Un Voile entre les mondes
Troisième partie : Violence
1 – Home
J'avouais ne m'être rendue compte de mon retour en France que le lendemain matin. Mon téléphone se mit à sonner, à une heure bien indécente pour un samedi, surtout quand on tenait compte que j'avais déjà bossé les deux week-ends précédents. Aussi, furieuse d'être poursuivie jusqu'en France, j'enfonçai mon oreiller sur mes deux oreilles, souhaitant ardemment que ce bruit cesse. J'entendis un énorme boum, suivi des cris de ma sœur.
« Qu'est-ce que tu fiches ? Tu devais m'accompagner chez le coiffeur !
- Rah merde ! Si même toi tu t'y mets ! Je suis en V-A-C-A-N-C-E-S ! Laissez-moi ronfler en paix !
- Pourquoi y'a un trou fumant sur la commode ?
- Parce que c'était pas le bruit de ta tête sur la poutre ? » marmonnai-je sous l'oreiller avant de sortir de ma cachette et me précipiter vers la dîtes commode, réalisant ce qui avait pu faire ce bruit.
Je m'effondrai sur la couette que j'avais tirée avec moi.
« Pourquoi faut-il toujours que ça n'arrive qu'à moi ? sanglotai-je en effleurant du bout des doigts les morceaux d'électronique.
- Allez, c'est pas grave ! Un petit Reparo et il sera comme neuf ton téléphone, déclara ma sœur, tout en joignant le geste à la parole.
- Non ! » m'écriai-je, mais il était trop tard.
Elle avait déjà lancé le sortilège. Laurane saisit l'appareil réparé et l'alluma. Mais celui-ci, après une tentative malheureuse et quelques étincelles, refusa d'obtempérer.
« Tu sais très bien que ce type d'appareil est très sensible à tout ce qui est phénomène magnétique, alors la magie… me lamentai-je. Si la carte Sim est effacée, je te tue !
- C'est pas comme si tu attendais un coup de téléphone de ton petit ami ! » dit-elle avec un sourire malin sur les lèvres.
Je la foudroyais du regard, la faisant reculer de surprise. Non mais quel besoin avait-elle de m'écraser toujours comme ça. Sûrement la rivalité face à l'aînée, enfin…
« Allez, pour me faire pardonner, je t'offre une nouvelle coupe de cheveux ! continua-t-elle, essayant de se rattraper.
- Dis tout de suite que je suis mal coiffée, grommelai-je en me levant et enfilant un sweet.
- Mais non, mais ça te fera du bien ! Et ça plaira à tes mecs en Allemagne ! ajouta-t-elle avec un sourire plein de sous-entendus.
- Oh, la ferme ! » répondis-je en lui balançant la couette roulée en boule à la figure.
Le petit déjeuner fut animé, bien que j'aie la ferme intention de rester silencieuse, le regard perdu dans ma tasse de thé. C'était inhumain de me forcer à me lever aussi tôt pour mon premier jour de congé.
« Alors il est si mauvais que ça ton avenir, pour que tu fasses une telle tête de déterrée ? » demanda ma mère qui déposa du pain grillé dans mon assiette.
Elle écarta le rideau de cheveux fous qui cachait mon visage et me sourit, puis elle plongea à son tour le regard dans la tasse et se figea. Laurane approcha à son tour.
« C'est si mauvais que ça ? » s'enquit-elle.
Mais je secouai la tête pour les écarter, libérant mes cheveux de la poigne de ma mère et avalant rapidement le fond de ma tasse, m'étranglant au passage avec les feuilles que j'aspirais par inadvertance.
« Arrêtez avec ces stupidités ! » grognai-je en recrachant ce que je pouvais, tout en posant brutalement la tasse, faisant sursauter mon père et mon frère, tout aussi endormis et aussi peu du matin que moi.
Ils me foudroyèrent du regard, je sentais l'engueulade qui n'avait pas eu lieu la veille arriver.
« Écoute, ce n'est pas parce que tu as abandonné la magie, que tu dois être insupportable avec ceux qui la pratiquent… marmonna mon frère.
- Je ne t'impose pas mes croyances, ne m'impose pas les tiennes ! rétorquai-je en roulant des yeux.
- Mais enfin pourquoi tu ne veux plus entendre parler de la magie ? Ce serait tellement plus facile pour venir nous voir.
- Papa ! » m'exclamai-je.
C'est étrange que lui qui n'exprime jamais sur ce genre de sujet prenne la parole.
« D'autant plus qu'elle a explosé son téléphone portable ce matin parce qu'il sonnait trop tôt.
- Parce que en plus tu perds le contrôle ? » éclata de rire mon frère.
J'allais répliquer quand ma mère frappa la table du plat de la main.
« Ca suffit. Mathilde, tu vas aller chez le coiffeur avec ta sœur. Tu déjeuneras ensuite avec ton grand-père pendant que j'irai faire les derniers essayages avec ta sœur.
- Mais Maman… me défendis-je.
- Et pas de commentaires désobligeants sur la magie ! Tu obéis sans broncher sinon je te bâillonne ! »
C'est ainsi que traînant les pieds et muselée par un sortilège de ma mère, je pris le chemin de la Galerie Parallaxe. Vous ne connaissez pas la Galerie Parallaxe ? Cette adresse fameuse dans le monde sorcier entier ?
Alors commençons notre visite touristique par une leçon d'histoire. Une caractéristique du centre de Paris est que dans le quartier où certaines rues sont encore pavées, où elles s'entrelacent et se mêlent, se cachent allées et galeries. Parfois de simples ruelles entre les immeubles, couvertes d'un toit de verre. On retiendra le passage des Panoramas, le passage du cerf, du Caire, la Galerie Vivienne, et tant d'autres.
Et parmi elles, se cachait le quartier des sorciers. Invisible aux yeux des moldus, la Galerie Parallaxe était dissimulée au fin fond d'une ruelle, donnant elle-même sur une galerie commerçante, dans un coin sombre où brille l'éclat d'un miroir ancien à focales variables, mais brisé. Pour n'importe quel curieux, il ne s'agissait que d'un assemblage de morceaux de verres. Mais pour le sorcier, déplacer certains de ces miroirs fera jouer les rayons invisibles de lumière, qui, se croisant en un point, ouvriront la porte d'un monde de surprise, d'émerveillement et de magie…
Du moins c'est ce que vous dira tout bon sorcier. Arrivées à « Rap'tiss tiff », le salon de coiffure de la Galerie Parallaxe, le sort de bâillonnement que m'avait jeté ma mère provoqua une grosse crise de rire, à mes dépens, quand il me demanda quelle longueur, ma réponse au coiffeur n'ayant été qu'un regard noir.
Sous les rires de ma sœur, ma mère se décida enfin à me libérer. Disparus mes cheveux de toutes longueurs, bienvenu le carré mi-long légèrement dégradé sur le devant. J'eus droit à la rengaine habituelle sur le fait que je devrais arrêter de maltraiter mes cheveux avec les teintures. Personne ne semble vouloir comprendre qu'ils puissent se décolorer naturellement au soleil…
Heureusement, pour eux, la coupe fut impeccable, ce dont je pus juger au sourire de Bernard, mon grand-père. Maman et Laurane le saluèrent chaleureusement, avant de filer chez le couturier, où une robe, sûrement de princesse, attendait ma sœur pour les derniers essayages. Nous nous séparâmes bientôt, et je suivis Grand-père à travers la foule de sorciers, plus profondément que je n'avais jamais pénétré en ce lieu.
Les gens arrêtaient de temps en temps celui-ci, le remerciant, prenant le temps de discuter, toujours avec un sourire triste ou nostalgique sur les lèvres. Puis leurs regards se tournaient invariablement vers moi, et quelque chose de nouveau y apparaissait. Comme… de la pitié…
La fréquence des arrêts augmenta, à mesure que nous nous rapprochions de la Seine. J'étais étonnée, car je n'avais honnêtement jamais imaginé que tout un quartier sorcier pouvait être dissimulé aux moldus en plein cœur de Paris. Et c'est alors que je la vis…
Mes remerciements à Shiri, Usul, Miya Morana, Alana Chantelune, Luffynette, Bastetamidala et Naseis pour la trace de leur passage et leurs encouragements.
Angharrad - Dernière mise à jour le 30 octobre 2010
Première publication le 10 mai 2004
