Un Voile entre les mondes
Seconde partie : Feel
1 – De l'autre coté du miroir
Quand je me tiens ainsi, debout au milieu d'une rue en pleine effervescence, j'ai la sensation que les gens sont occupés avec leurs vies. Et aussi qu'ils ne sont intéressés que par ce qu'ils aiment. Tout comme moi j'aimerais l'être maintenant. Bien qu'il y ait probablement des milliers de manières d'attirer l'attention des gens, combien de personnes seront traitées comme des étoiles ? Quelle que soit la force de mon souhait, tout ce que je peux faire est de m'intéresser aux choses auxquelles la plupart des gens ne prêtent même plus attention. Qui me trouvera spéciale au milieu de cette foule ?
Bien sûr, quoi que disent les autres, je suis une « personne ». C'est juste que parfois, j'ai envie que l'on oublie que le mot « normal » n'y est pas associé. Que cela vienne d'un courage maladif ou d'un complexe profond. Parce que j'ai un futur qui ne peut pas être prédit, je peux rêver d'infinies possibilités dans ma vie. Et ce, sans l'attention des autres.
Même si la vie est un processus répétitif, même si après tout je suis tout sauf une « personne normale. »
Ah…
Oui….
Aujourd'hui est seulement la continuité d'hier. De quel genre de chose puis-je espérer rêver dans une vie répétitive….
… Qu'est-ce qu'une « personne normale » ?
C'est en songeant à ces choses déprimantes que je marchais dans les rues de Lüneburg. Presque quatre années avaient passé depuis cette fameuse nuit, et j'étais toujours en fuite. Pas vraiment une fugue, juste un refus de la réalité.
Comme je n'arrivais plus à communiquer avec ma famille, j'ai commencé par changer de ville pour mes études. Et puis, petit à petit, j'ai cessé de rentrer à la maison le week-end, pour ne plus revenir qu'aux longs congés. J'ai même refusé les propositions de stage en région parisienne pour finalement partir terminer mes études en Allemagne. J'avais même accepté de prolonger la mission de six mois supplémentaires.
Quatre semaines déjà que j'étais ici, et toujours pas de bande de copains avec qui oublier ma solitude. Je soupirai, passant pour la douzième fois dans cette même rue délabrée, ayant pour la centième fois depuis que je suis ici l'impression de traverser le voile. Je ne sais pas pourquoi, juste cette sensation étrange qui revient de plus en plus souvent.
Parfois je sursautais, sans savoir pourquoi, simplement parce que j'avais la sensation que quelque chose d'invisible m'avait touchée, cherchant ma reconnaissance. Simplement pour exister, peut-être pour se libérer. Je me souviens enfant, j'avais peur des cimetières, et étais prise de crise de claustrophobie dans les parties égyptiennes des musées. Mes frangins riaient alors que mon cœur battait à cent à l'heure et que j'étais prête à m'évanouir. Ce ne fut que lorsque je me fus effectivement évanouie que les parents comprirent que je ne jouais pas la comédie. C'est aussi à cette époque que ma magie s'est manifestée de manière incontrôlable, depuis canalisée par un médaillon atlante.
J'ai cependant toujours conservé cette crainte, même si j'aime me croire plus forte. J'arrive maintenant à me promener dans les cimetières. J'ai même changé totalement de sentiment envers ces lieux que je trouve finalement des lieux pleins de quiétude et de paix. Seulement en pleine journée bien sûr, la nuit étant leur domaine. Par contre j'ai toujours un blocage avec l'Egypte, au grand dam de ma 'petite' sœur Laurane. Son rêve est de voir les pyramides, mais ce sera sans moi.
Parfois, mes perceptions changeaient et je me sentais attirée vers ces lieux où reposent les corps privés de leurs esprits. Je rencontrais alors des gens qui, comme moi, avaient subi des traumatismes et attendaient que quelqu'un veuille les écouter. Partager leur fardeau apaisait leurs esprits, mais mon désarroi ne semblait que grandir. Pour me protéger, je n'ai trouvé qu'une solution. Intérioriser. Je ne laissais rien paraître de ce que je pense en profondeur. Mais avec le temps, j'ai l'impression d'avoir oublié tout autre sentiment que la culpabilité et la tristesse.
C'était dans cet état d'esprit que mes pas me dirigèrent pour la treizième fois vers un petit pub miteux. Un nom allemand que je n'arriverai sans doute même pas à prononcer si j'essayais, mais dont la signification est très claire : « le miroir des âmes ». Dans cette transe qui me poussait à passer tant d'heure à errer, je me figeai face à ce miroir éthéré et dévisageai mon propre reflet.
Des cheveux blonds roux longs et mal coupés, des yeux bruns qui oscillaient selon la lumière entre l'ambre et les noisettes, entourés de cernes violettes qui mettaient un peu de couleur sur ma peau diaphane. Pas très grande, surtout parce que mes épaules ployaient sous le poids de ma tristesse. La seule chose qui me distinguait d'une morte vivante, devaient être mes rondeurs un peu trop prononcées à mon goût. Ce reflet ne faisait que me renvoyer la pitié que je m'inspirais. Je n'allais pas bien, je le savais. Et pourtant, je ne trouvais pas le moyen de changer. Aussi je passais mon temps libre à errer en quête d'un lieu où me ressourcer.
Ce jour-là, je traversai une nouvelle fois le voile. Et avant même d'en avoir conscience, je me trouvai de l'autre côté du miroir.
Merci à Miya Morana, Lolo, BastetAmidala, Malicia, Luffynette, Joie et Shiri pour leurs messages pleins d'encouragement.
Angharrad - Dernières mise à jour le 13 octobre 2010
Première publication le 7 janvier 2004
