Un Voile entre les Mondes
Première partie : La nuit et la peur
5 – La Marque
« Hé, du calme, c'est nous ! cria Adeline.
- Attrape ! lui dis-je en lançant la poignée de baguette. Verrouillez les portes et insonorisez la pièce. »
Erwan saisit sa baguette et exécuta mes ordres sans broncher pour une fois. Je me tournai vers la porte par laquelle j'étais entré et la verrouillai avec un sortilège résistant au Alohomora, puis lançai un Sourdinam. Je me laissai alors glisser en bas de la mezzanine et remarquai seulement la baguette qui ne m'avait pas si mal servie au bout du compte : celle de Pierre. Je fis la grimace, dégoûté par la créature qui m'avait servie à canaliser mon énergie magique.
« Reprends cette horreur ! déclarai-je en lançant violemment sa baguette à Pierre qui la rattrapa avec un sourire moqueur.
- Elle a l'air de t'avoir bien servi quand même mon horreur.
- Ouais ben t'as…
- Vous savez où est Antonin ? demanda Adeline inquiète, dont les yeux parcouraient la pièce.
- Je suis là, grogna une petite voix sous les couvertures entassées dans le coin ciné de la salle.
- Qu'est-ce que tu fiches là dessous ? s'enquit Erwan en le tirant de toutes ses forces.
- Encore planqué, comme d'hab ! déclara Pierre avec dégoût.
- Hé, c'est bon, on est pas là pour s'engueuler ! les coupai-je en posant une main sur son épaule. Antonin va bien, c'est le principal.
- Et j'ai pas dit que j'allais bien ! répliqua-t-il en se frottant péniblement la tête.
- Tu es debout, tu fais de l'humour, tu te disputes avec ton frère, donc tu vas bien ! » déclara Adeline avec un large sourire.
- As-tu récupéré ma baguette ? demandai-je anxieuse.
- Si je l'ai pas faite tomber en courant ici, ouaip. »
Il fouilla dans les poches immenses de son pantalon trop grand et au milieu des papiers de bonbon, il sortit ma baguette. Je la saisis rapidement et la secouai en tous sens pour la débarrasser de tout le sucre dont elle était imprégnée. Celui-ci vola en même temps que des étincelles noires, blanches et grises.
« C'est normal, ça ? m'interrogea Adeline qui avait seulement appris des sortilèges mineurs pour le moment.
- Pas vraiment, répondit Erwan en s'approchant de moi. T'as pensé à la faire vérifier ? »
- Je sais plus, je comprends plus rien ce soir. J'ai l'impression qu'un voile est tombé sur nous, qu'on se débat mais qu'on arrive pas à le déchirer, m'écriai-je alors qu'enfin je tirai les étincelles bleues et vertes qui avaient fait ma fierté lors de l'acquisition de ma baguette.
- Un peu comme la nuit de Halloween ? » murmura Adeline.
J'ouvris grand les yeux. Cette sensation d'oppression, de mort planant tout autour de nous. C'était exactement les sensations que j'éprouvais la nuit de Samhain. Comme si les morts marchaient parmi nous et étaient en train de nous jouer un tour cruel. Etait-ce cela ? Mais pourquoi ? Samhain était déjà passé.
Erwan me devança et attrapa le calendrier. 13 Novembre. Vendredi. Pierre se pencha par la fenêtre. Comme pour confirmer ce que nous craignons, les nuages s'écartèrent, dévoilant une pleine lune resplendissante. Mais qu'est-ce que c'était que ce bordel !
Adeline poussa alors un cri. Là dans le jardin, toute une troupe attendait que notre grand-mère ouvre les portes de la maison. A la lumière de la lune, l'illusion de vie cessait, et les hommes en noir reprenaient l'apparence de spectres échappés du royaume des morts pour la nuit. Mais pourquoi ? Pourquoi étaient-ils là ?
Ils entendirent le cri d'Adeline et tous levèrent les yeux vers nous. Mamie, malgré ses soixante dix-huit ans, se tenait droite face à eux. Un homme plus fin que les autres avança vers elle et jouait avec la baguette qu'il avait du lui arracher. Ils parlaient. Mais ils étaient trop loin pour que nous les entendions.
Nous regardions paralysés ce qui se passait. Puis nous essayâmes d'ouvrir la fenêtre pour se porter au secours de Mamie. Mais celles-ci restèrent fermées. La maison nous protégeait des attaques extérieures, mais elle nous empêchait également de sortir. Je vis tout à coup Erwan s'écarter.
« Qu'est-ce que tu fiches ? m'écriai-je.
- Tu ne vois pas ? On ne pourra pas transplaner directement. Ils ont sûrement posé un champ d'interdiction, ces foutus spectres. Par contre si on vole assez loin et assez vite, on pourra s'échapper.
- Je te rappelle qu'on est enfermés dans la maison, grogna Antonin.
- Et au cas où tu l'aurais pas remarqué, Mamie est là et peut lever à tout moment le système de sécurité.
- Mais c'est de la folie, si elle le fait, elle va se faire tuer ! » s'écria Adeline.
Erwan et Pierre baissèrent les yeux, un peu honteux de ne pas y avoir pensé. Pendant ce temps, je réfléchissais à ce qui pouvait bien pousser des spectres à attaquer les vivants. Sûrement pas pour le plaisir. Il devait y avoir quelque chose dans le Refuge qui les intéressait. Pourtant, c'était nous qu'ils avaient pourchassé ils ne s'étaient pas mis à fouiller la maison comme je l'aurais fait si c'était un objet qui les avait intéressés. Alors, quoi ?
Soudain je me figeai. C'était l'un d'entre nous. Peut-être même plusieurs, qui les intéressaient. Mais pourquoi ? À moins que les plus jeunes soient des sorciers d'une puissance phénoménale cachée, aucun d'entre nous n'était extraordinaire. Je retire ce que j'ai dit. Pierre était extraordinaire avec sa baguette à sang de vampire et son corps de géant. Mais niveau magie, il était plutôt derrière les autres. Il y avait bien Adeline qui avait ce don du feu. Mais elle était encore trop jeune pour leur être utile. Alors qui…
J'acceptai le balai qu'Erwan me tendit. Un bon vieux classique Nimbus 1950 que j'enfourchai rapidement après avoir attaché les deux autres balais au mien et réparti les voyageurs : Erwan avec Antonin, Pierre avec Adeline. Je voletai jusqu'à la fenêtre et vis ma grand-mère sourire.
Elle se tourna vers l'homme dont les yeux rouges flamboyaient sous sa capuche. Elle leva les bras, se positionnant en forme de croix et libéra la maison de son sortilège de confinement. Aussitôt, les fenêtres et les portes s'ouvrirent en grand, l'air fut expulsé des bâtiments, et nous fûmes propulsés à l'extérieur. Un rire démoniaque s'éleva à travers la nuit et un cri.
Je voulus faire demi-tour, tenter cette feinte de Wronsky dont on parlait tant dans les livres pour récupérer ma grand-mère. Mais le temps de m'arrêter et de me retourner, un éclair vert jaillit de la baguette de l'homme aux yeux de démons et frappa ma grand-mère de plein fouet. Elle ne cria pas et s'effondra telle une poupée désarticulée. Puis il lança un autre sortilège que nous connaissions tous de nos livres d'histoire magique. Morsmordre !
Là au-dessus de la maison, la marque des ténèbres venait d'apparaître. Je criai. Erwan et Antonin hurlèrent. Pierre rugit et Adeline éclata en sanglot.
Le démon se tourna vivement dans notre direction et nous foudroya de son regard de sang. Son visage apparut à la lumière d'un éclair. Tordu de fureur et de haine.
« Le Nécromant est là-haut, bande d'incapables ! Dépêchez-vous de les rattraper ! »
Mais je ne lui laissai pas le temps de lancer ses troupes infernales à notre poursuite. D'un geste vif, je fis demi-tour, fit un cercle de ma baguette et nous transplanâmes à travers l'orage.
Merci à Lolo, Miss Tania, Miya Morana, Alana Chantelune, Marine, Loufinette, Joie et Shiri, pour leurs messages d'encouragement.
Angharrad - première publication le 20 décembre 2003
Dernière mise à jour le 20 septembre 2010
