Un Voile entre les mondes

Quatrième partie : D'amour et d'Amitié

8 – Amour et Cinéma

Vous dire dans quel état j'étais en rentrant à une heure du matin du cinéma était indescriptible. Entre euphorie et fatigue, le mélange fut détonnant. D'ailleurs, Fred, mon cavalier d'un soir, avait dû s'en rendre compte et me servit une tisane au goût infect qu'il me prépara selon la recette de sa grand-mère, comme il me le dit tout en se bouchant le nez au dessus de la casserole.

Je devais bien avouer que le goût adouci par la cuillerée de miel n'en resta pas moins écœurant, mais le résultat était là. Huit heures de sommeil sans interruption. Je me crus redevenue enfant, à revivre la soirée de la veille dans mon sommeil.

Perdue dans le rêve, je me vis marcher, vêtue de la réglementaire tenue de molécules instables noire, le X des X-men comme boucle de ceinture. Je sentais dans mon dos qu'un blason tendait la combinaison, sûrement ma marque distinctive, comme Tornade et sa cape, Wolverine et ses griffes, et Cyclope et sa visière.

Je marchais avec d'autres jeunes mutants, mais nous nous séparâmes bien vite dans le réseau de tunnels sous terrain. Par certaines grilles d'aération, on pouvait deviner le ciel étoilé qui veillait sur nous. Mes pas étaient légers, la gravité était allégée, et la poussière que je soulevais en marchant restait stagnante quelques secondes avant de retomber et couvrir mes traces. Nous étions sur la Lune.

Mon esprit vibra, et je reçus le message de Psylocke, la télépathe qui avait remplacé le professeur Xavier porté disparu. Il fallait se dépêcher, nous n'étions pas les seuls à la recherche du Phénix. Comme faisant écho à cet avertissement, la sensation étrange mais familière de traversée d'un voile me saisit.

Mes pupilles durent s'ouvrir d'un seul coup car je fus soudain capable de voir dans les ténèbres. J'aperçus les formes hideuses qui rampaient dans l'ombre et accéléraient le pas, comme ayant senti leur proie. Je les vis fondre sur moi, et portai la main à la poche de ma cuissarde.

D'un geste vif, j'évitai la première créature, puis roulant sur le dos, je propulsai la seconde qui s'écrasa sur la première. Ma baguette en main, je lançais un sortilège qui fila à une vitesse démesurée et ne leur laissa aucune chance. Cependant, le stupéfix eut une telle puissance que les créatures explosèrent, me recouvrant de leur matière visqueuse. Qu'importe, cela signifiait que j'étais sur la bonne voie.

Je lançai un nouveau sortilège qui souleva la poussière et créa un écran entre moi et les autres créatures. J'en profitai pour sauter dans un tunnel qui plongeait plus bas, et transmutai la poussière en plaque qui cacha l'entrée. Je les entendis crisser et leurs griffes monstrueuses s'accrocher au métal, et bientôt, elles s'éloignèrent.

Je soupirai et voulus remonter, mais je glissai à cause du mucus des bestioles dans lequel avaient baigné mes bottes, et tombai d'une bonne hauteur. Je me relevai difficilement, j'avais mal au dos et au ventre. Mais quelque chose me poussa à avancer. Les tunnels métalliques avaient fait place à la roche, et l'air devint plus rare. Je me surpris moi-même à ne pas paniquer, et au contraire à réduire ma respiration, ainsi que les battements de mon cœur.

J'étais calme et j'avançai, mes yeux suivant un courant de magie comme je n'en avais plus vu depuis mes séjours prolongés au Refuge. Les souvenirs que j'avais occultés me revinrent de plein fouet, et me paralysèrent. Je tombai à genoux, et ne remarquai pas que je le fis devant la pierre funéraire de l'oiseau immortel.

Alors que mes larmes coulaient librement, elles se mêlèrent au sang extra-terrestre et l'enflammèrent, redonnant vie à l'être que nous étions venus chercher. Une femme apparut, toute de chaleur et de lumière. Elle me regarda un instant, me forçant à lever les yeux. J'y lus un savoir millénaire, de la mélancolie, mais par-dessus tout une tendresse infinie.

« Souviens-toi, la mort n'est pas une fin, ce n'est qu'une nouvelle aventure. Encore faut-il que les vivants laissent les morts se retirer »

Je la dévisageai, ne comprenant pas, mais elle s'écarta de moi. Elle s'éleva et s'entoura de flammes plus intenses, je dus lever la main pour cacher mes yeux trop sensibles. Elle perdit son apparence de femme pour redevenir l'oiseau de feu, et plongea sur moi.

Le feu m'entoura, et je voulus lancer un sortilège de glace-flamme, mais je semblais incapable de bouger. Et au milieu du bûcher, j'aperçus ces yeux rouges qui avaient hanté pendant plus d'une année mes nuits, ainsi que la marque infernale, planant au-dessus de moi.

Je me réveillai en sursaut, et m'aperçus que j'étais tombée du lit. J'avais la joue endolorie, et un mot ne cessait de se répercuter dans le vide matinal de mon esprit : « Nécromant ».

Il me fallut quelques jours pour reprendre réellement mes esprits, et même Fred et ses attentions ne parvinrent pas tout à fait à me ramener à mon état normal. Ce fut même le contraire. J'étais quelqu'un de solitaire dans mes réflexions, et ses intrusions finirent par me fâcher.

Le seul, qui ne sembla pas s'inquiéter de mon humeur ou l'encaisser, fut Luccio. Il était même adorable et patient, sans s'imposer, ce qui me fit le plus grand bien. Et c'est tout naturellement que lors de la journée sortie de notre service, je passais la plupart de mon temps à ses côtés.

Je l'encourageais dans ses matchs de foot sur sable, et lui pour mes matchs de volley. Et ne cherchez pas qui furent les malades à se jeter dans la rivière. Ce qui commença par une bête bataille de bouteille d'eau se termina par un Luccio poussé à l'eau, et une Mathilde attrapée puis jetée dans la rivière par celui-ci.

L'eau était glacée, même pour une Normande. Et jouer de la baguette devant toute la troupe était hors de question. Luccio, me voyant trembler, me proposa de m'emmener chez lui prendre une douche chaude et faire sécher mes vêtements. Je dus bien avouer que vu l'heure avancée et la visible envie des Brésiliens à prolonger jusqu'à la nuit, j'acceptai l'invitation.

Il se montra doux et calme. Je ne refusai pas son baiser quand il me redéposa au Wohnheim. Et quand les filles me virent entrer le rouge au joue, je pus répondre sans hésitation que le soleil avait bien tapé sur les bords de l'Elbe. Elles me regardèrent avec de grands yeux, et j'éclatai de rire, mais l'arrivée de Fred plus écrevisse que moi me sauva de leur indiscrétion.

Nous passâmes une soirée entre frangins à soigner nos coups de soleil respectifs et à nous raconter la journée d'équipe. Je ne lui dis pas pour Luccio. Pas parce que j'avais honte ou que je voulais garder le secret. Mais un simple baiser n'était qu'une promesse de déception, et vu mon histoire personnelle, je préférais attendre quelques jours pour démêler la situation. On ne savait jamais avec ces latins.


Merci à Petitefleur la fée et Tsahel pour leurs messages encourageants!

Angharrad, dernière modification le 5 novembre 2010
Première publication le 9 mai 2005