Réponses aux reviewers:

Rogue Power: Contente de voir un nouveau lecteur (ou bien plutôt une nouvelle lectrice)? En espérant que la suite te plaise... Merci!

Etincelle de vie: Oh, tu sais, Morgane a son caractère, je l'ai montré dès le début de la fic. Mais effectivement, il est plutôt rare qu'elle s'énerve vraiment. Que de questions, n'est-ce pas? Quelques réponses dans ce chapitre... bisous et merci.

Lice: Merci, ça me touche beaucoup. Enjoy!

Voilà donc la suite, pas très en avance, certes, mais je fais ce que je peux car j'ai toujours pas mal de travail et je ne peux pas toujours consacrer beaucoup de temps à mon histoire. En tous cas pas de soucis, je n'ai pas décidé d'arrêter et loin de là! En attendant, ça me ferait plaisir que les reviews se fassent plus nombreuses, car on ne peut pas dire qu'elles arrivent en masse après chaque chapitre... A vous de voir ce que vous voulez. Parfois une petite review me fait penser à mon histoire et me donne envie de la continuer sur le champ. Et donc, forcément, la suite arrive plus vite. Bonne lecture à tous!

CHAPITRE XII : Parle-moi de ton passé et je te dirai qui tu es

Les vacances de Noël touchaient à leur fin. Plus que quelques jours et les élèves reviendraient animer le château si vide de vie en cette période hivernale. Morgane appréciait la solitude qui accompagnait ses longues journées mais elle attendait malgré tout impatiemment le retour de Gwendoline, la reprise des cours et tout ce qui faisait de Poudlard un endroit si particulier lorsqu'il était habité par tous les jeunes sorciers qui venaient y étudier, assoiffés de connaissances. Elle n'était pas trop sûre pourtant de savoir quoi raconter à son amie. En réfléchissant, elle se dit que les deux jeunes filles parlaient peu. Souvent, il leur suffisait d'un regard, d'un geste, d'une expression faciale pour qu'elles puissent se comprendre. Morgane ne parlerait pas de complicité, puisque rien ne les unifiait en apparence, elles si différentes, mais plutôt d'une sorte de respect mutuel, d'admiration partagée. Comme elle, Gwendoline était intelligente, solitaire, quelque peu farouche. Elles étaient deux louves qui apprenaient à vivre en communauté mais qui jamais n'auraient cédé un bout de leur territoire. Elles appréciaient la compagnie de l'autre autant que les moments de solitude. Elles aimaient partager un peu de leurs souvenirs, un moment particulier, un clin d'œil parfois. Plutôt que de l'affection, c'était de l'attachement qu'elles éprouvaient l'une pour l'autre, chacune s'étant habituée à la présence régulière de son amie à ses côtés. Cette présence rassurante de la Serpentard manquait malgré tout à Morgane. Elle avait l'illusion de se sentir un peu protégée, comme cela. Protégée de quoi ? Elle n'en avait aucune idée. Mais elle aimait ce qui faisait de Gwendoline une jeune femme si différente des autres. Elle aimait ne pas avoir à justifier certaines de ses sautes d'humeur, elle aimait être impressionnée par son talent dans les diverses matières, elle aimait sa discrétion et ses attitudes parfois distantes. Gwendoline représentait un défi car ce n'était pas le genre de personne à vous accorder de l'intérêt facilement. Et Morgane préférait cette pointe de difficulté aux fausses amitiés si légèrement accordées par les autres élèves de Poudlard. Morgane préférait son visage cristallin aux figures banales des autres filles de leur âge. Et elle n'avait que faire des murmures qui parcouraient parfois le château en s'étonnant de l'étrangeté de leur relation d'amitié.

Neil était si différent… Morgane s'amusait à comparer les deux élèves qu'elle appréciait le plus à Poudlard. Cela faisait seulement quelques jours qu'elle avait rencontré le jeune homme, pourtant ils avaient agi comme s'ils se connaissaient depuis longtemps. Pas d'explication, un simple regard malicieux de sa part et tout était dit. Plus vif, espiègle, sauvage. Il était le lionceau qui venait narguer la louve, qui agissait comme bon lui semblait et qui apparaissait et disparaissait de façon toujours imprévisible. Morgane l'avait recroisé plusieurs fois dans les couloirs après l'épisode fâcheux du cours d'Activités spéciales il y a seulement quelques jours. Ils n'avaient pas vraiment reparlé depuis. Pourtant elle aurait aimé se confier un peu à lui. Cela lui faisait peur, dans un sens. Elle avait toujours eu pour principe d'être la plus réservée possible avec ceux en qui elle n'accordait pas une confiance absolue et elle n'était pas très sûre que Neil méritât la sienne. Pourtant elle avait envie de le connaître un peu plus, de creuser un peu et de découvrir ce qu'il se cachait derrière la fine couche fantaisiste et spontanée qu'il affichait toujours d'un air rieur.

La jeune femme soupira d'aise en repensant à ces deux élèves si particuliers. Elle aimait repasser dans sa tête les bons moments, bien que ceux-ci ne soient pas très nombreux, qu'ils avaient pu passer ensemble. C'est en remontant les semaines pour retrouver un souvenir plaisant que l'image du piano lui apparut. Elle n'avait pas osé retourner en jouer, depuis l'étrange scène dont elle avait été à la fois l'actrice et la spectatrice distante. Mais en caressant des doigts ses paumes de main, elle se rendit compte que le contact froid des touches blanches et noires lui manquait. Elle avait toute l'après-midi de libre et personne ne risquait de remarquer son absence. Pourquoi pas maintenant ? Et avant que son esprit ait pu dire « oui », ses pas l'entraînèrent vers le septième étage et sa salle mystérieuse.

Le siège de velours, le piano, la partition… étaient toujours là. Ces mêmes pages jaunies, cette même encre noire qui venait ponctuer gracieusement les lignes musicales pré tracées. Cette même mélodie ? En faisant promener distraitement ses mains sur le clavier tout en suivant de l'œil la partition, Morgane se rendit compte que l'air avait changé. Il se faisait plus rapide, plus vif, mais plus pénétrant. Intriguée, elle se cala confortablement sur le siège noir et entreprit de déchiffrer ce nouveau morceau, en fronçant les sourcils. Mais son étonnement fit place à un sourire discret qui se dessina au coin de ses lèvres. Bientôt elle fut prise par la musique et la même sensation d'étourdissement vint l'envelopper toute entière avec douceur. Seule la mélodie du piano se faisait entendre. Le décor n'avait plus d'importance. Elle rêvait à nouveau.

Cette fois, la petite fille se balançait doucement sur une vieille balançoire de bois. Elle avait grandi et paraissait maintenant huit ou neuf ans. Ses longs cheveux châtain n'étaient plus joliment tressés en deux petites nattes mais retombaient gracieusement sur deux épaules maigrichonnes. Ils étaient un peu emmêlés, car le vent soufflait fort au dehors et quelques mèches de cheveux venaient balayer son visage souriant. Elle était emmitouflée dans une épaisse veste de laine et ses mains fermement accrochées à la corde usée qui rattachait la balançoire au portique venaient trouver un peu de chaleur dans deux petits gants aux couleurs chatoyantes. Ses pieds venaient parfois racler le sol pour ralentir ou au contraire pour lui redonner de l'élan. C'était amusant, car alors le sable voletait de part et d'autre et la fillette essayait de l'envoyer le plus loin possible. Parfois elle parvenait même à mêler une feuille morte à sa ronde ensablée et alors elle riait de ce mélange plaisant de couleurs ocres.

Cela faisait plusieurs heures déjà qu'elle jouait dans le petit parc. Elle entendait au loin les cris des autres enfants agités qui préféraient les toboggans d'un rouge flambant neuf et les petits manèges qui allaient si vite. Mais elle, restait fermement accrochée à sa balançoire, comme si sa vie en dépendait. Elle regardait, curieuse, les enfants du coin de l'œil, mais n'osait pas se joindre à leurs jeux et se disait pour elle-même qu'ils n'étaient certainement pas très intéressants. Elle aimait observer les parents plus ou moins attentifs également. Beaucoup étaient assis sur des bancs de bois, parlant entre eux ou plongés dans quelconque journal. D'autres se mêlaient maladroitement aux récréations de leurs enfants. Tous venaient régulièrement se détendre dans le petit parc et la fillette finissait par connaître ces têtes qui lui devenaient familières. Il y avait ces deux jumeaux de cinq ans, très chahuteurs, qu'elle ne parvenait jamais à différencier. Et puis une jeune femme rousse qui venait avec sa petite fille. Elle aimait beaucoup le tourniquet et battait des mains, de joie, lorsque celui-ci prenait de la vitesse. Il y avait même un vieux monsieur aux cheveux tout blancs. Elle ne savait pas trop ce qu'il faisait là, son journal à la main, mais il était un de ses sujets d'observation favoris. C'était si drôle lorsqu'il poussait un léger grognement de mécontentement quand les cris des jeunes chenapans se faisaient trop aigus. Sa moustache se soulevait en même temps que sa lèvre supérieure dans une mimique amusante, ce qui arrachait toujours un sourire à la petite fille brune.

Aujourd'hui, pourtant, un nouveau visiteur s'était glissé parmi les habitués du square, ce qui éveilla immédiatement la curiosité de la fillette. Il se distinguait tout de suite des autres, avec son allure singulière et ses drôles d'habits. Il était tout de noir vêtu et paraissait drapé dans une grande cape d'ébène, qui retombait jusqu'à ses pieds. C'était le seul à ne pas paraître occupé. Lui aussi observait la scène de vie qui s'offrait à ses yeux et laissait son regard errer d'une personne à l'autre, en spectateur discret. La petite fille ne parvint pas à distinguer précisément les traits de son visage, car ses yeux se cachaient derrière quelques mèches de cheveux de jais éparses. Elle le fixa pendant de longues secondes, attendant patiemment qu'il tourne la tête dans sa direction. Il l'intriguait. Mais elle était trop fière pour daigner s'approcher de lui afin de satisfaire sa curiosité. Soudain il sembla la remarquer et l'enfant découvrit deux grands yeux noirs lorsqu'il leva les paupières pour mieux la regarder. Le regard émeraude de la fillette brilla d'intérêt et elle offrit timidement un sourire à l'inconnu. Celui-ci parut hésiter puis le lui rendit, découvrant une rangée de dents blanches. Ils se regardèrent encore quelques secondes puis l'homme se leva lentement et s'approcha du portique. Il prit place sur la balançoire voisine de celle occupée par la petite fille. Il ne paraissait pas très à l'aise. Elle, l'observait en souriant, attendant qu'il entame la conversation.

- Eh bien, tu restes donc assise là, toute seule ? dit-il enfin, brisant le silence.
- Oui, répondit-elle dans un souffle.
- Tu ne t'ennuies pas ?
- Oh non, je regarde les gens.
- Ils sont étranges.
- Vous aussi.

L'homme la regarda, amusé. Il avait les traits tirés, d'épais sourcils et un air grave mais une expression bienveillante levait le voile austère qui couvrait en apparence son visage. Il dégageait une telle impression de force que l'enfant ne se lassait pas de le regarder.

- Que faites-vous ici ? reprit-elle.
- Je suis venu rendre visite à ma nièce.
- Ah ? Et comment s'appelle-t-elle ?
- Son nom est Morgane. Morgane Greene.
- Mais… c'est moi ! s'exclama l'intéressée.
- Je le sais bien que c'est toi, dit-il doucement en souriant.

Morgane le regarda, interloquée, puis répliqua :

- Vous êtes un menteur ! Je ne vous connais pas.
- Tu étais trop petite, tu ne te souviens pas de moi. Je suis désolé, je n'ai pas pu venir te rendre visite plus tôt. Mais tu sais, j'ai un drôle de travail et… enfin, tout ceci est très compliqué.
- Je n'ai plus envie de faire votre connaissance. Et puis d'abord, je ne sais même pas comment vous vous appelez.
- Je suis Andraël Greene.
- Pourquoi est-ce que maman ne m'a jamais parlé de vous ?
- Je crois qu'elle ne m'aime pas beaucoup, répondit-il, hésitant.

L'enfant leva vers lui un regard étonné. Beaucoup de questions l'assaillaient mais elle ne savait pas vraiment par où commencer. Elle avait terriblement envie de lui parler d'elle, de ses doutes, de le connaître un peu plus et d'évoquer de vieux souvenirs qui refaisaient parfois surface. Mais tant d'appréhension faisait douter son cœur d'enfant et elle ne savait si elle devait continuer à jouer la fillette hautaine ou tenter de percer la carapace de cet homme intrigant. Son esprit méfiant la mettait en garde contre cet étrange personnage mais son intuition lui soufflait de se lancer, de lui arracher quelques révélations. Elle se mordit la lèvre inférieure.

- Morgane, veux-tu entendre un secret ?
- Oui, souffla-t-elle.
- Mais tu dois me promettre de n'en parler à personne.

Elle regarda autour d'elle, mal à l'aise.

- Tu entends ? répéta-t-il. A personne.
- Promis.

Il marqua un temps de pose, avant de reprendre.

- Ne t'es-tu jamais sentie un peu différente des autres ? Je t'ai observée tout à l'heure et tu ne te mêles pas aux autres enfants de ton âge. Pourtant, tu le pourrais, si tu le voulais, mais tu sembles préférer rester à l'écart. N'as-tu pas également l'impression de posséder quelque chose que les autres n'ont pas ?
- C'est juste que cela a toujours été comme ça, je n'aime pas trop leurs jeux.
- Peut-être… As-tu déjà remarqué certains phénomènes un peu étranges autour de toi ?

Andraël vit sa nièce réfléchir, puis hésiter avant de formuler une réponse.

- Enfin, peu importe, ajouta-t-il. L'essentiel est que tu saches que tu es une sorcière, Morgane.

Elle leva vers lui de grands yeux effrayés.

- Est-ce grave ?
- Bien au contraire, la rassura son oncle, amusé. Ton père…
- Il est mort, le coupa la fillette.
- Ton père était un sorcier lui aussi. Tu devrais être fière.

Fière ? Comment pouvait-elle l'être si tout ce qui lui restait de son géniteur n'était qu'une vieille photo sur laquelle le temps avait laissé ses marques ? Un nom, un simple nom, venait lui aussi s'ajouter à l'image confuse que l'enfant se faisait de son père : Melchior Eloï Greene. Il résonnait dans sa tête en un bruit sourd et venait se mêler aux pensées éparses qui lui occupaient l'esprit après la révélation de son oncle. Morgane ne savait comment réagir. Au fond, elle ne savait même pas ce que cela signifiait. Elle était une sorcière, certes, et alors ? Cela devait-il la rendre différente ? Et puis, elle n'était même pas sûre d'en être vraiment une. Elle n'avait jamais rien fait d'extraordinaire. Peut-être, quelques attitudes, scènes étranges ? Elle ne savait plus, elle fouillait du mieux qu'elle le pouvait sa mémoire mais elle sentait que ses plus anciens souvenirs se cachaient, ne voulaient pas remonter à la surface. Que c'était agaçant de se heurter à la barrière hostile du temps, de rencontrer le vide là où elle sentait qu'il existait quelque chose ! Et son oncle ? Que savait-il ?

- Et vous… vous êtes un sorcier également ? s'enquit-elle.
- Bien sûr. Ton père et moi sommes issus d'une famille de sang pur dans laquelle des générations de sorciers se sont succédées. Jusqu'à ce que ton père épouse cette moldue et…
- Quoi ? le coupa-t-elle à nouveau.
- Moldu est un terme utilisé pour désigner tous les humains dépourvus de pouvoirs magiques.
- Oh…
- Il arrive parfois qu'un sorcier s'éprenne d'une moldue et… c'est ce qui est arrivé, avec ta maman. C'est donc grâce à ton père si tu possèdes des pouvoirs magiques.
- Etrangement, je ne me rappelle pas les avoir déjà vus se manifester, railla la fillette.
- Cela ne signifie rien, jeune insolente, répliqua-t-il.

Il prit un air absent et poussa un long soupir. Morgane le regarda avec curiosité et put apercevoir quelques rides de fatigue se glisser au coin de ses yeux. Il était si difficile de sonder son regard… Ces grands yeux noirs renfermaient tant de mystère et de sérieux ! Jamais elle ne parviendrait à savoir ce qu'il pensait réellement tant le masque arboré était lisse et impassible.

- Tu es aussi effrontée que ton père, ajouta-t-il. Tu lui ressembles, tu sais.
- Je ne le connais pas, siffla la petite fille.
- Personne ne connaît vraiment Melchior Eloï Greene…
- Racontez-moi ! S'il vous plaît… supplia-t-elle.
- Que veux-tu savoir ? dit-il lentement, l'air hésitant.
- Je veux savoir… Son histoire, qui il a été, pourquoi il est mort et pourquoi maman n'a jamais répondu à mes questions. Je veux savoir aussi ce que c'est que d'être sorcière.

L'homme drapé de noir prit une longue respiration. Un instant, son visage parut prendre une expression ennuyée mais il retrouva bien vite son calme apparent. Pourtant, les jointures de ses mains fermement serrées autour de la cordelette de la balançoire viraient au blanc et trahissaient une certaine tension. Son regard parcourut le sol distraitement. Peut-être espérait-il trouver les mots justes dans une contemplation brève du sable gris ? Morgane attendait patiemment. Elle voulait tout retenir de son discours, ne rien oublier. Elle avait si peur que ce souvenir s'envole à nouveau…

- Je vais commencer mon récit au mariage de tes parents. C'était, voyons… En 1976. Il faut que tu saches que ton père a toujours été un grand solitaire, farouche, qui appréciait peu la compagnie. Il préférait aux gens ses escapades nocturnes et ses ballades dans les landes. Il était très intelligent, passait des journées entières plongé dans des livres, assoiffé de connaissances. Il paraissait ne jamais connaître la fatigue, tant il semblait travailler toute la journée, sans jamais prendre de pause, avec la même régularité et la même volonté farouche. J'étais comme lui, à l'époque, bien que moins assidu et plus ouvert. Beaucoup ont abandonné l'idée de nous faire changer de caractère , nous étions si distants et si repliés sur nous-mêmes… C'est alors que Melchior a rencontré Emily, ta maman. Elle le changea complètement, j'ai cru ne pas le reconnaître. Au lieu du frère taciturne et renfermé que je connaissais si bien, je rencontrai une nouvelle personne, déridée, dont le visage se voyait enfin éclairé d'un sourire. Ton père paraissait très amoureux. Il précipita le mariage et épousa Emily seulement quelques mois après leur rencontre. Mais c'était mal le connaître que de penser qu'il pourrait vivre serein et en paix avec lui-même très longtemps. La vie conjugale n'était pas faite pour lui et sa véritable nature eut tôt fait de reprendre le dessus. Il s'enfuit, laissant seule Emily, alors enceinte de toi. Il fuyait la foule, la routine, l'enfermement, croyant ne pas être capable de comprendre l'esprit de famille et de se montrer à la hauteur. Plus que tout cela, il fuyait la peur elle-même, il fuyait son ombre. Qui sait ce qui a pu lui passer par la tête…

Morgane l'écoutait attentivement, les yeux brillant d'intérêt. A mesure qu'il parlait, elle tentait de construire une image plus précise de l'homme qu'avait été son père. Elle se reconnaissait un peu dans le portrait qu'en brossait son oncle et elle éprouvait comme un mélange de fierté et de crainte. Enfin elle allait pouvoir se construire une véritable identité !

- Et que s'est-il passé ensuite ?
- Es-tu sûre de vouloir connaître la suite de l'histoire maintenant ?
- Oui, souffla-t-elle.
- Eh bien… Je n'ai pas eu de nouvelles de Melchior pendant deux ans, jusqu'à ce que j'apprenne sa mort, par un de nos amis communs qui l'avait retrouvé.
- Pourquoi ne pas avoir cherché à reprendre contact avec lui ?
- Il me fuyait moi aussi. Il n'aurait jamais supporté que je lui ouvre les yeux. Il n'aurait jamais supporté mon regard de reproche. Il ne voulait pas avoir à fournir d'explications et préférait fuir sans regarder en arrière.
- Mon père était un lâche, articula-t-elle.

Son visage exprimait une déception des plus grandes.

- Ne t'avise pas de dire une chose pareille ! Jamais ! lança Andraël furieusement.

Ses mains s'agrippèrent un peu plus à la corde usée.

- Comment est-il mort ? demanda-elle, ignorant sa remarque.

L'homme leva vers elle un regard triste. Il n'eut pas le courage de devoir à nouveau lui cacher des choses et décida sans trop de réticences de poursuivre son récit.

- Morgane, il faut que tu saches que le monde des sorciers n'a pas toujours été parfait. Tu vois, c'est un peu comme dans le monde des hommes : les uns font la guerre aux autres et ce depuis bien longtemps. Oh, je ne sais pas si tu pourrais comprendre cela, à ton âge… ajouta-t-il ensuite, comme regrettant d'en avoir trop dit.
- Si, je pense que je comprend. Dans les guerres, il y a toujours une lutte entre deux camps opposés, chacun persuadé d'agir pour la bonne cause, n'est-ce pas ?

Il sourit. Elle était intelligente, il l'avait toujours su.

- C'est bien cela. Dans le monde des sorciers, il y a ce qu'on appelle la magie noire. C'est une autre forme de magie, très dangereuse et souvent utilisée pour nuire. Il y a quelques années, un sorcier s'est intéressé d'un peu trop près à cette science obscure. Au fur et à mesure de ses recherches, il a gagné en puissance, jusqu'à devenir le mage noir le plus redouté d'Angleterre. Beaucoup se sont joints à lui et ont fait régner la terreur pendant plusieurs années.
- Comment s'appelle-t-il ?
- Il se fait appeler Lord Voldemort, articula Andraël avec difficulté. Mais aujourd'hui encore, les sorciers ont peur de prononcer son nom.
- Vous voulez dire qu'il est mort ?
- Eh bien… Oui, tout laisse à penser qu'il est mort.

Il paraissait de plus en plus mal à l'aise.

- Et quel rapport avec mon père ?

Là l'enfant vit nettement le front de l'homme se plisser et faire ressortir quelques rides sans grâce. Sa bouche même sembla une seconde s'être déformée en une grimace douloureuse. Cela lui était plus difficile de garder le contrôle de lui-même, maintenant. Mais Morgane s'efforça de ne pas y prêter attention et de se concentrer sur l'histoire de Melchior.

- Ton père… s'est tourné vers le seigneur des ténèbres, celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. Il a fait partie de ses plus proches partisans, ceux que l'on appelle Mangemorts. Tu comprends, Morgane, sa soif de connaissance était telle qu'il s'est intéressé à la magie noire et a vite rejoint les rangs du sorcier alors le plus doué en la matière.

C'était au tour de la fillette de se sentir mal à l'aise. Elle sentait que son père n'avait pas toujours été quelqu'un de bien, comme elle l'avait maintes fois rêvé étant plus jeune encore. L'image du père juste et bon qu'elle aurait tant aimé connaître s'ébranla doucement. Morgane n'était plus très sûre de vouloir bien comprendre quelles étaient les activités de Melchior, pourtant elle pressa son oncle de continuer.

- Mais que faisait-il ? Comment est-il mort ?
- Ce n'est pas une bonne chose… murmura Andraël.
- S'il vous plaît, répondit la fillette sur le même ton.
- Les mangemorts ont tué beaucoup de sorciers, des moldus, même. Ils…
- Et mon père ? le coupa-t-elle.

Sa gorge s'était resserrée et ses yeux piquaient. Ils se mouillèrent progressivement de quelques larmes salées, qui roulèrent lentement sur ses joues rougies par le froid. C'était comme si un grand vide s'était installé en elle, balayant toute trace de rêves joyeux et d'espoirs, laissant simplement une marque de tristesse amère.

- Ton père était un mangemort, répéta son oncle. Je suis désolé… je ne peux pas. Il vaut mieux pour toi que… que tu entendes la suite de l'histoire une autre fois. Je dois m'en aller.

Il se leva précipitamment. Il paraissait encore plus imposant debout, drapé dans sa longue cape noire. Mais son expression n'était plus la même. Il lança un dernier regard contrit à sa nièce et se volatilisa, laissant une enfant choquée et dont les larmes ne semblaient pas vouloir s'arrêter. Morgane sauta à bas de sa balançoire, s'assit par terre et se recroquevilla sur elle-même, enserrant ses jambes de ses bras. Sa tête vint reposer sur ses deux genoux. Elle ferma les yeux, sans chercher à essuyer les larmes silencieuses qui inondaient maintenant son visage. Elle aurait tant voulu ne jamais savoir et continuer à rêver d'un père idéal. « Je veux tout oublier », hoqueta-t-elle entre deux sanglots.

Brusquement, le paysage s'effaça et la mélodie cessa. Les mains de Morgane étaient toujours posées sur le piano. Froides. Incapables de bouger. La jeune femme, sous le choc, contempla d'un air absent la partition pendant un long moment, sans se rendre compte que des larmes venaient maintenant aussi couler le long de ses joues. Elle avait mal à la tête et mit un certain temps avant de remettre de l'ordre dans son esprit. Elle commençait lentement à comprendre… Mais ce souvenir n'était toujours pas le sien. Pourtant, cette petite fille, c'était elle. Et cet homme était bien son oncle. Alors, que comprendre ? Et son père… La jeune femme frissonna. Elle ne comprenait que trop bien ce que mangemort voulait dire, maintenant. Pourtant elle savait que son oncle ne lui avait pas tout dit. Elle se sentait si fatiguée, étourdie par cette drôle de révélation. Elle coucha sa tête contre le clavier et laissa son corps se soulever doucement au rythme de ses sanglots.