Un Voile entre les Mondes
Première partie : La nuit et la peur
4 – Les Hommes en Noir
Adeline et moi étions appuyées à la porte et soufflions tant que nous pouvions. Devant nous, les armures étaient éparpillées en mille morceaux un peu partout autour du cloître. L'une d'entre elle dont la tête avait était écrasée battait frénétiquement des bras à la recherche d'un point de repère. Erwan était aux côtés de Pierre qui s'était redressé, mais était resté à terre, étourdi par sa chute. Eux aussi soufflaient comme s'ils avaient couru le marathon.
« Pierre, tu n'as pas ta baguette ? » demanda Adeline avec espoir.
Je grimaçai. Pas que Pierre était mauvais magicien... même un petit peu... En fait si. Il n'était pas très doué. Mais simplement parce qu'il préférait sa guitare à sa baguette, ce que je ferais aussi si j'avais su jouer du dit instrument, au lieu de me prendre 2 mois de plâtre à chaque fois que j'ai touché ma super Fender Strato Caster. Mais bon, là n'était pas la question.
Il hocha négativement la tête et j'en fus presque soulagée. Erwan l'aida à s'asseoir sur les marches menant à la fontaine et nous laissa. Adeline rejoignit Pierre, tandis que je saisissais une autre lance et bloquais les deux battants de la porte. Geste stupide me direz-vous quand face à vous, vous avez des magiciens expérimentés. Mais sur le coup, on ne pense aussi vite qu'on l'aimerait. Et puis les bruits sourds contre la porte me disaient qu'ils essayaient d'entrer par la manière forte, preuve que le système de défense du Refuge n'était peut-être pas complètement hors service.
« Le réseau est déconnecté ! » cria Erwan à travers le cloître. « Et les portes sont fermées jusqu'à ce que les maîtres du Refuge les rouvrent ! »
« Alors il faut qu'on monte et qu'on se cache, » murmura Pierre.
« Bien joué, » déclarai-je avec un sourire sarcastique. « Et où tu vas cacher ta carcasse de deux mètres Pilou ? Tu m'excuseras, mais t'as jamais été un spécialiste du cache-cache. »
« Oh, bah vas-y ! Trouve autre chose ! » s'époumona-t-il, sa voix faisant un bond d'une octave sur le mot chose.
Nous le regardâmes tous avec des yeux ahuris. Il devint plus rouge que le drapeau Normand. Ce qui provoqua un fou rire général. C'était trop drôle. Pierre choisissait ce moment pour nous rappeler qu'il n'avait pas encore fini de muer. Erwan dont la voix s'était fixée quelques mois auparavant frappa amicalement l'épaule de son cadet d'une année. Adeline pouffait de rire, les mains devant sa bouche et ses yeux bleus pétillants. Quant à moi ? Et bien heureusement que personne n'avait d'appareil photo car j'étais en train de me rouler dans l'herbe, me tenant les flancs. Pierre voyant ça, se mit à rire à mes dépends. Un rire nerveux et salvateur.
Au bout de deux minutes, mais surtout à cause des bruits de pas précipités dans la salle à manger, nous nous sommes arrêtés nets.
« Combien de temps avant qu'ils nous trouvent ? » demanda Erwan inquiet.
« Pas assez pour forcer la connexion au réseau de cheminée, » déclarai-je en secouant la tête. « Assez pour aller chercher nos Baguettes. »
« Je te préviens que je ne peux pas marcher, j'ai la cheville tordue, » déclara Pierre.
Je baissai les yeux, vis sa cheville toute gonflée. Je jurai intérieurement. Adeline se pencha et regarda attentivement.
« Je peux faire quelque chose pour aider à soulager, mais vu que c'est pas une brûlure... »
« C'est pas grave, » lui répondis-je en lui frottant affectueusement la tête.
Vous ai-je déjà dit qu'une branche de ma famille est liée à la magie du feu ? Malheureusement, ce sont les deux plus jeunes qui en sont les bénéficiaires. Elles peuvent faire de la magie sans baguette, chose qui nous aurait été bien utile dans la situation où nous étions...
« Tu vas courir devant et t'assurer que le chemin est libre pour les garçons. Erwan, tu aides Pierre à marcher. Je file en avant chercher nos baguettes, je vous retrouve à la salle multimédia et on transplane. »
« Mais t'as loupé ton permis le mois dernier... » commença à protester Erwan.
« Tu préfères attendre que les armures ou ces types en noirs s'occupent de nous ? Si tu préfères, tu peux prendre les balais, mais ils ont très peu servi ces dernières années. Et vu nos talents pour le vol, on risque de faire des cibles faciles. »
Il me foudroya du regard, mais passa néanmoins le bras de Pierre par-dessus sa tête et soutint son cousin qui clopinait sur une jambe. Je leur pointai l'escalier Sud, le plus proche tandis que je traversai le cloître en courant vers l'escalier nord, faisant le plus de bruit possible pour attirer nos attaquants vers moi.
Je me retrouvai en quelques secondes au milieu de la bibliothèque. Ce fut ce moment que la foudre choisit pour frapper la maison. Je sursautai, n'ayant pas senti le temps se modifier aussi rapidement, et surtout parce que je vis des mouvements dans les ombres de la pièce. Je serrai les dents et jurai de ne pas avoir attrapé une des armes laissées par les armures.
Je tendis l'oreille, essayant de reconnaître les bruits familiers : les livres murmurant leur savoir à qui saurait écouter, le plancher craquant sous le poids des étagères trop fournies, le roulement des échelles contre les vitrines. Tout m'était si familier que je faillis me faire surprendre quand une main attrapa ma cheville alors que je grimpais sur une échelle.
J'allais hurler, me retint en donnant un grand coup de jambe à m'en décrocher le genou. Mais le mal était fait. L'armure qui avait rampé depuis le rez-de-chaussée à ma poursuite s'en alla frapper un planisphère qui, je l'avais découvert l'année précédente, contenait la réserve de Whisky-feu de mes oncles. Celle-ci vola en éclats et inonda le chandelier qui reposait sur la table de lecture, provoquant une belle flambée.
J'entendis des bruits de pas précipités se dirigeant vers la bibliothèque. J'espérai que les autres avaient rejoint la salle multimédia, parce que si je l'avais voulu, je n'aurai pas pu mieux faire comme diversion. A ce moment, j'aperçus un livre brillant plus que les autres à travers les flammes.
Je ne sais pas ce qui me prit, quel instinct me poussa à sauter de mon échelle et courir arracher l'ouvrage aux flammes, mais grand bien nous en fit. N'hésitant pas à brûler mes vêtements, ni à me couper sur les morceaux de verres des vitrines brisées, je saisis le livre et l'ouvris grand.
Celui-ci était creux, et dissimulait, ô miracle, les baguettes des petites enfants. En effet, il nous était interdit, tant que nous n'étions pas d'un âge raisonnable, de porter en dehors du Refuge nos baguettes. Du coup, les grands-parents les conservaient pour nous dans un endroit caché, car dieu seul sait combien de fois nous avons essayé de les sortir de l'île. Nous avions tellement cherché que j'aurais pleuré de la simplicité de la cachette : à l'intérieur de la Bible dans le second fond secret du planisphère.
Je détaillais rapidement les baguettes, cherchant un substitut à la mienne que j'avais laissé soit dans ma chambre soit dans la salle multimédia au cours de l'après-midi. Les coups commencèrent à raisonner contre la lourde porte de bois. Il fallait que je fasse vite. Chêne et crin de licorne, non ça n'irait pas. Orme et cheveux de vélane, aucune chance, Laurane n'avait jamais pu utiliser ma baguette alors je ne risquais pas d'utiliser la sienne. Houe et sang de vampire? Yirk ! Ça doit être à Pierre un truc pareil. Pommier et plume de phénix ? Pas de doute, c'est la baguette d'Adeline, mais encore une fois, inefficace pour moi. Je continuais à fouiller désespérément.
« Mince y pouvaient pas avoir un ventricule de dragon et du sorbier comme tout le monde ! » m'écriai-je en saisissant une baguette au hasard juste au moment où les hommes masqués entrèrent dans la bibliothèque.
« Ne bouge plus gamine ! »
« Impedimenta ! Rictusempra ! » criai-je en pointant le premier qui passa à ma portée.
Il fit un bond d'esquive en arrière, mais comme il ne s'agissait pas de ma baguette, je ne contrôlais pas le sort parfaitement. Celui-ci n'en faisant qu'à sa tête dévia légèrement vers le haut et frappa miraculeusement l'homme. Il tomba à la renverse contre son compagnon qui se prit mon second sortilège et fut coincé par terre à cause d'un fou-rire.
Je ne demandai pas mon reste et courus vers l'échelle la plus proche. Les hommes en noirs que je ne parvenais pas à reconnaître étaient toujours à terre, l'un se débattant afin de saisir sa baguette, se tordant toujours de rire. Je donnai un bon coup de pied, et l'échelle fila à l'opposé de la bibliothèque, passant l'angle à une vitesse telle que je crus voler à travers la pièce sur un balai. Puis elle frappa contre l'extrémité de la vitrine.
Je ne me laissai même pas le temps de reprendre mes esprits et grimpai quatre à quatre les échelons, sautai sur le balcon et pénétrai dans la salle multimédia par la mezzanine. J'entendis la porte claquer en dessous et pointai menaçante ma main pleine de baguette magique.
Merci à Eleva, Miss-Tania, Ambre, Titou Moony, Miya Morana, Gaïa666, Luffynette et Joie pour leurs messages encourageants.
Angharrad
première publication le 14 décembre 2003
Mise à jour le 19 juillet 2010
