Does it seem like I'm looking for an answer

To a question I can't ask

I don't know which way the feather falls

Or if I should blow it to the left

All the voices that are spinnin' around me

Trying to tell me what to say

Can I fly right behind you

And you can take me away

(Nightingale, Norah Jones)

Chapitre 2: Où Harry fait de même

Harry Potter ne dormait pas. Cela faisait plusieurs heures que lui et son parrain étaient allés se coucher après avoir nourri Buckbeak, et cela faisait autant d'heures qu'il se retournait sous ses couvertures. Encore un jour de moins où il avait trouvé le courage de parler à Sirius… Jusqu'à la dernière minute, il avait réfléchi à la manière dont il pourrait bien commencer une discussion. Il s'était même demandé s'il ne ferait pas mieux de se lancer tout simplement, quitte à bredouiller n'importe quoi au départ. Mais lorsque Sirius et lui s'étaient retrouvés chacun devant leur porte, la seule chose qu'il avait réussi à faire, c'était de souhaiter bonne nuit à son parrain. Puis il était entré dans sa chambre, s'était assis sur son lit, et s'était traité d'imbécile.

Quand il était chez les Dursley ou à Poudlard, il souhaitait toujours pouvoir voir Sirius et lui parler, et maintenant qu'il vivait dans la même maison que lui, il ne savait pas quoi faire. Dire qu'il était censé sauver le monde des sorciers, mais qu'il était incapable d'avoir une conversation suivie avec son propre parrain ! C'était tout bonnement ridicule ! Jusque-là, il s'était toujours trouvé des excuses, invoquant le fait qu'il y avait trop de monde autour d'eux, par exemple, et que le moment n'était peut-être pas choisi. Mais aujourd'hui, franchement, il n'en avait aucune: ils étaient seuls, et ils n'avaient strictement rien à faire. Et pourtant, cela n'avait fait aucune différence.

Harry se retourna une nouvelle fois. Il n'aimait pas cette maison, il n'aimait pas cette chambre, et en particulier le portrait qui en ornait le mur. Et si lui se sentait si mal dans cette ancienne demeure, il n'osait pas imaginer l'effet qu'elle devait avoir sur Sirius. Lui, au moins, il avait la perspective de rejoindre Poudlard à la fin des vacances, mais son parrain resterait encore enfermé ici pendant Merlin savait combien de temps…

Voilà encore un sujet qu'il aurait voulu aborder avec Sirius. Un parmi d'autres. C'était peut-être ça le problème ? Il y avait tellement de questions qu'il aurait voulu poser, tellement de choses qu'il aurait voulu connaître au sujet de ses parents et des Maraudeurs… qu'il ne savait finalement pas par où commencer. Il fallait avouer qu'il n'était pas franchement habitué à avoir le droit de poser des questions, non plus. En général, les Dursley n'appréciaient pas trop qu'il demande quoi que ce soit, même s'il ne s'agissait que du sel à table. De plus, Sirius et lui n'avaient eu que très peu d'occasions de se parler face à face. Ils s'étaient surtout écrit, mais que peut-on écrire dans une lettre quand on a peur qu'elle soit interceptée par le Ministère ou par Voldemort ?

Fatigué de rester couché sans que cela ne serve à rien, Harry se leva et alla se placer devant la fenêtre. Pour la vue qu'elle offrait, cela ne valait pas vraiment la peine, mais c'était toujours différent du plafond qu'il fixait depuis de si longues heures.

Le problème, aussi, c'est qu'il refusait d'inquiéter Sirius. Harry craignait que son parrain, s'il avait le moindre doute sur son bonheur, sa sécurité ou sa santé, se mette dans des situations impossibles pour essayer de l'aider. Et Sirius avait déjà suffisamment souffert sans avoir en plus à risquer sa liberté, ou sa vie, pour lui. Harry savait très bien que l'ancien Maraudeur se sentait responsable de la mort de ses parents, et qu'il faisait tout ça pour se racheter. Mais il n'était pas coupable, même s'il refusait de le croire. Et il avait le droit de profiter de sa vie. On lui en avait déjà volé douze ans…

Les mains de Harry se crispèrent sur le rebord de la fenêtre. C'était injuste, tellement injuste !

A chaque fois que Harry pensait à ce que Sirius avait vécu, sa poitrine se contractait. Sa famille l'avait rejeté. Un de ses meilleurs amis l'avait trahi et condamné à passer ce qui aurait dû être sa vie entière à Azkaban. On l'avait envoyé là-bas sans aucune forme de procès. Tout le monde, même ceux qui le connaissaient bien, l'avait cru coupable, et personne n'avait rien fait pour lui. Et il avait passé douze ans à ressasser ses remords et sa rage, sans espoir d'en sortir. Douze ans en compagnie de Détraqueurs… Quand Harry y songeait, il en était malade. Lui-même n'avait été soumis à l'influence de ces créatures que quelques fois, mais cela faisait partie de ses pires souvenirs… Il n'arrivait même pas à imaginer ce que cela pouvait faire d'y être constamment confronté, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et cela pendant des années.

Heureusement, Sirius avait réussi à s'échapper. Mais il avait ensuite passé deux ans à fuir, sans pouvoir prouver son innocence. Entre-temps, il avait même failli recevoir le baiser du Détraqueur. Harry vivait dans la constante crainte que cela se produise à nouveau. C'était, à son avis, la pire chose qui pouvait arriver à qui que ce soit. Et maintenant, Sirius était enfermé ici, dans ce manoir où il aurait voulu ne jamais remettre les pieds, à voir les autres membres de l'Ordre partir en mission, sans pouvoir jamais rien entreprendre. Au lieu de cela, il devait écouter le portrait de sa mère le traiter de tous les noms, subir les sarcasmes de Snape, et supporter les remarques de Madame Weasley…

Harry appuya sa tête contre la vitre froide. Pourquoi donc ne pouvaient-ils pas au moins le laisser tranquille ?

Harry avait toujours beaucoup aimé la mère de Ron. C'était même la seule personne qui se soit jamais comportée comme une mère pour lui. Mais quand elle critiquait Sirius, il n'était pas loin de la détester. Il savait qu'elle pensait faire ce qu'il y avait de mieux pour lui, mais il fallait qu'elle comprenne qu'il n'était pas son fils. Harry se sentait flatté qu'elle le considère ainsi, mais les Weasley, c'étaient la famille de Ron, pas la sienne. Sa famille, c'était Sirius… et Remus, aussi. Les deux derniers Maraudeurs.

A cette pensée, Harry sourit. Padfoot et Moony

C'était la seule famille dont il voulait, d'ailleurs. Elle avait beau être petite, et bizarrement composée, il s'en fichait. Auprès d'eux, il se sentait à sa place. Ils avaient chacun leurs "cicatrices" à porter, et c'était sans doute pour ça qu'ils se comprenaient si bien.

D'un autre côté, Harry avait peur qu'à cause de lui, Sirius n'ait jamais la chance de reconstruire sa vie. Il savait que son parrain se sentait obligé de remplir la dette qu'il croyait avoir envers à son père. Mais il ne voulait pas représenter une charge pour Sirius. Après tout, Harry n'était que son filleul. Sirius l'avait à peine connu avant d'être jeté en prison. Si ça se trouvait, il aurait peut-être voulu fonder sa propre famille… Une vraie famille, pas comme celle qu'il avait connue étant enfant. Ou alors il préférerait être carrément libre, sans attache d'aucune sorte. Et Harry s'en voulait.

Son souffle avait couvert la vitre de buée. Ne voyant plus rien à l'extérieur, Harry se mit à faire les cent pas dans sa chambre.

Harry s'en voulait, parce qu'il savait pertinemment qu'il avait besoin de Sirius. Et il avait honte. Après tout, il avait déjà quinze ans : il n'était plus un bébé. Ron, lui, protestait quand sa mère l'embrassait ou le prenait dans ses bras. Harry, au fond de lui, aurait bien voulu recevoir de telles marques d'affection. Il aurait voulu se sentir rassuré. Étrangement, il avait l'impression, quand Sirius était là, que rien ne pouvait lui arriver. Il savait que c'était idiot, mais cette pensée était agréable. Sirius ne faisait peut-être pas partie de sa famille, mais il comptait infiniment plus pour Harry que tous les Dursley de l'univers. Il aimait l'idée que quelqu'un s'inquiète pour lui, et qu'il avait une personne vers qui se tourner en cas de problème.

Harry tournait toujours en rond, prisonnier de ses pensées autant que de ces quatre murs.

Seulement, il n'osait pas le montrer à Sirius. Il avait peur d'être ridicule. Si, bébé, il avait peut-être essayé de se montrer affectueux envers son oncle et sa tante, ses efforts avaient vite été découragés. En fait, il n'avait jamais appris à montrer ses sentiments. Ce qui faisait qu'il se posait beaucoup de questions sur ceux qu'il éprouvait pour Sirius. Sirius Black, son parrain. C'était quoi, un parrain ? Un ami ? Harry n'avait pas du tout la même relation avec Sirius qu'avec Ron. Une sorte de frère aîné ? Ça y ressemblait déjà plus: Harry voyait Sirius comme quelqu'un à qui il pouvait demander conseil, mais aussi avec qui il pouvait plaisanter. Quoique… il représentait encore plus que ça pour lui. Alors… un père ? Mais Sirius n'était pas son père. Harry savait qui était son père, et il savait aussi qu'il ne le connaîtrait jamais.

Harry retourna près de la fenêtre et s'adossa contre la vitre. Ses yeux vinrent se poser sur le haut de son armoire, là où se trouvait l'Eclair de Feu que Sirius lui avait offert.

Quand il y pensait, la confiance absolue qu'il avait en Sirius était étrange, d'ailleurs. Harry ne comprenait toujours pas pourquoi il l'avait soudain cru, cette fameuse nuit dans la Cabane hurlante. Mais ce qui était sûr, c'est qu'à partir de la minute où il avait fait confiance à cet homme qu'il ne connaissait pas, il avait décidé qu'il ferait n'importe quoi pour lui. Sirius le méritait. Après tout, il s'était quand même enfui d'Azkaban pour le protéger. Lors du tournoi des Trois sorciers, il avait même vécu des semaines dans une grotte, à se nourrir de rats. La question était: est-ce que Harry méritait tout cela ? Non. Il ne méritait sans doute pas que Sirius gâche ce qui lui restait de sa vie pour lui.

Harry se décolla soudain de la fenêtre et se mit à fouiller dans l'armoire, à la recherche de l'album de photos que Hagrid lui avait donné. L'ayant enfin trouvé, il s'assit sur son lit et se mit à le feuilleter jusqu'à ce qu'il tombe sur la photo qui montrait Sirius au mariage de ses parents. Il se rappelait encore quand, juste après avoir appris que le meilleur ami de son père - son parrain ! - était accusé d'avoir trahi ses parents, il avait furieusement cherché cette photo, pour voir la tête du type qui était responsable de la mort de son père et de sa mère. Mais il n'avait pas compris : Sirius avait l'air tellement heureux sur cette photo, il souriait d'un air si sincère que Harry n'avait pas réussi à se convaincre que ce visage appartenait à la personne dont le portrait s'affichait dans les rues à l'époque… Ce sourire, Harry l'avait retrouvé sur les traits de son parrain lorsque ce dernier lui avait proposé de venir vivre avec lui et qu'il avait accepté. Qu'il avait eu l'air heureux à cet instant ! Harry aussi était heureux. C'était le second meilleur souvenir de sa vie, juste après le jour où il avait appris qu'il allait quitter les Dursley pour Poudlard.

Harry reporta son attention sur la photo. A l'époque aussi, Sirius était heureux. Il devait sûrement avoir des plans, des projets pour son futur. Il était tellement intelligent, drôle, doué : il aurait pu réussir n'importe quoi dans sa vie ! Mais personne ne lui en avait laissé la chance.

Harry pensait souvent que Sirius lui aussi aurait mérité d'être consolé ou rassuré. Il l'admirait tellement d'avoir réussi à garder la tête haute et le sens de l'humour après tout ce qu'il avait vécu. Harry aurait bien voulu pouvoir faire quelque chose pour Sirius, lui faire comprendre qu'il n'avait pas besoin de faire semblant près de lui. Il aurait voulu que son parrain se confie à lui, mais en même temps il ne voulait pas lui rappeler de mauvais souvenirs en le faisant parler d'Azkaban… Parfois, il se sentait même coupable de l'avoir empêché de tuer Wormtail. Et ne rien pouvoir faire pour qu'il soit innocenté le rendait fou. Il se sentait tellement inutile, tellement petit ! Il aurait tellement voulu pouvoir effacer ce que Sirius avait vécu… Mais il savait que c'était impossible: son parrain devrait toujours garder ça au fond de lui. Et Harry avait mal pour lui.

Il soupira, les larmes aux yeux. Puis il releva la tête, une expression décidée sur les traits. S'il ne pouvait pas effacer ce qui était arrivé à son parrain, il pouvait faire en sorte que son futur soit meilleur. Les yeux de Harry retombèrent sur la photo, et son cœur se serra. Même si ça voulait dire ne plus jamais revoir ce sourire, ni entendre ce rire si proche d'un aboiement.

Oui. Il pouvait faire quelque chose pour son parrain. Et c'était l'éloigner de lui. Si Sirius ne se sentait plus obligé de s'occuper de lui, il pourrait partir d'ici, quitter cette horrible maison, ne plus devoir obéir à l'Ordre. Bref, il aurait l'espoir de recommencer une nouvelle vie. Le sacrifice en valait la peine. Tout en valait la peine si cela pouvait faire le bonheur de Sirius.

Harry se leva et referma résolument l'album. Il allait le remettre au fond de l'armoire lorsqu'il lui échappa des mains et tomba par terre avec un bruit sourd. Harry resta immobile, à l'écoute du moindre bruit. Mais tout était silencieux. Il se pencha pour ramasser le livre, et le reposa dans l'armoire. Au même moment, il entendit des pas dans le couloir. Sirius ? Ou quelqu'un d'autre ? Le manoir était censé être protégé, mais on ne savait jamais… Surtout que, pour une fois, Sirius et lui étaient seuls. Harry commença à paniquer. Oh non, pas aujourd'hui, pas avant que Sirius puisse s'échapper d'ici aussi ! Harry sortit sa baguette et s'approcha de la porte. Il posa la main sur la poignée, inspira un grand coup, et se prépara à l'ouvrir d'un coup sec.