Un Voile entre les Mondes
Première partie : La nuit et la peur

6 – Le jour où j'ai abandonné la magie


Je ne suis jamais retournée au Refuge depuis cette nuit de Novembre.

Comme mon frère l'avait si bien fait remarquer, j'avais loupé mon permis de transplanage l'été précédent. Je croyais savoir transplaner. Mais avec les trois balais et leurs quatre passagers, ce fut une tout autre affaire. J'avais visé notre maison sur la côte, mais je m'étais loupée et nous sommes arrivés sur la plage pour les plus chanceux, dans la mer pour les plus malchanceux.

Imaginez un bain glacé dans la Manche, alors qu'il fait moins cinq degrés dehors… et je n'ose même pas penser à la température de l'eau ! Le bain n'a duré que quelques minutes, Erwan et Pierre ayant rapidement lancé les étincelles d'appel au secours, mais assez longtemps pour me coller quelques jours à l'hôpital. Puis, je fus rappelée d'urgence par mon école d'ingénieur pour passer mes partiels. Sans me poser de questions, agissant de manière automatique, je suis retournée illico à Paris, pour louper mes exams et être absente pour l'enterrement de Mamie.

Je scrutais la presse, aussi bien humaine que sorcière, pour savoir ce qui s'était passé. Mais rien ne parut. Tout avait été étouffé. J'essayai d'en parler avec les parents, mes oncles et tantes, et même mon grand-père. Mais tous restaient silencieux. Quant à ceux qui avaient été présents avec moi, ils semblaient avoir oublié, comme je commençais moi-même à le faire. Officiellement, Mamie était morte à cause de son cancer.

Je sentais qu'on nous cachait quelque chose, mais plus le temps passait et plus j'oubliais. Je compris lorsque je revins pour Noël en Normandie que quelque chose interférait avec nos esprits à travers notre magie. J'avais déjà beaucoup de mal à accepter, mais ce fut trop. Je craquai. Je quittai la Normandie au bout de deux jours, et enfermai dans un carton scellé tous mes livres, mes notes, les photos et documents en rapport avec la magie. Plus rien ne devait me rappeler cette nuit fatidique et ces yeux rouges qui hantaient mes cauchemars.

J'étais tellement furieuse contre ma famille, contre mon impuissance et contre la magie. Je sentais au plus profond de moi que tout était du à la magie qui coulait dans notre sang. À quelque chose qu'on nous cachait sur ce même sang. Et je ne le supportais pas. J'aurais pu faire des recherches, me renseigner auprès d'autres sorciers, même me rendre à la galerie Parallaxe[1]. Mais non.

Ce jour-là, j'ai perdu quelqu'un de cher à mon cœur, et j'ai quitté le monde magique. Ma baguette avait été brisée par ce transplanage difficile. Je ne sus que beaucoup plus tard que j'avais franchi une barrière d'interdiction. Mais je n'en tirerai jamais de fierté, parce que je l'ai vue mourir.

La magie est devenue un mot tabou pour moi, à tel point que je quittais Paris, demandant mon transfert à Grenoble. Je savais que mon grand-père avait de toute façon passé sa vie en tant que liaison entre les gouvernements sorciers et moldus. C'est pourquoi nous étions plus proches des moldus dans notre manière de vivre. Mais je veux oublier... Parce que j'ai peur... J'ai peur... Et c'est pourquoi j'ai renoncé à la magie... Peut-être qu'un jour je surmonterai ma peur... Mais pour le moment, je veux oublier...

Et pourtant je ne pourrai pas oublier. Jamais je n'oublierai la marque des ténèbres flottant au-dessus du manoir familiale. Non jamais je n'oublierai qu'il la frappa dans le dos. Jamais je n'oublierai ces yeux rouges flamboyants. Jamais je n'oublierai la marque et les ténèbres menaçantes...


[1] Galerie Parallaxe – Chemin de Traverse Français. On parle en optique d'erreurs de parallaxe, à savoir de rayons qui s'écartent de la parallèle à l'axe optique. (voir chapitre "Magie et galerie Parallaxe")


Merci à Naseis, Miss Tania, Miya Morana, Luffynette, Joie et Shiri, pour leurs messages d'encouragement.

Angharrad, première publication le 22 décembre 2003
Dernière mise à jour le 20 septembre 2010