Chapitre 1 : Souvenirs de l'Eternité.
Le Village Glaçon. Depuis la disparition de l'âme de Jénova et de son bras armé Séphiroth, la Planète a pu se guérir petit à petit. Quatre siècles ont permis au petit village niché au pied des montagnes les plus nordiques du monde de connaître les joies du printemps et de l'été, joies courtes, mais appréciées par le contraste avec les neiges éternelles des précédentes générations. Mais en ces mois de fin d'année, la neige tombait drue et recouvrait les rues d'un moelleux édredon immaculé. Le long des cheminements ne s'étendaient guère plus de villages que lors de la glorieuse équipée de Clad Strife et des siens. Quatre ou cinq, tout au plus. Les habitants n'étaient qu'une centaine, formant une communauté d'alpinistes et de skieurs chevronnés, parés à accueillir les riches touristes qui venaient jusqu'ici pour dépenser leurs gils chèrement acquis par leurs entreprises ou leurs bonnes actions, en bourse cela s'entend.
Le sud du continent accueillait un héliport, un service de taxis et un port d'où partait le ferry assurant les liaisons avec le continent midgarien et ses deux mégalopoles de Junon et de Midgar. En cette période, la mer commençait à devenir mauvaise, et l'on pouvait parfois tomber sur un iceberg qui profitait de la liberté qui lui était offerte pour découvrir l'immensité océanique. Peu de trafic en cette période, les touristes étaient plutôt rares ou venaient par hélicoptère, le moyen de déplacement le plus répandu dans les classes les plus riches de la société.
L'inconnu avait débarqué au petit matin, par le ferry de Junon. Personne n'avait pu faire une vraie description de l'individu, emmitouflé dans un lourd pardessus immaculé, la capuche cachant ses traits, mesure nécessaire pour se protéger de la neige. Il s'était dirigé vers la maison de Elmer Dragenhill, un vieil alpiniste qui se contentait de louer du matériel, chèrement, mais à la mesure des risques encourus par les solitaires et de la qualité de l'équipement fourni. Ce qui aurait étonné le moindre habitant du bourg, c'était que le prétendant à l'alpinisme s'était dirigé directement vers la petite maison de briques bleues, comme les trois quarts des maisons du coin, qui abritait le commerce. Or personne n'aurait pu avoir de souvenirs de l'individu, c'était la première fois qu'il mettait les pieds ici, le doyen du village et sa légendaire mémoire visuelle aurait pu en mettre sa main au feu.
Elmer s'étonna de trouver un tel énergumène dans sa boutique. Le temps était vraiment mauvais et tous les alpinistes attendaient au chaud le passage de la tempête. Il tentait bien de raisonner son client, mais celui-ci s'évertuait à garder un sourire désarmant, ses dents blanchies et les yeux bleus d'un éclat particulier et frappant étaient les deux seules choses que le vendeur pouvait voir distinctement, même dans la pièce centrale, au borde de la cheminée, l'homme gardait sa capuche et son pardessus. Au bout d'un moment, le vendeur s'emporta, s'exclamant qu'il ne louerait pas ses biens pour moins de cinq fois le prix normal, étant donné qu'il était sûr de les perdre. Son interlocuteur ne broncha pas et sortit une grosse liasse de billets qu'il tendit par-dessus le comptoir. Le vieil alpiniste retraité les prit, les compta et soupira. Il alla chercher un sac à dos où il mit deux piolets, trois rouleaux de cordes, qu'il précisa renforcées avec du fil de fer pour éviter qu'elles ne cassent, même s'il ne promettait rien par ce soir, deux baudriers et les autres accessoires utiles à l'ascension du mont.
L'homme sortit avec un salut de la main et disparut sur la route qui menait vers les pics enneigés, hauteurs cachées par les nuages et la neige. Il faisait sombre malgré les onze heures du matin, la météo ayant pronostiqué la tombée de la nuit pour les alentours de dix-sept heures. Peu de temps pour que l'inconnu atteigne le mont qu'il souhaitait, se dit Elmer. Mais son locataire ne visait pas l'ascension complète d'une montagne. Il se dirigea d'instinct vers un pic, grimpant jusqu'à la mi-hauteur. Il ne fut dérangé que par un rapace charognard qui lui tournait autour avec insistance et dont il se débarrassa avec un sort de feu qui précipita la bête au sol. Il bifurqua vers l'est, avançant contre le vent qui lui projetait la neige dans les yeux et les cheveux. Il mit une heure et demie avant de tomber sur ce qu'il cherchait, une grotte dont l'entrée était encore à moitié obstruée par la neige.
Il s'y engouffra et découvrit la grotte. Il se corrigea lui-même, ce ne pouvait pas être une grotte naturelle, l'excavation avait été creusée par l'homme comme le prouvait les murs parfaitement droits et le plafond conique. Le lieu était étroit, deux mètres et un peu plus au plafond, cinq de large sur dix de long, pas de quoi faire de ce lieu un site touristique, cela avait dû sceller son oubli.
Partout lézardaient des fresques qui semblaient conter l'histoire d'un peuple humanoïde, aux ailes noires dans le dos. Les dessins étaient vieillis, les couleurs, principalement du rouge, du bleu et du blanc, commençaient à ternir. Il ne s'intéressa guère plus à l'écriture, vive, cursive, qui lui faisait penser aux textes des Achémarides. Ce peuple avait dominé la région de Junon des millénaires auparavant, les légendes en faisaient même les fondateurs de la cité. Leurs textes étaient encore impossibles à traduire, une équivalence faisant défaut. Ici c'était le même style, avec un rien de plus primitif dans la forme des caractères.
Au centre de la pièce, trônait un piédestal qui supportait une coupe large, aux bords surélevés, un cratère. L'inconnu s'en rapprocha, soulevant sa capuche, révélant ses cheveux noirs comme les plumes des corbeaux et son visage aux traits fins et séducteurs. Il fouilla dans une poche de son pardessus pour en sortir une matéria inhabituelle par sa teinte orangée. Il la posa au centre du cratère, qui s'illumina de caractères inconnus, seulement révélés par la réaction qu'il venait de provoquer. Ces caractères se mirent à rougeoyer, et finir par faire apparaître une créature éthérée. La silhouette d'une très belle femme, transparente et verte, planait au-dessus du récipient. L'inconnu s'agenouilla puis prit la parole.
Sainte Mère, reprenez vos esprits par pitié, proclama-t-il.
Que pourrait-il donc y avoir de si grave , ironisa la voix. Etant la Mère de toute chose, je saurais sentir le danger voyons.
Mais vos enfants, les Humains…. Leur menace est donc si perfide que vous ne puissiez la sentir ?
Ils m'ont débarrassé de ce parasite qui a si longtemps capté mes forces. Pourquoi seraient-ils eux aussi des monstres à mes yeux ?
Ils vont vous détruire , s'emporta l'homme.
Allons, allons, tempéra la créature. Je ne peux faire intervenir mes protecteurs si tout ce que tu me dis n'est pas prouvé. Je ne sens rien, je ne vois rien, la Rivière de la Vie est sereine. Ne serais-tu pas un menteur ? J'aurai peine à le croire sachant que tu es venu dans ce lieu si isolé, si secret…
Vous savez pourtant que vous n'êtes pas la seule à pouvoir profiter des bienfaits des créatures qui vous protègent, celles qui sommeillent au sein du Cratère Nord.
Oui je le sais voyons. J'ai donné la possibilité de me protéger à quelqu'un, quand le parasite m'a frappé et que la guerre de la Vie a éclaté. Mais ce peuple est maintenant mort depuis longtemps, du moins, à ce que je te dis.
Et vous n'êtes pas censé mentir puisque vous êtes la créatrice du monde.
Exact, maintenant cesse de m'importuner !
Une simple remarque, je sais que vous pouvez mentir, sinon personne ne le pourrait. Je vais vous prouver que je peux réveiller les Gardiens. Un seul me suffira pour balayer toute cette engeance de ce monde !
Il se dirigea vers le côté droit de la pièce. La fresque y était théogonique à ce qu'il semblait. On voyait deux sphères rouges s'unir et donner naissance à la créature avec qui il venait de parler. Puis on voyait apparaître le monde. On y voyait aussi trois espèces autour desquelles volaient des fées, comme pour montrer une bénédiction de la Suprême Déesse. Il y avait un Tion, espèce un temps menacée d'extinction, mais sauvée grâce au charisme de Nanaki et à un groupe de généticiens, les humains et ces mystérieuses créatures aux ailes noires. Un peu sur la droite se trouvait un tableau des Enfers du peuple qui avait créé le lieu. Trois immenses créatures qui punissaient des monstres. L'individu sortit de son fourreau l'une de ses deux armes, un sabre assez court, et frappa plusieurs fois avec le manche sur la paroi, révélant trois petites cavités rondes, assez grandes pour recueillir des matérias.
Voilà la serrure, lança-t-il. Et voici la clé, rajouta-t-il en montrant une deuxième matéria orange. Et voici Minos, Eaque et Rhadamanthe, finit-il en désignant les trois créatures de fortes statures en partant de la droite
Mais ces trois trous révèlent des Gardiens bien différents de ceux que tu peux connaître par des textes des temps troubles. Je ne crains pas tes menaces futiles, un humain ne pourrait pas savoir ce qu'il faut faire.
On verra cela, répliqua sèchement l'homme. De toute façon, vous ne pouvez pas m'arrêter, vous créez les choses, mais vous ne pouvez pas intervenir dans le flux de nos vies quand vous vous sentez en sûreté.
Laissant son interlocutrice le regarder faire, l'homme inséra la matéria dans la cavité centrale. Il voulait réveiller Eaque. La divinité le regarda narquoisement insérer la pierre magique dans le trou. Rien ne se produisit. L'homme ne broncha pas, ne se retourna pas. Son arme toujours au poing, il s'entailla la base de la paume, là où elle rejoignait le coude. Rangeant son épée, il utilisa les doigts de son autre main pour tracer un dessin compliqué, un enchevêtrement de pentagrammes, de cercles, de symboles cabalistiques. Cela ressemblait furieusement aux auras que provoquaient les Grands Héros quand ils invoquaient des créatures surpuissantes pour les adjuver. Un tremblement s'ensuivit et l'homme tourna son regard empli de mépris et de suffisance vers l'incarnation éthérée.
Alors ?
Impossible… Tu ne peux pas être ce que je pense. Tu ne sembles pas avoir leur marque… Au fond de toi, je ne peux voir qu'un voile obscur, celui qui baignait le monstrueux Séphiroth… mais son âme a été consumée par les Cetras et aujourd'hui il est paisible à jamais au sein de la Rivière de la Vie…. Jénova a disparu, qui peux-tu être ?
J'aime cacher mon jeu. Et mon divin protecteur m'accorde le don de cacher ma nature à la Rivière de la Vie. Qui je suis ? Un oublié, un ignoré qui veut reprendre son bien. Le Chaos va m'y aider. Ironique n'est-ce pas que vous soyez celle qui me donne involontairement le moyen de déloger votre culte ?
La créature commença à se morfondre et à crier d'une voix étrange et suraiguë des flots de paroles qu'il ne saisissait pas. Des malédictions sans doute, mais il n'en avait cure. Aujourd'hui marquerait le premier jour de sa marche triomphale vers le divin. Il en était sûr. Il sortit de la cavité, dans la nuit qui tombait, avec des chutes de neige qui s'intensifiaient. Il se dépêcha de faire demi-tour, de regagner le village. Selon toute certitude, un « ami » devait l'attendre à l'héliport et il était pressé de quitter ce lieu discrètement. Si tout ce passait bien on le croirait mort, ce qui semblait certain s'il avait tenté d'atteindre le sommet.
Il se débarrassa du sac à dos dans un recoin, près d'une faille. Il l'avait sciemment éventré en plusieurs points afin de faire croire à une chute mortelle pour lui-même. Il s'enroula ensuite le plus possible dans son pardessus, cachant au maximum son visage en sortant une écharpe blanche et en remettant sa capuche dans la position qu'elle avait à son arrivée. Un craquement sonore se fit entendre, écho lointain d'une immense chute de pierre. Cela réveilla les villageois qui se précipitèrent vers l'est du village. Ils y virent une immense créature, masquée par la nuit, les nuages et la neige, s'avancer dans les eaux froides de l'Océan. Nul ne savait ce que cela pouvait signifier et s'ils n'avaient pas été si nombreux, ils auraient eu tendance à croire à une hallucination plus ou moins collective. Les bruits suivants furent beaucoup moins appréciés. Des milliers de rugissements, de glapissements, de cris animaux. Associés au choc qu'ils venaient d'entendre, la plupart comprirent que l'immense créature venait de faire sauter une partie de la paroi du cratère nord, bouchée depuis longtemps pour empêcher les monstres qui vivaient en son sein d'être tenté de sortir. Or là, la chute de tant de roches avait créé un moyen de sortir et ces bêtes féroces qui luttaient entre elles depuis toutes ces années se retrouvaient à l'air libre, avec la possibilité de dévorer la faune locale. Le problème c'est que dans la faune locale, se trouvait le village.
Elmer se rua vers la mairie, le maire lui ayant donné les clés alors qu'il était comme figé par la menace naissante. L'ancien alpiniste se rua vers le deuxième étage, au milieu du couloir et de l'escalier assombri. Il ouvrit à la volée la première porte sur la droite. Il rentra dans une petite pièce, de quatre mètres sur quatre, meublée d'une table en bois et d'une chaise du même matériau. Là-dessus trônait un gros poste de radio, en permanence relié au centre de secours du continent de Midgar, le plus proche endroit où ils pourraient trouver de l'aide, vu que d'habitude, lors des catastrophes importantes en montagnes, des escouades supplétives de secouristes leur étaient envoyées. Le loueur l'alluma, attendit deux minutes qu'une voix ensommeillée daigne lui répondre, deux minutes qui lui parurent une éternité. Il alerta alors l'homme des dangers qui menaçaient sa communauté et il eut logiquement du mal à être cru. Quand il le fut, l'homme à l'autre bout de l'appareil relaya en direct le message à une base de l'armée qui assura l'envoi d'un jet de Junon pour survoler la zone et définir les troupes à envoyer, surtout leur nombre et leur type.
Elmer sortit tout tremblotant, mais un peu rassuré par le message. Pour preuve de leur bonne foi, les autorités militaires avaient assuré que l'avion de reconnaissance passerait au-dessus du village avant de foncer vers la Cratère Nord. De toute façon, les monstres les plus rapides ne mettraient pas moins d'un jour ou deux pour arriver, laissant le temps du déploiement des soldats nécessaires pour les repousser. Il était encore pris dans ses pensées quand il crut voir de la neige se mouvoir devant lui. Il regarda fixement la zone près de la bordure ouest de la ville, près du transformateur électrique qui assurait le chauffage et la lumière au village. Il revit bouger et distingua la silhouette de son client. Il voulut courir vers lui pour s'assurer que tout allait bien.
L'inconnu le vit arriver et, une fois à portée, lui plaqua la main contre la bouche pour l'empêcher de crier et le coinça contre un mur. Il sortit son sabre.
Ainsi tu ne peux pas t'empêcher de fouiner. Mais tu ne feras pas échouer mon plan, tu vas mourir avant tes comparses, avant le reste de ta sale engeance, lança haineusement l'homme.
Avant de laisser sa proie tenter quoi que ce soit, il frappa plusieurs fois Elmer, le laissant tomber au sol en le sentant défaillir. La neige se teinta de rouge, mais il fallut que quelques minutes pour que les flocons ne fassent disparaître cela et qu'ils ne commencent à camoufler le cadavre. L'inconnu se rua vers l'héliport qu'il atteignit après dix bonnes minutes de marche. La silhouette noire et trapue de son véhicule était là. Un homme, vêtu du même type de pardessus que lui, en sortit et le héla.
Tu as traîné Boss.
Ouais je sais. Un gêneur, ils retrouveront son cadavre dans quelques heures, nous on sera loin et ils ne me soupçonneront pas. Ils vont se déchirer, ajouta-t-il avec un rire sinistre.
On décolle vite fait et on pique vers la Costa del Sol, annonça le pilote. Un avion de l'armée est en route, il vient de Junon, je ne voudrais pas qu'il nous repère.
Les hommes s'engouffrèrent dans la carlingue, claquèrent les portes, laissant derrière eux le village éveillé. Ils n'avaient même pas à s'inquiéter de savoir si on les avait repérés, le gérant de l'héliport vivait au village et se tenait au même moment au milieu des visages inquiets des habitants. Ils furent soulagés de voir une silhouette dans le ciel, celle de l'avion promis qui se dirigeait vers le Cratère Nord et qui commençait son rapport, malgré sa visibilité réduite à une centaine de mètres tout au plus. Ceci dit, le rapport allait être incomplet, ni l'hélicoptère, ni la mystérieuse créature géante n'avaient été détectés.
