Un Voile entre les mondes

sixieme partie : Secret de famille

1 – Le Chemin du Refuge


Veux-tu être aimée par tout le monde, et pas par ceux que tu aimes, ou veux-tu seulement être aimé par ceux que tu aimes ?


Je regardais mes petits bouts à travers la baie vitrée de la bulle pouponnière. Ils dormaient paisiblement. Guenièvre et Didier avaient encore le teint rougi par le sang de leur sœur, mais les médecins avaient été formels, ils allaient bien et aucun dommage ne semblait avoir touché leurs cerveaux ou leurs centres magiques. Ils avaient tout de même été placés sous surveillance pour leur première semaine dans une bulle afin de confirmer les premiers diagnostics.

Je laissai mes doigts courir le long du cocon protecteur et les vis s'agiter dans leur sommeil. Bien qu'hors de mon corps, ils ressentaient encore profondément mes émotions. Je soupirai et laissai retomber ma main le long de ma fine chemise de nuit. Le médecin avait été clair, émotions positives, ou pas de contact. Or, ce que j'avais à faire ne me permettait pas pour le moment d'être une bonne mère.

Mes mains se remirent à trembler alors que je déposai la lettre sur mon lit défait, tremblement que j'ignorais. Me glissant entre les rayons de lumière et déchirant voile après voile, ne faisant qu'une avec les ombres, je quittai les étages et descendis vers la morgue.

Là, dans un caisson réfrigéré reposait la dépouille inerte de ma petite fille. J'eus un haut-le-cœur et dus réprimer mes sanglots alors que j'ouvrais le caisson et posais les yeux sur son corps meurtri. Une main effleura mon épaule, me faisant sursauter.

« Tu as le droit de pleurer tu sais. Ce n'est pas moi qui te jetterai la pierre. »

Frederick se tenait à mes cotés, les joues inondées de larmes silencieuses. Il devait être là depuis un moment, à en juger par ses traits tirés. Je voulus parler, et me rendis compte que j'en étais totalement incapable. Je voulus trouver refuge dans ses bras et enfouir mon visage contre sa poitrine pour étouffer les nouveaux sanglots qui montaient dans ma gorge, mais quelque chose me retenait. Sans doute les non-dits qui avaient dressé un mur et fini par nous séparer…

Aussi restai-je debout devant ma petite fille morte, à pleurer silencieusement avec son père. Quand les larmes semblèrent diminuer et que mes mains cessèrent de trembler, je reniflai un coup et inspirai profondément. J'échappai à la main de Frederick toujours posée sur mon épaule, et me dirigeai vers une étagère dont je tirai un drap propre. Frederick me regarda faire silencieusement, ses yeux sombres ne montrant aucune surprise face à mes gestes.

J'étalai le drap sur une table et avec une précision à faire frémir, je dessinais du bout de ma baguette un cercle magique au motif compliqué dans le sang que je fis couler de mon poignet. Ceci fait, je me dirigeai vers le caisson. J'en tirai le corps sans vie de ma fille que j'embrassai tendrement sur le front avant de l'envelopper de ce linceul improvisé.

« Tu n'es pas obligée de le faire… déclara alors Frederick qui sortit de son silence.

- Frederick, tu ne peux pas comprendre.

- Si tu ne me parles pas, Mathilde, il est clair que je ne comprendrai pas. Et pourtant, nous pouvons nous parler en au moins quatre langues.

- Frederick…

- Mathilde, tu n'es plus seule en jeu. Nous sommes une famille à présent. Même si tu refuses de m'épouser, nous sommes liés par le sang qui coule dans les veines de ces enfants.

- Le sang est la vie… » murmurai-je, les doigts encore tachés du sang de la naissance et du sceau que je venais de tracer.

Je levai les yeux du linceul que je tenais fermement serré dans mes bras.

« Sais-tu seulement ce dont je suis capable Frederick ? N'as-tu pas peur, comme George de ce que je suis et peux devenir ? N'as-tu pas peur de ce que je vais faire à cet enfant ? demandai-je d'une voix qui me parut d'outre-tombe.

- Et toi ? Pourquoi as-tu peur de moi au point de me repousser alors que ton cœur bat encore avec le mien ? J'ai confiance en toi, Mathilde. Il est des choix que je ne peux faire pour toi, je peux juste te regarder les faire. Mais je voudrais que tu me laisses t'accompagner, pour le pire, comme pour le meilleur. »

Avait-il vraiment percé mes intentions à travers mes propos volontairement énigmatiques ? Savait-il réellement qui je pouvais être ? Ou bien connaissait-il ce sceau ?

Je laissai ses paroles tourner dans ma tête quelques secondes qui durent lui paraître une éternité. Je baissai finalement les épaules en signe d'abandon, mais aussi d'acceptation. Après tout, il savait ce qu'il faisait, et il était assez grand pour s'occuper de lui. Il n'était pas Frederick Weasley pour rien.

« Peut-être quand j'aurai accepté ce que je dois devenir, saurai-je pourquoi j'ai été aussi peureuse et méfiante. Le chemin sera peut-être long. M'accompagneras-tu jusqu'aux enfers ? »

Il hocha silencieusement la tête, une expression dure et sérieuse sur ses traits qui m'aurait fait frémir, si je n'avais vu cette détermination sur un autre visage que le sien quelques heures plus tôt. Sur le mien…

Je lui tournai le dos et marchai d'un pas déterminé vers la sortie de secours. Une fois à l'air libre, je pris une longue inspiration et laissai un frisson courir sur ma peau. Frederick se glissa à mes côtés, et après avoir déposé sa cape sur mes épaules, me prit la main.

« Montre-moi… » murmura-t-il.

Je fermai les yeux et visualisai le port endormi de notre petite ville de Normandie. Je les rouvris et serrai la main de Frederick. Il leva sa baguette au-dessus de nos têtes, et nous transplanâmes.

Comme je l'avais espéré en cette heure avancée de la nuit, le port était désert. Seuls quelques bars raisonnaient encore des derniers éclats de rire des marins. Je marchai, les pieds nus sur le granit glacé, mais ce n'est pas le froid extérieur qui me faisait frissonner. Frederick ne fit pas un seul commentaire et se contenta de m'accompagner.

Je m'arrêtai quelques secondes pour inspirer l'air marin et profiter du sel pour me réveiller et me faire reprendre pied. Il me proposa de porter notre fille, mais c'était mon fardeau, aussi refusai-je avec douceur. Il acquiesça et leva les yeux vers un vieux marin saoul qui s'approchait de nous.

« Ah tient si c'est'y pas la ch'tite Mathilde que vouala.

- Bonjour Pépito, avançai-je en faisant tomber la capuche sur mes épaules.

- Voilà un regard bien sombre Mam'zelle, me dites pas que vous allez là-bas, » déclara-t-il avec emphase sur le là-bas.

Je laissai un sourire triste étirer ses lèvres, mais n'ajoutai mot. Je passai près du vieux marin cuit par l'alcool et me dirigeai vers les quais.

« M'sieur, ne la laissez pas faire ce qu'elle va faire, supplia le marin en s'accrochant à la chemise de Frederick. C'est un endroit pas pour des enfants et encore moins pour des jeunes aussi sensibles. Il n'faut pas les laisser... »

Mais je n'entendais plus ce qu'il disait. J'avais retrouvé le quai magique familier, et attachée à la colonne surmontée du sceau des Lenoir, la barque menant au Refuge.


Merci à Bastetamidala, Kirfée, Didi, Alianorah, Shiri, Aliri pour la trace de leur passage et leurs encouragements.

Angharrad
Dernière mise à jour le 8 décembre 2010
Première publication 5 septembre 2005