Un Voile entre les mondes
Quatrième partie : D'amour et d'Amitié
11 – Sortie Plage
Luccio manqua à l'appel des présents lundi matin. Personne ne semblait étonné de son absence, et aucun ne trouva nécessaire de me dire ce qui se passait. J'étais encore énervée par notre pseudo-conversation de la veille, et décidai, avant de prendre l'avion pour présenter le bilan de ma mission à mes patrons, de passer quelques heures de rêve.
Je transplanai à l'aéroport où je fis embarquer mes affaires, puis effectuai un saut de puce et me retrouvai à la plage de Lübeck. Je n'avais sur moi que baguette et portefeuille. Il me parut vite évident que je n'allais pas rester simplement à flâner le reste de l'après-midi. Aussi pénétrai-je dans un magasin de sport, et troquai ma tenue de travail pour une tenue de vacances et surtout un maillot de bain.
Plonger dans l'eau glacée éclaircit quelques instants mes pensées et mon esprit se remit à fonctionner de manière rationnelle. Je me souvins qu'une nouvelle vague d'étudiants devait arriver d'Italie dans les semaines à venir. Il se pouvait simplement que Lucas et Luccio aient été mis à contribution, comme je l'avais été à leur arrivée. Mais pourquoi ne pas me l'avoir dit dans ce cas-là ? Je n'étais pas un dragon aussi terrible que Miss Krüger quand même ? Si ?
J'en vins donc à me poser des questions sur moi-même. J'avais été capable de ne pas donner de nouvelles pendant dix jours à Luccio sans vraiment m'en inquiéter. Et voilà que maintenant que j'avais le temps de le voir, je ne supportais pas qu'il fasse autre chose que d'être avec moi. Etais-je donc ultra-possessive ? Ou bien était-ce un sentiment d'abandon qui me rendait nerveuse, et le souvenir désastreux de relations dans lesquelles je n'étais qu'un jouet qui remontaient à la surface ?
Je me laissais flotter au gré des flots, les yeux plongés dans les nuages. Je levais la main et jouais avec l'ombre créer par mes doigts pour cacher mes yeux du soleil. L'été touchait déjà à sa fin dans les provinces nordiques, et quelque part, j'en étais soulagée. Je détestais la chaleur et toute l'agitation qu'elle provoquait.
Peut-être n'étais-je simplement pas faite pour aimer. Partager des sentiments forts pour quelqu'un ne faisait que compliquer la vie. Et j'avais bien assez de moi-même pour la remplir. Alors m'attacher, et finalement me déchirer pour quelqu'un d'autre, à quoi bon ? Etait-ce un aboutissement en soi que de vivre à deux ? Ou bien n'était-ce qu'un moyen de renforcer l'illusion de réussite sociale ?
D'ailleurs, avais-je besoin d'une vie sociale pleine de frasques et de malentendus, de contraintes et quelque part d'asservissement pour être heureuse ? N'avais-je pas déjà la plupart de ces choses à cause de mes origines ?
Finalement, était-ce d'un amant dont j'avais besoin, ou simplement d'un ami intime…
Me revint en mémoire une chanson que j'avais découverte grâce à ma collocatrice à Grenoble, et me surpris à la fredonner.
Elle a fait un bébé toute seule, elle a fait un bébé toute seule, c'était dans ces années un peu folles où les papas n'étaient plus à la mode, elle a fait un bébé toute seule. (1)
Bientôt cette chanson fut remplacée par une autre sur le mensonge. Peut-être était-ce que j'étais en train de vivre avec Luccio. Un joli mensonge, et pourtant…
Troubles images, issues du temps, message d'enfant, vague voyage au gré d'avant. Ne lui dit pas… ça sert à quoi… (2)
Etais-je aveugle ou m'aveuglais-je moi-même ? Et pourquoi me faire souffrir ainsi alors que de toute façon, d'ici un mois, je serai repartie pour une autre mission à l'autre bout du monde… Que l'esprit humain peut être contrariant. Mais peut-être était-il temps que j'arrête le massacre et prenne mes distances.
Je soupirais. Par les puissances, je détestais ses moments où j'avais honnêtement l'impression de devenir la Reine des glaces qu'on m'accusait d'être.
Des éclats de rire m'éveillèrent de ces pensées sombres, et je vis un jeune couple qui riait. La jeune fille criait, et lui la menaçait de la jeter à l'eau si elle ne répondait pas à sa question.
Je me redressai, et passai une main tremblante dans mes cheveux. Le froid sûrement. À en juger par la hauteur du soleil, il ne fallait plus que je traîne trop. Je remontai tout droit sur la plage.
Je sortis de l'eau et lançai un regard de côté au jeune couple. Je me figeai puis me dirigeai droit sur eux. Alors que le garçon me tournait le dos, je lui donnai une grande claque sur l'épaule, lui faisant presque perdre l'équilibre.
« Hé mais ça ne va pas ? cria-t-il en se redressant tant bien que mal.
- Bah quoi, je te donne juste un coup de main. Ce serait dommage que ton amie soit la seule à finir à l'eau ! Par contre miss, faites attention s'il vous propose une bonne douche chaude chez lui. » déclarai-je avec un brin de moquerie dans la voix.
Celle-ci marmonna quelque chose en italien. Je ne l'écoutai pas et me dirigeai vers la station de bus. Mais avant de les laisser, je ne pus m'empêcher de lancer au-dessus de mon épaule.
« Au fait, considère-toi comme libre, pour peu que ça ait de l'importance. »
Je marchai dignement jusqu'au bord de la plage, et voyant le bus au loin, je trouvai l'excuse parfaite pour courir me cacher. Les larmes coulaient sur mon visage, colère, frustration, trahison, peine… Mais je n'éprouvai pas ce que j'avais ressenti lors d'autres ruptures.
Aveuglée par mes sanglots, je percutai quelqu'un et me retrouvai allongée sur lui. Un bras avait sécurisé ma chute, le second s'était occupé de la glace qui coulait à présent sur son bras.
« Est-ce que vous allez bien ? demanda la voix familière.
- Fred ! » m'exclamai-je, le reconnaissant entre mille.
Les tremblements parcouraient mon corps et je me laissais tomber, mon front contre son cœur.
« Et là, petite Mathilde, qu'est-ce qui te fait pleurer, toi qui caches si bien ton cœur ? murmura-t-il en caressant mes cheveux, ne se souciant plus de sa glace, ni que je sois en train de tremper ses vêtements avec mes cheveux mouillés.
- Je… Il… Nous… »
Fred fronça les sourcils et se redressa. Il me prit dans ses bras, comme une demoiselle en détresse et me porta jusqu'au phare désaffecté malgré mes protestations.
« Maintenant crie et hurle tout ton saoûl. Et quand tu auras fini, je suis même prêt à te servir de punching-ball. »
Je le dévisageai, mais ses yeux étaient sombres et vides, et je reconnus cette expression. La fureur irradiait de lui, mais il la contenait pour le moment. Alors je me tournai vers la mer baltique. Je sentis le sol trembler sous mes pieds et écartai les bras pour me laisser baigner par le vent. Du fond de ma gorge un cri que je ne soupçonnai pas jaillit, et avec lui mes larmes redoublèrent.
Lorsque enfin je n'eus plus la force de crier, et que mes jambes manquèrent de me lâcher, Frederick me rattrapa et me serra contre lui. Dos contre torse. Je sentis son cœur battre aussi vite que le mien, ses larmes touchant mes joues.
J'inspirai et expirai lentement, et les choses devinrent plus claires. Je me retournai vers Fred, et le regardai comme je l'avais fait au premier jour de notre rencontre. Je me souvins alors de ce que j'avais éprouvé et ce souvenir me tira un sourire mélancolique.
« Merci d'être là pour moi Frédéric.
- De rien… petite sœur, » ajouta-t-il hésitant après quelques secondes de silence.
Mon cœur se serra… Je m'écartai lentement de lui. Je devais partir si je ne voulais pas rater mon avion, mais je ne voulais pas partir sur un non-dit. Partir alors qu'il y'avait tant de choses à éclairer.
Ce fut pourtant ma raison qui l'emporta et je le quittai sans un mot de plus.
(1) Elle a fait un bébé toute seule – JJ Goldman
(2) Ne lui dit pas – version live 98 – JJ Goldman
Merci à Aliri, Tsahel, Addy et Alianorah pour la trace de leur passage et leurs commentaires encourageants!
Angharrad, dernière mise à jour le 14 novembre 2010
Première publication le 13 mai 2005
