Un Voile entre les mondes
Seconde partie : Feel

3 – Les jumeaux Wistily.


Un sourire joyeux dansait sur mes lèvres. Les deux jeunes hommes assis face à moi étaient vraiment amusants ! Je ne suis pas le genre de fille à m'intéresser aux garçons. Pas que je n'ai jamais eu de petits amis ou que j'ai un autre penchant, juste que j'ai eu un peu trop de déceptions ou mauvaises surprises au moment où j'en avais le moins besoin.

À la place, j'observais les gens d'un œil artistique. Si je n'avais pas été assise à leur table, j'aurais sorti mon carnet de croquis et lancé mon crayon pour faire leurs portraits. Ils étaient grands, mais juste assez pour passer inaperçus parmi nos chers Allemands. Leurs cheveux étaient roux, presque rouges. Auburn ? Je ne sais plus si ce mot était utilisé en français. J'avais déjà passé trop de temps sans parler ma langue maternelle pour faire ce genre de confusions. Je dirais donc auburn, bien que je soupçonnais qu'ils aient été plus carotte dans leur enfance, comme mes cheveux étaient platines avant de devenir ce blond foncé aux reflets étrangement rosés.

Ils avaient de grands yeux bleus, miroir de leurs âmes. Mais je n'osais m'y plonger, sachant à quel point il était mal élevé de regarder les gens dans les yeux dans les pays nordiques. Ce n'était pourtant pas l'envie qui m'en manqua. Comme les vrais roux que j'avais déjà rencontrés, ils avaient la peau pâle, couverte de taches de rousseur. C'était grâce à elles que je pus les distinguer. Fred semblait en avoir moins que George, mais plus prononcées. Celles de George semblaient bien présentes, mais plus effacée, moins… vives.

Je les aurais observés pendant des heures si je ne m'étais pas souvenue que j'étais celle qui avait engagé la conversation, et donc celle à mener l'interrogatoire en anglais, pensai-je avec un sourire malicieux.

« Alors, que font deux garçons anglais tels que vous dans un trou paumé comme celui-ci ? » demandai-je en m'installant contre le dossier du box.

Fred parut surpris, ne sachant trop sur quelle jambe danser. George le regardait intensément. J'aurais ri, si cela ne m'avait pas rappelé toutes les fois où j'avais réfléchir rapidement à une excuse pour cacher que j'étais sorcière. Au moins… ce problème ne se posait plus maintenant.

« Hum, commença Fred.

- Fred travaille dans un centre de recherche que tu ne dois sûrement pas connaître. Quant à moi, je fais le tour des villes d'Allemagne pour faire connaître notre entreprise.

- George ! » grogna Fred en essayant de l'arrêter.

Son frère lui lança un regard du genre 'on-peut-bien-lui-dire-on-a-rien-à-cacher'.

« Ne me dit pas que tu travailles pour le GKSS ! m'exclamai-je en me penchant au-dessus de la table.

- Euh… répondit-il, surpris par mon comportement, et par l'arrivée de la serveuse chargée de nos repas.

- En fait, oui ! répondit George avec enthousiasme. Est-ce que tu connais ?

- Si je connais ? J'y travaille depuis la fin du mois dernier ! Quel est ton département ? » demandai-je, excitée.

C'était trop drôle de se retrouver ici à Lüneburg, alors qu'il faut deux heures de transports en commun pour aller au centre de recherche d'ici. Remarque, ils ont sûrement une voiture, et ça c'est cool.

« Je travaille pour le département Chimie… » expliqua en rougissant Fred.

Je souris puis rougis légèrement. J'étais peut-être un peu trop enthousiaste, et Fred semblait le plus timide des deux. Mais ça me faisait tellement plaisir de rencontrer du monde le week-end, au lieu de traîner toute seule en ville.

« Je suis désolée, je dois vous paraître excitée et extravagante, mais je ne le suis pas. C'est juste que j'ai été obligée de parler uniquement allemand ces deux derniers jours, et je déteste cette langue. Alors parler anglais me fait du bien.

- J'aime encore plus cette fille, Fred ! Je ne supporte pas l'allemand !

- Tu disais la même chose du français. » fit remarquer Fred.

George balaya la remarque de son frère d'un geste. Mais ce n'était pas tombé dans l'oreille d'une sourde. D'autant que je cherchais depuis tout à l'heure un moyen de tester leur connaissance dans ma langue maternelle.

« Pouvez-vous parler français ? Désolée, je sais que ça ne me regarde pas, mais je suis vraiment surprise que vous parliez autre chose que l'anglais, déclarai-je en prenant ma tasse.

- En fait je parle un peu français, » me répondit Fred en fronçant les sourcils à chaque mot qu'il articulait dans cette nouvelle langue.

J'éclatai de rire.

« Quoi, c'est si mauvais ? » s'enquit-il toujours en français.

Je hochai la tête.

« Non, c'est juste ta manière de te concentrer qui me fait rire, » rétorquai-je.

Tous deux me dévisagèrent avec de grands yeux.

« Oups, est-ce que j'ai répondu en français ? » me concentrant sur l'anglais.

Ils hochèrent la tête.

« Est-ce que j'ai parlé trop rapidement pour que vous compreniez ?

- Oui un petit peu. J'ai besoin de plus d'entraînement, s'excusa-il avec un sourire.

- Ne t'inquiète pas, ton accent est plutôt agréable. Je peux t'aider si tu veux, continuai-je en anglais.

- Yeah ! demande-lui des cours de langue, » ajouta George en français.

Je rougis violemment, presque autant que Fred, dont le rouge atteignit la pointe de ses oreilles. Ma parole, George comprenait-il ce qu'il venait de dire ?

« Je suis désolée Mathilde, c'est la seule expression qu'il connaît en français avec femme, va me chercher une bière, dit-il en frappant sur la tête de son jumeau qui évita le coup avec un sourire hilare.

- Ooh… fut mon seul commentaire, alors que je reprenais des couleurs à peu près normales.

- Oui. Je trouve que tu parles bien anglais. Je savais que tu avais un accent, mais j'aurai dit… australien, affirma George, me faisant rougir à nouveau.

- Mon meilleur prof était australien. Mais je suis ce que l'on appelle un caméléon. Je prends l'accent et les expressions des gens avec qui je parle, expliquai-je en baissant les yeux comme pour m'excuser.

- Mince ! George, il va falloir que tu fasses attention à ton langage devant la dame !

- Ta gueule Fred… » grommela-t-il en enfonçant la tête entre ses épaules.

J'éclatai de rire, essayant de ne pas m'étouffer avec ma dernière bouchée de gâteau. Ils étaient trop… !

« Que fait votre société que vous ayez à travailler avec le GKSS ? demandai-je en sirotant mon cappuccino.

- Je travaille sur… commença Fred.

- …Une molécule ! le coupa hâtivement George en regardant son frère intensément.

- Si je t'en dis plus sur le sujet, je devrai te tuer, termina Fred avec un sourire carnassier.

- Et si je vous dis ce sur quoi je travaille dans le groupe des technologies de liaison physique, je devrai vous tuer. Nous sommes à égalité ! » répondis-je du tac au tac, cachant le même petit sourire que le jeune homme derrière ma tasse, le défiant du regard.

Cette joute de regards aurait pu durer un moment, je m'étais perdue dans ses yeux bleus tristes. Aussi tristes que les miens, dans lesquels semblait à présent percer une étincelle d'amusement suite à notre dialogue. Mais George l'interrompit en saisissant le poignet de Fred et regardant sa montre. Il fronça les sourcils.

« Si tu ne veux pas rater ton train, il va falloir y aller Fred. »

Je posais ma tasse. Fred regardait son frère d'un air interrogateur.

« Pardonnez-moi, je n'avais pas l'intention de vous faire rater votre train, m'excusai-je.

- Ne vous inquiétez pas, ce fut un plaisir de vous rencontrer, » répondit-il avec un sourire sincère, et une légère coloration rose sur les pommettes.

J'inspirais à fond, après tout, pourquoi ne pas le revoir. Je le trouvais plutôt sympa.

« Voulez-vous déjeuner avec moi de temps en temps ?

- Pourquoi pas ? » acquiesça-t-il, la coloration rose ne quittant toujours pas ses joues.

Est-ce qu'il ne savait pas dire non ? Ou alors était-il vraiment aussi timide ?

« Super ! le numéro de téléphone de mon bureau est mille neut cent sept. On se retrouve à midi devant le bâtiment quarante sept, m'exclamai-je excitée comme une puce.

- J'y serai ! Alors, à bientôt. »

Il saisit alors ma main et l'attira à ses lèvres, déposant un baiser rapide. Puis il recula, comme s'il s'était rendu compte de son geste, les joues un peu plus rouges. Je souris et saluai son frère. Et ils partirent vers la gare, discutant vivement.

Ils étaient vraiment trop... Et cette lueur rieuse dans leurs yeux ! La colocation avec eux ne devait pas être de tout repos ! En même temps, je me pris à espérer que Fred habite lui aussi à la résidence du centre. Comme ça, mon déménagement et adaptation la semaine suivante seraient moins difficiles.

D'un coup, mes cinq mois restants ne me semblèrent plus aussi terribles.


Merci à Alana Chantelune, Pimousse fraise, Naseis, Miss-Tania, Miya Morana, Luffynette, NiBo et Joie pour leurs messages.

Angharrad - Dernière publication le 13 Octobre 2010
Première publication le 19 janvier 2004