La blabla du goupil : Il y a un curé, là-dedans. Je ne sais pas si les curés prennent leur retraite. Je n'y connais rien. Mais comme il s'agit d'un autre monde que le notre, ici on va dire que oui… /a la flemme de s'informer/

Et pis aussi : Un gros gros gros merci à tous les reviewers ! Je vous aim-heu !


Il était onze heure du matin, et c'était une merveilleuse matinée de printemps qui riait sur la campagne. Le soleil pâle chauffait doucement le plumage des oiseaux engourdis par la fraîcheur de la nuit, les dernières gouttes de rosée glissaient des feuilles tendres des arbrisseaux, les fleurs épanouissaient timidement leurs pétales aux rayons dorés, et la voiture s'assoupissait sagement dans le garage. Par la fenêtre entrouverte de la cuisine, un courent d'air frais embaumait le thym et le romarin.

Il était onze heure du matin, et Léolio regarda sa montre pour la sixième fois.

Il se trouvait seul face à la table du petit déjeuner – préparé par ses soins.

Souhaitant conserver ses organes à l'intérieur de son corps, il attendait patiemment les autres pour boire son café, ainsi que Maman le lui avait inculqué petit.

Et cela faisait longtemps qu'il attendait.

Il comprenait parfaitement que Kurapika ait du mal à se lever ce matin, il connaissait les douloureux symptômes engendrés par une importante absorption d'alcool pendant une soirée.

Par contre il se posait plus de questions pour les trois autres.


Kurapika se tenait la tête à deux mains, Maman baillait à s'en faire ressortir la mâchoire, Gon se frottait les yeux comme s'il essayait de se les écraser, et Kirua venait de s'effondrer dans son bol de céréales.

Le spectacle qu'ils offraient au jeune médecin relevait d'un pathétisme passablement lamentable.

« Très bien, je peux savoir ce que vous avez fabriqué cette nuit ? » soupira t-il.

C'était à sa mère et aux gosses qu'il s'adressait ; il ne savait que trop bien ce que Kurapika avait fait la veille au soir. Ce fut pourtant le blondinet qui lui répondit.

« Je ne sais pas, figure-toi. C'est bizarre, mais… Je me souviens du repas, et après… plus rien. »

Il plissa les yeux, tentant de faire un effort de mémoire. Effort douloureux.

« Aïe… » marmonna t-il en se saisissant de nouveau le crâne. « Par contre, qu'est-ce que j'ai mal à la tête… »

« Oh. Oui, c'est… bizarre, c'est vrai. Heu… Quant je suis remonté… Tu dormais déjà. »

« Si tu le dis… »

Léolio observa d'un regard impassible, où perçait peut-être un soupçon de circonspection, les trois autres protagonistes.

Maman possédait au fond de ses yeux cette légère brume cristalline, propre à ces personnes étranges dont la noirceur de l'âme est imprégnée d'une sensation diffuse de mystère, et qui n'était chez elle que le résultat d'une nuit blanche. Gon vacillait d'avant en arrière, ne sachant plus trop lui-même s'il était éveillé ou endormi, et Kirua épongeait le lait renversé sur la table avec sa figure.

« Vous trois. Qu'est-ce que vous avez fabriqué ? »

Maman bailla.

« Ils ont voulu que je leur raconte une histoire… Me suis épuisée à la tâche… »

« Chpèce de menteuje, » bloblota Kirua dans son petit déjeuner.

« Zzz. »

Les trois zombis retournèrent à leur demi-sommeil.

Kurapika leur jeta un regard de côté entre deux martèlements de son crâne.

« Si tu veux mon avis, » glissa t-il à Léolio, « il vaudrait mieux retirer la télé du salon le temps que ces deux-là y dorment. »

Le jeune homme acquiesça avec sagesse. Retirer la télévision, et fermer la porte de la cave à double-tour.


Les semaines commencèrent à passer plus ou moins rapidement. Kurapika avait vaguement réussi à se persuader qu'il ne portait pas de vêtements – et sous-vêtements – féminins les trois quarts de son temps ; Gon, Kirua et Léolio avaient sagement appris, à coup de regards noirs et de doigts écrasés, à ne pas tenter de le désillusionner ; Maman ne s'était pas absentée plus d'une ou deux autres fois, pour d'obscures affaires sur lesquelles Léolio, jugeant que ce serait aussi intelligent que de demander à Kurapika la couleur de son soutien-gorge, avait préféré ne pas la questionner ; et le temps s'écoulait, interminable, plongeant leur petit monde dans une sorte de rêve éveillé à l'atmosphère douce-amère qui serrait de plus en plus le cœur du pauvre Léolio.

Quant à Maman, elle ne semblait pas y être un tant soit peu sensible.

Elle. Préparait. Quelque chose.

Songea Kurapika en l'observant du haut de l'escalier.

Le jeune homme resserra les pans de son gilet en soie fushia (« Tu aimes ce gilet. » « O-oui… ») autour de lui, se calfeutrant dans l'ombre.

Maman, le combiné calé entre son épaule et son oreille, faxait quelque chose près du téléphone.

« Alors ? Vous l'avez ? » demanda t-elle au bout de quelques moments. « Qu'est-ce que vous en pensez ? »

Silence.

« Comment ça ? Et pourquoi ? »

Silence.

« … Mais ce n'est pas un problème, ça. Et puis je paierais ce qu'il faudra, vous savez. »

Silence.

« Mais puisque je paierais ! Vous pouvez parfaitement… »

Silence.

« Mais si, vous pouvez parfaitement le faire ! Vous n'avez qu'a l'insérer dans vos nouveaux modèles… Ça vous en fera au moins un d'original… »

Silence.

« Je paierais, je vous dis, Mad… Madame ? Allô ? Oh ! Elle m'a raccroché au nez ! La pouffiasse ! »

Elle fixa le téléphone pendant quelques instants – Kurapika s'étonna presque de ne pas voir le plastique du combiné commencer à fondre.

Elle soupira profondément et raccrocha.

Nouveau silence.

« Je sais que tu es là, Kurapika. Descend tout de suite, j'ai quelque chose à te montrer… »

Le blondinet laissa échapper un gémissement désespéré. Il sentait confusément que sa bonne étoile avait agoni depuis pas mal de temps.

« Oui ? » murmura t-il faiblement en descendant l'escalier d'un pas lourd, accablé par le poids du destin.

Maman farfouilla dans le fax, en sortit la feuille qu'il contenait, et la brandit sous le nez du blondinet.

« Qu'est-ce que tu en penses ? »

Kurapika cligna des yeux.

« Qu'est-ce que c'est ? »

« Ta robe de mariée. »

Le hurlement de terreur absolue du Kuruta envahit toute la maison, de la cave au grenier. Même Gon et Kirua, qui tentaient d'apprendre le galop à des vaches à quelques champs de là, crurent percevoir quelque chose.

Léolio se jeta dans l'escalier et le dévala à toute allure.

« Kurapika ? Qu'est-ce qui se passe ? »

Le blond jeune homme, pâle et tremblant de tous ses membres, pointait la feuille toujours brandie par Maman du doigt.

Léolio écarta son ami, s'approcha et la saisit.

Maman, trop occupée à essayer de comprendre pourquoi la petite avait hurlé de cette manière, le laissa faire.

« Maman. Qu'est-ce que c'est que ça ? »

« La robe de mariage de ta copine. Ça ne se voit pas ? »

Léolio réfléchit et contempla longuement la feuille.

« Ah ! Oh, si, je vois… »

Il la tourna dans l'autre sens.

« Mais c'est quant même… »

« Mais qu'est-ce que tu me fabriques ! C'était dans le bon sens, voyons… »

Le jeune médecin la fixa d'un regard vide.

« Oh ? »

Il retourna la feuille.

« Oh. »

« Qu'est-ce que tu en penses, toi ? »

Dans le dos de Léolio, Kurapika s'adossa au mur pour s'empêcher de défaillir.

« … Tu es sûre que c'est dans le bon sens ? »

« Mais oui. »

Léolio observa de nouveau la feuille, jusqu'à ce qu'une sourde impression d'indignation outrée ne baigne le moindre petit trait de son visage.

« Il est hors de question que Kurapika porte cette chose infâme ! C'est immonde, c'est… »

« C'est moi qui l'ai dessiné. »

« … c'est très bien dessiné, mais Kurapika ne la portera pas ! NON ! »

Maman fixa son fils, fulminant de rage, et sa future belle-fille, écroulée contre un mur et le regard hagard.

Elle ne comprenait pas très bien.

« Je ne comprends pas très bien. Pourquoi est-ce que vous réagissez comme ça ? Moi je la trouve très jolie, cette robe… »

« Tu appelles ça une robe, toi ? »

« Mais oui, je… »

Frustrée d'être incomprise, Maman arracha la feuille des mains de son fiston et la scruta avec attention, tentant de trouver ce qui pouvait déranger les deux autres.

« … C'est très à la mode, Léolio. Toutes les filles portent des robes courtes, de nos jours. »

« NON, Maman, c'est FAUX ! Personne ne porte ce genre de robe ! »

« Je te dis que c'est à la mode. »

« Dans les quartiers chauds de la capitale, peut-être ! Mais nulle part ailleurs, crois-moi ! »

« Tu me fais honte, Léolio. Tu es encore plus vieux jeu que ton père. »

« Ah, ne mêle pas Papa à ça, hein ! Je ne crois pas que tu ais porté ce genre de… de ''robe'', à votre mariage, hein ! »

« Mgrh. Il m'avait fait la vie pour que j'achète un modèle classique. »

« Il a eut bien raison. C'était un homme sensé. »

« Dooooonc… C'est n… ? »

« C'est NON. »

« Bon… »

Elle semblait terriblement déçue. Elle jeta un dernier vague regard au croquis, ses beaux yeux cristallins brillants de tristesse.

« C'est moi qui l'avais dessiné, et tout… J'avais cherché des modèles… J'y ai vraiment passé du temps… »

« Tu n'arriveras pas à m'apitoyer, Maman. »

Le ton de Léolio était sans réplique. Maman laissa aussitôt son défaitisme larmoyant de côté, et déchira la feuille en deux.

« Bien, tant pis, alors. De toute façon il aurait fallu que je la couse moi-même. »

« Ça règle la question. »

« … Et un costume traditionnel, alors ? De danseuse du ventre ? »

Kurapika explosa en sanglots.


La robe était crème, comme prévu depuis le départ, avec des reflets nacrés.

Kurapika se tourna légèrement de profil et s'observa dans la glace, tandis que la couturière s'occupait de l'ourlet des manches.

Maman l'avait traîné en centre-ville au début de l'après-midi, et, au fond, il ne s'en plaignait pas : il se sentait beaucoup plus rassuré en ayant vu et essayé le modèle choisi. La confiance qu'il accordait à Linda avait atteint le degré maximal en matière de néant absolu.

La jeune vendeuse leva un visage souriant vers lui.

« Elle vous va à ravir, Mademoiselle, vous êtes resplendissante. »

« Grmpf. Merci. »

Kurapika ne partageait pas son avis.

Non.

Il ne le partageait pas.

Lorsqu'on est un garçon, on ne se trouve pas resplendissant dans une robe de mariée.

Il ne partageait donc pas l'avis de la jeune femme.

Tenta t-il de se persuader.

« Tu es magnifique, Kurapika ! Splendide ! »

L'interpellé ferma longuement les yeux, une expression blasée figée sur la figure.

« Linda. Vous n'étiez pas sensée aller louer la salle des fêtes pendant que j'essaierais la robe ? »

« Ça y est, c'est fait. Elle est réservée pour samedi prochain ! Je pourrais bientôt te considérer comme ma fille à part entière ! Ce n'est pas merveilleux ? »

« … Ça l'est. »

« Je passais juste te prévenir que j'enchaînais avec l'achat des alliances. Quant tu sortiras, tu me trouveras dans la bijouterie, au coin de la rue. »

« Entendu. Je… Eh mais ! Les alliances, on est pas sensé les voir, Léolio et m… LINDA ! »

Le blondinet s'égosilla en vain, Maman avait déjà franchi la porte du magasin de vêtements.

« Allons, ne vous inquiétez pas, intervint la couturière en piquant une aiguille dans le tissu, je suis certaine qu'elle va en choisir de très belles. Elle a l'air d'être une femme sensée. »

« … Oh tiens ? Vraiment ? »

« Tout à fait. Malheureusement, tout le monde n'est pas comme ça… Tenez, par exemple, il y a deux jours, une espèce d'hurluberlue nous a faxé un modèle de robe de mariée… Il y avait moins de tissu dessus que sur un mouchoir de poche ! Et elle tenait vraiment à ce qu'on la fasse ! Je vous jure, il y a des gens qui sont d'un sans-gêne… »

« … Sans rire. Si vous saviez à quel point je suis d'accord avec vous. »

Le blondinet jeta un coup d'œil anxieux à son reflet nacré dans le miroir.

Samedi, il allait épouser Léolio.

L'idée ne l'enchantait pas.

Non.

Elle ne l'enchantait pas.


Le curé avait fêté ses 55 ans la semaine précédente.

C'était un homme habitué aux vices et étrangetés des mœurs de ce siècle ; en trente ans de carrière, il avait vu pas mal de personne à la mentalité puissamment imprévisible défiler sur le pavé marbré de sa petite église. Aussi ne fut-il pas excessivement surpris lorsque le charmant jeune couple, sur l'union duquel il comptait bien finir sa carrière en beauté, vint le voir pour lui annoncer de but en blanc, quelques minutes avant la cérémonie :

« Cette jeune femme, c'est un garçon, ce mariage est un faux, ne nous inscrivez pas sur les registres. »

Le curé cligna des yeux en regardant Léolio, regarda Kurapika, et cligna à nouveau des yeux.

Des mariées aussi jolies, c'était extrêmement rare, il était le mieux placé pour le savoir.

Qu'elles aient un regard aussi froid et qu'elles soient des garçons, c'était encore plus rare.

Il ferma longuement les paupières et inspira calmement. Il avait espéré une fin de carrière paisible.

« Monsieur, » siffla t-il lorsqu'il rouvrit les yeux, « les boissons ne sont pas sensées être entamées avant la fin de la cérémonie. »

« Je ne suis pas ivre ! Kurapika, dis-lui… »

« Je vous assure que je suis un garçon, monsieur. Croyez-moi, je le sais mieux que personne. »

Le curé grimaça.

« Vous êtes maquillé et vous êtes en robe de mariée, » fit-il remarquer.

Léolio s'empressa de plaquer sa main sur la bouche du Kuruta. Il préférait ignorer la remarque acerbe qui s'apprêtait à en sortir.

« Il le sait aussi, » assura t-il. « En fait, Kurapika a eut la gentillesse… et l'amabilité… d'ailleurs je lui en serais éternellement reconnaissant, d'accepter de se faire passer pour ma fiancée auprès de ma mère. Vous comprenez, elle est malade, elle n'en a plus pour longtemps, et… »

Le curé jeta un coup d'œil à la femme brune débordante d'énergie qui, en équilibre instable sur un escabeau, accrochait une banderole au portail de l'église.

« … ça lui fait extraordinairement plaisir de savoir que je vais me marier. Alors… Si vous pouviez jouer le jeu… Faire semblant… S'il vous plaît ? »

Léolio pris les yeux larmoyant et le regard désespéré d'un petit chien battu.

Du point de vue du curé, qui frissonna et recula imperceptiblement, il ressemblait plus à un gros chien miteux et toxicomane.

« Bon, écoutez, » finit-il par articuler, « ce n'est pas qu'on puisse dire que je suis homophobe, mais il n'est pas vraiment dans mes principes de marier deux garçons… »

« Mais puisque je vous dis que c'est un faux mariage ! »

« … Peut-être, mais comprenez-moi : je prends ma retraite la semaine prochaine, et si jamais mes supérieurs apprennent que je me suis amusé à faire un mariage blanc, je… »

Un jacuzzi.

Un grand jacuzzi.

Au milieu d'un immense jardin peuplé de rhododendrons et de jolies horticultrices.

Avec, à ses côtés, une gentille petite aide-soignante de moins de 25 ans pour lui tendre son champagne.

Il saisit la liasse de billets verts que Kurapika lui brandissait sous le nez et gratifia le jeune couple d'un charmant sourire.

« … Car, mes enfants, votre intention est très louable, et ce sera un honneur pour moi que d'y contribuer. Je souhaite vivement à votre pauvre mère de retrouver la santé, monsieur. »

Léolio ne répondit pas, fusillant Kurapika du regard tandis que le curé s'éloignait.

« Qu'est-ce qu'il y a ? » murmura le blondinet d'une voix plus glaciale que s'il s'était adressé à Victoria.

« … Oh, rien, » répondit le pauvre jeune homme en récupérant le porte-feuille que Kurapika avait extirpé de sa veste une minute auparavant.

Là-haut sur son escabeau, Maman n'appréciait que très moyennement que ses enfants discutent avec le curé sans elle.


Un beau jacuzzi.

Sans oublier une immense véranda.

Avec une roseraie, peut-être.

Il achèterait un vieux manoir qu'il ferait restaurer.

Par de jolies restauratrices.

« Qu'est-ce qu'ils vous ont racontés comme salades ? »

Les billets disparurent dans les replis de la soutane.

« Rien, Madame, rassurez-vous. Ils étaient simplement venus discuter de… la décoration. »

« Qu'est-ce qu'ils vous ont racontés comme salades ? »

Les yeux noisette de Maman vrillaient le front du pauvre homme. Il déglutit.

Cette femme va bientôt mourir, tenta t-il de se persuader en ignorant vainement le regard presque douloureux de Linda.

« Mais… Rien... Je vous assure… Rien du tout… Je… »

« Moi j'ai l'impression qu'ils ne sont pas pressés de se marier. On dirait que tout ce qu'ils cherchent, c'est de retarder leur union… J'espère qu'ils ne vous ont pas parlé dans ce sens. »

« Non non. »

« Parce que vous allez les marier. »

« Oui oui. »

« Vous allez les marier. »

« Oui. »

« Et aujourd'hui. »

« Oui. »

« Parfait. »

« Oui. »

Elle lui vrilla encore un peu le front du regard, histoire de bien imposer sa volonté, et s'éloigna d'un pas tranquille.

Le curé frémit et tâta la liasse de billets d'un geste mal assuré. Le jacuzzi, le manoir, la roseraie et les petites esthéticiennes à domicile, ce n'était décidément pas un prix suffisant pour faire face à cette femme.

Tant pis.

Après tout, ils ne le sauraient sans doute jamais.


Kurapika fixait la porte ouverte, derrière son épaule, d'un regard lourd d'intensité. Ignorant les coups d'œil perplexes que lui jetaient le curé et la petite assemblée réunis dans l'église.

Léolio lui tapa sur l'épaule et lui chuchota dans l'oreille.

« Kurapika. Inutile de fixer la porte comme ça. Je ne vois pas qui pourrait avoir intérêt à venir s'opposer à notre mariage. »

« On ne sait jamais. »

Devant eux, le curé toussa pour récupérer leur attention.

« Bien. Heu… Je disais donc : monsieur, désirez-vous ép… »

« Oui-oui. »

« … Bien. Et… Mademoiselle… Heu… Mademoiselle… »

Il loucha sur son registre.

« Ku… Kurapika… Désirez-vous épouser… ? »

Sa phrase agonisa au fond de sa gorge sous le peu de chaleur du regard du Kuruta.

Kurapika était écœuré.

Mademoiselle Kurapika.

Quelle horreur.

« Désirez-vous… ép… ? »

« ... »

« … Mademoiselle ? »

Est… Est-ce qu'il sait, pour les mignonnes cuisinières et le fait que je les marie quant même ?

Des murmures intrigués commençaient à résonner sous la voûte de l'église, les visages des invités reflétant une légère surprise teintée de curiosité vivement amusée.

Tout le monde a toujours rêvé d'assister à un mariage où la mariée hurlerait un grand « NAAAAAAOOOOON ! » au dernier moment, avant de s'enfuir pas la porte.

Alors tout le monde espérait.

Léolio grimaça et poussa légèrement le blondinet du coude.

« Kurapika. C'est à toi. »

« Mmh ? Oh. Oui. C'est vrai. Bien sûr. Oui oui. J'accepte, oui. »

Sa voix donnait l'impression du déclic d'un revolver qu'on charge.

Tout le monde soupira de déception.

Le curé frémit.

« B-bien. Parfait. Je pense donc que je peux vous déclarer… Mari et… et femme… Oui… Je pense… »

Regarde au-dessus de leur tête. Pas dans leurs yeux. Surtout pas dans leurs yeux. Tu vas te trahir.

« T-très bien. Et maintenant… heu… les alliances ? »

Silence dans la salle.

Gon se leva d'un bond sur son siège, entraînant Kirua à sa suite.

Les gosses portaient des costumes de garçons d'honneur d'un beau noir profond, tout à fait convenables – aussi incroyable que cela puisse paraître avec Maman dans les parages. Gon n'avait pas très bien compris la scène à laquelle il avait assisté la veille ; ils étaient tranquillement en train de s'amuser avec une nichée d'écureuils au sommet d'un hêtre, lorsque Maman les avait hélés du pied de l'arbre, un grand sourire ravi aux lèvres et un sac de vêtements à la main. Kirua s'était empressé de la rejoindre, avait vaguement regardé dans le sac, et avait chuchoté à Linda quelque chose que Gon n'avait pas pu saisir.

Mais il aurait juré que c'était des menaces.

Deux heures plus tard, ils étaient munis de leurs élégants costumes.

L'adolescent brun agrippa son ami par la manche, plongeant son regard dans le sien.

« Les alliances ! C'est toi qui les as ! »

Kirua détourna les yeux, plissant les paupières et fronçant les sourcils. Il réfléchissait.

« … Ah bon ? »

« Mais oui ! » s'affola Gon, « je te les ais données avant de partir ! »

« … Ah bon ? » répéta Kirua en farfouillant dans ses poches.

« Kirua ! Qu'est-ce que tu en as fait ? »

Dans la salle, les chuchotements reprenaient doucement de la vigueur.

La mariée ne s'était pas enfuie en courant, mais on avait peut-être au moins perdu les alliances.

Le curé s'essuya le front avec le dos de sa main. Son instinct naturel lui soufflait que plus la cérémonie serait rapidement expédiée, plus ses chances de garder une espérance de vie élevée seraient fortes.

Kurapika posait un regard ambigu sur le jeune assassin, dans lequel l'espoir combattait férocement l'exaspération. Quant à Léolio, il surveillait attentivement la couleur des yeux de son ami.

Maman soupira sur sa chaise.

Kirua, fouillant de plus en plus loin dans les tréfonds de ses poches, leva les yeux vers la coupole dorée du plafond, un air inspiré sur le visage.

« Attend… Attend… Je crois que ça me revient… Heu… Heu… Je me rappelle… d'écureuils… »

« C'était hier après-midi, Kirua ! »

« Mmh… Possible… Tu dis que tu me les as données avant de partir ? Attend que je me concentre… Je revois… la petite table du téléphone… Mais oui… c'est là que j'ai laissé… »

« C'est pas vrai ! »

« … mes dragées à la pistache… »

« Kirua… »

« Donc… Tu m'as donné les alliances… C'est doré, ces machins-là, je crois… Attend… Ça va peut-être me revenir… Je… Eh… »

Le murmure songeur du jeune garçon s'interrompit lorsqu'il constata avec surprise que sa vue sur la coupole avait fait place à un panorama restreint sur le dallage marbré.

« … Eh ? »

Gon s'éloigna de quelques pas et observa avec inquiétude Maman, qui, s'étant levée et approchée d'eux, avait saisit Kirua par les chevilles et le secouait avec ténacité la tête en bas.

Un silence contemplatif s'était emparé des invités. Tout le monde était assez satisfait ; la mariée était toujours présente, certes ; on allait sans doute bientôt retrouver les alliances, certes ; mais la mère du marié s'évertuait tout de même généreusement à secouer l'un des garçons d'honneur comme un prunier : on pouvait donc considérer n'être pas venu pour rien.

Les tintements d'objets incongrus tombant sur le sol brisèrent bientôt ce pieux silence.

Ce furent tout d'abord trois ou quatre sucettes au citron, qui se brisèrent dans leur emballage plastifié ; suivit bientôt un paquet entier de berlingots à la noix de coco, qui s'écrasa sur le dallage dans un lourd crépitement de sucre éclaté ; puis, ce fut le tour d'un trousseau de clés, que Léolio identifia avec mauvaise humeur comme étant celui du débarras où il avait enfermé la télévision ; un briquet ; un autre trousseau de clés – se rapportant cette fois-ci au garage et à la voiture ; deux paquets de chewing-gums à l'orange-sanguine ; un porte-feuille – Léolio écarquilla les yeux et tâta avec stupéfaction la poche de sa veste ; une pile électrique ; un mouchoir de poche en dentelle brodé au nom des Zoldyck ; un téléphone portable dernier cri ; une poignée de noix ; un sachet de mikados à l'eucalyptus ; trois morceaux de sucre ; du pain d'épice dans du papier aluminium ; un sachet de café instantané ; un petit miké en peluche ; et, enfin, éclair froid et fugitif glissant sous sa chemise, se coinçant dans le col, se dégageant dans son cou, s'emmêlant dans ses cheveux et tintant sur le carrelage, les alliances.

Maman lâcha aussitôt Kirua – qui gémit de douleur lorsque sa tête heurta le sol de marbre – et se pencha pour les ramasser, avant d'aller les tendre avec hauteur à ses enfants. Le regard frigorifiant qu'elle jeta à Kirua en se retournant indiquait clairement qu'elle n'avait que peu apprécié qu'il la menace de tout dévoiler sur son état de santé, si jamais elle les obligeait à porter les jolis costumes choisis par sa personne.

Le curé respira.

« B-bien, » reprit-il. « V-vous pouvez… échanger les alliances… voilà… Et… vous pouvez aussi… embrasser la mariée. Je crois. Je crois… »

Il sentit un filet de transpiration lui glisser dans la nuque.

Léolio se tourna vers Kurapika. Le blondinet fixait l'anneau ornant son doigt et brillant d'une lueur malsaine d'un regard où l'incrédulité côtoyait une sorte d'impassible horreur.

Il lui toucha l'épaule, attirant son regard.

Le Kuruta revint à la réalité, et comprit.

« N-non, » articula t-il dans un chuchotement rauque.

« Je t'en prie. Ne viens pas me dire que ça ne te plaît pas, je sais que c'est faux. »

Et il l'embrassa.

L'assemblée éclata en applaudissements et en cris de joie – tout le monde était content, tout le monde avait eu son quart d'heure de récréation grâce à Linda.

Gon, oubliant momentanément que le mariage était un faux et que s'il avait été vrai cela aurait inclut l'homosexualité de ses deux amis, leur fit un grand sourire plein de joie et frappa dans ses mains à tout rompre.

Kirua ramassa ses affaires à la hâte – Linda allait payer pour le massacre de ses bonbons. Il s'empara de la peluche de Miké en rougissant jusqu'à la pointe des cheveux. Karuto n'avait pas à laisser traîner ses jouets dans ses affaires.

Maman donnait l'impression de se gorger de satisfaction comme une sangsue du sang de ses victimes.