Le blabla du goupil : Quant on écrit une fic d'un seul tenant, il y a quelque chose de très douloureux qui s'appelle la séparation en chapitres… Voui, parce que vous allez vous apercevoir que la scène du mariage n'était pas finie… Mais si je l'avais laissée en entier, ça m'aurait fait un dernier chapitre beaucoup trop petit, et… et…

Bref. Tout ça pour vous demander de m'excuser sur l'inégalité de mes chapitres et la longueur de celui-ci… é.è Pardon…


Des louves.

Elles lui faisaient penser à des louves.

Un infâme troupeau de prédatrices sous-alimentées.

Il frissonna, sentant leurs regards dériver lentement vers lui, mais, traîtres, faisant semblant de ne pas s'y arrêter.

Léolio distingua son blondinet recroquevillé sur une chaise près du buffet et s'empressa de le rejoindre.

« Il y a quelque chose qui ne va pas ? » s'enquit-il en s'asseyant près de lui.

Kurapika désigna le troupeau affamé d'un geste vague et discret de la main.

« Je crois que je ne les aime pas. Qui est-ce ? »

Elles étaient une dizaine.

Elégamment habillées, sourires éclatants et yeux brillants, elles gravitaient paisiblement autour d'une Maman aux anges.

Léolio leur jeta un regard impassible.

« Oh. Elles ? Ce sont les amies de Maman. Ses grandes amies. Aussi loin que je me souvienne, elle les a toujours connues. »

« Je n'ai pas envie d'aller leur parler. Je suis pratiquement certain que je ne vais pas les aimer. »

« Ne te force pas. Je pense la même chose. »

Le blondinet pencha légèrement la tête de côté, fixant son attention sur l'une d'entre elles.

« Il y en a une qui a l'air gentille… Celle avec le chignon gris et les yeux bleus… On dirait une petite grand-mère… Toute douce… »

« Celle-là ? Mmh. Oui. C'est vrai. Je pensais la même chose que toi, jusqu'au jour où elle m'a jeté dans un lac pendant une promenade en bateau pour vérifier si je savais nager. »

« Tu sais nager. »

« Pas l'année de mes six ans. »

« Oh. »

La douce grand-mère aux yeux bleus et au chignon gris croisa le regard de Kurapika fixé sur elle, et lui fit un gentil petit signe de la main accompagné d'un sourire éclatant.

Le blondinet déglutit.

« Bon, » continua le jeune médecin, « elle a quant même plongé pour aller me chercher quant elle a vu que je ne remontais pas au bout de cinq minutes, mais n'empêche que depuis j'ai toujours des frissons quant je suis obligé de l'approcher… »

« Léolio. Elles nous regardent. »

« … Fais comme si de rien n'était. Elle finit toujours par se lasser quant elle voit qu'on ne lui porte pas d'attention… »

« Je veux dire, elles nous regardent toutes. »

« Oh ? »

En effet, le troupeau, à présent enveloppé d'une lourde vague de silence, braquait des regards étincelants et des sourires comme figés dans de la cire sur les jeunes mariés.

Kurapika trouva les canines de Maman plus longues que d'habitude.

Léolio lui saisit le bras.

« Bon. Heu. Viens, on s'en va. »


« LEOLIO ! Mon vieux ! Ça fait bien des siècles qu'on t'a pas vu ! Comment va ? »

Evidemment. Bien sûr. Tout l'inconvénient des mariages. Quant ce n'était pas les amies de sa belle-mère c'était ceux de son mari, songea Kurapika avec fatalité.

… De Linda et de Léolio, corrigea t-il aussitôt.

« Ah… Stéphane.. » murmura Léolio avec un sourire contrit.

Kurapika soupira et se plaça dans le large dos de son ami, tentant de se faire oublier.

Le nouveau venu s'approchait à grands pas, collé de près par une fille sautillante. Il arriva à leur hauteur et plaqua deux mains sur les épaules du jeune médecin dans un mouvement exubérant, une expression jubilante débordant de son visage.

Le Kuruta s'attendait presque à la voir couler sur le parquet.

« Ça fait un sacré bail ! Au moins six ans, que tu t'es volatilisé ! On se demandait ce que tu devenais ! Et ta mère, qui nous annonce que tu passes l'examen de hunters ! Elle changera pas, celle-là, hein ! Elle est unique ! Ce qu'on a pu rigoler ! »

La jeune fille sautillante saisit le bras de Stéphane et sautilla.

« Voui, on s'est bien marré ! Mais c'est bizarre… Linda, elle avait l'air d'y croire dur comme fer… Et elle était pas contente que nous on y croie pas… »

« On a parié que t'étais allé draguer les minettes sous les tropiques ! »

« Heu. Pas vraiment. En fait, je… »

« Mais Stéphane ! Il est pas au courant, Léolio ! »

« … ne suis pas au courant de quoi ? »

« Mais oui ! C'est vrai, ça ! »

Stéphane éclata d'un grand rire exubérant et jubilant, et passa un bras autour des épaules de la jeune fille sautillante qui, elle, sautilla.

« Sissi et moi… C'est fait ! Ça y est ! »

« Oui ! C'est fait ! » sautilla Sissi.

Léolio eut un moment de doute. Il leva un bras et se gratta le haut du crâne, avant de le rabaisser précipitamment lorsque Kurapika, par un discret coup de pied dans le tibia, lui signala qu'il se considérait un peu trop découvert ainsi.

« Oh. Heu. C'est bien. Mais… Qu'est-ce qui est fait ? »

La sauterelle éclata d'un grand rire cristallin et sautilla au coup de Stéphane.

« On s'est fiancé ! »

« Et on s'est marié ! »

« Exactement ! »

« Ah ? Oh, et bien, je suis heureux pour vous, vraiment ! »

Moi aussi, songea Kurapika. Et je serais encore plus heureux si vous pouviez être mariés ailleurs que dans mon entourage.

« On a voulu t'inviter au mariage, » continua la bondissante sauterelle, « mais on a pas réussi à te joindre… »

« Ah, ouais. Ben, ça, c'est… navrant. Vraiment. »

Stéphane haussa négligemment les épaules.

« Aucune importance, mon vieux ! Du moment qu'on peut venir au tien ! »

« … Oui… Bien sûr… »

« D'ailleurs… »

Le blondinet retint un hoquet d'horreur. Il tournait le dos à Stéphane, donc il ne le voyait pas, il n'aurait même pas pu le deviner, et pourtant il sentait distinctement un sourire espiègle et gorgé de sous-entendus jusqu'au cœur des veines ramper en travers du visage du jeune homme.

« … Tu nous la montre, la jolie petite chose que tu as ramené de tes escapades exotiques ? »

Et il écarta Léolio sans ménagement.

Et força Kurapika à se retourner.

Le parcouru d'un regard appréciatif de haut en bas.

Sans s'occuper du haut le cœur du blondinet.

« Waouh… Léolio ! Où est-ce que tu es allé la pêcher, celle-là ? Dans le harem d'un sultan ? Bon, pas beaucoup de poitrine, mais… Mais à part ça splendide ! Tout simplement à croquer ! On a envie de la dévorer ! Tu as dû déployer des trésors de séduction pour réussir à te l'approprier… Mignonne, mignonne… Je… et… »

Mais hélas pour lui, il venait d'abandonner l'exploration visuelle du décolleté pour jeter un vague coup d'œil au visage de la jolie petite chose.

Et il connut la peur.

Pas celle qui vous pousse à vous enfuir à toutes jambes lorsque vous vous faîtes agresser par un sanglier au fond d'un bois, non.

Celle, meurtrière, puissante, insurmontable, qui s'insinue jusqu'au bout des ongles de vos orteils, qui vous domine comme une maîtresse jalouse, qui pulvérise la moindre petite once de volonté qui pourrait vous rester, et qui vous incite à rester pétrifié au milieu d'un sentier alors qu'un gigantesque bloc de pierre roule dans votre direction.

Et que vous savez parfaitement qu'il suffirait de faire un pas de côté pour l'éviter.

Stéphane pâlit et sentit une goutte de transpiration lui couler le long de la tempe.

Sissi se glissa dans son dos et cessa de sautiller.

Un silence lourd comme une chape de plomb les écrasa mentalement.

Léolio se mordit les lèvres et risqua un léger regard en direction de sa chère et tendre, craignant le pire.

Mais non, les yeux du Kuruta n'avait pas viré à l'écarlate ; en revanche, il ne leur avait jamais vu une expression aussi meurtrière.

Même face à Kuroro.

Il attendit quelques secondes, le temps que le parasite et sa copine aient bien saisi que venir lui rendre visite n'allait plus être synonyme de reposantes vacances avec l'épouse dévouée dans les parages, et finit par prendre pitié d'eux et par saisir Kurapika par les épaules, se hâtant de l'éloigner avant que les deux invités n'ait subi un traumatisme irréversible.

Kurapika les foudroya d'un dernier regard glacial avant de se laisser entraîner.


« Ce type était odieux ! »

« Je sais, Kurapika. Je sais. »

« Absolument irrespectueux ! Tu as vu comment il parlait de moi ? Il ne m'a même pas adressé la parole ! Il me lorgnait comme… comme… un objet ! Un joli petit bibelot ! Un souvenir que tu aurais rapporté de voyage ! C'était immonde ! »

« Je sais bien… »

« Comment est-ce que tu peux avoir ce genre de personne parmi tes amis ? »

« Ben… C'est pas vraiment un ami… »

« C'était insultant ! Je ne m'étais jamais senti aussi froissé ! Et toi qui le laissais dire ! »

« Ben… Que voulais-tu que je dise… »

« Je ne sais pas ! Mais au moins essayer de dire quelque chose ! Il s'est comporté de façon tellement écœurante ! Je la plains, la sauterelle, de l'avoir pour mari, tiens ! »

(« La sauterelle ? »)

« Qui a eut l'idée extraordinaire de l'inviter ? Ta mère je suppose ? Bien sûr ! Elle ne m'a pas consulté une seule fois ! Même pas à propos des invités ! Elle ne m'a même pas demandé si j'avais de la famille à faire venir, c'est un comble, non ! »

« Mais… tu… n'as plus… ? »

« Je sais ! Mais de toute façon, elle est parfaite, ta mère, hein ! Jamais aucune erreur ! C'est elle que tu aurais dû épouser, pas moi ! Tu aurais bien mieux fait de me laisser dans mon harem ! »

« Heu ? Kurapika… ? »


Gon souleva prudemment un coin de la nappe couvrant la grande table qui longeait le mur de la salle des fêtes.

Une sorte d'objectif noir et brillant surgit entre les plis de soie pastelle.

« Kirua. Qu'est-ce que tu fais ? »

« Moi ? Rien. »

L'adolescent tira un peu plus sur la nappe ; une touffe de cheveux argentés suivit aussitôt l'objectif.

« Kirua. »

« Je filme. Pour les souvenirs ! »

« … Et pourquoi tu te caches sous la table pour faire ça ? »


La lumière chaude et dorée des spots tombait, caressante, enrobante, sur les parois d'un vert à la fois cru et doux des bouteilles de vin. Les quelques rayons qui frappaient le liquide rougeoyant faisaient valser à sa surface d'éblouissant fragment de lumière, semblables à des paillettes animées d'une vie propre. Et tout cela donnait au vin une couleur, ma foi, fort jolie.

… Songeait Kurapika en fixant les bouteilles.

Léolio, en pleine conversation médicale avec l'ancien médecin du secteur (« Comment ça, ma mère a menacé de dévoiler vos rapports avec votre secrétaire si vous refusiez de partir ? ») remarqua soudainement son blond ami, à quelques pas de là, plongé dans la contemplation des bouteilles d'alcool, une lueur d'une neutralité plus que douteuse au fond des yeux.

Il planta là son collègue et s'empressa d'aller rejoindre le blondinet, le saisissant par les épaules et le mettant rapidement hors de portée de l'aura désastreuse des vins, cocktails et autres diaboliques coupes de punch.

Kurapika se dégagea vivement de l'étreinte de son ami et lui jeta un coup d'œil foudroyant.

« Qu'est-ce qui te prend ? Pourquoi tu m'as éloigné des boissons ? »

« Ah, on sait jamais, hein… »

« ''On sait jamais'' ? Ça veut dire quoi, ça ? Pour qui tu me prends ? »

« Ben… »

« Tu crois peut-être que je suis du genre à me laisser prendre au jeu de l'alcool ? »

« … »


« C'est dans la boîte ! »

« Kirua… »


« Maman. »

« Oui ? »

« L'ancien médecin, c'est quelqu'un de bien, hein ? »

« Mmh. Oui, oui. Si on veut. Quelqu'un de bien. Oui, c'est sûr. Oui. »

« Il y a quelque chose qui te chagrine à propos de lui, Maman ? »

« Oh ? Non… non, rien. Rien de spécial. Enfin… sauf… Mais, de toute façon, il est parti. C'est toi qui le remplace, mon loupiot ! »

« Ce qui te dérangeait, c'est peut-être qu'il entretenait des rapports intimes avec son secrétaire… Non ? »

« …(Comment l'as-tu appris?) Oh, oui, je peux bien te le dire, maintenant. Tu es un grand garçon. Ce monstre passait ses dimanches entiers à pêcher avec son secrétaire au lieu de s'occuper de sa femme ! L'odieux personnage ! »

« Oh ? Oh. Pour ma part, je pensais plutôt à des rapports amoureux… »

« QUOI ? OH ! L'INFÂME ! L'IGNOBLE ! »

« Heu, moins fort, Maman ! »

« Un cas d'adultère ! C'est absolument écœurant ! »

« Donc, si je comprends bien, tu l'as obligé à quitter son poste sous peine de dévoiler des rapports que tu croyais n'être que parties de pêche ? »

« … »

Maman se mit à couver son verre d'un regard où toute l'intensité de sa personne semblait être concentrée.

« Elle a un drôle de goût, cette boisson… »

« Ne détourne pas la conversation. »

Elle gratifia son fils d'un large sourire et lui fourra le verre entre les mains, avant de balayer du regard la salle parsemée de petits groupes de personnes et de mettre ses mains en porte-voix.

« A TABLE, TOUT LE MONDE ! JE CROIS BIEN QUE C'EST PRÊT ! »

« C'est drôle, que tu crois ça maintenant. »


L'entrée (pâté de poisson en croûte, petits oignons et olives cuites) venait d'être servie, et l'atmosphère de la tablée était chargée des rires et des conversations enjouées des invités, accompagnés des tintements élégants des couverts sur les assiettes en porcelaine et de la musique jazz en sourdine enclenchée plus tôt par Maman dans la matinée – elle avait été furieuse de découvrir que son CD de techno avait disparu de son emballage habituel.

C'était vraiment un agréable repas de noces. Tout le monde souriait, tout le monde riait, tout le monde semblait content.

… Tout le monde était content. Car tout le monde songeait toujours à l'élégance avec laquelle Linda avait récupéré les alliances ; et tout le monde gardait un œil sur le couple marié, Maman, et les garçons d'honneur, pour ne pas risquer de rater le prochain rebondissement.

Léolio leva sa main baguée dans la lumière, et observa l'anneau brillant qui ornait son doigt.

« Elles sont belles, non ? » fit-il remarquer. « Tu as très bien choisi, c'est vrai que tu as de bons goûts… »

« Je n'ai en aucun cas choisi les alliances. C'est ta mère qui s'en est chargée. Sans me concerter. »

« Ah bon ? »

« Si c'était moi qui les avais achetées, je n'aurais certainement pas choisi celles-là. »

« Ah bon ? … Pourquoi ? »

La réponse du Kuruta, chuchotée, à la limite de l'audible, lui parvint depuis l'écran des mèches blondes de la tête baissée du jeune homme.

« Parce que dans certaines tribus hindoues, le motif qui les orne est le symbole qui favorise la virilité, l'accouplement et l'enfantement. »

« … »


« Regarde, » murmura Kirua à son meilleur ami, « il y a même une fonction pour enregistrer ce que disent les gens sans les filmer ! »

« … »


Le plat principal (crabes et écrevisses fourrés la crème d'échalote sur tapis de petits pois à la sauce indienne, le tout arrosé d'un excellent Chateaubriand cuvée 1857 – Kurapika eut un léger doute lorsqu'il goûta au fond de verre qu'il venait de se verser) était presque terminé lorsque Maman saisit son couteau, le brandit d'un geste glorieusement imprégné de grandeur, et le fit teinter contre son verre à pied, réduisant les convives au silence.

« S'il vous plaît ! S'il vous plaît ! » s'écria t-elle gentiment, « J'aimerai porter un toast à nos deux amoureux ! »

Léolio sentit une affreuse grimace lui tordre le visage et Kurapika se tourna convulsivement vers la porte de la salle, qui avait dû se faire soudoyer par Maman pour terrasser le blondinet de la sensation qu'elle était fermée à triple tour si jamais il s'avisait de la regarder.

Kirua saisit le petit signe que lui faisait Maman et s'empressa d'aller brancher le micro de la chaîne hi-fi et de le lui rapporter. Elle le gratifia d'un gentil sourire et grimpa sur une chaise.

« Tout d'abord, » annonça t-elle en collant le micro à sa bouche (un grésillement aigu, à l'extrême limite de l'audible, hérissa les tympans de la tablée), « je leur souhaite évidemment tout le bonheur possible ; pour le temps que va durer leur relation. Si elle dure. »

Elle s'arrêta un instant, fixant le jeune couple. Semblant les juger.

« Et elle va durer. Même si nous savons tous que les relations les plus solides se basent avant tout sur une amitié sincère et pas sur un coup de chance hasardeux assaisonné d'une bonne étoile complaisante, leur relation durera. Avec ses hauts et ses bas, ses bas plus que ses hauts, très certainement, j'en mettrais toute ma lingerie au feu ; mais elle durera. Je leur souhaite donc, autant que possible, une vie longue et heureuse. »

Elle fronça les sourcils, réfléchissant.

« … Pas comme la mienne, » finit-elle par ajouter d'une voix étranglée.

Petite pause dramatique.

« Et pour que cette vie soit longue et heureuse, il leur faut nécessairement un travail convenable et qui rapporte. Je ne me fais pas de soucis pour mon petit Léolio ; médecin, c'est un travail très bien, et il a travaillé dur pour le devenir, le petit loupiot. Mais… »

Elle enveloppa le Kuruta d'un regard d'apitoiement agacé.

« … Bien que nous soyons tous d'accord pour reconnaître les bienfaits du café et des boissons chaudes, il faut avouer qu'il est tout de même bien agréable de payer son loyer dans les temps – même si je souhaite de tout mon cœur à nos deux tourtereaux de récupérer la maison familiale – et de s'acheter quelques vêtements haut de gamme par-ci par-là. Enfin. Bon. Je souhaite sincèrement à notre jolie mariée d'obtenir un poste de secrétaire d'architecte dans le bâtiment qui borde l'avenue principale en centre-ville. Voilà. A propos du travail, ce sera tout. C'est très important de bien gagner sa vie. Surtout que… »

Elle s'arrêta à nouveau, une lumière étrange vacillant au fond de ses yeux et un sourire peu explicable rampant en travers de son visage.

Kurapika se retourna pour vérifier que la porte lui donnait bien l'impression d'être toujours verrouillée.

« … Que maintenant que vous êtes mariés et que vous allez vivre ensemble, il serait temps de songer à me faire quelques petits-enfants, non ? Il serait temps d'y songer rapidement. Mmh. »

Des murmures de connivences vaguement grivoises s'élevèrent de l'assemblée ; Léolio desserra sa cravate pour tenter de respirer un peu mieux ; Kirua s'étouffa lui aussi, mais la cause en était différente ; et Gon se demanda où était passé tout le sang du visage de Kurapika.

« Bien évidemment, je suis parfaitement consciente que je ne verrais jamais le bout de leur nez ; hélas… »

Petite pause dramatique.

« Mais néanmoins ! J'aimerai être bien certaine, avant de disparaître, qu'un petit être s'apprête à éclore à la lumière du jour. Ça me rassurerait. »

Petite pause attendrie.

« … Cela dit, si Léolio ressemble à son père, ça risque de prendre pas mal de temps. »

(« Maman ! »)

« Donc, donc : beaucoup d'enfants ! Et je sais que vous les élèverez convenablement. Il faudra être près d'eux. Ne pas être sans arrêt par monts et par vaux. Ne pas les laisser fréquenter des gens infréquentables, comme les intellectuels. Leur faire des cadeaux, mais bien vérifier qu'ils vous offrent quelque chose en retour. Etc. Etc. Enfin, je ne m'inquiète pas ; Léolio a eut une bonne éducation. Oh, et surtout, le plus important : ne jamais oublier de fermer les placards à clés quant ils contiennent des pots de confitures de châtaignes. »

Une rafale de rires tonitruants secoua les invités. Kirua en fut le premier atteint et les joues de Gon renouèrent avec leur belle couleur violacée.

Le visage de Kurapika perdit un peu de sa lividité et il cligna des yeux.

« C'est tout de même assez frustrant, » s'avança t-il prudemment, « d'être le seul à ne pas savoir de quoi on parle. »

Il jeta un léger coup d'œil à son ami, ou du moins à la touffe de cheveux de son ami qui dépassait de ses deux bras repliés sur la table. Le pauvre tentait manifestement de toutes ses forces de ne plus exister.

Kirua saisit le voile du blondinet et l'obligea à se pencher vers lui, pour lui souffler quelque chose à l'oreille.

Kurapika écouta.

Se rappuya au dossier de sa chaise.

Respira.

S'appuya des deux coudes sur la table, les mains en clocher devant son visage, le regard intensément perdu dans le vide.

Un œil marron émergea des replis de velours de la veste de Léolio.

« Oh. C'est bon. Tu peux rigoler. Vas-y. Pour ce que ça change, hein, » grommela le jeune homme.

Le Kuruta baissa la tête, un tremblement convulsif de rire contenu le parcourant tout le long du corps.

Le médecin ne put s'empêcher de sourire secrètement dans l'abri de ses bras.

Malgré tous les tracas qui gravitaient autour d'eux cette après-midi, il avait réussit à faire rire Kurapika.

Et ça, ça aurait remonté dans son estime n'importe quel faux mariage au monde.


Ce fut au dessert (chouquettes à la crème de marron nappées de sucre vanillé, six dans chaque assiette – ou presque) qu'il se souvint.

Ce ne furent au départ que des réminiscences un peu floues, images voilées par les pans de la mémoire et peut-être de la volonté ; des sons, des paroles brouillées, des visions effacées…

… Celles de bouteilles de vin…

Il poussa un cri étranglé et se leva brutalement, attirant irrémédiablement les regards des invités et la caméra de Kirua.

« Je me souviens… Je me souviens…L'autre soir… ! »

Il resta un moment immobile, les yeux écarquillés, posés sur des souvenirs fraîchement retrouvés, la main plaquée sur la bouche, une expression d'incrédulité horrifiée coulée sur le visage.

Silence.

Le blondinet prit soudainement conscience de toutes les paires d'yeux braquées sur lui et se rassit lentement.

Son regard semblait toujours perdu dans le vide. Léolio lui tapota gentiment l'épaule.

« Heu… Kurapika ? »

« Je me souviens… Léolio, je suis désolé ! »

C'était drôle. Enfin, pas vraiment. Peut-être que drôle n'était pas le terme approprié. Mais c'était tout de même la première fois que Léolio voyait un tel air contrit et désolé sur la figure de son ami. Kurapika s'excusait envers lui.

Wao.

« Il faut m'excuser… Je suis navré… »

« C'est tout excusé, ne t'inquiète pas. Aucun problème. »

« … »

« Heu… De quoi est-ce que tu parles, au fait ? »

« Mais… L'autre jour ! Ta mère m'avait forcé à mettre une robe… Et… Enfin… Je me sentais vraiment mal et… C'est stupide… Je… J'ai… »

Léolio comprit.

« Oh ? Tu veux parler de ce soir-là ? Ah ! Ah. Ah… »

« … »

« … Tu… t'en rappelles, alors ? »

« Oui… »

« … »

« Je suis vraiment navré. »

« Ce n'est pas grave. »

« Je n'étais pas dans mon état normal ! »

« Je sais. »

« Il ne faut pas prendre au sérieux tout ce que j'ai pu dire. »

« Bien sûr que non. »

« Je ne le pensais pas. »

« Je m'en doute bien.

« C'est parce que je suis assez sensible à l'alcool. »

« J'avais cru comprendre. »

« Je sais compter, tu sais. »

« Heu ? Oui. Je sais. »

« J'avais un ruban dans les cheveux ! »

« Je comprends. Je comprends. »

« En fait, je ne voulais pas… Je n'avais pas l'intention de… Je ne voulais pas te forcer à… à ce qu'on… »

« Non, bien sûr que non. Bien sûr que non. »

« … Je crois… »

« Oui… »

« … »

« … Tu sais, heu… Je ne pensais pas que tu t'en souviendrais un jour… »

« … »

« Personnellement, j'ai fait comme si rien ne s'était passé… Tu n'as pas à être gêné… »

« … »

« Vraiment pas.. Je veux dire, ce n'est pas grave ! Ça peut arriver à tout le monde… »

« … »

« Et… surtout… quant on n'a pas l'habitude de boire de l'alcool… »

« … »

« Enfin, je veux dire… que c'est normal… faut pas t'en faire…'

« … »

« Et… »

« Alors comme ça j'ai des jolies jambes ? »


Ça y est, c'était fini.

La journée était finie.

Le mariage était fini.

Le repas de noces aussi.

Gon et Kirua ne s'étaient pas entretués pour les chouquettes qui avaient disparut de chacune de leurs assiettes.

Les sang-sues invitées par Maman avaient fini par prendre le large.

Ils étaient tranquillement rentrés à la maison, Maman et Léolio débattant à propos d'une quelconque histoire de médecin.

Et le blondinet était à présent occupé à se débarrasser de sa robe devant le miroir de leur chambre.

C'était fini.

« C'est fini, » fit judicieusement remarquer Léolio, allongé sur le lit et feuilletant une encyclopédie médicale.

Kurapika posa son voile sur la coiffeuse.

« Oui, » murmura t-il en fixant le bouquet de roses qu'il avait dû se coltiner tout l'après-midi. Il le déposa près du voile.

« Tu dois te sentir mieux, non ? »

« … Oui. »

« Pourquoi t'hésites ? »

« Pour rien. »

Léolio ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, la ferma et préféra se replonger dans son encyclopédie.

C'était fini.

Enfin non ; ce n'était pas fini ; elle était toujours là, l'Autre.

Kurapika ne souhaitait pas sa mort.

Mais quant même.

Enfin, pour voir le côté positif des choses, elle n'allait plus les bassiner avec cette histoire de mariage. C'était fait.

… Le Kuruta tendit discrètement une jambe et jeta un coup d'œil à la cheville qui dépassait du tissu nacré.

« Kurapika. Tu fais quoi ? »

« Rien. »

« Ah. »

C'était fini.

… Alors pourquoi l'atmosphère était-elle aussi lourde ?

Le subconscient du blondinet lui faisait clairement remarquer qu'il y avait une excellente raison à cela, seulement il refusait de lui avouer laquelle.

Parce qu'il y a certaines choses que l'esprit humain a du mal à accepter. En particulier celui de Kurapika.

« A quoi est-ce que tu penses ? » demanda Léolio en tournant une page.

« A… Rien… je… »

Il cligna des yeux.

Oh. C'était donc ça.

Ils s'apprêtaient à entamer une nuit de noces. Une fausse, bien sûr. Mais il préférait ne pas essayer d'imaginer ce que Maman pensait qu'ils étaient en train de faire à l'instant précis.

Il y avait de quoi alourdir l'atmosphère de la pièce.

Léolio leva les yeux.

« T'en mets du temps à te mettre en pyjama ! T'arrives pas à enlever ta robe ? Tu veux que je t'aide ? »

« NON ! Non ! Non non non ! C'est bon ! » s'affola la blondinet en s'emparant de son pyjama et en courant pour s'enfermer dans la salle de bain.

« Heu. D'accord… »

Le Kuruta se pétrifia dans son geste et se tourna du côté du lit.

« Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai dit quelque ch… »

« Tais-toi. »

Kurapika posa un doigt sur ses lèvres, l'oreille aux aguets.

Quelques secondes de silence passèrent.

Léolio écouta. Et perçu un léger vrombissement en fond sonore, comme si une sorte de gros insecte se cachait quelque part dans la pièce.

Kurapika fronça les sourcils, se baissa et souleva la couverture du lit.

Objectif de caméra noir et brillant.

« Heu. Souvenir de la nuit de noces ? » marmonna Kirua en souriant d'un air gêné.

Dans la nuit calme et obscure de la campagne paisible, retentit le cri d'un jeune assassin jeté par la fenêtre d'un premier étage.


« Fais pas la tête. »

« Je ne fais pas la tête. »

« Si, tu la fais. »

« Non. »

« Allez. Au moins, ne me fais pas la tête à moi. Je ne suis pas responsable des bêtises de la famille Zoldick. »

« Va savoir. »

« Meuh non. Et puis ce n'était pas si méchant. Juste une petite plaisanterie. »

« Elles ne sont pas toutes drôles, les petites plaisanteries, figure-toi. »

« C'en était une, de drôle. »

Long regard.

« Non. »

« … Si tu le dis. »

« … »

« En tout cas je n'y suis pour rien. »

« Non, mais par contre, c'est de la faute à qui, si je suis obligé de me travestir depuis plus de trois mois ? »

« Heu. Ben. Au départ, c'est toi qui as voulu m'accompagner à l'hôpital… »

« … ! Salaud ! »

« Hé ! »

« Et puis fiche-moi la paix. Laisse-moi lire. »

« D'accord… »

Le jeune médecin observa pensivement le visage de son ami penché sur son bouquin. La lumière dorée de la lampe de chevet illuminait doucement les mèches blondes de ses cheveux, et faisait se découper son profil fin et délicat.

Un grand sourire s'épanouit sur les lèvres du jeune homme.

« Hé, » susurra t-il en se penchant vers le Kuruta, « on fait un bisou à son gentil petit mari pour lui dire bonne nuit ? »


Un choc sourd, presque aussitôt suivi d'un cri.

Gon jeta un coup d'œil au plafond.

« Ben… ? »

« La mariée se déchaîne, » commenta Kirua sans quitter le cadavre de sa caméra numérique des yeux.

« Ah… »

« Elle va tuer Bill. »

« … Hein ? »


Maman leva le regard de son thriller et fixa le mur mitoyen d'un air surpris.

« Tiens ? Elle a l'air encore plus énergique que moi à l'époque pour ces choses-là, la petite ! »


Et le temps passa à nouveau. Vite. Bien vite. Aux yeux de certains. Beaucoup moins vite. Aux yeux d'autres. Le calendrier ne tarda pas à prendre l'habitude de sentir des regards tour à tour douloureux et frustrés braqués sur lui.

Le temps passa.

Et passa.

Et…

« Léolio ! Quant-est-ce que ta mère était sensée décéder ? »

« Heu… Il y a deux mois… Tu vas tout de même pas te plaindre qu'elle soit encore en vie ? »

« C'est une sale menteuse ! »

« Ça, par contre, c'est possible… »

Silence.

Kurapika posa son front contre la vitre de la cuisine, observant les rafales de feuilles mortes qui tourbillonnaient à l'extérieur.

« Ça va faire huit mois qu'on est là… Au risque de te surprendre, je commence à en avoir ras-le-bol… Je suis très étonné que Gon et Kirua n'aient pas déjà mis les voiles… »

« Je crois que l'endroit leur plaît… »

« Moi c'est l'occupante, qui ne me plaît pas. Une menteuse et une manipulatrice. »

« Oui. Mais… C'est ma mère. »

« Il est mort, ton père ? »

« Heu… oui… »

« C'est drôle. Ça ne m'étonne pas. »

« Hein ? C'était… une maladie cardiaque… »

Kurapika se mordit les lèvres.

« Oh… Désolé… »

« Il était… beaucoup plus vieux que ma mère… très gentil… je ne le voyais pas souvent… »

Il se tut un instant, semblant réfléchir.

« Je crois qu'elle l'a quant même un peu usé, sur la fin… »

« Tiens donc. »

« En tout cas, elle, elle est éclatante de santé, et ça me fait drôlement plaisir ! » ajouta t-il avec un grand sourire.

« … A moi aussi. Bien sûr. Du moins, ça me fait plaisir que ça te fasse plaisir. »

« Merci ! »

« … Oh. De rien. »

Le Kuruta se frappa violemment le front contre la vitre, tentant de se décharger d'au moins une ou deux pulsions négatives.

Léolio hésita.

Il savait que le blondinet souffrait.

Et Maman avait vraiment l'air en parfaite santé.

Sans compter que la situation ne pourrait pas éternellement durer ainsi.

Il mit donc de côté l'amère déception de ne plus jamais pouvoir admirer Kurapika en robe légère et fleurie comme cet été, et alla fourrager gentiment dans les cheveux du Kuruta.

« Tu sais quoi ? On a qu'à tout lui avouer. Puisqu'elle va mieux. Je pense que tu es d'accord avec moi pour considérer que ça suffit. »

Il sentit le blondinet sursauter sous ses doigts. L'adolescent demeura silencieux, posant une main à plat sur la fenêtre et observant toujours le paysage extérieur. Il finit par se tourner vers le jeune médecin, laissant échapper un petit rire acerbe.

« Parce que tu penses vraiment qu'après tout ce temps, elle va nous croire ? »

« Bah, on peut toujours lui prouver. »

Long et lourd silence.

« … Comment ça ? »

« Bah… Tu peux… »

« Hors de question. »

« D'accord. »

« Enlève ta main de mes cheveux. »

« D'accord. »

Silence.

« Heu… Mais… alors… Tu veux vraiment pas qu'on lui dise ? »

Le blondinet esquissa un geste énervé de la main et alla s'écrouler dans un fauteuil devant la cheminée.

« Non. Si j'ai accepté de porter des robes pendant huit mois, ce n'est pas pour lui avouer maintenant. J'ai ma fierté. »

« Mais… Tu veux que tout ça s'arrête ? »

« Oui. »

« Donc, tu ne veux rien lui dire et que tout s'arrête ? »

« Exactement. »

« Comment tu comptes t'y prendre ? »

« On plie bagage demain avant l'aurore. »

« Certainement pas. »

« … J'aurais essayé. »


« Pssst ! »

La main de Maman se crispa sur le fer à repasser et elle pivota lentement un œil corrosif en direction du jeune Zoldyck.

« Quoi ? » gronda t-elle.

« Ça fait un mois de plus qu'on est ici. Tu connais le tarif pour mon silence, » ajouta t-il avec une grimace réjouie et la main tendue.

Maman soupira.

« Tu n'es qu'un sale garnement. Et machiavélique, avec ça… Dommage que tu ne sois pas de la famille, j'aurais pu espérer que mes petits-enfants tiennent de toi… »

« Mais, ils tiendront peut-être de vous, Linda ! »

« Gentil petit, qui essaie de me remonter le moral… »

Elle fouilla dans la poche de son pantalon et en sortit un bon de cinq kilos de friandises pour le confiseur.

« Tiens. Va donc creuser un peu plus tes caries. »

« Merci, Linda ! »

… Le fait que Gon et Kirua ne mettent pas plus d'une petite demi-heure à faire le trajet de la maison au centre-ville à pied n'avait jamais grandement affecté Maman.


Kirua en fut vraiment très triste.

Après tout, il avait trouvé le filon d'or ; à chaque fin de mois, il obtenait de quoi se goinfrer pendant tout le suivant.

Il était conscient que ce bonheur insouciant ne pourrait durer éternellement, hélas.

Mais il fut tout de même terriblement attristé, quant il vit Léolio pousser les hauts cris au téléphone.

Il comprit aussitôt qu'il allait bientôt devoir faire ses adieux au confiseur.


Ce fut un médecin furibond, fulminant et rouge de rage qui fit irruption dans la cuisine, plaquant violemment la porte contre le mur et pointant un doigt tremblant de colère vers sa mère.

« TOI ! »

Maman et Kurapika étaient attablés devant un catalogue de vêtements, Maman tentant avec force de convaincre sa bru que les mini-jupes se portaient très bien en hiver avec un collant épais, et Kurapika priant intérieurement pour une intervention, n'importe laquelle.

Maman haussa un sourcil en direction de son fils, se dirigea sereinement vers le frigo et se versa un jus d'orange.

Kurapika présenta toutes ses excuses à sa bonne étoile pour l'avoir autant injuriée dans les mois précédents.

« Mon chéri, » fit-elle d'un ton neutre, « si tu ne te calmes pas tout de suite, je vais aller chercher les albums photos. »

« JE VIENS D'AVOIR L'HÔPITAL AU TELEPHONE ! »

Maman haussa un sourcil au-dessus de son verre.

« Oh ? … Vraiment ? »

« OUI ! ET TU SAIS CE QU'ILS M'ONT DIT ? »

« Non, qu'est-ce qu'ils t'ont dit ? »

C'était Kurapika qui venait de poser la question. Se levant lentement, il s'appuya contre le bord de la table, son visage inexpressif et pâle tourné vers Maman.

Et, pour ce qu'on pouvait en voir, il n'avait pas l'air content.

Léolio respira un grand coup.

« Je m'explique ; ils voulaient savoir si on avait bien reçu les radios. J'ai dis que non ; ou alors, c'était que tu ne me les avais pas données. »

« Je ne te les ai pas données. »

« Voilà. Et là, ils m'ont dit que je devais être vraiment heureux que tu sois en pleine forme. J'ai été surpris qu'ils soient au courant. Je leur ai demandé des explications. Eux, ils ont été surpris que je sois surpris, et ils m'ont donné des explications. VOILA ! »

Il restait quelques gouttes au fond du verre de Maman. Elle les fit rouler lentement, les observant avec intensité.

« Et… C'était quoi, ces explications ? »

… Toujours Kurapika.

« Une erreur de dossier ! Elle n'a jamais rien eut, l'autre ! Ce n'était qu'un vague évanouissement dû à la chaleur ! »

Maman se mouilla un doigt et le fit glisser sur le bord du verre.

« Et figure-toi, figure-toi ! Qu'ils s'en sont aperçu aussitôt ! Et ils ont téléphoné ! Et qui a répondu, bien sûr ? ELLE ! CETTE PESTE MONSTRUEUSE ! »

Alertée par les cris, la tête de Kirua, dans l'embrasure de la porte, fut bientôt rejointe par celle de Gon.

iiiiiIIIIIiiiii, fit le doigt de Maman, indigné.

« ARRÊTE ÇA ! »

« Ah, ne parle pas comme ça à ta mère, Léolio. Ça ne se fait pas. Et je trouve déjà ça très triste, que tu ne sois pas heureux que je sois en bonne santé. »

Léolio eut un blanc. Il ouvrit la bouche, suffoqué, et mis quelques secondes avant de réussir à articuler un mot.

« Mais… Mais enfin, Maman ! Bien sûr, que je suis heureux que tu sois en bonne santé, mais… Tu n'as pas l'air de te rendre compte que tu nous as fais croire que tu étais condamnée ! Que tu allais mourir ! C'est immonde, Maman ! »

« Non, Léolio. Elle ne se rend pas compte. »

La voix de Kurapika claquait comme un fouet dont on aurait affûté les lanières.

Maman tiqua et tourna les yeux vers lui.

Le blondinet n'avait pas du tout, du tout, du tout l'air content.

Et, peut-être pour la première fois de sa vie, une forme primitive de peur naquit au fond des prunelles de Linda.

Mais la peur était de toute évidence un sentiment qui ne trouvait pas beaucoup de prises chez Maman ; elle eut un geste énervé de la main et une moue rageuse sur le visage.

« Ah ! Parce que bien sûr, niveau secret, vous pouvez vous permettre de me faire des leçons, vous deux ! Je vous trouve gonflés ! Tas d'hypocrites… Comme si je n'avais pas remarqué votre petit manège ! Du travestissement ! Je… »

Maman sentit une main se crisper sur son bras. Elle baissa les yeux et croisa le regard bleuté du Kuruta, qui la fixait, une expression mitigée de divers sentiments contradictoires, où régnait peut-être en priorité l'indignation, l'incrédulité et le soulagement, se dégageant de chacun de ses traits.

« Heu… »

« Vous étiez au courant ? Ne me dîtes pas que vous étiez au courant ! Répondez ! »

« Mais bien sûr que si, que j'étais au courant ! Je ne suis pas une demeurée, tout de même ! »

« Mais vous n'étiez pas au courant depuis le début ? »

Silence.

« … Non non. »

« Espèce de… ! »

Maman se dégagea vivement. Elle avait conscience qu'en cet instant précis, sa vie ne tenait pas à grand chose ; sans doute peut-être seulement aux deux bras de son fils passés autour des épaules du Kuruta.

Mais s'il le retenait, ça n'avait pas l'air d'être pour un autre motif que celui du simple respect filial.

« … Mais… Pas la peine de me regarder comme ça, enfin ! Ce n'était quant même pas douloureux à ce point ? Moi je trouvais ça très drôle ! »

« LÂCHE-MOI, LEOLIO ! JE VAIS L'ETRANGLER ! »

« Je… »

« Tais-toi, Maman, ou je le lâche. »

« Mais enfin à quoi vous pensiez ? Ça se voit tout de suite, que c'est un garçon. (Enfin, presque.) (Au bout de quelques mois.) »

Kurapika s'immobilisa aussitôt.

Long regard écarquillé.

« C'est… C'est vrai ? Vous trouvez que je ressemble à un garçon ? »

« Mais oui, bien sûr. »

« … »

« KURAPIKA ! Tu vas pas lui sauter dans les bras, quant même ? »

Eclat de rire à l'autre bout de la pièce.

Maman plissa les yeux et sonda le jeune assassin d'un regard impassible.

« … Ça t'amuse, que je me fasse houspiller par mon propre fils, Kirua ? »

L'interpellé secoua négativement la tête entre deux hoquets, se raccrochant désespérément à la poignée de la porte pour ne pas s'effondrer de rire sur le plancher.

« Il était au courant que j'étais en parfaite santé, » expliqua Maman d'un ton sec à l'adresse du jeune couple.

« QUOI ? »

Il est très rare d'entendre aussi parfaitement deux voix à l'unisson.

Près de Gon, seul un léger nuage de poussière indiquait la présence de Kirua un quart de seconde plus tôt.

Le jeune garçon scruta un instant silencieusement le bout du couloir, la porte d'entrée battant silencieusement dans le vide.

Lorsqu'il reposa son regard sur les trois autres, ce fut pour voir Maman se diriger vers le buffet et en sortir un lourd classeur rempli de pages colorées.

S'il avait su ce que c'était, s'il avait su la réaction que cela allait déclencher, il ne se serait pas approché.

Léolio et Kurapika examinèrent le recueil volumineux d'un regard fixe, les mains élégantes de Maman plaquées sur la couverture comme si elles essayaient de s'y incruster, le sourire aux dents brillantes de mauvaises pensées de Maman, et enfin les yeux de Maman, tout aussi désagréablement brillants.

Pour une raison obscure, ils furent envahis par un mauvais pressentiment.

« C'est tellement absurde, mes agneaux » susurra t-elle en caressant le classeur d'un geste reptilien. « Tellement absurde… Me cacher que tu étais un garçon, ma peti… Mon petit. »

« Mmh. Tu sais, on a pas voulu te… faire de la peine, Maman… »

« Voyons, voyons… Me faire de la peine, quelle idée… »

Kurapika ne disait rien. Il agrippa involontairement la manche de son ami.

« … Comment auriez-vous pu me faire de la peine, mes trésors… Je n'ai absolument rien contre l'homosexualité, voyons… Vous préférez une fille ou un garçon ? » ajouta t-elle en ouvrant le guide pratique sur les démarches de l'adoption, ignorant le cri mêlant rage, terreur et désespoir du blondinet.

Léolio le retint ne nouvelle fois par les épaules, conscient qu'ils venaient tous deux de sombrer dans un gouffre sans fond et sans lumière.


Le confiseur ajouta trois énormes sachets de dragées à la myrtille et gratifia Kirua d'un sourire ravi.

« Voilà, M'sieur Kirua ! Vous repasserez, le mois prochain ? »

« Oh... Je ne suis pas sûr, mais… Je pense que oui. Un pressentiment… »


/finiii/


(La fin est peut-être un chtit poil rapide…)

Enfin bref : un gros gros merci à ceux qui ont lu et aimé !