Cinquieme partie : Entrer dans les ténebres

2 - Surprise

Je sonnai à la porte et souris en entendant le ding dong simulé par l'automate de l'entrée. Les voix se turent, et après quelques secondes d'incertitude, le plancher se mit à grincer. Je levai les yeux au ciel, mais qu'étaient-elles donc en train de manigancer pour avoir l'air d'être prise en flagrant délit ?

Je fouillai dans la poche invisible qui ne quittait plus ma tenue vestimentaire depuis quelques mois, et en tirai ma baguette magique que je pointai sur la porte.

« Alohomora Lenoir est ! » murmurai-je, invoquant la formule magique modifiée qui désactivait l'automate d'entrée et ouvrait la porte.

Bruit de pas précipités, et deux baguettes pointées au bout de mon nez plus tard, la lourde porte de bois s'était finalement mise en branle.

« Ouah, sympa l'accueil, rappelez-moi ce que je fais ici ? grommelai-je en rangeant ma baguette et me baissant pour ramasser mon sac. Vraiment, vive la famille ! ajoutai-je en roulant des yeux.

- Mathilde… » souffla Maman.

Je lui souris tendrement et me tournai vers ma sœur, mais c'est une claque qui m'attendait et non le sourire que j'espérais.

« Idiote ! tu ne te rends pas compte à quel point nous étions inquiets. Papy n'en a plus dormi pendant plusieurs mois. Et tu réapparais comme une fleur, et tu crois que…

- Tu es enceinte ? Félicitations sœurette ! la coupai-je en l'attrapant par les épaules et déposant un baiser sonore sur sa joue.

- Et tu crois que tu vas t'en tirer comme ça ? Tu… »

Mais elle s'arrêta au milieu de sa phrase, s'étant cogné contre mon ventre un peu trop rond. La tête qu'elle fit était impayable. À croire que même ma sœur ne m'en croyait pas capable.

« Tu…

- Ça vous embête si on discute à l'intérieur ? Je dois avouer que le taxi n'avait pas la climatisation, et que le voyage en avion a été long.

- En avion ? » sursautèrent les deux femmes.

Je rougis légèrement, me frottai la tête, puis haussai les épaules. Qu'y pouvaient-elles de toute façon ?

Maman insista pour que Laurane et moi retournions au salon pendant qu'elle nous préparait une bonne tasse de thé à la menthe. Rien de mieux pour nous rafraîchir qu'elle nous répéta pour la vingt-cinq millionième fois. Mais plus que le souvenir de Maman, ce furent les souvenirs de Fred qui me revinrent en mémoire. Je me fustigeai et effaçai vite fait cette pensée de ma tête. De toute façon, s'il m'avait aimée, il aurait très bien pu me retrouver, je n'avais pas effacé ma trace avec beaucoup d'application, même si mon travail était classé confidentiel…

« Alors raconte-nous ça, qui est l'heureux élu, et comment se fait-il que tu ne nous aies pas mis au courant ? entama Laurane qui n'en tenait plus d'attendre que Maman lance le sujet.

- Vous ne voulez pas plutôt me raconter un peu ce qui se passe dans la famille ? J'ai été absente presque un an si vous comptez l'Allemagne, ça me ferait plaisir d'avoir des nouvelles.

- Rah ! Nan, toi d'abord ! gronda ma sœur.

- De toute façon, tu restes dîner, non ? » s'enquit Maman.

Je répondis affirmativement à sa question, demandant même si ma chambre n'avait pas été transformée en bureau et si je pouvais passer la nuit ici, le temps de prendre un appartement. La question réglée, avec une petite crise en bonus comme quoi j'étais toujours ici chez moi, que je pouvais rester tant que je voulais, que je n'avais aucune urgence pour m'installer ailleurs. Maman se lança dans le récit des aventures familiales.

J'appris ainsi qu'Adeline, ma filleule, continuait tranquillement son petit bonhomme de chemin, et achevait sa cinquième année de Magie. Papy voulait qu'elle passe ses BUSEs à Poudlard, mais elle ne se sentait pas assez forte en anglais pour le faire et protestait contre les cours supplémentaires. Anaïs rattrapait sa sœur en taille, et commençait le programme intensif de magie cet été, ayant elle aussi renoncé à entrer à Beauxbâtons. Alice se portait bien et était un véritable petit démon. Leurs parents continuaient leur vie d'agriculteurs paisible et laborantine, malgré les difficultés de l'année précédente.

Du côté de mon foyer, Erwan continuait ses études de monteur et vivait toujours à la maison, bien que souvent parti pour des tournages. Papa avait bien lancé l'activité de son entreprise pour sa retraite et faisait travailler Maman en tant que comptable. Pour le reste, des mariages et des naissances la plupart du temps, bref, les bonnes nouvelles n'étaient pas rares.

Mais tout n'avait pas été rose pendant mon absence. Profitant de la fermeture de leur lycée privé, mon oncle était venu conquérir – car il n'y avait pas d'autre mot – les quartiers parisiens de mon grand-père. Ma sœur avait tenté de s'interposer, mais l'achat de leur propre maison et la naissance proche de sa petite fille avaient fait qu'elle avait dû abandonner le combat. Papy aurait pu défendre son bien, mais Maman me fit comprendre qu'il avait beaucoup vieilli et ne quittait plus la Normandie.

« Mais il ne s'est pas lancé dans la reconstruction du Refuge au moins ? me surpris-je moi-même à demander.

- Le Refuge va très bien, nous n'avons seulement plus le temps d'y aller. Tu ne te souviens pas ? » me gronda Laurane.

Je vis à son regard légèrement trouble qu'elle n'avait pas changé, j'étais la seule à me rappeler pourquoi nous ne nous y rendions plus. Et même Maman semblait étonnée par ma question.

« Alors vous ne verrez aucun inconvénient à ce que je séjourne là-bas quelque temps avec mes petits bouts ? »

Je cherchais à les provoquer, leur faire dire que je ne pouvais pas, mais j'obtins une tout autre réaction.

« Kiya ! cria ma sœur en sautant sur pied et me prenant les deux mains.

- Des jumeaux ! Tu attends des jumeaux, mais comment…

- Tu sais bien maman, un ovule fertilisé qui se sépare en deux, ou plus dans le cas présent, me moquai-je.

- Ne me prends pas pour une idiote alors que c'est moi qui te l'ai expliqué gamine ! Tu sais très bien que les naissances multiples ne peuvent pas arriver sans antécédents dans la famille.

- Or il n'y a jamais eu de jumeaux ou triplés, chez les Lenoir. Et les naissances multiples sont rares chez les sorciers, reprit ma sœur, suivant le cheminement de pensées de Maman.

- Conclusion, qui est l'heureux élu ? » demanda Maman avec un sourire jusqu'aux oreilles.

Le regard de Laurane glissa vers mes mains à la recherche d'un alliance ou du moins d'une promesse de mariage, mais elle pâlit, ne trouvant d'autre bague que l'anneau triple offert aux filles de notre famille à l'entrée dans l'adolescence.

« Tu n'as pas osé… souffla-t-elle.

- Bien sûr que non ! » me défendis-je.

Certes j'avais souvent menacé ma sœur et ma mère d'insémination artificielle, mais je n'étais pas folle au point de ne pas vouloir connaître les origines de mes enfants. Juste que…

« Aïe, aïe, tu as laissé parler ton mauvais caractère et il a préféré fuir que d'assumer sa paternité, pleura Maman.

- Mais pas du tout ! criai-je pour couper court à toute scène mélodramatique. Nous nous sommes séparés en mauvais termes, et il ne sait pas. Maintenant, j'ai trois petits bouts à nourrir… donc, si le procès est terminé.

- Oh ma chérie pardon, je ne voulais pas… commença Maman.

- Je suppose que c'est encore un de ces secrets que je n'arriverai pas à te tirer. » grommela Laurane.

Je lui fis un clin d'œil.

« Un jour peut-être, quand je serai prête, mais pour le moment, je veux me concentrer sur l'instant présent et profiter de mon foyer et de ma famille, pour donner naissance à mes petits bouts. C'est pour quand ta petite fille ?

- J'ai déjà quelques jours de retard. Mais je ne m'inquiète pas. Tu te souviens que Papa avait 3 semaines de retard ?

- Oui, il disait qu'il était bien au chaud. Elle tient peut-être de lui. C'est tout ce que je lui souhaite d'ailleurs, on a pas tous des parents aussi brillants.

- J'ai entendu ! » grogna Maman en cuisine.

Nous éclatâmes de rire.

« Et toi, c'est pour quand ? nous coupa notre maman adorée, un grand verre de lait chacune accompagné de cookies tous chauds.

- Avec les naissances multiples, on ne sait jamais. Si l'avion n'a rien déclenché, je dirais le mois pro… »

Je laissais tomber le verre qu'elle venait de me donner et le vis tomber au ralenti, pour venir se briser sur le parquet.

Maman se précipita à mes cotés, mais un autre verre tomba et se brisa. Laurane était agenouillée, et se tenait le ventre. Je sentis les bébés paniquer et les coups de pieds et de poings désespérés qu'ils donnaient. La douleur revint alors que Laurane se hissait avec l'aide de Maman sur le canapé.

Les contractions… Les bébés arrivaient…


Merci à Alana Chantelune, Lessa, Aliri et Tsahel pour la trace de leur lecture et leurs petits mots encourageants.

Angharrad
Première publication le 10 juillet 2005
Dernière modification le 27 novembre 2010