Chapitre IV : La croisée des chemins du Destin.
Comme l'avait sous-entendu Hulenna, le Village Glaçon détenait une clé importante dans l'arbre des futurs possibles, organigramme décidé par un ordinateur qui compilait toutes les données possibles pour donner des estimations de futurs possibles de l'humanité. La destruction de cette cité nordique réduisait à néant les espoirs de survivance humaine, par l'anéantissement d'une force importante, la baisse de moral conséquente et le chaos politique qui succéderait à l'annonce des trois destructions de cités. Les données satellites étaient envoyées en direct, le délégué à l'armement, le maire d'Utaï, énonça les mesures prises, l'évacuation des habitants de l'agglomération, sauf une poignée d'irréductibles et quelques volontaires, l'envoi de beaucoup de troupes supplétives, du moins celles qui avaient pu gagner la zone avant l'heure du combat. Il y avait là environ cinquante milles hommes des troupes régulières, renforcés de quatre milles volontaires, avec près de la moitié venue de groupes mercenaires. Ils se turent tous, laissant les images leur donner les réponses qu'ils attendaient, personne n'ayant daigné, ou pensé, prévenir les soldats sur place qu'il y allait avoir des ennemis retardataires…
Le général Sebris venait de finir d'entendre les divers rapports que ses subordonnés venaient de faire sur l'état tactique de la situation, que ce soit les dernières observations des monstres, le placement des troupes, les civils récalcitrants, la neige qui menaçait de fondre et de créer une coulée de boue en cas de fonte trop rapide et le moral des troupes. Il soupira avant de regarder les pentes enneigées du Cratère Nord qui dominait l'horizon. Ses yeux noirs perçants lui avaient valu le surnom d'aigle, que les flatteurs associaient aux victoires qu'il avait dû remporter pour accéder si jeune à son poste. C'est vrai qu'il ne faisait pas encore ses cinquante-deux ans, en paraissant quelques uns de moins avec ses cheveux encore complètement roux, son visage carré et franc qui ne portait encore aucune ride, les mauvaises langues disaient que c'était grâce à des crèmes de beauté, sa carrure imposante pour lui qui frisait les deux mètres de haut pour une largueur d'épaules qui rappelait qu'il n'était pas un quelconque scribouillard, mais un ancien élève des maîtres d'arts martiaux utaïtes. Toutefois, il n'aimait pas être ici. Non pas parce que le combat lui faisait peur, il avait souvent participé avec plus ou moins de réussite à divers tournois du Gold Saucer, mais en fait il avait toujours pensé que sa place était usurpée. Général à quarante-deux ans, une bien belle promotion, réutilisée par les publicités et les médias pour inciter les jeunes à s'engager dans une armée de l'Alliance en perte de vitesse. C'est ça d'ailleurs qui provoquait son ire. Il avait été nommé à ce si haut poste sans avoir de réelles expériences du combat, seulement quelques escarmouches avec les Utaïtes rebelles quand il était dans les fusiliers marins il y avait quelques années et quelques nettoyages de monstres commandités par des cités qui se sentaient menacées ou qui voulaient s'étendre. A part ça, rien. Il pensait bien avoir le soutien de ses hommes, de valeureux fantassins, mais il existait un réel sectarisme dans l'armée qui empêchait à un piéton d'avoir de l'ascendant sur un quelconque marin ou membre du corps aérien, ceci étant réciproque.
Il se pencha de nouveau sur sa carte, examinant la formation qu'il avait adoptée. Il savait qu'il n'avait guère plus d'un quart d'heure pour changer, du moins avant que les monstres n'arrivent. Il savait que les volontaires locaux ne valaient pas grand-chose, quelques uns avaient bien dû se frotter à diverses bestioles, des loups ou des lapins, particulièrement agressifs en cette zone, mais rien de comparable à ce qui allait déferler sous peu. C'était pour cela qu'ils avaient été placés au centre du dispositif, la ligne la plus arrière du triple déploiement. Sur toute l'étendue de la gorge, qui servait d'unique passage entre la cité glacée et le Cratère, les troupes fédérales avaient été déployées, sans véhicules qui étaient inefficaces par un tel froid, mais avec quelques obusiers et mortiers. Enfin, occupant le centre de la passe et les plus en avant, se tenaient les deux milles et quelques mercenaires, venus se tailler une réputation pour la plupart. Sebris savait qu'il n'avait pas le choix, ces hommes étaient les meilleurs au corps à corps et avaient sans doute les meilleures chances de survie lors de l'assaut initial. De plus, une note du président du Conseil de Défense stipulait qu'un des groupes pouvait avoir des revendications, dans ce cas, il fallait s'y plier. Il avait été abasourdi de cet ordre au début, mais se disait au final que c'était la preuve de la faiblesse du pouvoir central, comme le clamait un mercenaire, son visage étant caché par une capuche épaisse, lui permettant d'éviter les gros flocons de neige qui commençaient à chuter lentement. Le général pria pour que cela ne s'éternise pas, la neige rendant les courses et les pas plus difficiles pour les humains.
Il reprit ses jumelles à fort grossissement, se mettant à scruter les alentours. S'il avait renâclé au départ pour prendre la tête des opérations, son opposition ayant été levée grâce à une substantielle compensation, il rageait maintenant de l'attente qui paralysait ses troupes, leur faisant sentir plus rudement la morsure du froid. Il vit un point noir, à environ six kilomètres de la position qu'il tenait. Il fit bouger les molettes pour zoomer et découvrir une forte horde, composée de dragons, de tomberrys et autres horreurs. Il eut une coulée de sueur, marquant son inquiétude. Fin tacticien, il avait étudié avant de venir tous les livres qui compulsaient les espèces vivant dans la zone. Or celles qu'il avait devant les yeux, beaucoup n'avaient pas été vues depuis près de quatre siècles. La partie allait encore plus ardue que dans ses plans les plus pessimistes, car il ne semblait n'y avoir que de ces types d'animaux-là, comme si ces créatures, qui avaient endurées l'enfermement et le dévorement des autres pendant des années, avaient fait un festin des premiers monstres qu'elles trouvèrent à leur sortie. L'apparition soudaine de loups en tête de la colonne ne le rassura guère. Désormais en pleine bataille, il fit signe à son opérateur radio de lancer le mot d'ordre qui annonçait le début des hostilités. L'artillerie se mit en marche, lentement, au goût de Sebris, tandis que les combattants dégainaient leurs armes. Un regard sur les autochtones effrayés à l'arrière lui prouva qu'il avait fait au moins un choix de juste. Quand les monstres furent trop près, les artilleurs abandonnèrent leurs postes pour rejoindre les escouades fédérales. Le choc allait être sanglant se disait le général en dégainant son arme, un long sabre de cavalerie, à la poignée en bronze.
Il vit partir vers un régiment l'un de ses aides de camp, son filleul. Il se rappelait combien il lui avait mené la vie dure et considérait qu'en l'absence de femme qui ait pu avoir la patience de supporter ses longues périodes de service loin d'un domicile quelconque, ce jeune homme était sa seule fierté. Il le vit prendre une longue lance en supplément de son épée, ce qui prouvait qu'au moins une personne avait compris ô combien la lutte serait chaude. Bien évidemment, les renforts aériens sommés d'intervenir n'avaient pas daigné bouger de leurs bases loin au sud. Il se promit de faire tomber quelques têtes dès qu'il serait revenu.
Le premier contact fut terrible. Si des monstres chutaient déjà avant d'atteindre les lignes ennemies, la quasi-totalité put se jeter avec allégresse dans la bataille. Les mercenaires qui encaissaient le premier choc prouvèrent vite leurs valeurs respectives. Si certains s'étaient de faux états de service, ils furent bien vite mis à mort par un monstre quelconque, que ce fusse par le poison, les crocs ou les griffes. La formation en groupes qui avait été depuis longtemps été adoptée pour des raisons économiques, à plusieurs l'on pouvait s'attaquer à des monstres plus importants donc envisager des primes plus grosses, montra son utilité car les mercenaires adaptaient leurs assauts en fonction des monstres en face, accroissant les dégâts qu'ils pouvaient faire. C'était tout bénéfice vu que les ailes commençaient à reculer, les pertes étaient énormément élevées, logique si le manque d'expérience réelle était pris en compte. De plus, la tenue des officiers, avec ses inserts rouges, finit par attirer l'attention des monstres qui choisirent en priorité ces cibles, désorganisant un peu plus la défense.
Au bout d'une demi-heure de carnage, devant l'étendue du désastre, Sebris fit ordonner une retraite progressive vers la ville, là où la défense serait plus organisée et favorisée. Pas à pas, les troupes reculèrent, en assez bon ordre, grâce aux mercenaires qui tenaient bons devant. Il en repéra d'ailleurs deux sortaient du lot, une sorte de couple, issu du même corps, armés tout deux de sabres intermédiaires. Ils semblaient danser, comme un ballet d'acier qui agitait des pétales de sang. La coordination était parfaite, les deux semblant faire corps l'un avec l'autre, telle une créature bicéphale qui se séparait pour sa sécurité. Le général se demandait s'ils étaient vraiment humains, vu la rapidité de leurs mouvements et l'absence de fatigue, mais il repéra deux jeunes mages qui lançaient de temps à autre des sorts sur les deux sabreurs. Il ne chercha pas plus loin, mais remarqua aussi que beaucoup de guerriers encourageaient de la voix les deux escrimeurs, que leur présence faisait aussi remonter le moral des soldats en première ligne, décuplant leurs forces.
En ce moment, les deux mercenaires faisaient face à un dragon assez imposant, ses yeux de feu contrastant avec son corps noir. Ses jets de flammes qui léchaient la neige, la faisant fondre et rendant le terrain boueux, ou ses coups de griffes ne les mettaient pas encore en difficulté. Leurs mouvements le rendait confus, ne sachant plus où donner de la tête, et il finit d'ailleurs par la perdre, sur un mouvement parfaitement combiné, la jeune femme sautant légèrement sur la gauche, attirant le regard du monstre qui laissait ainsi son flanc droit sans surveillance, l'homme en profitant pour couper le cou de la bête.
La bataille avait été longue et harassante. Elle s'acheva au début de la nuit, quand les derniers monstres restants quittèrent ce qui était devenu un charnier tant il y avait de cadavres. Beaucoup de survivants étaient blessés, mais ils se joignirent de bon cœur aux cris d'allégresse qui succédèrent à la débandade des monstres. Sebris soupira. Les pertes avaient été énormes, sans doute plus du quart de l'effectif de départ, quelques maisons avaient été brûlées ou endommagées durant la bataille, le nettoyage allait être conséquent pour faire oublier les combats. Pourtant l'atmosphère était presque à l'allégresse en cette rare occasion de fêter une victoire. Après avoir félicité ses divers subordonnés les plus importants, le général se lança sur le champ de bataille, cherchant à apercevoir son filleul, ne prêtant pas plus attention que cela aux hommes qui murmuraient sur son passage. Il finit par accoster un simple soldat fédéral qui se mit à trembler après la question. Il finit par désigner une grande maison à entraient de nombreux hommes qui portaient des corps.
Sebris y courut, sans faire attention si les soldats qui étaient portés étaient des cadavres où des blessés. Il fut stoppé dans sa course par un chirurgien. Ce dernier le mena calmement vers une pièce à part, meublé d'un simple lit en bois noir, drapé de blanc. Sur les draps gisait un corps, celui du jeune homme que cherchait Sebris. Ce dernier s'effondra sur le sol, restant à genoux. Il fut laissé seul un bon moment avant qu'un homme ne vienne lui dire qu'on l'attendait dehors, lui ajoutant de faire attention au passage.
Il sortit, se retrouvant devant l'assemblée des soldats survivants, accompagnés des mercenaires. Les rumeurs qui parcouraient la foule se turent à son arrivée. Il descendit lentement les escaliers, le visage encore défait par la mort de son aide de camp. Il ne portait aucune attention à ces hommes, même si on lui avait conseillé la prudence. Il sut pourquoi quand deux canons de fusils vinrent se coller sur sa tempe et qu'une main s'empara de son arme. Il était en état d'arrestation. Il ne résista pas, estimant inutile de mourir maintenant, se promettant une purge efficace une fois la révolte reprise en main. La cellule était en fait une cave, un peu enneigée, avec des murs de pierres grises. Un seul banc, assez large, était installé avec une couverture de laine grossière et rouge dessus. Il déplia le tissu qui s'avéra très large, s'enroula dedans et s'allongea sur le banc. Il ne lui restait plus qu'à attendre.
Trois heures après, un homme, revêtu d'une longue veste blanche, entra dans la pièce. Son visage aux cheveux de jais qui atteignaient ses épaules et ses yeux bleus rendaient l'ensemble un peu plus attirant encore que ses traits fins et réguliers. Malgré son côté mannequin, il se dégageait de lui une sorte d'aura de prestige, de force et de commandement. Sebris comprit qu'il avait en face de lui le meneur de la révolte. Ce dernier avait apporté son tabouret, qu'il posa en face du lit du général. Il était assez respectueux de son prisonnier, le priant de ne pas se déranger inutilement, d'un ton poli et un brin obséquieux.
Mon général, désolé de tout cela, mais c'était nécessaire, commença le meneur.
Karan c'est ça ? Et bien je trouve que c'est stupide de vous révolter dans un tel moment.
Je sais… L'Arme…Je pense qu'on peut la vaincre, mais la stratégie de la Fédération est trop mauvaise. L'Alliance n'a pas d'armée valable… C'est un fait, la bataille vient encore de le prouver. Si je fais ce coup d'état c'est pour tous nous sauver, théorisa Karan.
C'est très noble, mais que voulez-vous de moi ? Je ne suis qu'une monnaie d'échange…
Vous vous trompez, coupa Karan. Vous ne m'êtes d'aucune utilité en fait. Mon groupe est constitué de meilleurs stratèges et combattants que vous, les informations que vous pouvez détenir, je peux les récupérer grâce à des espions.
Vous me gardez pour m'exécuter , blêmit le général.
Non je vous admire en fait. Vous avez beaucoup de qualités, mais un gros défaut, votre fidélité à la Fédération en tant que système démocratique.
C'est vrai, admit le général un peu plus à l'aise maintenant que sa vie n'était plus en danger.
Je ne vous convaincrais pas en vous demandant de vous rallier au système d'une Fédération oligarchique que je pense instaurer. Alors pour me donner une raison devant les autres de vous épargner, dîtes-moi juste où est la clé, ordonna Karan.
La clé ? Pour piller le trésor de l'Alliance ? Vous rêvez, je savais bien que vous étiez un pillard comme l'annonçait votre réputation, se braqua Sebris.
Calmez-vous, conseilla Karan après avoir ri un long instant. Je ne parle pas de cette clé, mais du secret des Archives, cette fameuse ouverture sur une puissance…
Ah… Je ne sais pas, répondit simplement le prisonnier.
Ne me prenez pas pour un imbécile. Je sais que vous êtes en charge du pénitencier fédéral de Gongaga. Aucun prisonnier n'est entré là-bas depuis la disparition de la population de cette ancienne ville. A part un mystérieux convoi, qui devait contenir cette puissance, vous devez donc en être le possesseur.
J'avais bien compris que c'était de cela que vous parliez, ironisa le général déchu. Mais je n'étais que le gardien du dôme qui renferme l'ancienne cité de Gongaga. Toutefois je ne sais pas comment y pénétrer, ni ce qu'il y est caché.
Je suis fort mécontent, reprit Karan. Il va donc falloir que je m'occupe de faire cracher le morceau à ces chers membres du Conseil. Quant à vous, votre utilité est néante, je vous envoie vos bourreaux, finit l'homme froidement.
Il sortit et fit signe à une dizaine de soldats de rentrer. Ces derniers le firent avec allégresse, laissant seul Karan avec une femme qui devait avoir aux alentours de la trentaine. Les cheveux châtains, les yeux marrons en amande, au visage doux et aux formes qui attiraient les regards de l'immense majorité des soldats. Karan lui prit la main et ils commencèrent à déambuler dans la neige, seuls.
Rei, Sebris était inutile, il ne savait pas où est la pièce manquante, commença Karan. J'ai suivi ton conseil, il est mort.
Bien, reprit calmement Rei. Le plan est juste retardé alors. Il faut mettre la main sur les secrets du Conseil le plus vite possible alors.
Oui. Mais ne crois-tu pas que cela l'incitera à revenir ?
Non, il a perdu son âme, il ne peut pas revenir sans elle.
Et si malgré tout tu te trompais ?
Et bien je n'ai pas oublié sa promesse, répondit Rei avec un sourire cruel.
Loin au sud, un jeune homme d'entre vingt et trente ans tambourinait à une porte. Assez musclé, les yeux aussi verts que les cheveux rivalisaient avec les plumes des corneilles, il était assez grand, devant friser le mètre quatre-vingt-dix. Son visage rieur était toutefois traversé d'une cicatrice noire sur la joue, coupant le milieu de cette partie du visage en diagonale. Il dégageait un certain charme, mais en ce moment, il s'évertuait à attirer l'attention de l'homme qu'il voyait en train de s'entraîner à faire des mouvements d'épées avec un long bâton. Ce dernier finit par s'approcher de la porte et par lancer un énorme sort de feu sur son adversaire qui se baissa pour éviter l'attaque. Quand il se releva un volet de fer avait été fermé, coupant tout contact. Il sortit son téléphone, composa un numéro.
Il a refusé, je lui ai pourtant dit que vous aviez besoin de lui ? Elle a fait une belle boulette, il est brisé, il ne se relèvera plus…
Allons Max, ne sois pas si dur avec ton maître. Il reste une carte que nous jouerons le temps voulu, lui répondit la voix rauque de son interlocuteur.
