Un Voile entre les mondes

Quatrième partie : D'amour et d'Amitié

14 – Fuite

Parfum alcoolisé et animal mêlé. La peur n'a plus sa place ici. Le froid des vêtements mouillés devient la chaleur des serviettes caressant la peau sensible. Bientôt le doux tissu devient de trop et ce sont les mains qui frottent et réchauffent les corps endoloris par l'eau glacée. Lèvres contre lèvres, le souffle à fleur de peau. Les battements de nos cœurs pour seule musique. La danse pour toute délivrance. Douleur fugace, effacée par la présence rassurante. Et l'oubli.

Je me réveillai au son de la pluie sur les carreaux. J'ouvris lentement les yeux et regardai l'eau couler sur le verre. Etait-ce l'un de ces rêves si réels dans lesquels je ne parvenais pas à distinguer la réalité ? J'inspirai à fond, et ne reconnus pas l'odeur familière de mes draps. Je m'allongeai sur le dos, serrant les dents d'avance, mais la douleur devenue familière ces derniers mois ne vint pas.

À la place de la lame me cisaillant le bassin, j'avais l'impression d'avoir passé toute la nuit à faire des abdominaux. J'avais des courbatures en des endroits que je ne me savais pas capable de ressentir. Qu'avais-je fait alors que je m'étais abandonnée à l'oubli de l'alcool ?

Je me redressai. J'avais à nouveau dormi dans la chambre de Fred. Etais-je venue toquer à sa porte dans l'état pitoyable où je m'étais mise ? Ou bien m'avait-il trouvée perdue les puissances seules savaient où ?

Au moins avait-il eu la décence de ne pas me laisser mes vêtements imbibés d'alcool et de me prêter un T-shirt en guise de chemise de nuit. Je me levai et m'étirai, faisant craquer les vertèbres de mon cou. Puis je regardai l'heure. J'avais dormi tard, mais j'étais surprise que Fred ne m'ait pas laissé un petit mot pour me gronder sur mon état pitoyable. Peut-être en avait-il marre de jouer au grand frère.

Je n'avais pas franchement le temps de me poser toutes ces questions, aussi m'éclipsai-je de l'antre des jumeaux et me rendis-je à la salle d'eau commune pour me préparer au voyage de retour. Je restai interdite sur le pas de la porte, entendant les voix familières de George et Fred en train de se disputer. Je souris. Ils étaient allés dans la salle d'eau commune pour ne pas me réveiller.

« Te rends-tu compte de ce qui s'est passé cette nuit ?

- Non, mais tu vas me l'apprendre mon très cher frère. Souviens toi, j'ai beau te faire offrande de boisson, c'est moi qui me suis tapé les doubles doses !

- Et pour quel résultat ? Tu te rends compte de ce que tu as fait ?

- Ce que j'ai fait ? Aux dernières nouvelles, tu étais présent, tu as même participé, il me semble !

- Nous ne parlons pas de la même chose, gronda George.

- Nous ne parlons que d'une seule et unique chose depuis que tu m'as réveillé pour me parler. Nous parlons de Mathilde ! cria Fred.

- Tu ne dois plus l'approcher ! » hurla George, faisant trembler les douches de son cri.

Tous les tuyaux vibrèrent, et l'eau se mit à couler dans toutes les cabines.

« Ne plus l'approcher ? Sais-tu seulement à quel point il m'a été difficile de regarder ce crétin de latin la toucher ? A quel point je l'ai détestée pour avoir réveillé mon cœur ? Et maintenant que j'ai accepté tout cela, et que je sais qu'elle ne m'ignore pas, tu veux que je l'abandonne comme ça ? Et bien désolé, mon très cher frère, mais je ne peux pas. » répondit-il la voix tremblante.

Je reculai surprise et des flashs de la nuit précédente me revinrent. L'alcool, la douche, les pleures, les caresses. Fred…

« Tu ne sais rien d'elle.

- Mais toi tu sais. Encore un de ces mystères de ton état, railla Frederick.

- Tu as vu comme moi ce qu'elle a fait au cimetière, rétorqua George.

- Je l'ai vu évacuer comme je le lui avais montré sa frustration, j'ai vu un être de douleur et de tristesse hurler sa peine à la lune. Elle était belle ! » murmura-t-il, son regard prenant une expression rêveuse que je lui avais souvent vue ces derniers temps.

Je rougis légèrement et voulus entrer, mais me retins d'interrompre George qui n'avait manifestement pas terminé.

« Mon frère, tout grand sorcier que tu sois, ne te frotte pas au Nécromant. Tu devrais plutôt prévenir les autorités et la faire enfermer. C'est ton devoir de membre de l'ordre ! »

Sorcier… et Nécromant… Ce mot, encore et toujours ce mot. En un instant, tout revint, et la douleur dans mon dos fut plus vive que jamais. Je me précipitai dans la chambre de Fred à la recherche de ma baguette. Celle-ci se trouvait perdue au milieu du lit, avec mes vêtements encore humides. Et sur le drap, le sang…

Je fus prise de nausées. Mais je n'avais plus le temps de me laisser aller. J'attrapai mon bien, et me glissai dans ma chambre, au moment même où Fred sortait de la douche. Entourée d'une bulle de silence, j'achevai de ranger mes affaires, priant pour qu'ils ne remarquent pas la mise en scène dans la salle d'eau où j'avais enclenché une douche, espérant qu'ils ne s'inquiéteraient pas de mon absence.

Je ne tentai pas la chance, trop paniquée par ces simples mots. Je fermai les yeux, et vis le regard rouge qui me défiait et riait. Je n'avais pas le choix, je ne voulais pas, je ne pouvais pas…

D'un geste vif, je rétrécis mes valises et les glissai dans un sac à dos plus confortable, et passai par la fenêtre de ma chambre. Une vague de ma baguette, et les craies du tableau de la cuisine écrivirent un message d'adieu. Un soupir, regard à droite et à gauche, le champ était libre, je pouvais transplaner.

Une main se tendit vers moi et voulut m'attraper.

« Nécromant ! » cria George qui devait avoir forcé la porte de ma chambre.

Mon cœur manqua un battement, mais déjà la destination se formait dans mon esprit et je disparus de la pelouse du Wohnheim. Je ne restai cependant pas au point d'apparition et fendis la foule vers l'aire d'embarquement.

« Mathilde ! » appela quelqu'un à l'entrée de l'aérogare.

Je levai les yeux et reconnue la tête rousse familière de Fred.

« Mathilde, je t'en prie, ne pars pas. Attends-moi ! »

Mais prise de panique, je passai dans la zone d'embarquement. Lançant un regard en arrière, je vis Fred tirer sa baguette. Il allait transplaner dans l'avion pour la France, ce fou furieux. Etait-il prêt à tout cela pour me ramener aux autorités ? Et moi, étais-je prête aux mêmes extrémités pour conserver ma liberté ?

Oui !

Et sans réfléchir, je transplanai vers l'inconnu.


Merci à Addy et Vampire-Stellaire pour la trace de leurs passages.

Angharrad, dernière modification le 17 novembre 2010
Permière publication le 23 mai 2005