Un voile entre les mondes
Quatrième partie : D'amour et d'Amitié
2 – Élément perturbateur
Si côté cœur les choses n'étaient pas particulièrement brillantes, il faut bien avouer que je m'en tirais admirablement bien du point de vue de mon travail, compte tenu des difficultés que j'avais eu à lancer le projet en tant que stagiaire, puis à former les gens pour les faire tourner en tant qu'ingénieurs.
Mes patrons furent même surpris des résultats nombreux que je leur apportais. Ils me proposèrent même de prolonger mon contrat de quelques semaines en Allemagne. Mais ma décision était déjà prise, et ma lettre de démission avait été envoyée la semaine précédente. J'étais heureuse d'avoir réussi cette première expérience, mais la magie m'appelait.
On m'avait d'ailleurs proposé de travailler sur l'adaptation de technologie moldue chez les sorciers, reprenant le recueil sur lequel j'avais travaillé pour obtenir mon équivalence de sixième année à l'école de sorcellerie de Beauxbâtons. Quoi de mieux pour me replonger progressivement dans la magie, sans pour autant me couper des moldus ?
C'est dans cet état d'esprit que je rentrai en Allemagne pour préparer la relève et mettre au clair la méthode de travail que j'avais employée pour motiver les troupes. Je retrouvai le Wohnheim en effervescence à cause de l'arrivée d'une flopée de nouveaux. Je n'en avais que faire. Aussi attrapai-je Fred par le bras avant même qu'il n'ait posé le pied dans la salle commune et l'entraînai avec moi à l'opéra de Hambourg.
S'il fut surpris, il accepta cependant l'enlèvement sans trop de protestations et ses yeux brillèrent quand je lui annonçai quel serait le spectacle, à savoir « la flûte enchantée ». Longue et mélodieuse, la Reine de la nuit ne cillant pas en montant les notes, je me perdis dans ce monde féerique et me surpris à rêver que le monde des faëriens fut similaire. Je lançai un regard de côté à Fred, il paraissait absorbé par la pièce et tout aussi rêveur que moi.
Quelle ne fut pas ma surprise alors que nous délirions sur l'histoire et discutions gaiement qu'il tire de sa sacoche une flûte de bois dont il se mit à jouer avec entrain. Si seulement j'avais eu ma propre flûte ! J'hésitai à transmuter ma baguette en flûte, mais cela aurait été présomptueux de ma part. Parce que je n'avais jamais parlé musique avec lui, et parce que je n'étais pas sûre d'y arriver. Aussi me laissai-je entraîner par ses ritournelles.
Si nous avions vécu aux temps mythologiques, on aurait pu croire Pan revenu sur terre pour charmer les nymphes dont j'aurais été la première représentante. Le chemin du retour fut beaucoup moins tendu que l'aller, et c'est en souriant que nous entrâmes dans le foyer. L'effervescence de la journée semblait s'être calmée et tous étaient à présent assemblés dans la salle de télévision.
La cuisine était calme, aussi Fred me débarrassa de mon manteau, et me proposa de se charger le dîner. J'acceptai avec joie et prétextai me repoudrer le nez pour regagner ma chambre quelques instants.
Je haussai les sourcils en voyant le nom sur la porte face à ma chambre. J'avais donc un des nouveaux arrivants pour voisin pour la fin de mon séjour. D'ailleurs la porte s'ouvrit et une jeune fille en sortit. Je m'arrêtai de tourner la clé, reconnaissant la jeune femme de la plage. Celle-ci m'ignora et se dirigea en courant vers le téléphone qui sonnait. Je haussai les épaules. Après tout, cela ne me regardait plus.
J'achevai de tourner la clé et poussai la porte. Une main s'aplatit dans mon dos et me poussa à l'intérieur. Déséquilibrée, je fis deux pas en avant pour me rattraper et me retournai, mais la porte avait été fermée. Les ombres et le silence m'entouraient.
« Qui est là ? demandai-je d'une voix que je voulus ferme, mais qui sonna brisée à mes propres oreilles.
- Mathilde, enfin seuls, » répondit l'ombre devant moi d'une voix rauque.
Je portai la main au pli de ma robe dans lequel j'avais caché ma baguette, mais ne pus l'attraper, l'ombre m'ayant saisi les deux poignets et m'attirant à lui violemment. Le parfum familier envahit mes narines et je m'écriai :
« Luccio, arrête ! Tu me fais mal. »
Mais pour toute réponse, celui-ci écrasa ses lèvres sur les miennes. Je me débattis et le poussai contre la porte. Je sentis ses lèvres s'étirer en un sourire.
« Laisse-moi m'expliquer, Mathilde.
- Expliquer quoi ? J'ai été claire, tu es libre, je suis libre, maintenant laisse-moi tranquille.
- Mais il n'y a rien entre moi et Héléna. C'est la fille de mon directeur de thèse, il m'a demandé de m'occuper d'elle.
- Et je vois que tu t'occupes très bien d'elle, Luccio. Mais ça ne me regarde plus après tout.
- Et tu abandonnes, comme ça. Cela ne signifiait rien pour toi ce que nous avons partagé ?
- Et qu'avons-nous partagé ? La solitude de l'exil ? Quelques idées, quelques soirées, quelques baisers et caresses, mais rien de plus. Nous ne sommes liés par aucune promesse, et sûrement plus par la confiance.
- Après le temps et la patience que j'ai investis sur toi, tu ne peux pas me jeter de cette manière. Il n'en est pas question !
- Luccio tu me fais mal, lâche-moi !
- Non, » fut sa seule réponse alors que ses lèvres s'écrasaient à nouveau sur moi et ses bras m'enfermaient dans une étreinte que je refusai.
Ombre, ténèbres, regard de sang brillant à travers la pénombre. J'étais redevenue la petite fille craintive, et malgré les griffes que je lui avais données, elle était encore vulnérable.
Je me rappelai avoir repris le contrôle de moi-même dans des bras chaleureux, sous les caresses et les mots apaisants de celui que j'appelais en riant mon frère. J'essayais de parler, de lui expliquer, mais la terreur qui me paralysait empêchait les mots de sortir.
Il ne me posa pas de question, mon état parlait de lui-même. Et même si physiquement j'étais intacte, les blessures anciennes avaient été réouvertes par Luccio. Je passais la nuit à pleurer dans ces bras amis.
Merci à Aria, Bastetamidala, Cassandre, Alianorah et Tsahel pour leurs messages encourageants!
Angharrad, dernière modification 14 novembre 2010
Première publication le 13 mai 2005
