Un Voile entre les mondes
Troisième partie : Violence

4 – Le chemin de traverse

La sensation d'aspiration cessa et je sentis le sol réapparaître sous mes pieds, juste à temps pour pouvoir m'élancer à la rescousse de Grand-père qui avait perdu l'équilibre.

« Je hais les portoloins, grommelai-je en redressant ses lunettes sur le bout de son nez.

- Peut-être, mais tu dois reconnaître leur utilité en cas d'urgence.

- Quelle urgence ? m'écriai-je, sentant la colère monter.

- Pense que tu vas enfin pouvoir aller chez Fleurish & Botts, toi qui râlais des fautes de traduction dans tes manuels de sorcellerie. »

Je ne pus m'empêcher d'avoir un sourire nostalgique.

Il est vrai qu'adolescente, bien que l'anglais ne soit que ma seconde langue vivante, je maudissais mes manuels pour n'être que des traductions, et rêvais de me rendre à Londres. Je m'imaginais chopiner sur le Chemin de Traverse, et plus encore visiter Poudlard, l'École de Sorcellerie de Grande Bretagne. La légende courait à Beauxbâtons que Pré-au-lard avait été construit sur les ruines de Camelot et que Poudlard abritait la Table Ronde. Remarque, on disait aussi que l'île de Beauxbâtons était la seule partie ayant échappé au naufrage d'Atlantis…

Traînant des pieds, je suivis Grand-père hors de la pièce où nous étions apparus. Nous nous trouvions dans un bar sombre, poussiéreux et enfumé. Nous devions être dans le Chaudron Baveur, si ma mémoire était exacte.

Grand-père se dirigea vers le bar où le tavernier l'accueillit avec un sourire qui s'agrandit quand Grand-père se mit à lui parler latin. C'est idiot, il n'a jamais su retenir l'anglais. Par contre, le latin était la langue commune de tous les sorciers, même si nous les jeunes, avions tendance à ne le pratiquer que pour lancer nos sortilèges.

Le tavernier nous offrit des chopes fumantes de Bièreaubeurre. J'avais oublié à quel point cela pouvait être sucré et onctueux. Rien à voir avec les bières allemandes et moldus. Puis il nous indiqua l'arrière boutique et guida les gestes de Grand-père sur le mur de la cour. Après avoir tapé quelques briques, celui-ci se fendit en deux, et la voie vers le chemin de Traverse s'ouvrit à nous.

J'avouai que la mauvaise humeur que je promenais depuis le matin oscilla entre la peur et le rejet que j'avais développés depuis la mort de Grand-mère, et la fascination de ce lieu magique inconnu. La fascination l'emporta cependant quand nous entrâmes chez Fleurish & Bott. Grand-père savait me prendre par les sentiments.

Ma première hésitation passée, je laissai Grand-père fouiner dans le rayon latin, et me glissai à travers les étagères. Un rat de bibliothèque vint me trouver, me demandant ce que je cherchais, mais voyant que je me promenai, il se tourna vers les autres clients. Je trouvai bientôt le rayon histoire de la magie, et fis une razzia de tout ce qui traitait des relations sorciers/moldus à travers les âges, notamment les comparaisons entre les méthodes scientifiques et magiques sur un certain nombre d'applications, la plus étonnante étant celles du balai et du surf. Je me souvins avec nostalgie de la démonstration de surf à laquelle j'avais assisté à l'exposition universelle de la Sorcellerie 1986 [1] et du débat que j'avais entamé avec des jumeaux sur le mélange des deux cultures. Tiens, ça me fit penser qu'ils étaient roux tous les deux…

Instantanément, mes pensées dérivèrent vers Fred que j'avais laissé en Allemagne. Il était vraiment génial, et j'avoue que j'étais heureuse de pouvoir l'appeler « grand frère ». Car c'était bien d'un grand frère dont j'avais besoin en ce moment. Quelqu'un qui me taquinerait, me suivrait dans mes délires, me gronderait, me câlinerait et me protégerait. Pas quelqu'un qui me collerait, m'imposerait sa vision des choses, ses soirées foot et ordinateur, ses mauvais délires sur les femmes à la cuisine et le cuir…

Tout en songeant à la relation étrange qui nous liait, je me dirigeai vers la caisse où Grand-père attendait que je daigne terminer mes achats, ses propres acquisitions à la main. J'accélérai le pas quand j'entrai en collision avec quelqu'un, et déséquilibrée par les dix gros volumes que je comptais acheter, me retrouvai par terre.

« Excusez-moi, je suis désolé, je ne voulais pas… » bafouilla le rouquin dans la langue locale.

Il tomba à genoux pour m'aider à ramasser les livres. Je levai les yeux de terre pour voir qui m'avait renversée et fut prise de panique.

« Espèce de traître ! Tu ne m'avais pas dit ! Traître !» m'écriai-je dans ma langue maternelle.

Je lui tombai dessus et frappai le jeune roux sur le torse.

« Aïe ! Mais arrêtez ! Je ne comprends rien à ce que vous dîtes ! Hermione, aide-moi ! » appela-t-il, mal à l'aise.

Je stoppai net en entendant ces paroles. Une jeune brune, le nez plongé dans un livre, s'approcha de nous.

« Ron, qu'as-tu encore imaginé comme technique de drague ? soupira-t-elle dans la langue de Shakespeare en refermant son livre.

- Mione ! grogna-t-il, roulant des yeux alors qu'il me tenait les poignets à distance respectueuse de son torse.

- Vous vous appelez Ron ? Pas Fred ? repris-je dans leur langue.

- Ron, c'est bien moi. Je ne sais pas qui est votre Fred, mais sûrement pas quelqu'un que vous portez dans votre cœur. »

Je rougis jusqu'aux oreilles. Quelle idiote je faisais.

« Pardonnez-moi, ce sont les cheveux, j'ai confondu. Je suis ridicule, il n'est pas sorcier !

- Bah, un grand roux, ça correspond à pas mal de gens par ici. Surtout Fred…

- Ah oui ? Et la petite brune, à ton avis ça correspond à combien de personnes ? » grogna le garçon qui se relevait et me tendait mes livres, avant de se faire interrompre par un coup de coude bien placé de la jeune fille qui prit une expression angélique. S'ensuivit une querelle dont je préférais m'éclipser.

Grand-père me vit payer ma nouvelle collection de grimoires avec un sourire jusqu'aux oreilles et glissa un autre paquet dans mon sac déjà bien chargé.

« Qu'est-ce que c'est ? demandai-je un peu surprise.

- L'intégrale des Harry Potter, en édition originale. Tu en rêvais pour tes vingt ans, alors qu'à l'époque, seuls les trois premiers volumes étaient sortis. Un souhait exhaussé, à ne pas ouvrir avant tes vingt-cinq ans, » me répondit-il avec un clin d'œil.

Je ne pus m'empêcher de sourire mélancoliquement. Grand-mère adorait ces livres. Elle disait que c'était une manière assez originale et fidèle de décrire la guerre qui avait eu lieu pendant mon adolescence, et nous ferait prendre conscience de la chance que nous avions eu, à apprendre la magie hors des écoles de sorcellerie. Je ne les avais plus ouverts après sa mort, à peine feuilletés avant. Je voulais lire la série d'un coup. Ils se trouvaient encore tout en bas de ma pile « à lire »

C'est les bras chargés de paquets, et le moral un peu remonté, que Grand-père parvint finalement à m'entraîner vers le magasin de baguettes…


[1] allusion à mon histoire « Exposition universelle de la magie 1986 »


Merci à Miya Morana, One ring, Alana Chantelune, Naseis, Luffynette, Bianca n'ha gabriela, Aliri, Shiri et Beltegueuse pour la trace de leur passage et leurs encouragements.

Angharrad, dernière modification le 30 octobre 2010
Première publication le 13 juin 2004.