Un Voile entre les mondes

Cinquième partie : Entrer dans les ténebres

3 – L'attente

Un deux, trois. Serrer les dents, accepter la douleur, envoyer des pensées positives vers mes petits bouts, et expirer lentement.

Laurane avait été emmenée sur une civière, mais j'avais refusé l'aide des médicomages et marchais lentement mais sûrement vers le Val de Grâce et l'hôpital sorcier qui était caché en ses murs. Maman voulut me forcer la main, mais je n'avais plus dix ans, et je n'étais plus une enfant. Aussi lui rendis-je son regard noir, et acceptant la compagnie d'un jeune infirmier, nous partîmes tranquillement vers le centre hospitalier.

J'en profitai pour dédramatiser la situation et déstresser le jeune homme qui semblait assez mal dans sa peau.

« Comment avez vous deviné ? demanda-t-il alors que je lui posai la question.

- Vous aviez les mains moites quand vous m'avez aidée à me redresser, et vous trembliez légèrement.

- Ah, comme ça, je ne me contrôle pas assez, soupira-t-il, déçu.

- Ce n'est pas une question de contrôle, c'est une question d'accepter. On ne vous reprochera jamais d'être stressé par une situation difficile. Par contre, on vous reprochera les erreurs que vous commettrez en ne reconnaissant pas votre nervosité.

- Ha d'accord. Mais dans ce cas, pourquoi n'acceptez vous pas votre condition de femme enceinte sur le point d'accoucher ?

- Mais ce n'est pas ça du tout ! En fait je profite de mes derniers instants de liberté avant l'arrivée de mes petits bouts. Comme je peux marcher, que l'air est frais et d'assez bonne qualité, à quoi bon faire le trajet en ambulance alors que je peux le faire sur mes deux jambes ? Et puis, je n'ai pas encore perdu les eaux. Leur naissance n'est pas prévue avant quatre semaines. Ce doit être une fausse alerte. » déclarai-je avec un clin d'œil.

Le garçon me dévisagea de haut en bas, beaucoup d'expressions passèrent sur son visage. Surprise, incompréhension, réalisation, illumination, puis admiration.

« L'homme qui a su vous conquérir doit être extraordinaire. »

Je me mordis la joue et le goût amer du sang envahit mon palais. Pourquoi fallait-il aujourd'hui que tout me raccroche à Fred alors que sans vouloir l'oublier, je ne voulais plus penser à lui… ?

Il sentit qu'il avait dit quelque chose qu'il ne fallait, et voulut passer ses bras autour de mes épaules, mais je m'écartai et lui souris. C'était ma propre faiblesse que je haïssais en cet instant, pas le père de mes enfants, même si j'avais peur…

Nous entrâmes dans le hall des urgences, en même temps que mon beau-frère. Celui-ci passa devant moi sans me reconnaître et, quelque part, cela ne m'étonna pas. Lui aussi devait s'imaginer bien des choses sur mon compte. Si seulement ils savaient ouvrir les yeux. Je retrouvai Maman qui s'impatientait auprès de l'hôtesse d'accueil de ne pas me voir arriver.

« Ah, voilà la seconde, attrapez-la avant qu'elle ne s'enfuît en courant, elle est allergique à tout ce qui est médical.

- Maman !

- Mathilde G... Lenoir, c'est bien vous ? demanda une grande infirmière qui me fit frémir et immédiatement penser à la grosse Bertha.

- Euh…

- Allez zou, venez avec moi, depuis combien de temps avez-vous vos contractions ? Quelle est leur fréquence ? À combien de mois en êtes-vous ? Avez-vous prévenu le père ? Êtes-vous suivie par un gynécologue du Val de Jeanne ? »

Je n'eus d'autre choix que de la suivre dans la petite chambre où elle me fit signe de me changer et de m'allonger. Je voulus protester, mais faute de persuasion, je lui demandai qu'elle me laisse aller aux toilettes. Tentative ratée de m'enfuir, Maman ayant prévu le coup et s'y trouvant avant même que je ne pousse la porte.

« Tu ne crois pas t'en tirer si facilement…

- Maman…

- Mathilde, tu n'es plus une enfant, sois un peu raisonnable et écoute les médecins.

- Pour ce qu'ils réalisent, j'aime autant laisser la nature faire son travail. Et puis de toute façon, je ne suis pas à terme, je ne suis donc pas en train d'accoucher, répondis-je en haussant les épaules.

- Parce que tu crois vraiment que la nature suit les lois que l'homme a tenté de trouver pour la domestiquer ? Tu vas me faire le plaisir de te changer et d'attendre le médecin patiemment. Quant au père de ces enfants, nous en reparlerons à tête et hormones reposées. Maintenant, si tu le permets, je vais m'occuper de ta sœur qui, elle au moins, est raisonnable. »

Sur quoi, elle me tourna le dos et quitta la pièce. Je voulus lui tirer la langue dans son dos et n'en faire qu'à ma tête, mais une elfe de maison apparut et me prit la main.

« Mademoiselle devrait faire attention à elle si elle veut de beaux bébés. Madame votre mère est inquiète, elle agit pour votre bien. Ne lui en veuillez pas.

- Je ne lui en veux pas, j'aimerais juste qu'on cesse de me considérer comme une éternelle petite fille. »

L'elfe me sourit et m'entraîna à nouveau vers la chambre qui m'avait été allouée. L'infirmière passa et m'examina. Les contractions étaient encore irrégulières et les enfants s'étaient calmés. Ils ne semblaient plus aussi pressés de sortir. Je perçus l'énervement de l'infirmière et remarquai les elfes qui couraient dans tous les sens. La pleine lune ou un quelconque autre phénomène avait dû déclencher les naissances de toutes les femmes enceintes de Paris. Elle m'autorisa donc à me lever et à rejoindre ma famille dans la salle d'attente, en attendant que mes petits bouts se décident.

Laurane mit au monde une charmante petite fille sur les coups de huit heures. Un joli bébé tout rose, la tête à peine déformée par l'accouchement. Je la félicitai, et elle ne manqua pas de me faire remarquer, une fois encore, qu'elle était la première à devenir maman et à passer une étape importante de la vie de femme.

Encore ce côté compétitif, mais je m'en fichais bien, vu que je ne devais pas accoucher avant quelques semaines. C'est ce que je lui répétais d'ailleurs, mais de nouvelles crises de contractions me brisèrent le dos. Je fus prise d'une crise de panique, comme je n'en avais plus eu depuis ma fuite d'Allemagne. Je ne pouvais pas accoucher maintenant, je l'avais lu dans les étoiles. Je ne pouvais pas…


Merci à Lessa, Aliri, Shiri, Alianorah pour la trace de leur passage et leurs encouragements

Angharrad
Dernière mise à jour le 8 décembre 2010
Première publication 23 juillet 2005