Un Voile entre les mondes
Seconde partie : Feel

2 – Rencontre


L'intérieur du pub était tout aussi sinistre que l'extérieur. Je me mis à tousser, surprise par le nuage de fumée flottant à quelques centimètres à peine au-dessus de ma tête. Si seulement je n'avais pas une aversion pour la magie, un sortilège de désodorisation n'aurait pas été de refus. Je me mordis la langue, furieuse de m'être laissé un instant regretter le choix que j'avais fait. Je retournai mon attention sur le monde autour de moi. Mais où étais-je tombée ?

Une chaise fut rompue, bientôt suivie du bruit de verre brisé et des cris retentir d'un box au fond de la salle principal. Je commençai à reculer quand un serveur s'approcha de moi. Il me regarda de haut en bas. Se rendant compte à mes habits que je n'étais pas du coin, il me fit le coup du jeune arien, au sourire émail-diamant plaqué sur son visage.

« Voulez vous boire ou manger ? demanda-t-il en allemand, un plateau chargé de pintes de la bière locale dans les mains.

- Manger. Avez-vous un endroit non-fumeur ? » m'enquis-je.

Son sourire disparut. Manifestement, il devait être un grand fumeur lui aussi, ou alors surpris que je lui réponde dans sa langue ? Ca devait être ça. Même moi j'étais surprise d'avoir parlé aussi clairement.

« Oui, un instant je vous prie, » répliqua-t-il, toujours en allemand.

Il me pointa l'escalier au bout du comptoir et me fit signe de monter. Je commençai à délier mon écharpe et à ouvrir mon manteau. Qu'il faisait chaud ici, contrairement à l'extérieur ! Si on m'avait dit qu'il neigerait encore fin avril, et qu'en plus la neige tiendrait, je n'aurais jamais signé dans ce pays de fous.


Je soupirai alors que la jeune hôtesse me faisait comprendre que toutes les tables étaient prises et qu'il me faudrait attendre. Mais qu'est-ce qui m'avait poussée à entrer ? Je me le demandais vraiment. L'atmosphère était cependant bien plus respirable ici, malgré l'encens qui brûlait sur chaque table.

Je m'installai donc, dos au box le plus proche de la sortie, attendant qu'une table se libère. Nous aurions été en Bavière, j'aurais sans hésiter partagé une table avec un inconnu. Mais ici, dans le nord, je ne sais pas comment cela aurait été interprété. Et je ne cherchais vraiment pas les ennuis, incapable de vraiment répliquer en allemand si la situation dégénérait. En anglais, pas de problème. Même si je n'ai pas encore un débit suffisant, je connaissais quelques expressions salées qui feraient rougir même les marins des îles anglo-normandes. Mais ici, toute seule, c'était hors de question.

Et pour la centième fois depuis que je m'étais levée ce matin, je me demandais pourquoi l'Allemagne. Pourquoi pas Jersey ou Londres, ou alors l'Italie ou le Canada ? Après tout, j'avais de la famille dans ces deux pays, je n'aurais pas été seule. Ou alors pourquoi n'avais-je pas appelé Antonio et Fabio, mes collègues ? L'un parlait français, l'autre baragouinait allemand, et à trois, on aurait eu moins de problèmes. Mais non, il avait fallu encore une fois que mon côté loup solitaire l'emporte. Etais-je destinée à vivre seule ?

Un coup contre le montant du box me sortit de ma torpeur. Je clignai des yeux, essayant de comprendre à quel moment j'avais perdu contact avec la réalité, quand à mon grand bonheur, j'entendis parler autre chose que de l'allemand.

« Mais quelle idée tu as eu de passer ce contrat en Allemagne ? ! J'arrive même pas à comprendre un seul mot de cette foutue carte !

Et bien, en voilà un qui était aussi content, sinon plus que moi d'être ici. Et quel accent dans son anglais ! Non, ce devait plutôt être un Gallois. Je me redressai et époussetai mon manteau.

« Calme-toi frangin. Tu ne peux rien y faire. Si je me souviens bien, c'est toi qui te plaignais de la France. »

Quoi ? Ils parlaient de la France ? Je n'allais pas rester longtemps planquée dans mon coin, à moins que ma timidité maladive ne me retienne. La serveuse apparut alors et me fit signe qu'une table s'était libérée.

« Je ne me plaignais pas de la France, mais des Français qui ne reconnaissaient rien à notre talent.

- Peut-être que vous n'avez pas rencontré les bonnes personnes pour tester votre talent, répliquai-je en anglais tout en passant devant leur table et m'installant dos aux deux hommes dans mon propre box.

Je posai mon manteau et retirai mon gros pull de laine, puis m'arrêtai, voyant qu'ils me fixaient tous deux avec des yeux ahuris.

« Quoi ? m'offusquai-je.

- Vous l'avez entendu ? » me demanda celui qui était le plus près de moi.

Je haussai les épaules pour toute réponse.

« Bien sûr ! Il criait si fort, que si j'étais encore au lycée, je me serrais vengée en lui faisant une farce, parce qu'il m'empêcherait de rêvasser. J'ai cru qu'il se parlait à lui-même d'ailleurs. Je pouvais à peine vous entendre. »

Ils continuèrent à me dévisager comme s'ils avaient vu un fantôme.

« Quoi ? Vous vous êtes cognés quelque part ou quoi ? Ils sont fous ces Anglais ! » marmonnai-je entre mes dents tout en m'asseyant et prenant la carte.

La serveuse se présenta entre nos deux tables, nous demandant ce que nous voulions. Ils étaient là avant moi, j'attendis donc qu'ils commandent. Mais à voir le rouge qui montait aux joues de celui qui parlait doucement, et le fou-rire qui secouait l'autre, j'eus pitié.

« Je voudrais un cappuccino et un morceau de gâteau aux pommes, » déclarai-je en m'installant à leur table.

Je poussai un peu le timide, me penchai vers lui et murmurai :

« J'ai demandé un gâteau aux pommes, je peux commander autre chose. »

Il rougit un peu plus puis répondit :

« La même chose serait parfaite. »

Je me tournai vers la serveuse et continuai :

« La même chose pour monsieur. »

J'invitai du regard le second anglais à s'exprimer, mais il secoua la tête négativement. Je soupirai.

« ... et trois verres d'eau. »

Elle hocha la tête, termina de noter, puis s'éclipsa. Je me tournai alors vers mes deux compagnons de table et leur souris.

« Je crois que vous allez être obligés de me supporter le temps que je termine ma tarte. Je m'appelle Mathilde… » déclarai-je avec un sourire qu'étonnamment je n'avais pas dû forcer.

Ils se regardèrent, puis celui qui avait crié se décida :

« Ce type ennuyeux, c'est mon frère jumeau. Je suis Fred…

- Ferme-la George. Je peux très bien lui dire moi-même que ton nom est George et que JE suis Fred. Ravi de vous rencontrer. »

Ils étaient vraiment comiques, pires que Dupond et Dupont ! Avec une telle présentation, je ne pus m'empêcher d'éclater de rire, bientôt suivie par George. Ou bien était-ce Fred ?


Merci à BastetAmidala, Miya Morana, Lolo, Luffynette, Joie et Shiri pour leurs messages bienveillants et encourageants.

Angharrad - Dernière mise à jour, le 13 octobre 2010
Première publication le 12 janvier 2004