CHAPITRE 9
Je
me baisse lorsque les vitres de la patrouilleuse volent en éclats,
je suis effrayé, je ne peux plus ni bouger ni respirer, je
vois Leroy Mann démarrer en trombe du coin de l'œil, mais
je ne peux rien faire. Je me couche au sol, et aperçois un
corps tomber de l'autre côté de la patrouilleuse, une
main ensanglantée venant se déposer à terre, je
ne sais pas qui c'est. Je ferme les yeux, je ne peux pas assister à
tout ça, c'est un cauchemar duquel je dois me réveiller,
j'entends des cris, des cris d'agonie, de terreur, de souffrance,
mais ne peux réagir. Comme au jour de ma première
fusillade, je reste sans rien faire, impuissant face à la
démence de ce malade. Et je me cache, voulant fuir tout ça,
cette chaleur qui me frôle, ce verre qui vient s'incruster
dans ma chaire, cette immondice venant heurter mon âme. Le
policier n'est plus là, en moi, seul l'enfant effrayé
se brise à cette réalité que je veux fuir. Je
pense à Ty, Finney, et les autres, Dave, Manny, Sacha, Bosco,
Faith…
Mais ce bruit assourdissant à mes oreilles, ce
vrombissement qui me glace bien que j'essaye de le nier. Je dois me
lever, y aller, les voir.
Je relève la tête et voit un corps s'écraser sur le capot de la patrouilleuse, et moi qui reste là, regardant… Mes muscles se raidissent à cette vision d'horreur d'un corps brûlé et déchiqueté ; méconnaissable. Le badge presque intact du policier me révèle qu'il est du 1er district, celui de Santiago. Je regarde ces yeux qui me supplient, ces larmes qui coulent, ce corps qui me demande de l'aide, ce carnage devant moi, ce policier qui vit encore, s'accrochant au peu d'espoir que sa condition lui apporte, avant qu'il ne lâche son dernier soupire dans un cri d'agonie.
C'est alors que
je me décide à regarder au-delà de cet homme
inexistant désormais, et ma terreur se transforme en rage à
la vue de ce champ de combat, de ce sang qui s'écoule, de
ces corps jonchant le sol, et de ma terreur à avancer.
J'entends quelqu'un hurler, avant de me rendre compte que ma
propre voix me revient en écho, je crie désespéramment
le nom de Ty et de mes anciens collègues, de mes amis, je vois
cette ombre bouger au sol et réalise que c'est la mienne, je
cours, je trouve cette force d'aller en avant et de courir,
enjambant les corps, les débris, fuyant ou affrontant ce
chaos. Je vois certains policiers qui n'étaient pas rentrés,
ainsi que les tireurs d'élite, arriver en aide, puis les
sirènes des pompiers et des ambulances résonnant à
mes tympans comme un orgue dans une cathédrale. Ma rage est
plus forte que ma peur, et je continue à avancer, toujours
plus loin, espérant les retrouver tous, en vie, cet espoir qui
m'a fait tenir 26 années durant, cette adrénaline qui
remonte, et ma détermination qui me domine.
Sully : TY ? DAVE ?
J'entends Mayers, en côté, hurler pour les secours, qui arrivent, mais je ne peux tourner la tête. La guerre entre cette ordure de Mann et moi a commencé, je ne le laisserai pas, la seule certitude que j'ai est que je le tuerai de mes mains dès que je le verrai, dans ce face à face que je viens de programmer. Et il rejoindra son Oncle en enfer, je lui en fais la promesse.
Sacha : Sully ?
Je me retourne et la vois, la tête en sang, boitillant, mais là, en face de moi, et je ne peux que la serrer dans mes bras.
Sully : Tu n'as rien ? Tu n'as rien ?
Ma voix tremble, mais elle me sourit.
Sacha : Ca peut aller.
Sully : Seigneur.
TY ?
Ty : Ca va !
Il arrive, et à ce moment précis, je reprends foi. Foi en la vie, et aux miracles, c'est à peine si je peux croire qu'il est vivant, se tenant debout juste à 2 mètres de moi. Je sens alors un liquide couler le long de mes joues, des larmes que je ne peux plus tenir désormais. J'entends les pompiers commencer à se mettre en place, mais mon regard se tourne de nouveau vers le commissariat en flammes.
Sully : Les autres…
Ty :
Finney est blessé, mais légèrement, Swersky
s'est cassé le bras et a été brûlé,
quant à Manny, Bosco et Faith, je n'en sais rien du tout.
Miller vient d'être évacué, il est entrain de
râler plus qu'autre chose.
Mayers : Aidez nous, grouillez vous ?
Je regarde des ambulanciers faire leur travail, une cinquantaine de flics est allongée par terre, et regarde Sacha qui comme moi ne peut retenir des larmes de peine mais avant tout de haine. Les pompiers entrent dans le commissariat, d'autres ambulances arrivent. Je reconnais Carlos et Lévine, qui se dirigent vers nous
Carlos : C'est quoi ce bordel ?
Vous allez bien ?
Holly : Sacha ?
Sacha : Ouais rien de
méchant, mais eux…
Elle pointe son doigt en direction des hommes agonisant à terre, certains nous transpercent de leur regard, tandis que Carlos s'agenouille à leurs côtés, ces regards de peur, d'incompréhension, de peine, ces regards que je ne peux soutenir. Jamais en devenant flic je n'avais pensé à de telles catastrophes, et en trois heures de temps mes cauchemars se réalisent. D'abord cette explosion à Haggerty, puis la fusillade de l'hôpital, le 53ème qui explose puis le 79ème.
Trois heures, seulement trois heures pour que tout ça se passe, et je réalise que nous avons fait ce que Leroy Mann voulait, se réunir pour tous nous avoir. Mais nous sommes toujours ces flics, ceux du 55ème, avec notre ténacité et notre acharnement. Et jamais, jamais personne ne pourra nous séparer.
Tout avait été programmé par ce fou, et je me retrouve une fois de plus dans cet hôpital, alors que trois de mes collègues, car ils le sont toujours au fond de moi, n'ont pas encore été retrouvés, tandis qu'à la télé, les infos ne cessent de repasser les évènements de la journée, et j'apprends que le nombre de morts dans les forces de police a atteint son paroxysme en une journée, 123. 123 morts juste pour nous, à cause de la folie d'un homme, à cause du dévouement des autres policiers pour notre équipe, et mon regard s'attarde une fois de plus sur les quelques morceaux de verres jonchant encore le sol, les vitres brisées maintenues par de vulgaires morceaux de scotch dans cet hôpital aux allures d'apocalypse, tous ces blessés défilant sous mes yeux, ces secouristes prononçant des discours incompréhensibles, et moi qui reste là, pétrifié, à ne rien faire.
Je vois le docteur Fields passer à ce moment là, il travaille toujours ici mais je ne m'en étais pas rendu compte, il se dirige vers une salle d'examen encore opérationnelle. Je vois Swersky à travers une vitre, le Dr Hickman s'occupant de lui, et Dave qui à l'air inquiet. Se sentir impuissant, quoi de plus dur. Les médecins sont débordés, environs 75 blessés entre l'explosion du 53ème et du 79ème, plus celle d'Haggerty avant. Des bandages de fortunes sont fais à certains, des infirmières que je n'avais jamais vu se précipitent sur les cas les plus grave. Je vois Finney en exam 2, allongé sur un lit, tandis qu'un médecin l'ausculte. Puis Miller au téléphone, essayant d'avoir des nouvelles de la situation, sans doute par Mayers, chose que je n'ai pas le courage de faire.
Ty : Ils vont les retrouver
Je lève la tête et peux voir cette détermination dans le regard de mon ancien partenaire, regard qui change en une fraction de seconde lorsqu'il fixe les portes derrière moi, et ce à quoi j'assiste alors, en voyant les trois brancards s'insinuer dans l'hôpital, me fait sentir mal.
TBC
