Un voile entre les mondes
Troisième partie : Violence
2 – Le ministère de la magie française
L'île de la cité semblait s'être dédoublée, pour abriter un village du Moyen Âge peuplé de sorciers. Et au cœur de cette île, un bâtiment Renaissance de pierre d'un blanc crémeux trônait fièrement. C'était au Ministère français de la Magie que nous nous rendions…
J'étais tellement surprise que je traînais à peine les pieds à l'intérieur du bâtiment. Si l'extérieur avait été clair, l'intérieur était beaucoup plus sombre. La pierre y semblait grise, les murs couverts de tapisserie et d'armoiries, sans doute de la même époque que la Dame à la Licorne. Mais je n'eus pas le temps d'admirer les tableaux et autres décorations, que nous nous retrouvâmes cernés d'Aurors.
« Veuillez décliner vos identités et expliquer pourquoi vous ne vous êtes pas présentés au portail. » déclara manifestement le chef de la sécurité.
J'allais répliquer vertement et évacuer toute ma frustration de la matinée, mais Grand-père me coupa l'herbe sous le pied.
« Nous sommes attendus et sous le décret 6-66. Veuillez nous laisser passer. Et puis, quelle menace peut bien représenter pour vous un vieillard de mon âge venu rendre visite à un ami ? » dit-il avec un sourire modeste.
Les Aurors resserrèrent leurs prises sur leurs baguettes. Je sentais la tension augmenter, et une énergie étrange émaner de je ne sais où, bouillonner, et se concentrer autour de nous. Cherchant à rouvrir ma perception de la magie que j'avais occultée depuis maintenant presque cinq années, je fus submergée, et ma tête se mit à tourner.
« Paix ! imposa une voix profonde et puissante, émanant des hauteurs. Nous vous attendions. »
Un homme d'un âge plus qu'avancé venait d'apparaître au balcon de pierre.
« Mais monsieur le Ministre…
- Il n'y a pas de mais, n'obligez pas nos invités à forcer le passage. Vous voyez bien que vous n'avez aucune chance. »
Une sensation glacée toucha mes épaules, et je m'aperçus qu'autour des Aurors s'était formé un cercle de fantômes guerriers. Ceux-ci baissèrent les yeux quand Grand-père leur fit signe de s'écarter. Les fantômes reculèrent, puis s'effacèrent à mesure que les Aurors baissaient leurs armes, en même temps que ma tête cessait de pulser.
« Et bien Mathilde ? » appela Grand-père qui avait déjà rejoint la plate-forme d'élévation.
Encore abasourdie par ce qui venait de se produire, je le rejoignis et suivis à travers un dédale de vastes salles, jusqu'à une grande porte de chêne aux boiseries dorées.
Nous entrâmes dans la salle qui se révéla être un immense bureau, à faire pâlir notre cher président de la République. Et là, dans un fauteuil de velours rouge, siégeait notre ministre, Janus Bouclier des Fontaines. Je fus surprise par son apparence, celle d'un homme épargné par le temps. Seules quelques rides d'inquiétudes semblaient avoir marqué le coin de ses yeux. Il n'était pas très grand, à peine plus haut que Grand-père, la même taille que moi. Ses cheveux qu'il portait longs et attachés dans le dos, étaient d'un blanc argenté surprenant.
Je sursautai lorsque je me souvins qu'il était d'ascendance vélane. Quelle gourde je faisais ! Voilà pourquoi je le trouvais encore séduisant pour un homme de quatre-vingt-cinq ans. Il eut un sourire amusé, il semblait avoir guetté ma réaction.
« Asseyez-vous ! » nous invita-t-il de cette même voix profonde qui avait stoppé les Aurors dans le Hall.
Voyant Grand-père s'impatienter, je pris place dans l'un des grands fauteuils qui étaient apparus face au bureau. Le silence revint, à peine perturbé par le bruissement des arbres dans la cour du ministère, ou bien était-ce le bruit de la fontaine centrale.
« Ainsi donc, la voici. » murmura-t-il finalement au bout de ce qui me parut une éternité, mais dans les faits ne devait pas avoir duré plus d'une dizaine de minutes.
Je détournais nerveusement les yeux du décor étonnant pour le foudroyer du regard. Parlait-on ainsi des gens ? Surtout quand ils pouvaient vous entendre ? Je vis du coin de l'œil Grand-père acquiescer, avant de prendre la parole.
« En effet. Elle s'est avérée la plus sensible et réceptive. Malheureusement, elle est également la plus récalcitrante.
- J'avais cru comprendre qu'il fallait ce genre de force de caractère pour le supporter. » l'interrompit le Ministre avec un sourire qui se prolongea dans le pétillement de ses yeux bleus.
J'assistais à leur dialogue, témoin de leur complicité, surprise qu'elle existe et réalisant à quel point je savais peu de choses sur mon Grand-père et, sans doute, même sur ma famille. Mais je ne supportais pas la manière dont ils parlaient tout en m'ignorant. Comme s'il pouvait suivre le fil de ma pensée, Janus se tourna vers moi.
« Il ne faut pas vous rendre vous-même la vie plus difficile qu'elle ne l'est déjà.
- Excusez-moi, mais je ne vois pas ce que vous voulez dire, répondis-je sur un ton qui se voulait anodin, comme si il m'avait sortie de ma rêverie.
- Nous pensons qu'il est temps que tu cesses cette stupide crise anti-magie. Je compte te racheter une baguette aussitôt après notre entretien, reprit Grand-père, appuyé par le Ministre qui hochait la tête, les bras croisés sur son torse.
- Je crois que ma non-pratique de la magie ne regarde que moi, » rétorquai-je en serrant les dents.
Non mais dans quoi m'étais-je faite embarquer ?
« La sécurité du monde magique nous regarde tous. Or, j'apprends que pas plus tard que ce matin, vous avez provoqué l'explosion de matériel moldu sous le joug de la colère, annonça le Ministre tout en se penchant au-dessus de son bureau vers moi.
- Parce que vous me surveillez ? »
J'enrageais, la fureur étouffée le matin même réveillée.
« Je vous signale que j'ai passé mes ASPICs avec une mention bien. Je suis donc habilitée à pratiquer ou non la sorcellerie.
- La magie sans baguette est toujours dangereuse. Même pour les sorciers adultes et expérimentés, ce que tu n'es pas encore, rappela Grand-père.
- Et s'il arrivait le moindre problème, notamment pendant votre séjour en Allemagne, nous aurions toutes les peines du monde à vous venir en aide, continua le Ministre.
- Mais puisque je vous dis que je NE PRATIQUE PAS LA MAGIE ! » m'écriai-je, mes nerfs lâchant.
Le globe qui retenait les dossiers sur le coin du bureau fut propulsé vers la fenêtre qui vola en éclats, ceux-ci projetés vers l'intérieur, certains jusqu'au bureau, allant jusqu'à entailler la main du Ministre.
« Je pense que cette démonstration suffira, » déclara-t-il en tirant sa baguette et murmurant un rapide sort de soins, puis reprenant une conversation rapide avec Grand-père.
J'étais muette de stupeur, regardant mes mains. Jamais, au grand jamais, je n'avais perdu le contrôle au point de blesser quelqu'un.
« Mathilde, murmura Grand-père en posant sa main sur mon épaule, me tirant de ma réflexion. Il est important que tu reprennes la magie. En bridant tes pouvoirs, tu accumules l'énergie, mais ton corps ne résistera pas, et tu perdras le contrôle de tes dons, expliqua-t-il.
- Le simple fait d'avoir une baguette te permettra, en cas d'éclat comme maintenant, de diriger toute cette énergie. Et si vraiment tu perds le contrôle, nous pourrons intervenir rapidement en traçant la baguette.
- Ah oui, intervenir rapidement, crachai-je hors de moi. Comme vous l'avez fait lors de l'attaque du Refuge ? »
Se produisit alors une chose qui n'avait encore jamais eu lieu. Grand-père me gifla. Je le dévisageai, les yeux grands ouverts de stupeur.
« Cesse de faire l'enfant. Tu n'es pas la seule à souffrir, prend du recul au lieu de fuir. Ce n'est pas une attitude digne d'une Lenoir. »
J'étais sous le choc. D'abord parce qu'il avait porté la main sur moi, et il ne l'avait jamais fait sur aucun de ses petits enfants. Ensuite, parce qu'il avait réagi quand j'avais évoqué le Refuge, alors qu'il n'en parlait plus depuis la mort de Grand-mère, et se cantonnait dans le silence quand nous en parlions entre nous. Et enfin, parce que pour la première fois, il m'avait donné le nom de Lenoir, et non celui de mon père…
« Mathilde, nous savons que vous n'êtes plus une enfant. Vous aurez bientôt vingt-cinq ans, mais il vous reste tant de choses à apprendre sur la Magie. Vous devez découvrir votre magie propre, mais vous ne le pourrez jamais si vous vous isolez ainsi de la magie... déclara avec douceur Janus.
- Je… ma magie… propre… bafouillai-je.
- Sois aussi intelligente que tes diplômes moldus et sorciers le prétendent, et accepte au moins d'essayer, » ajouta Grand-père.
Je le regardai, le suppliant des yeux, puis voyant qu'il ne plierait pas, me tournai vers le Ministre. Il avait devant lui un dossier ouvert, sur lequel une plume à papote remplissait feuillet après feuillet. Elle rédigeait une lettre, qui semblait attendre sa signature.
« Que ferez-vous, si malgré tout, je refuse de me racheter une baguette et de reprendre la pratique de la magie ? demandai-je d'une voix hésitante.
- Je serai obligé de vous retirer votre permis de sortie du territoire et de vous placer sous haute surveillance, annonça-t-il en baissant les yeux pour relire la lettre.
- Ne trouvez-vous pas ces mesures un peu extrêmes ? Rencontre avec le Ministre, haute-surveillance, pour un simple refus de la magie ? marmonnai-je d'un ton à peine moins hésitant.
- Il s'agit de notre sécurité à tous. » répondit froidement le Ministre.
J'avais été trop loin. Je vis sa plume approcher du parchemin. Les puissances seules savaient ce qu'ils me réservaient si jamais ce document était signé. Ils m'avaient vaincue, je devais me plier à leur volonté. Et accepter de reprendre l'usage de la magie…
Merci à Miya Morana, Bastetamidala, Alpo, Naseis, One Ring, Luffynette, Celo, Shiri et Iliana pour la trace de leur lecture et leurs encouragements.
Angharrad, dernière modifications le 30 octobre 2010
Première publication, le 16 mai 2004
