Un Voile entre les mondes
Quatrième partie : D'amour et d'Amitié
7 – Nouveaux Arrivants
La semaine de travail qui suivit se déroula sans événements notoires. Mon travail commençait enfin à tourner, comprenez que les dures heures à négocier les machines de test avaient finalement porté leurs fruits. J'allais enfin pouvoir rendre une fiche d'avancement non négligeable à mes patrons. J'en étais tellement heureuse que je fis quelques heures supplémentaires, arrivant à l'ouverture de la salle des machines le matin, et en la quittant contrainte et forcée par les gardes de sécurité.
C'était donc sereine et pleine d'énergie positive, bien qu'exténuée que j'abordais le week-end. Dans un élan de taquinerie, je voulus même proposer à Fred d'aller visiter ce fameux musée de l'érotisme qui nous avait valu des accusations de pruderie de la part de George. Mais Fred déclina l'invitation. Je n'étais pas la seule détachée au GKSS par son entreprise, et son rapport de mi-activité tardait à arriver.
Je parvins tout de même à lui arracher la promesse que nous irions voir X-Men 3 ensemble le dimanche soir. Je voulus lui demander si George était disponible pour aller se balader, mais celui-ci était en déplacement à l'autre bout du pays. Tant pis, au moins un week-end où je pourrai me reposer si j'arrivais à jouer les fantômes.
C'est ce que je crus jusqu'au milieu du samedi après-midi où mon téléphone sonna. Je grognai en reconnaissant le numéro de téléphone du bureau.
« Pronto ! répondis-je d'un ton que je voulus agacé.
- Euh, Mathilde ? hésita Arne, mon collègue allemand.
- C'est moi.
- Ah d'accord, ils sont otaliens les nouveaux, je viens de les installer, mais je n'ai pas le temps de leur montrer les environs, tu pourrais le faire ? »
Comment voulez-vous refuser quand au même moment on frappe à votre porte ? Je répondis un 'oui oui' distrait, luttant avec le fil pour pouvoir atteindre la porte, et me retrouvai chaperon de deux italiens pour la soirée.
Heureusement, Jenny était venue me proposer une nuit à Reeperbahn. Quelle ne fut pas sa joie et celle des autres filles quand j'annonçai que je viendrais en voiture, et accompagnée de deux Italiens inconnus au bataillon. Je devais avouer que j'aurais aimé être aussi enthousiaste et rêveuse qu'elles, bien que je vis chez Amanda le même regard absent que celui que je voyais dans mon miroir chaque matin.
Je tâchai d'ailleurs de calmer les ardeurs en leur faisant remarquer que s'ils ressemblaient aux trois autres Italiens que comptait le GKSS, il valait mieux passer son chemin. Quelle erreur n'avais-je pas faite ! Si Lucas n'était pas ce que l'on puisse appeler une beauté, ce n'était pas le cas de Luccio.
Je devais avouer qu'il ne m'arrivait pas souvent de me retrouver muette devant un garçon parce que je le trouvais beau. Mais alors là, il fallait bien avouer qu'il avait un quelque chose des gravures de mode.
Il n'était pourtant pas grand ou musclé, comprenez par là, il ne me mangeait pas de soupe sur la tête, et ne roulait pas des mécaniques. Il avait la peau rougie par le soleil et la conduite longue qui les avait menés d'Italie en Allemagne, ses yeux étaient bruns tachetés de paillettes vertes, et ses cheveux noirs étaient assez longs pour former des pointes indisciplinées, pas assez pour lui cacher les yeux. Mais ce qui faisait son charme, c'était ce petit sourire en coin timide qu'il vous adressait en baissant les yeux et vous regardant à travers ses longs cils qui rendaient jalouses les plus coquettes des filles.
Dire qu'il ne me plaisait pas physiquement aurait été mentir. Mais quand il s'avéra, alors que j'essayais pendant la soirée de le forcer à parler anglais au lieu d'italien, qu'en plus il était d'un caractère agréable, gentil et surtout pas « regardez-moi j'suis là », je fus aux anges.
Je devais bien avouer que même si nous n'avions que très peu danser, je ne vis pas la nuit passer. Et pour cause, l'été approchait à grands pas, avec lui les journées rallongeaient, les nuits diminuaient, et je m'aperçus à quel point Hambourg était située au nord de l'équateur. La période sombre n'avait pas dû durer plus de cinq heures.
Quel ne fut pas mon soulagement que Luccio, au lieu de rentrer directement chez lui dans un village à tout de même trente kilomètres du Wohnheim, propose de nous ramener. Je lui aurais bien sauté au cou pour le remercier de nous éviter une heure et demie de transport, mais je vis les expressions de mes charmantes voisines, et préférai me tenir tranquille.
Et si pour une fois, je ne vous racontais pas que j'ai été réveillée ce dimanche matin par mes ô combien aimés Brésiliens ? Me croiriez-vous ?
Et bien, vous auriez raison, car celui qui me réveilla ne fut autre que Fred. Il venait de terminer d'imprimer son rapport, et était passé en ville s'acheter de quoi manger la fin du week-end. Se souvenant de sa promesse de sortie cinéma, il était venue voir dans quel état j'étais, m'ayant croisée avec George à la sortie de la salle d'eau le matin même.
Je me suis d'ailleurs étonnée à ne pas hurler alors que je croisais deux garçons dans la salle d'eau, seulement vêtue d'une serviette. Je devais vraiment être fatiguée, ou bien l'instauration de notre relation fraternelle faisait-elle que je ne ressentais plus de gêne face à eux ? Je pencherais plutôt pour la fatigue, n'étant pas spécialement pudique, mais conservant les séquelles d'expériences malheureuses…
Bref, il me trouva à somnoler dans la pénombre artificielle que j'avais crée en transmutant ma serviette humide en rideau, flottant grâce à un sortilège de lévitation permanente. Il ne tenta pas d'ouvrir le rideau, ce qui me sauva d'une explication difficile et douloureuse, ou d'un sortilège d'oubliette qui était ma spécialité plus jeune, mais pour lequel je manquais cruellement d'entraînement et aurait risqué un effacement total.
« Debout là-dedans ! Tu as pas passé toute ta journée au lit ? s'exclama Fred en me collant une tasse de thé à la menthe sous le nez.
- Techniquement, la journée s'achève quand le soleil se couche, or il me reste encore… »
J'écarquillai les yeux pour lire sans mes lunettes l'heure.
« … trois heures. Je peux me recoucher maintenant ?
- Je croyais que tu voulais absolument voir X-Men 3 avant qu'il ne passe plus au cinéma. Si j'avais su, j'aurai pris mon temps pour terminer mon rapport au lieu d'aller te chercher des photos et les billets, s'indigna-t-il.
- Des photos ? Quelles photos ? m'étonnai-je en m'asseyant en tailleur, ma couette bien enroulée autour de mes épaules, la menthe me chatouillant les narines.
- Tada ! »
Et comme par magie, le paquet atterrit sur mes genoux.
« Ouah les photos de la journée musée ! m'écriai-je. Mais comment tu as pu les avoir ?
- Disons que tu es plus tête de linotte que tu ne le parais. »
Il dit cela une légère teinte rosée sur les joues. Je regardai l'étagère fourre-tout, persuadée d'y avoir encore vu le matin-même le papier et d'avoir pensé qu'il ne fallait pas que j'oublie. Mais celui-ci ne semblait pas y être. Je haussai les épaules et regardai les œuvres photographiées.
J'étais surprise qu'autant de photos soient floues, surtout celle des visites avec George, alors que justement j'avais eu tout le loisir pour régler convenablement l'appareil. Mais je ne m'expliquais pas l'absence de George sur les photos. Je sais bien qu'il n'avait pas voulu que je le prenne et se déplaçait très rapidement à cet effet, mais j'avais bien du lui voler un cliché ou deux quand même ?
« Dis moi, ton frère c'est Flash ou bien je suis vraiment nulle avec les appareils photos ? Regarde un peu le nombre de photos troubles, et pas une seule de ton frère alors que je suis persuadée de l'avoir pris, notamment devant ce tableau tout flou qui représentait un cercle de sorcier et dont il se moquait ouvertement.
- Tu as vu l'heure ? On discutera de tes talents de photographe plus tard, sinon on va louper le bus, et avec la correspondance et avec le second bus et avec le métro et avec le…
- Ok c'est bon je m'habille, dehors monsieur ! » déclarai-je en l'attrapant par les épaules et le poussant dehors.
Merci à BastetAmidala, Cassandre, Loukichou Lolo et Shiri pour la trace de leur lecture et leurs encouragements.
Angharrad, dernière modification le 2 novembre 2010
Première publication le 5 mai 2005
