Un petit peu d'angoisse... désolée mais vous ne pensiez pas que tout coulerait de source quand même ?
(Going under, Evanescence)
Ne tenant plus ne place, Sara quitta le canapé dans lequel elle s'était laissé tombée une demie minute plus tôt et rejoignit sa cuisine. Elle se servit un verre de vin en prêtant une oreille distraite aux bavardages de Sully et Bob – les deux monstres au grand cœur qui se démenaient sur l'écran. « Monstres et compagnie ». Cadeau de Nick. Habituellement ce dessin animé la détendait, la faisait rire, sourire au moins. Mais ce soir, c'était peine perdue songea t'elle en buvant une gorgée du très bon Merlot qu'elle s'était débouchée, espérant quelque part y noyer sa peine. La journée ne s'était pas trop mal passée pourtant. Après un réveil inespéré et très câlin, Grissom l'avait déposé chez elle, décidant pour sa part de rejoindre directement le labo.
Elle ne s'en était pas offusquée et avait savouré, comme il se le devait, le baiser pour le moins fougueux qu'ils avaient échangé devant sa porte. C'est donc l'esprit léger qu'elle avait fait une douche rapide et s'était changée avant de prendre le chemin du travail. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il lui témoigne d'effusifs élans d'affection au labo – Dieu savait que pourtant elle mourait d'envie de goûter encore à ses lèvres et à ses caresses. Son attitude tout juste aimable et dégagée ne l'avait donc pas surprise – tout au plus légèrement agacée, mais ils pourraient parler de ça plus tard. Parler justement, ils n'en avaient pas eu le temps ce matin et la journée avait été plutôt chargée. Elle n'avait pu que l'entrapercevoir au moment des assignements et c'était à peu près tout.
De fait, elle avait été occupée presque toute la journée à l'extérieur avec Greg, ce qui avait eu l'avantage de l'empêcher d'y penser. Elle s'était dit qu'ils auraient bien le temps de discuter ce soir… jusqu'à ce qu'il lui annonce – avec une désinvolture qu'elle n'apprécia guère – qu'il devait dîner avec Lady Heather. Quelque chose de prévu de longue date semblait-il et qu'il n'avait pas l'air de vouloir annuler. Bien sûr il lui avait demandé à mots couverts si ça ne la dérangeait pas mais… qu'aurait-elle honnêtement pu répondre à part un « Non, pas le moins du monde. Vas-y, je t'en pris » assorti de son plus beau sourire ? Elle était décidée à le prendre bien et à ne pas jouer les femmes jalouses et possessives.
Ce n'était pas son genre d'ailleurs. Et elle avait confiance en Grissom. Ce n'était même pas une question de sentiment. Il était foncièrement trop juste pour la tromper. Même si il ne lui avait rien promis pour l'instant. Ils avaient juste… couché ensemble. Et vu le tour que ça prenait c'était peut-être bien la première et la dernière fois. Non, se morigéna t'elle intérieurement. Il n'était pas comme ça. Il tenait à elle. Il l'aimait. L'aimait-il ? L'angoisse revenait à la charge, plus vive que jamais. Son regard se porta sur la pendule sur le mur. Trois heures du matin. Son cœur se serra. Elle se savait puérile, mais elle avait appelé chez lui à minuit, jugeant qu'il serait rentré de son repas 'd'affaire'. Il ne l'était pas. Elle avait appelé cinq fois depuis, sans laisser de message. Et ses coups de fil étaient restés sans réponse.
Voilà pourquoi elle était là maintenant, pâle comme la mort, tremblant de froid et d'appréhension. Il n'était pas rentré. Elle n'aimait pas tirer de conclusions mais c'était son métier après tout. C'est donc le plus naturellement du monde qu'elle l'imaginait à présent, partageant le lit de la plantureuse propriétaire du Dominion, lui dispensant les caresses et les baisers qu'il lui dispensait, à elle, la veille. Et cela la rendait malade. Cela l'anéantissait, littéralement. Elle était furieuse. Furieuse contre elle d'avoir pu croire qu'il éprouvait réellement quelque chose pour elle, qu'il ne s'agissait pas simplement d'une histoire de possession. Qu'il ne voulait pas simplement l'avoir parce qu'il sentait confusément qu'elle lui échappait. Furieuse de s'être laisser aller à espérer à nouveau, de s'être montrée si stupide…
Mais surtout, elle était furieuse contre lui. Elle le haïssait. Elle le haïssait comme elle n'avait jamais haï personne. Pourquoi, pourquoi fallait-il toujours qu'il joue avec elle de cette façon ? Qu'il se montre si tendre et si cruel l'instant d'après ? Qu'il éprouve un malin plaisir à briser son cœur, à le mettre en pièce et à le piétiner avec acharnement ? Un claquement sec et une vive douleur à la main la sortirent de ses pensées. Elle baissa les yeux pour découvrir avec effarement que le verre qu'elle tenait s'était brisé. Le liquide ambré s'était répandu sur le plan de travail entre les éclats de verre. Sara ouvrit sa paume en grimaçant de douleur. De petits morceaux de verre s'étaient incrustés dans sa chair et du sang coulait de ses blessures.
Elle regarda un moment les gouttes rouges tomber et se mêler au vin d'un air absent. Sans vraiment les voir. Presque inconsciemment elle resserra son poing et pinça ses lèvres pour ne pas crier. Si seulement cette douleur pouvait effacer celle qui s'était nichée dans son cœur. Mais non, se raisonna t'elle en secouant la tête. Et tout d'un coup, elle se laissa submergée par les sentiments qui menaçaient depuis un moment déjà. Les pleurs, qu'elle avait retenues jusque là, franchirent la barrière de ses paupières closes et roulèrent sur ses joues. Elle se sentait nauséeuse, faible, perdue, trahie et horriblement seule. Elle était fatiguée et elle avait mal. La douleur était très différente de celle qu'elle avait ressenti à l'hôpital, 10 jours auparavant en attendant des nouvelles de Nick mais son état n'était guère différent.
La brunette esquissa un geste vers le téléphone et commença même à composer le numéro du jeune texan puis renonça. Elle se laissa glisser le long du mur jusqu'au sol et ramena ses genoux contre son torse, le combiné toujours dans sa main indemne. Qu'aurait-elle pu lui dire de toutes façons ? 'Ecoute, hier j'ai couché avec Grissom mais on ne s'est rien promis et aujourd'hui il passe la nuit avec la reine des sado-masos. Et en plus je me suis coupée. Tu ne peux pas venir ?' Non. Bien sûr que non. Si encore il s'était agi de quelqu'un d'autre – autre que son superviseur, s'entend – elle aurait pu s'épancher sur l'épaule de l'un de ses amis – même si elle désapprouvait fortement cette idée, si loin de son caractère. Mais là, c'était impossible. Elle ne pouvait mélanger vie privée et vie professionnelle…
Un instant l'idée folle qu'il ait pu le faire 'exprès' l'effleura. Etait-il assez retors pour utiliser cet odieux stratagème afin de lui démontrer à quel point une relation entre eux serait malvenue ? Elle chassa cette pensée absurde d'un geste du menton et ravala bravement ses larmes. Il ne mérite pas que tu pleures pour lui, Sara Sidle, se sermonna t'elle à haute voix. Aucun homme ne le mérite. Elle repensa à ce que lui avait dit sa mère un jour. Ne verse pas de larmes pour un homme. Le seul qui les mérite ne les fera jamais couler. Résolution dure à tenir. Particulièrement quand il s'agissait de Grissom. La jeune femme essuya les traînées humides sur ses joues d'un revers de ses manches. Rageuse, elle se releva et se dirigea vers la salle de bain. Elle ne le laisserait pas la briser, pas cette fois.
Lorsque Sara entra dans la salle de repos ce matin là, son expression était parfaitement neutre et le sourire calme qu'elle arborait était tout à fait plausible. Après tout, les nuits d'insomnie n'étaient pas si rares. Elle avait appris à vivre avec et à les dissimuler. Tout comme ses sentiments. La partie serait sans doute un peu plus difficile cette fois mais elle y arriverait. Elle y arriverait malgré la colère, la peine, la frustration et l'appréhension qui l'habitaient. Elle y arrivait toujours. Pour l'heure Warrick était le seul présent dans la pièce. Catherine devait encore travailler sur son affaire de la veille. Elle hocha la tête en direction de son coéquipier.
- « Salut Sar' ! » lança ce dernier avec un grand sourire. Il s'apprêtait à ajouter quelque chose quand il remarqua la lassitude qui voilait le regard de la jolie brune et la bande blanche autour de sa main droite. « Tu vas bien ? » fit-il, légèrement inquiet.
- « Ça va » le rassura gentiment la jeune femme, se maudissant pour avoir laissé percer un peu de sa tristesse. Il fallait qu'elle se reprenne avant l'arrivée de Grissom. Grissom… Son estomac se noua à cette pensée. Elle n'était pas assez forte encore, elle n'aurait pas du venir.
- « Je pense que Griss va être un peu en retard ce matin, l'équipe de nuit l'a appelé hier soir et il a passé la nuit sur un cadavre » commença Warrick en se replongeant dans le rapport qu'il lisait avant son arrivée. « Des insectes » ajouta t'il devant le silence de Sara qu'il interpréta comme une demande pour de plus amples renseignements. « C'est Ecklie qui me l'a dit. »
La jeune scientifique laissa échapper un son à mi-chemin entre le sanglot et le rire. Elle pressa une main contre sa bouche et bredouilla de vagues excuses avant de quitter précipitamment la pièce, le cœur au bord des lèvres. Elle traversa rapidement les couloirs – sans percuter quiconque à son grand soulagement. Puis elle gagna les toilettes. A peine la porte d'une des cabines se refermait-elle derrière elle, qu'elle éclatait en sanglots. Elle ne savait pas trop si elle pleurait de soulagement ou de rage mais pendant quelques minutes, elle ne put s'arrêter. La tête dans les mains, assise sur le siège des toilettes, le corps pris de mouvements convulsifs, elle pleurait. Il n'avait pas passé la nuit avec Lady Heather finalement. Il n'avait vraisemblablement pas même eu le temps de finir de dîner avec elle.
Le souffle court, ravalant ses larmes, Sara fixa un moment sa paume bandée. Peut-être qu'il ne s'était rien passé cette nuit. Peut-être qu'elle s'était inquiétée pour de fausses et mauvaises raisons. Mais sa panique, elle, avait été véritable. Elle avait appris quelque chose d'important. Si ils étaient ensemble, elle ne supporterait pas qu'il la trompe. Disons que ça, elle le savait déjà. Ce qui était nouveau s'était cette inquiétante capacité à être jalouse. Elle avait frôlé la crise de nerfs cette nuit – enfin 'frôler' était un euphémisme. Et ça la terrifiait. Elle n'avait jamais vraiment réalisé avant le pouvoir que Grissom avait sur elle. Mais là… Elle ne pourrait pas vivre ainsi. Elle ne le voulait pas. Elle était bien trop dépendante de lui, émotionnellement parlant. Le jeu était truqué. Ça ne pouvait pas marcher.
Des bruits de pas la firent se redresser. Elle essuya son visage, rectifia son maquillage et sortit de la cabine comme si de rien n'était. A son grand soulagement c'est Jacqui qui venait d'arriver. La jeune technicienne la gratifia d'un sourire amical d'une sincérité désarmante qu'elle lui retourna sans trop de difficultés. La laborantine ne parut dupe mais se contenta d'un regard encourageant. Refaisant le chemin en sens inverse, Sara prit une grande inspiration avant d'entrer dans la salle de repos. Contrôlant tant bien que mal le tremblement de ses mains, elle pénétra dans la pièce où Warrick et Grissom l'attendait. Ce dernier l'accueillit d'un sourire amical, sans plus. Il est vrai qu'il semblait fatigué, les traits tirés et les yeux rouges mais, elle était encore trop bouleversée et remonté contre lui pour y compatir.
- « Warrick, Sara, vous avez chacun votre homicide » annonça l'entomologiste en déposant deux feuillet sur la table. « Choisissez celui que vous préférez » ajouta t'il avec une pointe d'humour qui fit sourire le jeune afro-américain mais qui ne contribua qu'à assombrir la mine déjà fermée de la brunette.
- « Sar' ? » l'interpella Warrick. « Bellagio ou désert ? » proposa t'il en brandissant tour à tour les deux papiers.
- « Désert » répondit la jolie brune en s'emparant de l'assignement correspondant. « J'ai besoin d'air… » murmura t'elle avec amertume.
Ce commentaire lui valut un regard interrogateur de la part de son jeune coéquipier. Elle secoua la tête, lui signifiant par là de ne pas chercher à comprendre. Il n'alla donc pas plus loin mais ses yeux s'assombrirent en se posant sur Grissom alors qu'il quittait la salle. Sara s'apprêtait à faire de même lorsqu'une main sur son bras l'arrêta. Elle se retourna avec une mauvaise volonté évidente mais consciente qu'elle devait en passer par là à un moment où un autre. Elle se retrouva face à l'entomologiste. Tout près de lui. Trop sans doute d'après l'emballement de son rythme cardiaque. Elle se détesta pour ça. Pour réagir de cette façon à son contact. Mais qu'y pouvait-elle ? C'était la première fois qu'il la touchait vraiment depuis… depuis leur dernier corps à corps.
Et forcément, cette pression faisait ressurgir une foule d'images et de sensations qu'elle aurait préféré ignorer. La jeune femme évita consciencieusement le regard de son supérieur et attendit. Il voulait parler, eh bien à son aise. Mais il n'était pas question qu'elle lui facilite la tâche. Elle n'était pas un jouet qu'on utilise et puis qu'on jette jusqu'à ce qu'on lui accorde à nouveau son attention. Elle était un être humain. Peut-être était-ce de sa faute. Peut-être l'avait-elle trop habitué à être là à attendre, dévouée, comme un gentil petit animal de compagnie. Peut-être qu'il pensait qu'elle lui était acquise, tout bonnement… Elle le détestait. Elle le détestait de toute son âme et pourtant elle ne pouvait s'empêcher de l'aimer.
- « Sara… »
Sa voix la fit presque sursauter. Elle était redevenue douce et caressante. Comme cette nuit là… Finalement, elle releva la tête et se sentit fondre sous son regard débordant de tendresse et de désir.
- « Tout va bien ? Je suis désolé pour hier soir, je voulais t'appeler après le dîner mais il a été écourté. J'ai du aller dans le désert avec l'équipe de nuit. Quand je suis revenu ici il était trop tard, je n'ai même pas eu le temps de passer chez moi » expliqua t'il, contrit et sincère.
- « Ce n'est rien » s'entendit-elle répondre en souriant.
Ce n'était pas vrai. Ce n'était pas rien. Elle avait été à deux doigts de s'ouvrir les veines. Mais là, devant lui, ça ne semblait plus compter. Il avait voulu l'appeler. Il n'avait pas voulu la réveiller. Et il n'avait pas passé la nuit avec l'autre. Ça lui suffisait, pour l'instant. Ce qu'elle voulait maintenant c'était un geste. Elle avait besoin de lui, de se prouver que c'était réel. Elle ne demandait pas grand-chose. Une légère étreinte, un baiser, juste... quelque chose.
- « Ecklie m'a donné ma journée. Je crois que je vais faire un peu de paperasse ce matin et puis je vais rentrer. Viens à la maison quand tu auras fini, je te ferais à dîner. D'accord ? Amène tes DVD de Stargate » fit-il en la couvant d'un regard affectueux et taquin. « J'ai hâte d'être à ce soir… » conclut-il à mi-voix avec.
La jeune femme acquiesça en tentant d'avoir l'air le plus enthousiaste possible. Oui, tout ce qu'il voulait du moment qu'il lui donnait ce baiser… Elle le vit hésiter quelques secondes. Son combat intérieur se reflétait dans ses yeux. A un moment elle cru avoir gagner. Il se pencha vers elle, doucement. Elle pouvait déjà sentir son souffle sur son visage et sa respiration se fit anarchique. Mais il s'arrêta à quelques centimètres du but et renonça. Sara fit de son mieux pour retenir le soupir coincé au fond de sa gorge et lui renvoya le sourire désolé qu'il lui lança avant de rejoindre son bureau. D'accord, il ne voulait pas mélanger travail et plaisir, d'accord il ne voulait pas qu'ils soient la cible des rumeurs du labo mais était-ce vraiment trop demander ? Juste un geste…
Enfin, au moins il avait envie d'être avec elle, pas vrai ? Il se souvenait même de leur discussion sur Stargate. Et il allait cuisiner. Pour elle. Et il avait hâte de la voir. C'était tout ce dont elle rêvait depuis plus de cinq ans. Alors pourquoi cette impression de malaise. Pourquoi ce poids dans son estomac. Pourquoi cette brusque envie d'arracher toutes les guirlandes de la pièce, d'ôter ce petit sourire hypocrite de la bouche du père Noël mécanique et de hurler ? Elle ne savait pas ce qu'elle s'attendait à ressentir mais sûrement pas ça… Tout était allé bien trop vite. Ils n'étaient pas prêts pour ça. Elle-même n'était pas fan des contes de fée – bien qu'elle aimât les livres pour enfants – mais elle aurait apprécié, non, elle aurait eu besoin de quelques vrais rendez-vous et quelques vraies discussions avant de… avant 'ça'.
(Everybody hurts, REM)
Sara se redressa légèrement de façon à pouvoir mieux contempler l'homme étendu à ses cotés. Il semblait si paisible quand il dormait. Les traits sereins, un léger sourire aux lèvres… La jeune femme rajusta l'oreiller sous sa tête et continua de le fixer. Comme elle le faisait toutes les nuits depuis une semaine. Ils faisaient l'amour. Il s'endormait en la serrant contre lui. Elle se dégageait au bout d'une heure ou deux et passait le reste de la nuit à le regarder. Comme si c'était la dernière fois. Parce que c'est ce qu'elle ressentait à chaque fois. Une peur diffuse, presque intolérable. La peur qu'au petit matin tout soit fini. 'Tout ?' songea t'elle amèrement en faisant jouer ses doigts dans ses boucles grises. Tout, quoi ? Elle repoussa doucement la main qui cherchait à la caresser et quitta le lit sans le réveiller.
Enfilant une de ses chemises, à lui, qui traînait là, elle se retourna une dernière fois avant de rejoindre la salle de bain. La salle de bain de Grissom bien évidemment. Parce qu'ils étaient chez lui. Ils n'étaient jamais encore allés chez elle, de son fait à lui, mais quelque part cela la rassurait… et l'inquiétait aussi. Après avoir allumé, elle embrasa la pièce du regard comme elle l'avait fait une dizaine de jour auparavant. Rien n'avait changé. Rien. Et cette constatation fut douloureuse. Elle vivait en quasi-permanence chez lui depuis une semaine et… rien. Pas de deuxième brosse à dent. Pas de deuxième peignoir. Pas de crème pour les mains dans le placard. Pas même de rouge à lèvre oublié sur le rebord du lavabo. Et c'était la même chose dans toute la maison. Elle n'avait même pas de vêtements de rechange.
Comme si elle n'existait pas vraiment, comme si elle n'était jamais venue ici, comme si il voulait effacer toute trace de son passage. Elle le savait privé, secret, et elle ne cherchait pas à s'imposer dans son univers. Elle avait bien trop peur de le brusquer et de l'éloigner d'elle. Définitivement. Mais ce sentiment d'insécurité permanente qui grandissait en elle, commençait à la ronger. Elle s'était même remise aux anti-dépresseurs, ce qui ne lui était pas arrivé depuis 12 ans. Et elle avait perdu 4 kilos. Il faut dire qu'elle n'avait jamais faim quand elle était angoissée et comme elle était angoissée 24 heures sur 24 ces derniers temps… Ouais, pas vraiment sa vision du bonheur idyllique avec le docteur Grissom, pas vrai ? La vérité… En vérité… c'était horrible. Un véritable enfer.
Mais un enfer dans lequel elle se complaisait parce que c'était lui et qu'après tout… Quitte à souffrir autant le faire de la plus délicieuse des façons. Elle savait qu'elle se tuait à petit feu. Elle savait qu'elle ne tiendrait pas. Elle n'était pas heureuse. Pas la plupart du temps en tous cas. Le fait est qu'elle avait la désagréable impression qu'il avait honte de leur relation, d'elle. Et pas seulement au labo. En une semaine, ils n'étaient pas sortis une seule fois. Ils restaient ici. Elle aimait ça bien sûr, le simple fait d'être blottie contre lui en regardant la chaîne découverte. Elle aimait les petits plats qu'il lui cuisinait. Elle aimait leurs parties de Trivial poursuite. Et elle aimait plus que tout qu'il lui fasse l'amour. Et ça, il ne s'en lassait pas. Mais elle n'était pas heureuse. Vraiment pas.
Il y avait pas mal de choses qui la tracassaient – mis à part le fait qu'il n'y avait pas de trace d'elle chez lui et qu'ils restaient cloîtrés à la maison. D'abord, lorsqu'ils étaient en public, il était de plus en plus distant, comme si il avait peur que la moindre parole amicale soit mal interprétée. Ensuite, il ne lui avait jamais dit qu'il l'aimait. Bon, c'était sans doute ridicule de s'appesantir là-dessus. Les mots n'étaient que des mots et elle savait qu'il l'aimait. Du moins, elle l'avait su… Mais le problème c'est qu'elle aurait aimé le lui dire, elle, qu'elle l'aimait. Peu importe si il ne répondait pas. Elle avait besoin de le lui dire. Et elle ne le faisait pas parce qu'elle avait peur. Elle avait peur de l'effrayer, de le faire fuir. Oui, ça, ça lui coûtait, vraiment. Je t'aime. Ce n'était pourtant pas si dur.
En plus, elle n'avait personne à qui parler. Ses meilleurs amis n'étaient pas sensés être courant. Warrick l'était, lui, un peu, mais quand il avait voulu aborder le sujet, une fois, Grissom l'avait si sèchement rembarré qu'il n'en parlait plus. Sans compter sa jalousie à elle, qui semblait croître de jour en jour. Elle ne supportait plus de le voir avec d'autres femmes. Quelles qu'elles soient. Elle interprétait chacun de ses gestes et de sourires de la pire des manières qui soient. Deux jours auparavant l'entomologiste avait étreint Sofia. En toute amitié. Une enquête avait été ouverte sur elle, elle était déroutée… C'était normal. Et pourtant, lorsqu'elle les avait vu, elle avait manqué de défaillir au milieu du couloir. Elle n'avait rien dit bien sûr. Ni à lui, ni à personne. C'était tellement ridicule.
Mais ça lui avait fait mal. D'autant plus qu'elle s'en voulait d'agir ainsi. Cependant, le pire était sans doute ce sentiment terrible et malsain qui la hantait. Cette impression de se prostituer. De se prostituer avec l'homme qu'elle aimait. Elle ne pouvait vraiment expliquer ce qui lui faisait penser ça, c'est juste que… S'ils ne couchaient pas ensemble, elle ne serait jamais restée avec lui. Quand ils parlaient – de tout et de rien – ils étaient des amis. Du moins, c'est ce qu'ils étaient avant. Maintenant tout était faussé. Depuis une semaine ils n'avaient quasiment abordé aucun sujet réellement personnel, réellement important… Cette relation était bien trop dangereuse pour elle. Elle ne pourrait pas en sortir indemne. Elle savait qu'elle devait tout arrêter avant d'être complètement détruite. Elle savait qu'elle n'avait pas le choix.
Pourtant, même si ça la tuait, elle ne vivait plus que pour ces nuits. Elle ne vivait plus que pour ces quelques heures où il était à elle autant qu'elle était à lui. Elle ne pouvait plus s'en passer. Alors, à chaque fois, elle repoussait le moment fatidique. Juste encore une nuit, la dernière… C'était 3 jours auparavant. Elle avait besoin de lui, c'était devenu comme une drogue. Parfois même elle se disait qu'elle pourrait s'en contenter. C'était faux. On ne pouvait pas baser une relation là-dessus, le sexe. Elle avait besoin d'affection, d'amour. Elle avait besoin de se sentir aimée, protégée et pas seulement désirée. Une citation d'Oscar Wilde lui revint en mémoire. Il faut du courage pour céder à la tentation. C'était vrai. Mais elle, avait-elle assez de courage pour y renoncer ? Et si elle y renonçait, que se passerait-il ?
Elle le perdrait bien sûr. Ils ne pourraient pas redevenir amis après ça. Pourraient-ils seulement retravailler ensemble ? Sans doute pas… Sentant les larmes lui monter aux yeux, elle se dirigea vers la douche, se débarrassa de la chemise et se glissa sous l'eau brûlante. Elle ne voulait pas qu'il la voie en train de pleurer. Il lui faudrait trouver une excuse et elle n'en avait pas la force. Elle avait donc pris l'habitude de ne se laisser aller sous la douche. Là, elle n'aurait pas à justifier ses joues humides et ses yeux rouges. Elle ferma ses paupières et savoura la sensation de l'eau chaude sur sa peau. Elle s'imaginait être ailleurs, être quelqu'un d'autre. Elle attendait. Parce qu'elle savait qu'il allait arriver. Il la rejoignait toujours. Elle attendait avec un étrange mélange d'appréhension et d'impatience. De dégoût et de désir.
Elle se détestait. Elle le détestait. Mais elle restait. Déjà elle sentait sa présence derrière elle. Son souffle sur sa nuque. Puis ses lèvres sur son omoplate. Ses mains sur sa taille. Alors elle se retourna et lui sourit. Vraiment. Parce qu'en cet instant elle l'adorait. Il n'y avait rien à comprendre… Elle retraça son sourire malicieux du bout des doigts tandis qu'il la plaquait d'un geste vif – mais toujours très affectueux – contre le mur froid de la cabine. Elle devait lui reconnaître ça, il était doué. Vraiment doué. Leurs étreintes – tour à tour tendres et intenses – étaient toujours exceptionnelles. Il y mettait la même application que dans son travail de scientifique. La même passion. Le même désir de bien faire.
- « Tu es tellement belle… » chuchota t'il – avec ce mélange de dévotion et d'adoration qui lui était caractéristique dans ces moments-là, plus un léger et persistant étonnement quant au fait qu'elle était vraiment là, avec lui – tout contre ses lèvres avant de les capturer dans un baiser fiévreux tandis qu'elle nouait ses jambes autour de sa taille. Le faisant ainsi redoubler de ferveur.
Leurs corps et leurs langues se mêlèrent dans un même mouvement. L'eau ruisselait toujours sur leurs peaux alors que leurs soupirs et leurs souffles saccadés emplissaient la pièce. La silhouette unique et mouvante qu'ils formaient s'estompait sous des volutes de vapeur. Et Sara se promit, dans un sursaut de lucidité, que ce serrait la dernière fois. La dernière. La dernière…
- « Hey, Nicky ! Bienvenue à la maison ! » s'exclama Warrick en se levant alors que le texan passait le seuil de la salle de repos, suivi de Greg.
Catherine et Sara se levèrent à leur tour et vinrent étreindre et saluer le jeune homme qui paraissait ravie d'être là. Le travail démarrait dans un quart d'heure. Grissom était le seul absent. Sara ferma les yeux une seconde, tentant de ne pas y penser. Comme tous les matins, il l'avait déposée chez elle – d'où la petite impression d'être la maîtresse que l'on cherche à dissimuler. Elle avait rejoint le labo, seule, comme tous les matins. Elle était passée devant son bureau sans s'arrêter, comme tous les matins. Mais ce soir le jeu toucherait à sa fin. Si elle en avait le courage. Elle l'aurait. Il le faudrait bien…
- « Alors, qu'est-ce qu'on a ? » s'enquit Nick en prenant place sur le canapé avant d'attirer Sara à lui d'un geste affectueux.
- « Nous, je ne sais pas » répondit la brunette avec un sourire taquin. « Mais toi, en revanche tu restes au labo… » ajouta t'elle en passant une main autour de son cou afin de se maintenir sur ses genoux.
- « Allez, je me sens bien » rétorqua le texan, malicieux. « Je suis prêt pour un peu d'action ! »
- « Je suis désolé de te décevoir mais Sara a raison. Pas de terrain pour toi aujourd'hui » fit Grissom en entrant dans la pièce. « Tu aideras Catherine et Greg avec leur double meurtre. Dans un vignoble » expliqua t'il en tendant un papier à la femme blonde qui s'était approchée.
- « Génial… » commenta Nick, faussement blasé.
- « Warrick, Sara, vous êtes avec moi. On a une agression » reprit l'entomologiste sans même accorder un regard aux deux experts qu'il avait nommé.
La jeune brune se leva et serra tendrement la main de Nick, qui lui souriait, avant de sortir derrière Warrick, ignorant volontairement son supérieur et amant. Ce matin, elle avait réfléchi à la manière dont elle devrait s'y prendre. Pour rompre. C'était délicat. Mais très rapidement, une pensée s'était imposée d'elle-même. Il ne tenait pas à cette relation. C'était évident. Alors il ne dirait rien. Peut-être même serait-il soulagé, voire content qu'elle fasse le premier pas. Cette perspective ne la faisait pas sourire. Leur relation comptait pour elle. Cela ne faisait qu'une semaine qu'ils étaient 'ensembles', mais cela faisait 10 ans qu'elle l'aimait. Disons, peut-être pas 10… Mais au moins 5. De fait, l'une des choses qui la rendaient malade était de se dire qu'elle l'avait peut-être eu à l'usure en fin de compte.
En tous cas c'est ainsi qu'elle le voyait. Il l'avait toujours repoussé depuis qu'elle était arrivée à Vegas et puis finalement il avait cédé. Pourquoi ? Parce qu'il s'ennuyait ? Parce qu'il n'avait trouvé personne d'autre ? Parce Terri Miller s'était mariée ? Parce qu'il avait besoin d'une distraction ? S'était-il résigné 'faute de mieux' ? Après tout c'était un homme et, avec elle, il avait ce qu'il voulait sans rien payer… Elle secoua fermement la tête pour chasser cette pensée. Non, elle dérivait, là. Il n'était pas comme ça. Pas lui. Il ne pouvait pas se servir d'elle. Mais aurait-il pu entamer une relation avec elle juste parce qu'elle le voulait, elle, en dépit de ce qu'il ressentait, lui ? Elle n'avait pas la réponse à cette question. Et elle ne voulait pas y réfléchir…
- « Sara ? Sara, tu es sûre que tu vas bien ? » demanda Warrick en négociant un virage dans une rue de Las Vegas.
- « Oui, oui… » répondit distraitement la jeune femme en reprenant doucement ses esprits. Mentalement, elle bénit Brass pour être venu chercher Grissom, lui épargnant sa présence durant le trajet jusqu'à la scène de crime.
- « Non, ça ne va pas » énonça très sérieusement le jeune afro-américain en se tournant vers sa passagère. Elle ne nia pas, ça n'aurait servi à rien. Et puis ce n'était pas une question. « Sara, qu'est-ce qui ne va pas ? » l'interrogea t'il, l'air concerné. « Ne me dis pas 'rien' » la mit en garde l'expert. « Tu as l'air d'un fantôme. Pâle, les traits tirés, l'air absent. Et je ne suis pas le seul à le penser… Nous sommes inquiets pour toi, Sar' »
- « C'est compliqué » éluda la brunette tout en sachant qu'elle ne s'en sortirait pas comme ça. Pas avec Warrick. Et quelque part cela lui fit plaisir, lui réchauffa le coeur. Il était bon de savoir que l'on comptait pour quelqu'un.
- « Est-ce que… est-ce que ça a un rapport avec Grissom ? » hasarda le conducteur en s'arrêtant à un feu rouge. « Je pensais que… enfin, que vous étiez ensemble à cause de l'autre soir mais… » commença t'il avec précaution.
- « Nous ne sommes pas ensemble ! » le coupa sèchement Sara. Immédiatement, elle s'en voulut pour cette réaction bien trop brusque pour être honnête.
- « Pourtant je croyais que… » insista Warrick.
- « On n'est pas ensemble » répéta la jeune scientifique, plus doucement. « On couche ensemble, rien de plus » ajouta t'elle à mi-voix en fixant la voiture de Brass devant eux, luttant de toute ses forces pour dissimuler la douleur et le regret contenus dans cette phrase. Elle n'aurait pas du dire ça. Elle savait qu'elle n'aurait pas du mais elle se sentait étrangement soulagée après cette confession.
- « Tu es… tu es d'accord avec ça ? » articula difficilement son ami après de longues secondes de silence. Il paraissait sincèrement choqué mais pas vraiment surpris. Son regard était triste mais plein d'une tendre sollicitude quand il se posa sur elle.
D'accord ? Si elle était d'accord ? Là n'était pas la question. Il ne la forçait pas, c'était certain mais ça, Warrick devait déjà le savoir. Après… elle n'était pas vraiment en désaccord avec 'ça'. Elle aurait voulu plus, oui. Et elle souffrait de la situation actuelle, ça ne faisait pas de doute. Mais comment l'expliquer ?
- « Je n'ai pas dit non » lâcha t'elle seulement en posant son front sur la vitre froide derrière laquelle scintillait la ville de Vegas parée de ses plus beaux atours pour célébrer les fêtes de fin d'année.
- « Tu n'es pas heureuse comme ça » objecta Warrick, dénonçant l'évidence. « Ce n'est pas bon pour toi » ajouta t'il en posant sa main sur la sienne dans un élan d'affection fraternelle.
- « Je sais. C'est juste que… C'est quelque chose que j'ai tellement voulu et maintenant… maintenant c'est tellement loin de ce que j'avais imaginé… ça fait mal » avoua Sara. Voilà, elle avait mis le doigt dessus. Elle avait placé trop d'espoirs dans cette relation, elle l'avait idéalisée, elle l'avait rêvée et quand elle s'était réveillée, le cauchemar avait commencé.
Elle comprit pas exactement ce que marmonna Warrick en se garant derrière la voiture banalisée du capitaine, devant un immeuble d'habitation, mais elle distingua nettement 'Grissom', 'espèce d'enfoiré' et quelques autres jurons et menaces bien senties. Elle sourit malgré elle, touchée par la réaction de son coéquipier. Mais elle n'aurait pas du. Ils n'avaient pas besoin de tension dans l'équipe. Pas à cause d'elle. Sara retint le jeune scientifique alors qu'il défaisait sa ceinture de sécurité.
- « Il… Ce n'est pas de sa faute, War'. J'aurais du le savoir. Il n'a rien fait de mal. C'est… Grissom et… enfin, il n'a pas voulu ça » tenta d'expliquer la jeune femme. Le problème c'est qu'elle était elle-même dans une telle colère qu'il lui était difficile de tempérer Warrick.
- « Okay » acquiesça t'il, visiblement à regret. « Comme tu veux… Mais n'oublie jamais que je suis là si tu as besoin de moi » fit-il en accrochant son regard pour lui faire comprendre qu'il n'avait jamais été aussi sérieux qu'en cet instant. « Si tu as le moindre problème, appelle-moi. N'importe quand. Je ne plaisante pas. Si tu as besoin de casser la figure à cet imbécile » conclut-il avec un léger sourire.
- « Merci » répondit-elle en lui souriant à son tour avant de se détourner pour ouvrir sa portière.
- « Hey Sara ! » la rappela Warrick alors qu'elle était sur le point de quitter le véhicule. « Il ne te mérite pas… »
(Erease and rewind, The Cardigans)
- « Hélène Fletcher. 28 ans. Célibataire. L'appartement est saccagé. A priori, il s'agit d'une agression sexuelle. C'est la troisième cette semaine. La victime est très choquée » annonça Brass qui les attendait pour s'engouffrer dans le hall de l'immeuble. « Troisième étage, première porte à gauche en sortant de l'ascenseur. Mademoiselle Fletcher s'est enfermée dans sa chambre et refuse de laisser aucun homme l'approcher » continua t'il en se tournant vers Sara. « Le seul problème c'est qu'elle est sourde » ajouta t'il avec une légère grimace.
Grissom fronça les sourcils et porta un regard sévère sur ses coéquipiers avant de se retourner vers Brass. Sara soupira imperceptiblement. Ce genre de comportement avait tendance à l'énerver. Ils n'avaient pas été incorrects avec cette femme la dernière fois. Et elle ne l'avait certainement pas jugée, ni trouvée « différente ». Mais leur superviseur s'était immédiatement mis en tête que Warrick et elle avaient quelque chose contre les personnes souffrant de surdité, au moins un à priori. Leur accordait-il si peu de crédit ? Pourquoi ne pouvait-il pas lui faire confiance, ne serait-ce qu'une fois ? Il savait pourtant qu'elle apprenait de ses erreurs…
- « L'établissement du docteur Gilbert n'est pas très loin. Je pense qu'elle sera ravie de nous aider. Ça ira plus vite que de demander quelqu'un » trancha finalement l'entomologiste.
- « La fac pour sourds ? » s'enquit Jim. L'expert acquiesça. « Hélène Fletcher y est professeur d'histoire de l'art. Elle n'avait pas cours aujourd'hui » exposa le policier en relisant ses notes.
- « Je vais chercher Ann. Commencez à chercher des indices dans l'appartement et l'immeuble » lança t'il en direction de ses deux subordonnés avant de quitter l'endroit.
- « Je n'aime pas ce Docteur Gilbert, elle est trop sur ses gardes » commenta Warrick lorsque Grissom fut hors de vue.
Sara esquissa un sourire. Elle non plus ne l'aimait pas beaucoup mais dans son cas, cela relevait certainement plus de la jalousie qu'autre chose. La complicité de la femme et de l'entomologiste ne lui plaisait guère. Elle savait qu'ils se voyaient parfois, pour échanger quelques conversations en langage des signes. En fait elle n'était pas tant jalouse du temps qu'ils passaient ensemble mais de ce qu'ils partageaient. Il y avait quelque chose de spécial entre eux. Elle était sûre que le scientifique n'hésitait pas à lui parler de choses personnelles. Et depuis quand Grissom l'appelait-elle par son prénom ? Elle ferma les yeux un instant pour se reprendre. Il fallait vraiment qu'elle mette fin à cette liaison. Cela ne les menait nulle part et lui empoisonnait la vie.
- « Tu t'occupes de l'immeuble et de l'extérieur. Je prends l'appartement » proposa Sara.
- « Ça marche » approuva le jeune afro-américain en effectuant malicieusement une parodie de salua militaire. « A plus tard » fit-il en s'éloignant.
- « Jim, vous me montrez le chemin ? » reprit la brunette.
- « Avec joie » répondit le capitaine en l'invitant à monter dans l'ascenseur. « Je sais que vous signez » continua t'il, un petit sourire aux lèvres, alors que les portes se refermaient sur eux.
- « Vraiment ? » demanda la jeune femme, surprise, en souriant à son tour.
- « Je vous ai vu avec la petite la dernière fois, au labo » répondit-il. « Vous ne l'avez pas dit à Grissom » remarqua t'il, légèrement amusé.
- « Il ne me l'a pas demandé » répliqua la jeune femme, mi-sérieuse mi-espiègle.
- « Il va être furieux » souligna Brass. La brunette se contenta d'hausser les épaules. « Vous voulez voir la victime ? » suggéra t'il alors que les portes se rouvraient.
- « Pourquoi pas ? » fit Sara en le suivant dans l'appartement.
Il était manifeste que des gens s'étaient battus ici songea immédiatement la jeune experte. L'appartement – pas très grand mais de très bon goût – était sans dessus dessous. Vases cassés, meubles à terre, tableaux déplacés, bibelots éparpillés. Elle déposa son kit puis rejoignit la porte que lui désignait le policier. Elle frappa doucement – avant de se souvenir que ça ne serait d'aucune utilité à la personne présente de l'autre côté. Elle entra donc et, à sa grande surprise la jeune femme assise sur le bord du lit se tourna vers elle. Une jolie blonde d'à peine trente ans, le visage et les avant-bras bien amochés mais maintenant recouverts de bandages, les habits à moitié déchirés et tâchés de sang, le regard éperdu et brillant de larmes. Le cœur la brunette se serra et elle esquissa un sourire qui se voulait rassurant.
- « Bonjour » signa t'elle. « Je m'appelle Sara Sidle. Je travaille pour la police scientifique. Je suis ici pour vous aider. »
La jeune femme, visiblement bouleversé tenta de répondre mais ne put ni articuler un son ni placer correctement ses mains tremblantes.
- « Hey, ça va aller » signa à nouveau Sara en s'approchant doucement. « Vous ne risquez plus rien maintenant, je vous le promets. C'est fini. » Elle s'agenouilla devant la jeune blonde et posa une main gantée sur la sienne. « Je vais avoir besoin de vos habits, de faire des prélèvements sous vos ongles et de votre déposition, vous comprenez ? »
- « Oui » signa Hélène en retour, souriant bravement. « Je vais… je vais vous les donner. »
- « C'est parfait » reprit la jeune scientifique, encourageante. « Vous voulez boire quelque chose ? » proposa t'elle gentiment.
- « Non, merci » fit la professeur en secouant la tête de droite à gauche.
- « D'accord. Ecoutez, je sais que c'est très difficile pour vous et que vous n'avez aucune envie de vous souvenir de ça mais il va falloir que vous me racontiez ce qui s'est passé exactement avec le plus de détails possible, même ceux qui vous semblent anodins. Une impression, une odeur… »
Quand Grissom ouvrit la porte de la chambre, une demi-heure plus tard, il se figea sur le seuil, interloqué par la scène qui s'y déroulait. Sara était assise au pied du lit, entourée de différents sachets de prélèvement et faisait face à une autre jeune femme. Jusque là, rien de très anormal. Là où les choses devenaient moins évidentes, pour lui, c'est que les deux jeunes femmes conversaient… en langage des signes. La victime – du moins, il présuma que c'était elle – s'exprimait parfaitement, ce qui, somme toute était plutôt logique. Mais Sara aussi semblait relativement à l'aise et ses gestes étaient fluides. Il ne remarqua que de légères fautes grammaticales et peut-être un manque de vocabulaire habituel chez les personnes qui n'avaient appris que récemment à signer. Il ne put que sourire devant ce spectacle. Il n'était même pas vraiment étonné. Cette femme était parfaite… et il l'adorait.
- « Sara ? » l'interpella t'il au bout d'un moment. « Je voulais te prévenir que le docteur Gilbert était arrivée » fit-il alors que la brunette redressait la tête pour le regarder. « Mais manifestement tu te débrouilles aussi bien toute seule… » ajouta t'il avec un léger sourire en coin.
- « J'arrive » lui répondit-elle seulement avant de se retourner vers Hélène. « Je vais devoir vous laissez un moment, mais Ann Gilbert est là. Elle restera avec vous et vous accompagnera à l'hôpital pour que vous soyez examinée. Vous la connaissez je crois ? » signa t'elle à l'attention de la blonde qui acquiesça.
- « Vous ne pouvez pas rester avec moi ? » signa Hélène, encore terrifiée, en retenant Sara par la manche alors qu'elle se relevait.
- « Je vous rejoindrais à l'hôpital, mais je dois encore rester un peu ici si on veut trouver celui qui vous a fait ça. Et je ferais tout mon possible pour le retrouver et m'assurer qu'il ne recommence pas, d'accord ? » expliqua la jeune experte en signant. Son interlocutrice acquiesça à nouveau et murmura un merci avant de laisser Sara s'éloigner.
La brunette passa devant Grissom et le docteur Gilbert sans un mot. Si elle leur parlait maintenant, elle ne pourrait pas rester professionnelle. Ça lui semblait évident. Pas seulement parce qu'elle en voulait à l'entomologiste. Pas seulement parce qu'elle ne supportait pas l'autre femme. Et pas seulement parce que les affaires de viol avait toujours une fâcheuse à la toucher plus que de raison. Mais pour toutes ses raisons à la fois.
- « Jim ? » appela Sara en passant dans la pièce principale. « Il faudrait qu'un officier accompagne mademoiselle Fletcher à l'hôpital. Une femme » précisa t'elle.
Le capitaine acquiesça avec un regard entendu et s'adressa à ses hommes afin d'accéder à sa requête.
- « Je n'aurais jamais imaginé que vous puissiez connaître le langage des signes » remarqua le docteur Gilbert en se tournant vers Sara, quelques minutes plus tard, alors qu'une jeune policière aidait Hélène à enfiler un manteau.
- « Alors il faut croire que les préjugés ne sont jamais à sens unique » se contenta de répondre la jeune scientifique, acerbe, sans lever les yeux, faisant mine de se concentrer sur l'étiquetage des indices qu'elle avait recueillis.
- « Hey, Sara, encore au boulot ? » fit Nick en entrant dans un labo, tout sourire. « Tu sais que la journée est finie depuis approximativement… une heure et trente-huit minutes ? » ajouta t'il en venant s'asseoir devant la table d'étalement aux côtés de la brunette, après avoir jeté un coup d'œil à sa montre.
La jeune femme releva la tête des preuves qu'elle était en train de classer. Bien sûr elle savait qu'elle aurait du rentrer. Mais quitter le LVPD signifiait devoir affronter Grissom. Parce qu'elle s'était promis que ce serait fini ce soir. Qu'elle ne jouerait pas la comédie une autre nuit. Pourtant maintenant que l'heure était arrivée… Elle savait qu'elle devait le faire. Elle n'avait pas vraiment le choix. Mais elle appréhendait. Ils n'avaient rien décidé pour ce soir et du coup elle n'était pas très sûre de ce qui allait se passer. Bon, objectivement ils ne 'décidaient' jamais de rien. C'était plutôt une sorte d'accord tacite entre eux. Elle rentrait chez elle, se changeait, faisait quelques petites choses, relevait son courriers, ses appels et puis elle allait chez lui. Parce qu'il n'aurait pas fallu qu'on les voit partir ensemble…
Pour être totalement honnête, ce soir, il n'y avait pas que ça. Cette affaire, avec Hélène… Elle voulait être sûr que ce salop ne puisse pas passer au travers des filets de la justice. Elle voulait être sûre qu'il passe au moins les 30 prochaines années derrières des barreaux. Donc elle prêtait une attention et un soin tout particuliers à son rapport et au traitement des indices. Sara sourit cependant à Nick, contente de l'intervention de son ami. Elle ne l'avait pratiquement pas vu de la semaine et il lui manquait. Elle réalisa qu'en fait ils n'avaient même pas parlé depuis sa sortie de l'hôpital. Disons, mis à part leurs longues discussions au téléphone lorsqu'il était au Texas.
- « Warrick m'a dit que vous aviez arrêté le coupable. Bien joué » poursuivit le jeune expert en se tournant vers sa collègue.
- « Merci » se contenta de répondre Sara. Elle n'avait pas vraiment envie d'en parler. Elle avait passé deux bonnes heures à assurer une jeune victime qu'elle n'était en aucun cas coupable, ni même en partie responsable de son agression. Ce à quoi la jeune blonde croyait dur comme fer. Imaginant sans doute que sa surdité la rendait plus vulnérable et que c'était à cause de ça qu'elle s'était faite agresser. La brunette avait du longuement lui expliquer qu'elle n'avait pas été attaquée parce qu'elle était sourde mais parce que son agresseur était un dangereux psychopathe… Nick sembla comprendre que ce n'était pas un sujet à aborder et continua donc sur un ton plus léger.
- « Dis-moi, je me demandais si tu avais envie de partager ton dîner avec un vieux cow-boy solitaire ? » proposa le texan, un grand sourire aux lèvres, les yeux pétillant de malice.
Si elle en avait envie ? Evidemment. Rien ne pouvait lui faire plus plaisir à l'instant. Mais ce soir elle avait quelque chose – de beaucoup moins réjouissant – à faire. Quelque chose qu'elle ne pouvait pas reporter. Elle allait donc gentiment décliner son invitation, et la reporter au lendemain, quand Catherine passa la tête dans l'entrebâillement de la porte.
- « Salut vous deux » lança la femme blonde en souriant. « Grissom m'envoie vous dire que vous pouvez rentrer chez vous… J'ai réussi à le convaincre de sortir de sa tanière et de venir dîner à la maison, ça fait une éternité que Lindsay ne l'a pas vu » ajouta t'elle sur un ton de conspiratrice en enfilant sa veste. « Bonne soirée et à demain ! »
- « Alors ? » demanda Nick en reportant son attention sur Sara une fois que leur coéquipière eut disparue dans le couloir.
- « Okay… » fut tout ce que pu répondre la jolie brune, encore sous le choc.
- « Génial ! » s'exclama le jeune homme avec un enthousiasme non feint. « Je t'attends sur le parking dans dix minutes » la prévint-il avant de déposer un baiser sur sa tempe et de 'bondir' en dehors de la pièce.
Sara eut un sourire attendri qui se transforma rapidement en sourire désabusé. 'Il' n'avait même pas pris la peine de venir lui dire en face qu'ils ne se verraient pas ce soir. 'Il' avait envoyé un messager pour lui faire savoir qu'elle n'avait plus qu'à rentrer chez elle et à attendre un hypothétique coup de fil comme la gentille petite fille qu'elle était. Elle n'y croyait pas… Avait-il vraiment si peu de considération pour elle ? Ce n'est pas que le fait qu'il aille dîner chez Catherine lui posait un véritable problème. A vrai dire elle trouvait ça plutôt bien et ne désirait rien d'autre que de passer la soirée avec son meilleur ami. Elle n'était pas pour les relations exclusives et étouffantes. Elle ne voulait qu'ils mettent leurs amis de côtés sous prétexte qu'ils étaient ensemble mais là… Il aurait quand même pu la prévenir.
Elle décida fermement de ne plus y penser. Elle voulait rompre, parfait. Il venait de lui donner une nouvelle raison de le faire. Et si la confrontation n'avait pas lieu ce soir, tant pis puisque de toute façons ils ne se verraient pas. Maintenant elle allait ranger tout ça et profiter de ce répit pour passer du temps avec Nick. Ils dîneraient tranquillement, ils discuteraient de tout et de rien, ils s'amuseraient comme des enfants. Ce serait parfait. Juste ce qu'il lui fallait pour se détendre. Pour la première fois depuis une semaine elle ne serait pas obligée de jouer un rôle. Elle pourrait être elle-même…
