Un Voile entre les mondes
Quatrième partie : D'amour et d'Amitié

6 – Sos baguette en détresse

Je dois bien avouer que cette histoire de baguette me sortit complètement de l'esprit alors que je regagnais ma chambre pour me coucher directos. Et la journée suivante fut tellement occupée à courir dans tous les sens de la ville de Hambourg, à jongler entre les horaires de bus et de U-bahn, à me disputer avec les autres qui n'allaient pas assez vite pour moi, que mon esprit effaça simplement cet élément de ma mémoire.

Il faut dire que mon caractère de cochon avait encore joué, et si je m'étais écrasée pendant la journée, je ne le fis plus une fois la nuit venue, voyant les heures s'égrainer et les musées qui m'intéressaient le plus m'échapper. Je lâchais donc le groupe, et bougonnant, prête à me perdre seule dans la ville.

Quelle ne fut pas ma surprise, au détour d'une allée sombre qui n'apparaissait d'ailleurs pas sur mon plan, de me heurter à George. Celui-ci me sembla plus pâle que d'habitude, mais heureux de me rencontrer. Je dois bien avouer en avoir été moi-même soulagée. Pas que je ne m'en serais pas sortie seule, mais l'exploration de nuit n'était plus de mes jeux favoris, surtout en pays étranger.

La visite devint beaucoup plus sympathique, moins tendue, et surtout amusante. George était un sacré plaisantin, toujours à sortir tours et farces de derrière les fagots, dont les pauvres passants furent victime. J'en vins à regretter de ne pas avoir plus forcé la main à Fred, quel duo ils devaient faire tous les deux.

C'est épuisée que je retrouvai mon lit, la tête pleine de souvenirs, et l'appareil photo plein d'images. Le soleil ne tarderait plus à se lever, mais j'avais bien l'intention de profiter un maximum de mon dimanche au lit.

Du moins, c'est ce que j'aurais aimé faire, si je n'avais pas eu le malheur de laisser mes rideaux entrouverts, avec vue plongeante sur mon bureau où trônaient plusieurs DVD et un ordinateur portable. Sans ménagement, mes Brésiliens favoris toquèrent une fois de plus beaucoup trop tôt à ma porte à mon goût. Et comme une fois réveillée, chercher le sommeil est inutile, je fus bonne pour monter l'installation cinéma sur la télévision du foyer après le petit-déjeuner.

« Tu n'es pas obligée d'assister à la diffusion du film si tu veux retourner te coucher, me fit remarquer Fred alors que je grognais tout en me préparant une double dose de café et manquai de me brûler.

- Parce que tu leur ferais confiance et leur confierais ton ordinateur ? rétorquai-je.

- Ouah, la lionne montre ses crocs, dure la nuit ? demanda-t-il en me prenant la tasse brûlante des mains et me forçant à l'accompagner dans sa chambre.

- Hé, c'était mon café ! » grognai-je en le suivant lentement.

Ce ne fut qu'une fois dans sa chambre, et voyant le canapé-lit défait que je me souvins de ma baguette. Si j'étais encore à moitié endormie, cette douche froide me remit vite sur pied. La fatigue dut cependant jouer sur mon visage et le rendre moins lisible qu'il ne l'était habituellement. Fred ne remarqua donc rien, et s'installa en tailleur, le dos à un accoudoir, sur son lit, ma tasse et la sienne dans ses mains. Il me regardait.

« Bouh ! hurla George, me ramenant de manière efficace des hautes sphères de mon esprit.

- Salut George, bien dormi ? demandai-je dans sa langue.

- Pas mal, répondit-il. Toi, par contre, tu as une mine de déterrée, alors zou, au lit ! »

Et joignant le geste à la parole, il me poussa vers le lit où je m'étalais la tête la première à la grande surprise de Fred. Je n'eus d'autre choix que de grimper à côté de celui-ci une fois désempêtrée des couvertures.

Je rampai vers le dossier du canapé, et soupirai intérieurement de soulagement. Un jeu existait entre le matelas et la structure du canapé. J'allais pouvoir passer la main et récupérer discrètement la baguette.

« Bon, alors raconte-moi si tu as rempli ton contrat de marathonienne, reprit Fred en me tendant enfin ma tasse de café dans laquelle je me plongeais goulûment.

- Hé ! Non-french speaking guy here ! Vous souvenir ? s'insurgea George.

- Mais toi tu as déjà passé la nuit avec Mathilde, alors tu n'as pas besoin de comprendre ce qu'on se raconte.

- Bah si justement, je veux être sûr qu'elle ne racontera pas de craques comme Ginny pour se couvrir ! » gronda-t-il en croisant les bras sur son torse d'un air boudeur.

Je les laissai se chamailler et profitai de l'excuse que j'étais fatiguée pour me renfoncer contre les coussins et passer une main sous le matelas à la recherche de ma baguette. Mais le jeu avait beau être assez large pour passer la main, impossible de la retrouver dans les méandres de lattes.

« Et toi tu en as pensé quoi ? » m'interrogea Fred.

Je levai les yeux du fond de ma tasse qui était à présent vide. Dommage, j'aurais pu ainsi m'y cacher et lui faire comprendre sans perdre la face que je n'avais rien écouté.

« Très intéressant et instructif, » répondis-je le plus naturellement possible.

Je vis alors les joues de Fred qui étaient légèrement roses tourner au rouge pivoine.

« Aha, tu vois ! C'est toi qui es prude, faut que tu reconnaisses enfin l'évidence frangin ! Si même Mathilde est allée voir le musée de l'érotisme de Hambourg, c'est que tu perds quelque chose, s'exclama George me faisant un clin d'oeil malicieux.

- Quoi ? Je croyais que tu parlais du musée du romantisme, pas de l'érotisme, m'étranglai-je, devenant sûrement aussi rouge que leurs cheveux. Je n'ai jamais… »

Ce fut le moment que choisit Gustavo pour toquer à la porte et interrompre les explications vaseuses dans lesquelles j'allais m'embourber. George se leva et en profita pour se rendre dans la salle de bain privée dont il disposait. Quant à Fred, il alla entrouvrir la porte.

Profitant de l'occasion, je passai la tête sous le matelas, tendis mon bras sous le lit et appelai mentalement ma baguette que je vis briller dans la pénombre. Il me fallut deux essais avant que celle-ci se décide enfin à quitter la niche qu'elle s'était trouvée, coincée entre une latte et le matelas.

« Est-ce que Mathilde est là ? Il est déjà quinze heures et elle avait dit qu'elle lancerait le film à 14h30, s'inquiétait Gustavo qui avait sûrement appelé la troupe de Brésiliens pour la séance cinéma.

- Laisse-lui cinq minutes, le temps qu'elle finisse son café et je vous la rends, répondit-il en refermant la porte, mais Gustavo avait interposé son pied et maintint la porte ouverte.

- Tu as les joues bien rouges l'ami, il ne fait pourtant pas si chaud ici !

- Les gens du nord, tu sais, le moindre exercice et ils prennent des couleurs… » expliqua nonchalamment Fred.

Gustavo fronça les sourcils, se pencha légèrement pour voir l'intérieur de la chambre et me vit debout à côté du lit défait, remettant mon pull en place.

« Aaaahhh ! Fallait le dire mec, on serait pas venu vous déranger, sursauta le garçon du sud.

- Hein ?

- C'est bon, j'arrive ! les coupai-je en ouvrant la porte pour passer. Fred, merci pour le café, si tu veux venir voir le film, tu sais où nous trouver. »

Et je déposai vite fait un baiser sur la joue de Fred et me dirigeai vers le salon pour installer le lecteur de DVD.

« Ouah, si je m'étais douté. Chapeau bas mec pour avoir mis la main sur le glaçon.

- Nan mais ça va pas ? Vous ne pensez qu'à ça vous les Brésiliens ? grogna Fred en se frappant le front de la main.

- Pas qu'à ça, mais souvent quand même, » répondit-il avec un sourire graveleux.

Je n'entendis pas spécialement bien ce qu'ils se racontaient, mais je me retournai, prise d'un pressentiment, et vis Fred attraper Gustavo par le col, forçant celui-ci à détourner les yeux de mon dos, ou a fortiori de mes fesses.

Je rougis, de honte et de colère, et faillis revenir sur mes pas. Mais le regard tout autant glacial qu'incendiaire de Fred fit retomber ma propre rage. Je lâchai ma tasse qui se brisa à mes pieds et me précipitai pour arrêter le poing qui ne manquerait pas de partir.

« Grand frère, je ne t'ai pas remercié pour ne pas avoir passé l'aspirateur. J'ai cru que je ne retrouverais jamais ma chaîne, mais elle était bien cachée sous le canapé. »

J'écartai très légèrement mon pull et leur montrai la fine chaîne argentée à laquelle était attachée une croix celtique. Gustavo la regarda incrédule, puis tourna son regard vers Fred et rougit violemment.

« Ouah, ma faute ! Pardon pardon ! De toute façon, ça ne m'aurait pas regardé ce que vous faisiez. On trouvait ça bizarre la relation frère et sœur. Pardon, pardon.

- Vous ne croyez pas que l'amitié entre un homme et une femme puisse exister ? » m'étonnai-je.

Gustavo rougit de plus belle et se contenta de hocher la tête. Fred le lâcha. Il ne demanda pas son reste et retourna penaud attendre que la projection du film commence.

« On n'a pas fini d'en entendre parler, soupirai-je.

- Je ne savais pas que tu avais perdu ta chaîne, s'inquiéta Fred.

- Et je l'ai retrouvée, sans rien te demander. Allez, y'a des choses plus graves que celle-là pour se faire des cheveux blancs, Fredo.

- Ouais… » répondit-il sombrement.

J'allais le forcer à s'expliquer, mais George me fit signe de regarder derrière moi. À l'angle du couloir attendait une bande de sournoises petites souris. Je soupirais et affichai un sourire dont seuls les taiseux (1) comme moi ont le secret, puis je filai lancer le film devant lequel je ne tardai à m'endormir.


(1) mot de patois normand signifiant personne parlant uniquement si on lui force la main.


Merci à Alana Chantelune, Shiri, Loukichou Lolo pour la trace de leur lecture et leurs messages d'encouragement.

Angharrad, dernière modification le 30 octobre 2010
Première publication le 28 avril 2005