(Miss independent, Kelly Clarkston)

- « Tu es sûre que tu ne peux pas rester ? » demanda Grissom pour – approximativement – la dixième fois de la soirée.

Assis sur un des hauts tabourets qui bordait le comptoir de sa cuisine, l'entomologiste, la mine sombre, faisait rouler un verre de vin rouge entre ses doigts. Ce soir Sara devait sortir avec Nick, Warrick et Tina – sa toute nouvelle femme. Tandis que lui dînait avec Catherine. Il n'avait aucun problème avec le fait qu'elle sorte avec les gars ni avec celui de se retrouver en tête à tête avec Catherine mais… Il savait qu'il aurait été le bienvenu en accompagnant Sara. D'ailleurs il avait été invité. Et il avait aimablement décliné l'invitation pour passer une soirée avec son amie. Officiellement pour la soutenir. Depuis que Warrick s'était marié, les relations entre l'afro-américain et la blonde s'étaient indubitablement dégradées. Et tout le monde avait très bien compris pourquoi.

Mais à présent, le jeune expert ne sortait guère sans sa femme et Catherine avait encore du mal à supporter la vue de leur heureux couple. Donc, la plupart du temps, elle préférait ne pas venir. Bien que ne prenant pas parti, l'amitié de Grissom allait naturellement à sa plus vieille connaissance. A Catherine. Sara, en revanche avait toujours été plus proche des garçons. Et elle s'était immédiatement liée d'amitié avec Tina. A tel point que les deux jeunes femmes passaient une partie de leur temps libre ensemble à faire les boutiques par exemple. D'où certaines tensions lorsqu'ils devaient 'choisir' entre les deux 'partis'. En soit, passer des soirées séparées n'étaient pas une mauvaise chose. Ils étaient ensemble depuis près de six mois maintenant. Ils vivaient ensemble.

Et s'ils chérissaient chaque moment passé en tête à tête, leurs caractères respectifs les inclinaient à ne pas être constamment l'un avec l'autre… Ils s'aimaient. Vraiment. Ils s'adoraient. Littéralement. Et plus ils apprenaient à se connaître plus ils savaient qu'ils ne pourraient jamais être aussi heureux qu'ensemble. C'était une évidence. D'ailleurs, selon les propres termes de Greg, ils irradiaient quand ils étaient tous les deux. Ils n'avaient pas nié. Ils auraient eu du mal. Quoiqu'il en soit, ce soir, Grissom rechignait à se séparer de l'amour de sa vie comme il se plaisait à l'appeler pour la faire enrager – ce n'est pas qu'elle détestait l'idée mais l'expression l'horripilait.

- « Griss… » fit Sara depuis la chambre, la voix teintée d'exaspération. « J'ai promis que je viendrais avec eux. C'est prévu depuis très longtemps. Et j'ai envie d'y aller » ajouta t'elle en faisant son apparition dans le salon.

- « J'avais dit à Catherine que tu serais là… » commença t'il en se retournant avant que le reste de la phrase ne meure sur ses lèvres. Il manqua de faire tomber son verre. L'apparition de Sara lui avait coupé le souffle. Elle était merveilleuse.

- « Eh bien tu n'aurais pas du » répliqua la brunette plus agacée qu'elle ne l'aurait voulu, mettant ainsi fin à la discussion. Elle était manifestement inconsciente de l'effet de sa tenue et de son allure générale sur l'entomologiste.

Le tissu de sa courte robe de satin marron crissa légèrement lorsqu'elle se pencha sur l'affectueux félin qui ronronnait à ses pieds. Ses boucles brunes, brillantes et bien dessinées, retombèrent gracieusement sur son visage alors qu'elle caressait la fourrure chocolat du petit animal. Grissom nota, la gorge sèche, que non seulement sa robe suggérait admirablement ses formes harmonieuses mais qu'elle révélait également une appréciable proportion de ses fines jambes fuselées. Son maquillage était plus recherché nota t'il avec un plaisir évident et une moins évidente pointe de jalousie, de possessivité peut-être. Une ombre mordorée sur la paupière. Un trait de khôl sous les yeux. Une touche de blush sur les pommettes. Un éclat rosé sur les lèvres. Un délicat bracelet d'or au poignet.

Se sentant observer, la jeune femme se releva lentement et ne put que sourire en croisant le regard appréciateur et terriblement tendre de son amant. Elle secoua ses boucles brunes, amusée par son air boudeur. C'était une expression à elle. Cette petite moue enfantine et adorable. Il avait finit par la lui emprunter à force de la voir en user sans pouvoir y résister. Après une dernière caresse à Lily, qui jouait maintenant avec la lanière de ses sandales, Sara s'approcha de Grissom jusqu'à se retrouver debout entre ses jambes, face à lui. Il glissa ses mains autour de la taille de la brunette, froissant le doux tissu de la robe sous ses doigts, et l'attira encore davantage contre son torse. Elle ne protesta pas et se saisit du verre sur le comptoir avant de prendre une gorgée du liquide pourpre qu'il renfermait.

- « Je sais que ce n'est pas facile pour elle en ce moment… » admit la jeune femme en reposant le verre. Elle se retourna vers Grissom alors que ses doigts jouaient distraitement avec le col de la chemise de l'entomologiste. « … mais elle aurait du y penser avant. Vous êtes beaucoup plus semblables que vous le croyez » ajouta t'elle avec un léger sourire sans que Gil puisse déterminer s'il s'agissait d'une bonne ou d'une mauvaise chose.

Mauvaise chose trancha t'il cependant quand il sentit le corps de Sara se tendre imperceptiblement sous ses mains. Il exerça une affectueuse pression sur ses hanches. Mais elle ne sembla même pas s'en apercevoir et continua en fixant vaguement un point au dessus de l'épaule de Grissom.

- « Warrick lui a laissé du temps, Griss. Beaucoup de temps » énonça la jeune femme. « Ça faisait combien ? Sept ans ? Huit ? Elle aurait pu faire quelque chose. Elle aurait du faire quelque chose. Elle ne peut pas lui en vouloir maintenant de vivre sa vie. Il a été patient mais elle ne pouvait penser qu'il l'attendrait toute sa vie. Elle a déjà une famille. Pas lui et il mérite d'en avoir une. Tina est parfaite pour lui. Elle n'a pas joué avec lui. Elle l'aime vraiment » conclut Sara, le regard flamboyant.

- « Tu penses que j'ai joué avec toi ? » s'enquit l'entomologiste, soucieux en fronçant les sourcils.

Conservant un bras autour de sa taille, Gil leva l'autre et sa main vint effleurer la joue de la jolie brune dans caresse timide, presque aérienne. Qu'avait –il donc bien pu faire pour mériter cette deuxième chance ? Pour la mériter, elle ? Elle avait souffert à cause de lui et malgré tout elle lui avait pardonné. Jamais il ne pourrait lui être assez reconnaissant pour ça. Jamais il ne réussirait à effacer cette dette. Et Dieu sait qu'il n'en était pas fier. Il pouvait juste l'aimer, de toute son âme… Un soupir s'échappa des lèvres entrouvertes de Sara. Elle ferma les yeux un instant et pencha la tête afin de mieux savourer la sensation de sa paume chaude contre sa peau. Voilà pourquoi elle ne voulait pas parler de ça avec lui. Particulièrement en ce moment.

- « Je ne pense pas que tu l'ais fait 'consciemment' mais… oui » avoua la jeune experte en évitant consciencieusement son regard.

- « Sara… » fit Grissom alors qu'il prenait son menton dans sa main, l'obligeant ainsi à se tourner vers lui. « Jamais, jamais je n'ai voulu ça. Tu le sais, n'est-ce pas ? »

- « Je le sais » répondit-elle dans un murmure à peine audible, touchée par l'amour et la douleur qui transparaissait dans sa voix.

Il passa sa main sur la nuque de Sara, sous ses boucles brunes et l'attira contre son torse. Il posa ses lèvres sur la chair tendre de son cou et la berça doucement alors qu'elle se laissait aller dans ses bras. Ils restèrent ainsi pendant de longues minutes. Ils y avaient encore certains sujets qu'ils n'avaient pas abordés, certains souvenirs douloureux qu'ils avaient préférés mettre de côté… pour l'instant. Ils avaient encore quelques vieux démons à exorciser avant de pouvoir réellement aller plus loin dans leur relation. Mais ils avaient le temps, cela viendrait petit à petit, naturellement. Ils avaient déjà parlé. Beaucoup. Ils avaient déjà partagé leurs craintes et leurs espoirs. Ils y arrivaient d'ailleurs nettement mieux qu'ils l'avaient cru tout d'abord. Disons que les conversations sur l'oreiller aidaient beaucoup…

- « Ça va aller ? » chuchota Grissom contre sa tempe avant d'y déposer un baiser.

- « Ça va aller » confirma Sara à voix basse, les paupières closes.

L'entomologiste s'écarta légèrement d'elle et la contempla jusqu'à ce qu'elle rouvre les yeux. Il embrassa avec délice son sourire naissant. Puis ses lèvres glissèrent le long de son menton, de sa gorge pour remonter dans son cou jusqu'au lobe de son oreille qu'il titilla un moment. Il s'empara à nouveau de ses lèvres avec fièvre comme pour effacer toutes ces fois où il l'avait faite souffrir. Elle répondit au baiser en nouant ses mains autour de sa nuque. Quand ils se séparèrent finalement, à bout de souffle, ils souriaient tous les deux.

- « Tu sais ce que je préfère dans le fait de vivre avec toi ? » fit Gil avec malice tout en traçant du pouce de petits cercles dans le bas de son dos.

Elle secoua la tête de droite à gauche en signe de négation, une lueur espiègle dans le regard. Elle avait bien quelques idées mais elle se doutait que s'il posait la question c'est qu'il avait une idée bien précise derrière la tête. Et sa curiosité était piquée.

- « Vivre avec toi » fut sa réponse et il l'accompagna d'un sourire charmeur. « Tu es vraiment sûre de devoir sortir ? » demanda t'il avec des yeux de chien battu.

- « Griss… » le menaça Sara, plus amusée que réellement fâchée.

- « D'accord, d'accord, mais tu ne peux pas m'empêcher d'essayer » rétorqua Grissom alors que son sourire s'élargissait encore. « Et puis j'ai un prénom je te signale » la taquina t'il.

- « Okay, Gil » reprit-elle, faussement sérieuse, en posant son front contre le sien. « Mais ça ne change rien. Nick devrait arriver dans… » Elle jeta un coup d'œil à la pendule. « … trois minutes et j'ai promis à Tina de l'aider à supporter les gars » expliqua la jeune femme. « Tu diras bonsoir à Catherine de ma part » termina t'elle en cherchant à se dégager de l'emprise de l'entomologiste qui se faisait un jeu de la retenir. « Arrête ! » fit-elle en rigolant.

- « Je t'aime » énonça très sérieusement le scientifique, les yeux rivés aux siens avant de nicher sa tête contre la poitrine de la brunette qui passait tendrement ses doigts dans les courtes boucles poivre et sel de sa nuque.

De vigoureux coups de sonnettes raisonnèrent dans la maison et brisèrent la magie de l'instant. Nick… fut la pensée commune des deux amants. Et à l'instant même une certaine envie de meurtre fit son chemin dans leurs deux esprits. Finalement, c'est Sara qui rompit l'étreinte et Gil la laissa partir à regret.

- « Passe une bonne soirée » lança t'elle avant d'attraper son sac et de serrer brièvement la main de l'entomologiste.

- « Toi aussi » fit-il en enlaçant ses doigts aux siens quelques précieuses secondes de plus pour finalement la relâcher à regret.

Sur le chemin de la porte elle s'arrêta un instant pour vérifier l'état de son maquillage dans le miroir. Elle replaça quelques boucles rebelles, pinça ses lèvres puis fit les quelques pas qui la séparaient de la sortie. Mais au dernier moment, elle fit demi-tour sous les yeux ébahis de Grissom qui la regarda faire sans un mot, les sourcils froncés. Sans hésitation et indifférente à Nick qui s'impatientait derrière la porte, elle s'avança vers lui et déposa un bref mais tendre baiser sur ses lèvres.

- « J'aime » fit-elle au creux de son oreille avant de repartir rapidement et de disparaître derrière la porte dans un froissement de satin, sans lui laisser le temps de pouvoir répondre.

Une fois seul Grissom sourit. Elle l'avait dit. Elle l'avait vraiment dit. Il savait qu'elle l'aimait. Elle le lui avait prouvé de bien des façons. Mais l'entendre le lui dire… Ils n'étaient ni l'un ni l'autre très doué dans ce domaine. Et exprimer leur sentiment à l'oral était une chose dont ils n'avaient pas l'habitude – ça et les démonstrations publiques d'affection. Ils savaient qu'ils s'aimaient. Ils se le prouvaient. Mais ils ne se le disaient pas. Ou très rarement. En fait il était presque plus 'démonstratif' qu'elle. Ces mots là avaient franchi ses lèvres en quelques occasions durant ces six mois mais ils n'avaient jamais franchi celle de la jeune femme. Mais si elle était prête à l'avouer maintenant c'est qu'elle croyait vraiment en lui, en eux. Et ça c'était sans doute le plus beau cadeau qu'elle ne puisse jamais lui faire.

Quittant finalement cet état de béatitude qui lui était fort peu coutumier, il se leva. Catherine n'allait pas tarder et quelques petites préparations étaient encore nécessaires pour le dîner qu'il avait prévu. Steak tartare. Certains y auraient vu un désir de compenser le régime sans viande qu'il avait adopté – de sa propre initiative – en vivant avec Sara. Mais la vérité était que c'était un peu le plat rituel de ces dîners entre amis. Entre Catherine et lui. Arrivé devant le réfrigérateur, son regard se porta naturellement sur une série de quatre petites photos alignées verticalement. Sara et lui. Front contre front. Dos à dos. Joue contre joue. Et lèvres contre lèvres. Gil se souvint avec amusement du jour où elle l'avait entraîné – ou plutôt traîné – dans un photomaton.

Il avait surtout râlé pour la forme parce que l'air ravi qu'elle avait affiché à l'idée de prendre ces photos l'avait immédiatement convaincu. Et il ne le regrettait absolument pas. Il passa à la photo suivante, plus classique, sur laquelle Sara posait – rieuse – dans un parc, une adorable petite fille blonde dans les bras. Brenda. Dans le passé, il avait souvent reproché à Sara de trop s'investir dans ses enquêtes, émotionnellement parlant, mais parfois il se disait que c'est peut-être elle qui avait raison. Quand il la voyait avec Brenda… Cette enfant avait perdu la quasi-totalité de sa famille – ses frères, sa mère et son père qui abusait d'elle – mais avec Sara elle semblait revivre. D'ailleurs pendant un moment la brunette avait la seule avec laquelle la fillette acceptait de communiquer.

C'est pour elle que la jeune experte avait appris la langage des signes puisque Brenda avait refusé de reparler pendant près d'un an. Encore une chose pour laquelle il admirait la jeune femme. Sur la photo du dessous, il ne put s'empêcher de caresser du doigt le visage souriant de la jolie brune. Il y avait toute l'équipe sur celle-ci. Plus loin Warrick, sa femme, Nick et Sara. Puis Lindsay et sa mère… Afficher des photos à cet endroit ne serait jamais venu à l'esprit de l'entomologiste mais l'effet lui plaisait. Et il lui plaisait d'autant plus que ces images étaient une preuve de la présence de Sara. Ça et les tulipes sur la table basse du salon. Les DVD de Stargate à côté de la télé. Les pots de nutella dans les placards. Les livres de Jane Austen sur les étagères. Le tofu dans le frigidaire. Les bijoux sur la commode de leur chambre. Les cadres sur les murs. Les escarpins dans le dressing. Les coussins multicolores sur le canapé. Son parfum dans la salle de bain. Toutes ces petites choses qui faisaient de cette maison un endroit plus chaleureux, plus vivant…