse courrait le long de l'encadrement de la porte.

Et une assiette d'appétissants cookies occupait le centre de la table. L'atmosphère de la pièce avait totalement changé. De froide et impersonnelle, elle était devenue chaleureuse et accueillante. L'esprit de Noël sans doute… L'esprit de Noël ou Greg – un bonnet rouge et blanc sur la tête – qui fredonnait les paroles de « All I want for Christmas » en finissant d'accrocher une botte de gui. Ou encore Warrick – une guirlande autour du cou – à moitié mort de rire qui sortait de délicates boule étincelantes d'une petite boîte pour les tendre à… Sara. Il sembla à l'entomologiste que son cœur s'était arrêté un instant avant de repartir à une vitesse folle. Sara, perchée sur un petit marche-pied. Sara, le visage illuminé par un sourire radieux. Sara les yeux brillants d'espièglerie.

Sara, les courbes particulièrement mises en valeur par une adorable petite jupe de velours gris et un épais pull vieux rose à grosses mailles qui laissait ses épaules dénudées. Sara, les cheveux relevés dans chignon dont quelques mèches bouclées s'échappaient gracieusement. Avait-il déjà mentionné cette adorable petite jupe en velours gris perle ? Et les admirables jambes qu'elle dévoilait ? Les jambes de Sara, fines et délicieusement fuselées. Il ne pouvait pas en détacher son regard. Bon, il les avait déjà vues. Pas plus tard que ce matin d'ailleurs. Mais là c'était différent. Parce qu'elle portait cette jupe. Parce ses pieds étaient enserrés dans de ravissants petits escarpins. Et parce que sa position – légèrement en hauteur – en fournissait une vue… imprenable. Son rire fit sortir Grissom de sa rêverie.

- « Warrick ! » fit la jeune femme mi-amusée mi-exaspérée. « Je t'ai demandé l'étoile, pas le cheval de bois ! » le gronda t'elle gentiment en lui lançant quelques cheveux d'anges.

- « Hey, ça va, hein ! » lui rétorqua t'il, malicieux en secouant la tête avant de lui tendre l'objet qu'elle réclamait et qu'elle réceptionna en lui tirant la langue avec espièglerie.

Gil décida qu'il était temps pour lui de faire connaître sa présence et se racla ostensiblement la gorge en refermant la porte derrière lui. Immédiatement, trois paires d'yeux se tournèrent vers lui dans un parfait ensemble.

- « Griss ! » s'exclama Greg avec un immense sourire. « Vous arrivez trop tard pour le coup de main, on a presque fini ici… »

- « C'est ce que je constate » répliqua l'entomologiste en souriant à son tour avant de prendre pleinement conscience des paroles de son jeune subordonné. « Comment ça, 'ici' ? Vous comptez faire ça ailleurs, aussi ? » interrogea t'il avec suspicion.

- « Et bien, puisque Noël est dans deux semaines et que Nick rentre demain, on a pensé que… » commença Sara alors que Warrick l'aidait à descendre du marche-pied. « En fait, j'ai pensé » se corrigea t'elle devant le haussement de sourcil significatif de son ami « qu'on pourrait aussi décorer votre bureau… un tout petit peu… »

Mon dieu, comment résister à cette petite moue et à ces yeux suppliants ? Elle n'avait pas le droit de faire ça. Et surtout pas dans cette tenue. Elle était belle, superbe, renversante, époustouflante… Il ne pouvait rien faire contre ça. Il n'avait pas envie de faire quoi que ce soit contre ça de toutes façons. Il allait céder, d'une manière ou d'une autre…

- « D'accord, vous pourrez le décorer… » finit-il par céder dans un soupir résigné démenti par un petit sourire en coin « … un tout petit peu » ajouta Grissom, tentant de tempérer légèrement l'éclat enthousiaste qui était né dans les yeux de la jeune femme.

Sara allait répliquer mais l'irruption de Catherine dans la salle l'en empêcha. La femme blonde et souriante portait dans ses bras un imposant bouquet de roses blanches et rouges. Magnifique.

- « Je venais juste vous apporter la neige artificielle, je dois allez chercher Lindsay chez une amie » expliqua Cath en déposant un petit paquet blanc sur la table. « Mais en passant à la réception, il y avait un livreur qui apportait ces fleurs pour une certaine Sara Sidle donc je lui ai dis que je te les donnerais » continua t'elle en lançant un regard complice à sa coéquipière.

- « Des fleurs ? Pour moi ? » demanda Sara, perplexe, en s'approchant.

- « Oui, il semblerait. Il y a même une carte » répondit la scientifique avant de lui confier le bouquet. « Bon, je dois vraiment y aller. Et, au fait, vous avez fait du beau travail ici » fit-elle en quittant la pièce précipitamment.

Sara déposa le bouquet sur la table, toujours aussi confuse. L'espace d'une seconde, elle avait pensé – ou plutôt espéré – qu'il pourrait venir de Grissom. Mais elle avait bien vite chassé cette pensée ridicule. Ce n'était pas son genre – ni le sien du reste. Surtout qu'il avait l'air tout aussi intrigué qu'elle. Quelque part elle fut étonnée d'en être déçue. Quelque part elle aurait aimé que ce soit lui. Même si elle n'aurait pas su comment réagir. Après, aucun de ses amis n'avaient de raison de lui faire un pareil cadeau… Elle se saisit donc de l'enveloppe blanche et l'ouvrit. Elle en sortit une petite carte, blanche elle aussi.

Pour la plus merveilleuse des femmes.

J'espère que tu n'as pas oublié notre dîner.

Tendrement,

Matt

- « Humm… quel romantisme » ironisa Greg en lisant par-dessus son épaule. « Dis-moi, ce Matt, ça ne serait pas le médecin qui s'était occupé de Nick par hasard ? » ajouta t'il, taquin alors qu'elle rangeait la carte.

- « Greg, on ne t'as jamais dis que c'était mal poli de lire le courrier des autres ? » lui rétorqua Sara, plus amusée que fâchée.

- « Tu le vois ce soir ? » demanda Warrick après avoir risqué un coup d'œil vers Grissom.

- « Oui, il doit passer me prendre dans… 10 minutes » répondit-elle en consultant sa montre.

L'entomologiste eut la désagréable impression d'être momentanément privé d'oxygène. Elle allait dîner avec Carter. Il lui envoyait des fleurs et elle allait dîner avec lui. Dans cette tenue. En fait elle avait sans doute choisi cette tenue parce qu'elle allait dîner avec lui. Avait-il raisonnablement le droit de se sentir trahi ? Définitivement pas. Et pourtant… Cela confirmait ce qu'il craignait depuis quelques temps déjà. Elle ne voyait plus en lui qu'un ami. Si elle se montrait si proche de lui, si à l'aise c'était justement parce qu'elle le considérait comme un ami. Rien de plus. Le statut quo de leurs débuts ensemble. Ce statut quo qui lui convenait, à lui, à l'époque où elle recherchait plus. Et ce statut quo dont il ne voulait plus aujourd'hui alors qu'il se dressait entre eux. Il voulait plus.

- « Je vais y aller aussi les gars » fit finalement Sara. « Quelque chose me dit que c'était lui le livreur, il est toujours en avance » exposa t'elle le plus naturellement du monde avant de venir faire la bise à chacun des trois hommes présents. « Pour la décoration, on finira demain… Comment je suis ? » interrogea t'elle ensuite en remettant nerveusement une mèche derrière son oreille, incertaine.

- « Stupéfiante » la complimenta Warrick, sincère et souriant, en levant les deux pouces en signe de victoire.

- « Très sexy » approuva Greg, hochant la tête avec un regard appréciateur et souriant malicieusement.

- « Parfaite » laissa échapper Grissom à mi-voix sans vraiment l'avoir voulu. Son cerveau avait une fâcheuse tendance à passer en mode automatique dans des cas comme celui-là. Le fait est qu'il la trouvait réellement parfaite, alors pourquoi s'en cacher songea t'il en croisant son regard chocolat légèrement troublé. Il fallait qu'elle sache de toutes façons. Il faudrait qu'elle le sache un jour ou l'autre…

- « Merci » répondit la brunette, rosissante, flattée et légèrement confuse. « Bonne soirée et à demain » lança t'elle en disparaissant dans le couloir.

Dans la pièce qu'elle venait de quitter en emmenant avec elle le bouquet, seules les paroles de « White Christmas » perturbaient le silence ambiant. Ni Warrick ni Greg n'osait dire le moindre mot. Et Grissom était perdu dans ses sombres pensées. Il venait encore d'en avoir confirmation à l'instant. Elle le traitait exactement comme n'importe lequel de ses amis. Et tout bien considéré c'était quelque chose qu'il n'avait jamais rechercher. C'était plus sûr peut-être. Il avait bien mérité ce juste retour des choses. Maintenant c'était elle qui le remettait à sa place. Et bien qu'elle le fasse à gestes couverts, c'était douloureux. Mais si lui souffrait à présent, il n'imaginait que trop bien ça détresse et sa colère après son « non » plus qu'abrupt plus de deux ans auparavant. Il n'était décidément qu'un imbécile…

- « Un cookie ? » proposa Greg à la cantonade, en désespoir de cause, avec un sourire quelque peu forcé qui ressemblait davantage à une grimace.

- « Sara ? Sara, tu es avec moi ? »

La jeune femme secoua doucement la tête et releva les yeux vers l'homme qui lui faisait face. Matt semblait chercher à attirer son attention depuis un bon moment mais arborait toujours ce petit sourire irrésistible qu'elle affectionnait. Elle eut une mimique d'excuse et embrassa la salle du regard. Matt l'avait emmené dans l'un des restaurants les plus en vue de Las Vegas. Le décor était sublime. Vraiment. Leur table, était un peu en retrait et bénéficiait d'une vue imprenable sur la ville. Son compagnon venait de payer l'adition et elle en avait profité pour égarer son regard sur les lumières des casinos qui bordaient le Strip. Non, elle n'était pas avec lui. Elle n'était pas très loin du reste. Juste un peu plus loin en centre ville dans un laboratoire.

- « Désolée, je… je réfléchissais à autre chose » s'excusa la brunette.

- « Une affaire ? » demanda le médecin en prenant délicatement sa main par-dessus la table.

- « Oui » acquiesça Sara alors qu'une vague de culpabilité s'emparait d'elle.

- « Je comprends » compatit-il en caressant doucement du pouce le dos de sa main

La vérité c'est qu'elle n'avait pas pu prêter la moindre attention aux paroles de Mattew depuis le début de la soirée. Elle n'avait pas pu. La seule chose à laquelle elle pensait… la seule personne à qui elle pensait était Grissom. Ses derniers mots tournaient encore et encore dans sa tête. Son dernier mot. Parfaite. Etait-ce vraiment ce qu'il pensait ? Où était-ce juste une forme de politesse, d'amitié ? Parfaite. Elle ne l'était pas, c'était certain. Mais s'il le pensait alors ça lui suffisait. Parfaite. Venant de n'importe qui d'autre, de sa mère, de Hank, de Matt, de Paul ou de Nick, ça n'aurait été qu'un mot parmi d'autres. Elle aurait sans doute souri. Flattée mais sans plus. Venant de lui, ça signifiait tellement… Il lui avait dit qu'elle était 'jolie' une fois. Et il le pensait, c'était dans son regard. Mais 'parfaite'…

- « Saraaaaa ? » fit à nouveau le docteur Carter en agitant une main devant ses yeux. « Tu es dans les nuages ? »

Il paraissait plus attendri que vexé. Son pouce caressait le dos de sa main et oui, elle devait avouer qu'elle aimait cette sensation. Mais force lui était d'avouer qu'elle l'aurait davantage appréciée si il s'était agi de quelqu'un d'autre… Un éminent entomologiste par exemple… Elle se gifla mentalement pour penser à 'lui' alors qu'elle dînait avec un homme charmant, manifestement très intéressé et capable de lui témoigner de l'intérêt et de l'affection en public. Elle se ressaisit, bien décidée à lui accorder toute l'attention qu'il méritait et à bannir toute pensée parasite.

- « Je t'ai déjà dit que tu était magnifique ce soir ? » reprit Matt, malicieux.

- « Oui, mais tu peux le répéter autant de fois qu'il te plaira… » répliqua Sara avec un regard mutin. Il était vraiment adorable.

- « Ecoute, je vois bien que tu es un peu distraite, il y a quelque chose qui te tracasse ? Tu n'as pas aimé les roses ? Le repas ? » demanda t'il, un peu inquiet, enlaçant ses doigts aux siens dans un mouvement de tendre sollicitude.

- « Non, tout va bien » le rassura la brunette, touchée par son geste. « Et les fleurs étaient superbes. Je les adore. Le repas était délicieux. C'est juste que… je suis encore un peu fatiguée. J'ai repris le travail il y a quatre jours et j'ai peut-être un peu présumé de mes forces » expliqua t'elle en souriant.

C'était un demi mensonge. La fatigue était en cause évidemment. Preuve en était que sinon elle ne se serait jamais endormie dans les bras de Grissom. Pas involontairement en tous cas. Mais ce n'était certainement pas la cause principale de son incapacité à rester concentrée. Elle ne s'en sentit que plus coupable. Matt méritait mieux qu'une jeune femme qui ne faisait que s'égarer sur les pentes dangereuses d'une idylle improbable avec un autre homme. Il méritait mieux qu'elle, parce que malgré tous ses efforts, elle ne pouvait s'empêcher de penser à lui, l'autre.

- « Je comprends » compatit le médecin d'un ton affectueux. « J'ai une idée. Suis-moi » fit-il soudain en se levant sans lâcher sa main, tout sourire.

- « Où est-ce que… ? » commença Sara en se laissant entraîner, amusée.

- « Tu aimes danser ? » lui demanda t'il tandis qu'un serveur leur apportait leurs vêtements.

- « Bien sûr » répondit-elle, légèrement confuse.

- « Tu aimes le jazz ? » reprit Mattew en l'aidant à enfiler son manteau. Sara se contenta de sourire et prit la main qu'il lui tendait.

Quatre heures plus tard, Sara refermait la porte de son appartement, laissait tomber son manteau sur le sol puis s'affalait sur le canapé. Elle se débarrassa de ses chaussures avec un sourire extatique. Ils avaient terminé la soirée dans un petit club de jazz très animé, à l'ambiance chaleureuse et festive. Ils avaient dansés. Longtemps. Ils avaient bu un dernier verre en discutant de tout et de rien. Cette fois, pas de pensées indélicates. Ils s'étaient embrassés. Longuement. Et puis elle avait exprimé son désir de rentrer. Dans moins de six heures elle devait être au labo et avant cela elle comptait bien prendre un bon bain relaxant. Mattew l'avait raccompagné, toujours aussi gentlemen, et l'avait laissé sur le seuil. Pour être totalement honnête, elle l'aurait bien invité à entrer afin de prolonger la soirée…

Et manifestement cette envie était réciproque. Mais sa conscience lui avait transmis assez de volonté pour rompre leur étreinte et souhaiter une bonne nuit à son charmant médecin. Il n'aurait pas été juste de passer cette nuit dans ses bras. Ni pour lui ni pour l'autre. Ni même pour elle. Elle n'était pas encore prête à jouer ce rôle. Pas encore prête à faire semblant. Matt était trop gentil pour qu'elle se serve de lui ainsi. Peut-être plus tard quand elle serait sûre de pouvoir l'aimer vraiment, sans penser à Grissom… Elle gagna sa salle de bain à pas lents, se fit couler un bain et se déshabilla. Après avoir mis un CD, elle se plongea avec délice dans une eau chaude et parfumée. Et elle pleura. Les larmes roulèrent sur ses joues sans qu'elle ne puisse rien y faire. Sans même qu'elle ne sache pourquoi.

Finalement, il était 8 heures 30 lorsqu'elle ouvrit des yeux encore lourds de fatigue et rougis par les pleurs. Elle se sentait perdue, vidée. Les quelques heures qu'elle avait passé à dormir, avaient été peuplées de cauchemars. Elle ne s'en souvenait pas notablement mais elle était sûre que cela avait un rapport avec Gil. Et Matt. Et ses parents aussi. C'était confus… En plus elle était en retard et n'avait – exceptionnellement – aucune envie de sortir de sous sa couette. Elle avait un très mauvais pressentiment à propos de cette journée. Il y avait juste le retour de Nick, ce soir… La brunette étouffa un soupir, la tête dans ses oreillers. De toutes façons, il fallait qu'elle se lève. Elle pouvait être au labo dans 30 minutes si elle se dépêchait.