Un Voile entre les Mondes
Première partie : La nuit et la peur

1 – Une famille entre deux mondes


Je m'appelle Mathilde.

Vous donner mon nom ne vous servira sans doute à rien. Les humains ne le connaissent pas, pas plus que les sorciers. Peut-être ces derniers reconnaîtraient-ils le nom de ma mère. Il fut un temps où notre famille faisait partie des grands de la communauté sorcière française. Et puis, avec le temps et les générations qui passaient, nous nous sommes rapprochés des moldus. À tel point que depuis deux générations, aucun des enfants n'a suivi sa scolarité à Beauxbâtons.

Ne vous y trompez pas. Nous sommes tous sorciers. Simplement, nous sommes ce que l'on peut appeler une famille ouverte. Le monde magique est important, mais il n'est pas le seul. Nous sommes curieux de ce qui se passe autour de nous et nous refusons de nous enfermer dans un seul des deux mondes. Notre force a toujours été notre diversité. Si nous refusons le monde humain, alors nous perdons cette diversité. C'est pourquoi nous exerçons quasiment tous, nos professions parmi les moldus - Agriculteurs, dentistes, médecins, informaticiens, chercheurs, cinéastes, financiers, musiciens.

Vous me demanderez : pourquoi ce grand discours ? Simplement pour que vous preniez conscience, que si la magie a baigné mon enfance et m'entoure à chaque instant, elle n'en est pas moins simplement un aspect de la vie. Et c'est pour cette raison qu'un jour, j'ai jeté au fond d'un carton mes souvenirs, oublié mes dons. Parce que si nous n'avions pas été sorciers, alors rien de cela ne serait arrivé.


Mais je dois d'abord vous parler du Refuge. Certains l'appelleraient manoir ou château. Nous ne considérions ce bâtiment que comme une maison d'été. Pas parce qu'elle était petite ou moins bien équipée que la maison principale. Simplement, parce qu'elle se trouvait sur une île, perdue au milieu d'un archipel aux milliers de rochers. Loin de tout. Loin du monde. Un refuge.

L'architecture de la maison est celle d'un monastère roman, rehaussé à travers le temps, mais définitivement marqué du XIème siècle normand. De loin, on la croirait un faîte d'un bloc de granit gris unique, creusée en son cœur pour laisser un espace vert tel un cloître, le tout posé à quelques mètres de la mer, en contrebas de la falaise.

De l'extérieur, on ne croirait pas que les pièces soient si vastes. Les plafonds des étages sont très élevés, cinq ou six mètres, rendant le rez-de-chaussée plutôt intime avec ses - à peine - trois mètres de plafond. Deux marches mènent du cloître au rez-de-chaussée où se trouvent les salles à manger, d'armes, le salon et la cuisine. Les poutres y sont apparentes, les murs blancs de chaux, les meubles de bois brun et acajous, les rideaux fleuris. Un mélange de style normand et anglais fait avec goût. La porte principale s'ouvre sur la mer et un escalier. En bas, différentes barques et annexes nous attendent pour rejoindre l'île principale de l'archipel, puis civilisation. De grandes portes fenêtres s'ouvrent de la cuisine et de la salle de séjour, sur le jardin potager et herbeux de ma grand-mère et ma mère.

Les adultes (grands-parents et parents) occupent principalement le premier étage qu'ils partagent avec une immense bibliothèque. Celle-ci m'a toujours impressionnée, occupant deux côtés de la maison, montant jusqu'au toit. De grandes échelles enchantées pour que les enfants ne puissent tomber, ni accéder aux livres dangereux, roulent en permanence contre les vitrines, créant une ambiance unique. Il ne fut pas rare, lors de mes étés d'études, que je passe la journée assise sur une échelle, un livre sur les genoux, les yeux posés sur la mer, le ciel et les îles. Le troisième étage est constitué des chambres des petits-enfants ainsi que d'une salle multimédia et musique avec mezzanines aux deux extrémités communiquant avec la bibliothèque et les greniers. Greniers qui commencent à être aménagés un peu plus à chaque nouvelle naissance. J'ai la chance en tant qu'aînée d'avoir une chambre en angle, ouverte sur l'extérieur par de grandes fenêtres donnant aussi bien sur la terre que sur la mer. J'aimais cette chambre, d'où je pouvais voir la nature se déchaîner autour de moi, tout en étant à l'abri de ces murs de granit.

Cette maison est le refuge de mes grands-parents, leur monde. Généralement, nous logeons dans une autre maison sur le continent, perdue au milieu d'un quartier ancien Moldu. Bien moins grande et équipée, mais celle où nous passons le plus de temps car plus proche de la civilisation et de l'univers qui est le nôtre au quotidien.

Le Refuge est cependant inscrit dans nos souvenirs, car c'est là que tout enfant de la famille, est élevé et prend réellement conscience de l'existence de la magie. C'est ici que nous suivons les cours particuliers et devenons de vrais sorciers. Je haïssais cette maison, autant que je l'aimais profondément. Je la haïssais parce que nous y étions enfermés loin de la civilisation. Je l'aimais, car c'était le seul endroit où j'entrais véritablement en contact avec l'essence de la nature et avec mon moi profond.


Pourquoi tout ce bla bla me direz-vous ? Je veux que vous compreniez, comment en quelques instants, votre monde peut s'effondrer, ce que vous aimez par-dessus tout disparaître, perdre votre cœur et renoncer à une partie de vous-même.


Angharrad dernière mise jour le 9 juillet 2010
Précédentes modifications : 23 novembre 2003 - 5 mai 2005