Un Voile entre les mondes
Quatrième partie : D'amour et d'Amitié
1 – Ecrire ou etouffer
L'alchimie est un joli jeu,
Un peu comme un tour de cartes pour flouer un homme
En le charmant.
Ben Jonhson – l'alchimiste
Si j'avais espéré un retour en douceur au pays germain, j'allais être servie.
Arrivée en début d'après-midi et trop consciencieuse pour mon propre bien, je pris à tâtons le chemin du bureau, après avoir erré quelques heures dans le système de bus local. Ce qui me fait penser que je ne vous ai pas encore décrit le lieu de mon travail.
Le GKSS est un centre de recherche situé sur les bords de l'Elbe, perdu au milieu d'une de ces forêts menacées par les pluies acides. Enfin, menacée, je l'ai personnellement trouvée en bien meilleure santé que les bois de Boulogne et Vincennes.
Mais revenons au GKSS. A l'origine, centre de recherche atomique, il fut le bâtisseur du premier sous-marin nucléaire allemand. Mais bien avant, il était le plus grand centre de recherche secret de l'Allemagne nazie. Rasé après la guerre, il ne faut cependant pas s'étonner en empruntant les sentiers cachés par les arbres qui relient les bâtiments actuels, de croiser des cerfs, sangliers et renards, vivant dans les ruines des blockhaus de l'époque. Le tout était parqué de murs de grillages de plusieurs mètres de haut et de kilomètres de barbelés, surveillé par des équipes de sécurité et chiens de garde.
Bref, en ce début d'après midi de mon retour, mes sacs pleins déposés sur la table de ma chambre et ma nouvelle baguette irrévérencieusement abandonnée sur mon lit, je pris le chemin de gravier, entouré de chaque côté de murs de barbelés et de blockhaus en ruine. Si le chemin n'avait pas encore entamé mes bonnes intentions, ce qui m'attendait au bureau le fit. Quelques saluts timides de mes collègues des étages inférieurs du bâtiment et la division par deux du nombre de stagiaires, mais surtout l'absence totale de chefs de projets me parut surprenante.
Pas grave, me dis-je. Ils devaient être en réunion planning. De plus, il était tôt dans l'après-midi et le service était principalement composé de gens du sud. Je me disposai donc à faire le tour des bureaux. Celui d'Antonio m'apparut comme le plus proche, bien que mes pensées se soient déjà tournées à plusieurs reprises vers Fred. Et puis de cette manière, j'allégerai mon sac chargé des livres qu'il m'avait demandé.
« Bonjourno, Bondjiya ! » m'écriai-je en ouvrant d'un geste vif la porte.
Deux têtes se levèrent de leurs claviers et j'entendis à l'autre bout du couloir un cri de victoire. Ils étaient encore en train de jouer à je ne sais quel nouveau jeu en réseau.
« Mathilde ? hésita l'espagnol en se levant.
- Non je suis le pape et je viens voir ma sœur, répondis-je en roulant des yeux.
- Chouette ta nouvelle coupe ! dit simplement le 'petit' Enrico qui passait une tasse de café fumant dans sa main et nous faisant rebasculer sur l'anglais.
- Ah c'est pour ça vos têtes bizarres ? Ca vous plaît pas ? m'inquiétai-je en portant la main à mes cheveux, et parce que toute la semaine n'avait été que compliments.
- Au contraire ! M'accorderiez-vous une danse ? » s'enquit Gustavo le dragueur.
Je roulais des yeux. Ces brésiliens étaient décidément d'incorrigibles charmeurs. Je n'osais imaginer la réaction d'Arthur.
« Bon sérieusement, où sont-ils tous, que je puisse faire mon planning et libérer un après-midi pour jouer en réseau avec vous ? »
Silence. Les garçons se regardèrent gênés et Antonio lança rapidement deux phrases en espagnol auxquelles Gustavo répondit par des hochements de tête positifs puis négatifs.
« Hello, Earth to the Moon ! Je ne comprends que l'anglais, l'allemand, le français, le grec et le Latin si vous articulez bien. Quelqu'un pour traduire ? » m'énervai-je, furieuse qu'ils n'aient pas perdu cette fâcheuse habitude de passer en langue du Sud quand ils voulaient parler de moi en ma présence.
Nouveau silence et échange de regards. Puis Antonio se leva et m'entraîna vers la machine à café.
« Tu n'as donc pas reçu nos i-sms ?
- J'ai eu un accident de portable, il faudrait d'ailleurs que vous me redonniez vos numéros, grommelai-je.
- Pas plus que nos mails ?
- Ben non… hésitai-je sentant une colère sourde se réveiller au creux de mon estomac. J'ai consulté que le mail perso, j'avais pas encore reçu les codes externes quand je suis partie. »
Ils se regardèrent atterrés.
« Alors tu ne sais pas que jusqu'à Mercredi, c'est la réunion annuelle des chefs de projets et laboratoires à Berlin, » reprit l'espagnol en m'entraînant vers la machine à café.
À ces mots, la tasse qu'Antonio m'avait collée dans la main vola en éclat et le café qu'il y versait se répandit sur le sol et mes chaussures de toile.
« Ouah ! vite, une éponge ! » s'affola-t-il.
Je le regardai s'agiter les doigts encore crispés sur l'anse intacte de la tasse. Puis je me dirigeai vers les toilettes pour nettoyer mes mains et chaussures toutes tâchées. Je fis couler l'eau quelques instants, puis m'assis sur la cuvette et entamai une lecture de plafond approfondie. Cela peut vous paraître fou, mais là où certains récitent des mantras, je préfère m'asseoir et déchiffrer les mystères gravés dans le plafond pour me calmer. J'avais une nouvelle fois perdu le contrôle, et ce devant un moldu. Je soupirais, craignant à tout instant l'arrivée d'un hibou du ministère allemand.
Au bout d'un temps qui ne me parut que trop court, Antonio vint toquer à la porte de la cabine.
« Mathilde, est-ce que ça va ? »
J'inspirai profondément et expirai encore plus lentement. J'ouvris la porte et allai me passer de l'eau sur le visage. J'étais fatiguée par le voyage et avais les traits encore tirés par les festivités du mariage qui ne dataient que de deux jours. Je parvins ainsi à éviter de longues explications.
« Ca va, je suis juste un peu fatiguée. J'ai du toquer la tasse tout à l'heure en la prenant dans le placard, et le café brûlant aura fait le reste. » expliquai-je avec un demi-sourire.
Nous sortîmes de la salle d'eau. Je me tournai, mais Antonio avait ramassé les chaussures que j'y avais oubliées, renforçant cette impression d'épuisement que je voulais diffuser.
« Tu veux que je te raccompagne ? demanda-t-il en désignant mes pieds nus.
- Non ça va. Je vais relire quelques publications et envoyer quelques messages le temps que mes chaussures soient sèches. »
Il n'insista pas plus, ce en quoi je lui fus reconnaissante. Je regagnai mon bureau étrangement silencieux, mais je n'allai pas m'en plaindre. Sans surprise, le patron absent, les stagiaires dansaient. Mais pour une fois que le triumvirat n'était pas là, j'avais la paix et n'allais pas m'en plaindre vu mon état d'esprit.
Il ne me fallut pas plus de quinze minutes pour faire tout ce que j'avais prévu de faire et me retrouver à errer sur la toile. Depuis quelques temps déjà, je me délectais d'un site tout particulier qui hébergeait de nombreux écrits d'une variété incroyable, appelés fanfictions. Ainsi je pus étancher ma soif de continuité et d'univers parallèles pour mes séries préférées.
Quelle ne fut pas ma surprise ce jour là de remarquer la taille énorme de la section Harry Potter. Il faut dire ce qu'il est. N'ayant pas terminé le cycle des aventures du sauveur du monde magique, je n'osais lire toutes les horreurs qui avaient pu être écrites sur son compte, depuis ma malheureuse tentative sur une histoire des plus commentées, racontant la vie de couple de Draco Malfoy et Harry Potter.
Mais à mesure que je lisais en diagonale les résumés, je me rendis compte qu'au milieu des délires adolescents et pervers de certains, se trouvaient de véritables récits sorciers. Je m'attardais sur les écrits d'Alana Chantelune, et son travail sur le Caravansérail ainsi que sa sélection d'articles extraits des diverses gazettes locales, ceux de Reveanne et une description fidèle de l'académie de Beauxbâtons que j'avais entraperçue lors du passage des divers examens sorciers.
A mesure que je me plongeais à la recherche d'autres véritables récits sorciers, je ne pus m'empêcher de songer à ma propre histoire, et me décidai finalement à prendre la plume.
Il faisait nuit noire lorsque je trouvais satisfaisant le récit de ma découverte de la magie et de la galerie Parallaxe. Le texte achevé, relu et modifié, je restai quelques secondes interdite. J'y livrais tout de même certaines de mes pensées les plus profondes et secrètes. Des choses que je n'avais confiées à personne, et que je n'oserai sans doute jamais partager avec mon entourage. Et pourtant, il fallait qu'elles sortent, quitte à me fâcher avec ceux qui me reconnaîtraient.
Et puis… Devais-je publier sous mon nom ? Prendre un pseudonyme ? L'inventer ? Tirer de l'univers magique, puisque c'était de lui dont j'allais faire l'objet de mes études ? Un nom qui pouvait signifier quelque chose ?
L'image d'une femme aux cheveux blancs et aux pouvoirs mentaux faisant d'elle l'une des femmes les plus puissantes et pourtant malheureuse (car isolée) s'imposa à moi. En quelques clics, je vérifiai qu'il n'était pas utilisé et lui découvrit plus d'une signification qui me séduisit.
Je créais donc l'adresse e-mail qui correspondrait à ce nouvel aspect de ma personnalité, puis le compte auteur lui à lui associer. Je remplis la page biographie sans donner trop de renseignements mais de manière avenante pour inviter le lecteur à me contacter, et finalement publiai le texte.
Epuisée, je ne passai même pas par la grande cuisine commune, toutes les lumières de la maison d'hôte étaient éteintes. Je n'allais pas risquer de les réveiller et me mettre à dos mes nouveaux voisins dès la première nuit. Et de toute façon, mon frigo était vide. J'avais oublié de faire les courses avant de retourner au boulot.
Je passai devant la porte de Fred. Il avait collé une étiquette sur son nom de famille, pour la remplacer par un infâme gribouillis aux cheveux rouges. J'hésitais, après tout, n'était-ce pas le rôle d'un grand frère de s'occuper de sa petite sœur quand celle-ci déprimait ?
Mais trop fatiguée, je trouvais finalement la porte de ma chambre et plongeait épuisée dans mon lit.
Merci à Alana Chantelune, Miya Morana, Luffynette, Tsahel, Syllian, Aliri, Shiri, Bianca n'ha Gabriela pour la trace de leur lecture et leurs messages d'encouragement.
Angharrad, dernière modification le 30 octobre 2010
Première publication le 27 juillet 2004
