Un Voile entre les mondes
Quatrième partie : D'amour et d'Amitié
4 – Repas international
Je tournai dans tous les sens dans ce lit qui n'était pas encore tout à fait le mien, et finis par me lever plus énervée que je ne m'étais couchée. On aurait pu croire qu'en rentrant à cinq heures du matin, j'allais tomber de sommeil, mais non. Je pétais la forme… Il faut dire que le seul moment où je crus enfin glisser dans les limbes du sommeil, on frappa ou plutôt tambourina à ma porte. Merci aux voisins qui ne savent pas lire les plaques sur la porte et m'ont réveillée pour un match de football opposant l'équipe du Brésil à celle de l'Italie. Heureusement que j'avais perdu le réflexe de tendre la main vers ma baguette, sinon je l'aurais envoyé voir sur la lune si j'y étais… Mais constatant que je ne replongerais pas, je dus bien admettre qu'avoir l'occasion de passer au bureau pour regarder mes mails, même le dimanche était sans prix.
Unsleepy Faery était comme toujours en ligne, ce qui me permit de cracher mon venin dans une oreille compatissante et de me laisser entraîner dans un délire ou deux qui deviendraient par la suite nos signatures. Ah, charmante colline, bureau d'esclavagistes et capes de super héros. Tout y est passé et sans doute plus. A tel point que quand je relevais le nez sur l'horloge de l'ordinateur, je vis que quinze heures ne tarderaient pas à sonner. Pas étonnant que mon ventre crie famine à ce point, expliquai-je à Sammy qui était en train de se baffrer de Kinder Pingui de son côté de l'écran. Je me décidai donc à couper la connexion et rentrer au foyer. Je priai pour que la cuisine soit libre, mais les grands éclats de rire d'Amanda et Ulrika m'accueillirent du jardin. Bah, autant pour le calme, et allons-y pour travailler notre sociabilité. Je plaquai donc un sourire sur mes lèvres et entrai d'un pas décidé dans la cuisine.
« Hi les filles ! déclarai-je en me tournant tout de suite vers mon placard dont je tirai une de ces innombrables mixtures en poudre allemande.
- Et bien c'est à cette heure là qu'on se lève ? » me nargua une voix masculine bien connue.
J'en lâchai mon sachet et manquai de renverser l'eau bouillante sur mes pieds.
« Fred ! Quand es-tu rentré ! » m'exclamai-je, laissant le robinet ouvert pour lui sauter dans les bras.
Il devait avoir l'habitude, car il me fit tourner avec lui avant de me déposer à terre et claquer deux bises sonores sur mes joues.
« Très tôt, j'ai hésité à taper à ta porte, mais je ne savais pas si tu étais de sortie ou endormie. Je sais à quel point tu tiens à tes grasses mat'.
- Rah faudra l'apprendre à deux-trois Brésiliens, grognai-je en me remettant à ma cuisine sachet.
- Ah, toi aussi tu as été victime des Brésiliens ? demanda Ulrika à qui je répondis d'un hochement de tête.
- Moi j'ai eu le droit aux Italiens, soupira Amanda qui me fit signe de prendre place à leurs côtés.
- Alors voilà le garçon dont tu ne nous as pas parlé hier ? » enchaîna-t-elle.
Je manquai de m'étrangler alors que Fred rosissait légèrement.
« Amanda, Ulrika, ça ne vous suffit plus vos propres histoires, il faut en plus que vous mettiez votre nez dans celle des autres ? attaqua Fred.
- Parce que c'en est bien une histoire ? continua Ulrika, se penchant vers nous, essayant d'attirer la confidence que je n'étais pas prête à entendre.
- Si histoire il y a, ce sera avec George ! déclarai-je avec aplomb, tout en levant ma cuillère pleine.
- George ? Qui est-ce ?
- Le frère jumeau de Fred ! continuai-je levant les yeux pour les voir me dévisager avec de grands yeux. Parce que Fred ne vous a pas dit qu'il avait un frère jumeau ? » m'étonnai-je.
Je me tournai vers Fred, et me rendis compte qu'il avait pâli. Oh non, j'avais mis les pieds dans le plat. Je saisis sa main sous la table et la serrai, espérant qu'il me pardonnerait.
« Olala vos têtes ! Bien sûr qu'il n'y aura pas d'histoire entre moi et Fred, ni entre moi et un quelconque frère jumeau. Enfin si, mais c'est une histoire entre frère et sœur, terminai-je avec un clin d'œil.
- Pardon ? hoqueta Amanda.
- Vous avez bien entendu, reprit Fred tout en me laissant retourner à mon repas.
- Mathilde et moi éprouvons de l'amour l'un pour l'autre, mais rien de plus que de l'amour fraternel. Aussi, pas de potins croustillants sur la nouvelle, mesdemoiselles, ou sur l'ermite roux, parce qu'il n'y en aura pas, » acheva-t-il en croisant les bras sur sa poitrine et les fusillant l'une après l'autre du regard.
Elles semblaient déçues, mais pour ma part, j'étais rassurée de la déclaration de Fred. Au moins, les choses étaient claires entre nous, c'était le plus important. Maintenant restait une interrogation. Pourquoi ne semblaient-elles pas connaître George ? J'étais plongée dans mes pensées quand deux doigts claquèrent devant mes yeux, me ramenant au présent.
« Hé petite fille, tu vas bien ? » me demanda Fred.
Il me fallut quelques secondes pour me remettre en mode français. Mon regard se focalisa sur lui alors qu'il s'asseyait face à moi dans le fauteuil libéré par Ulrika qui allait regarder un feuilleton quelconque dans la salle commune.
« Oui, pourquoi ?
- Tu es toute pâle, le manque de sommeil ? D'ailleurs, tu dînes déjà ? commenta-t-il en montrant ma tasse à moitié vide.
- Euh. . . Non en fait je déjeune là, mais vu l'heure, je crois bien que je vais sauter le dîner et aller vite fait me coucher.
- Sauter le dîner, mais ça va pas ou quoi ? » grogna-t-il.
- Hé, t'es pas mon père, répondis-je d'un ton plus blessant que je ne l'aurais voulu.
- Pas ton père, mais ton grand frère, » contre-attaqua-t-il avec un sourire malicieux.
Aïe, je n'avais pas pensé à ce côté-là de la relation fraternelle, ayant toujours été la grande à veiller sur les autres. J'allais répliquer, mais Fred s'était levé et fouillait à présent dans son frigo.
« Fred, qu'est-ce que… ?
- Toi, tu vas aller t'asseoir devant la télé, et je vais nous préparer quelque chose. Tiens, d'ailleurs non, tu vas rester assise là, finir ta mixture, et moi je m'occupe de réveiller la résidence. Foi de Fred, on va pas laisser passer l'occasion de se faire une soirée sympa en cuisine ! »
Et il disparut dans le couloir. Je n'en revenais pas. Mais quelle mouche l'avait piqué, alors que tout ce que je voulais, c'était grignoter et aller me coucher ? Raaaahh ! Et comme si tout avait été prévu, Adolfo et Haagen ne tardèrent pas à débarquer, les bras chargés de sac de provisions.
« Ce soir, c'est viva Mexico ! » s'exclama Haagen tout en étalant les ingrédients sur les tables.
Je n'aurais pas passé la soirée de samedi en compagnie des cuisiniers, que j'aurais soupçonné que tout était organisé. Mais non. L'envie de Fred avait suffi à motiver toutes les bonnes volontés de la résidence et des logements autour.
Chacun mit la main à la pâte, apprenant d'Adolfo les secrets d'une cuisine mexicaine typique et réussie, le tout bien plus arrosé que je ne l'aurais cru avec en fin de soirée deux bouteilles de vin, une de tequila et un tonneau de bière en partance pour la décharge.
Je dois bien l'avouer, j'ai maudit Fred quand il me colla une cuillère de bois dans la main et me poussa vers les plaques où mijotaient les sauces haricot rouge – chocolat pour accompagner le poulet. Je n'avais aucun moyen de m'esquiver, comme j'avais prévu de le faire.
Et grand bien m'en fit. Mes aïeux, quelle soirée ! Pas moins de sept langues parlées pour dix personnes autour de la table. Des crises de fou-rire en essayant de suivre les conversations en langages inconnus. De bonnes surprises pour ma part, intervenant en anglais dans une conversation en patois allemand.
Je fus cependant soulagée de voir la nuit tomber tôt et avec elle, débouler la gérante – qui, je l'apprenais à l'occasion, était surnommée Dragon – nous rappela de garder le silence au delà d'une certaine heure.
Je me proposai pour la vaisselle, mais Amanda me força à m'assoir devant la télévision, en attendant qu'ils aient terminé de tout ranger. Fred aussi fut poussé d'office dans le canapé, celui-ci ayant plus que merveilleusement organisé l'événement surprise.
Je voulus les attendre, avant d'aller me coucher, mais je dus avouer que le film à l'eau de rose et le ronronnement des conversations en cuisine me bercèrent plus que je ne voulus l'admettre. Fred m'offrit son épaule, et bientôt le voile du sommeil recouvrit tout autour de moi.
Merci à Alionorah, Kirfe, Cassandre, Aliri, The Unsleepy faery, History, Poisson rouge, Alana Chantelune et Didi pour la trace de leur lecture et leurs messages d'encouragement.
Angharrad, dernière modification le 30 octobre 2010
Première publication le 16 mars 2005
