Chapitre V : Vae Victis
Il ne fallut que trois heures pour que l'information de la révolte militaire n'arrive à Junon, qu'elle soit entendue des membres du Conseil de Défense, qu'ils se préparent et qu'ils arrivent sur place. Ils avaient fait le voyage en avion, un luxueux jet qui servait à Hulenna dans ses voyages habituels. L'équipage était donc le même et les membres avaient ressenti que cette fois-ci, le patron était soucieux.
Ce dernier pensait à Karan, brillant, séducteur, mais trop peu fiable. Certes l'homme et ses neuf compagnons étaient un atout certain dans une bataille comme celle du Village Glaçon ou celle qu'il prévoyait contre Eaque, mais il avait trop soif de pouvoir. Même Sebris n'avait pas pu canaliser l'homme, alors que les rapports indiquaient que l'influence du général sur ses hommes avait tout le temps surpassé celles des autres gradés ou mercenaires qui jouissaient d'une certaine réputation. L'obstacle allait donc être de taille et Dennis se replongea dans divers dossiers. Il étudiait les possibilités de reprendre en main ses troupes fédérales, si cela était fait les Fils du Destin, le groupuscule de Karan serait facilement mis hors de combat. Mais pour autant, il fallait que son offre soit supérieure à celle faite par son ennemi politique. Il soupira et ne fut guère réjoui de voir Hidetada Yamato rejoindre le coin où il avait trouvé refuge. Un sourire affable aux lèvres, ce dernier était pourtant le premier à réclamer la démission du chef du Conseil, jamais de front afin de ne pas se lancer dans un duel de popularité. Il faut dire que la tentative de sécession d'une partie de l'armée, il y avait quatorze ans avait eu lieu à Utaï. La dernière en date avant celle qu'ils allaient devoir résoudre. SI les Kisarigi, descendants de l'illustre ninja Youffie qui faisait de ceux qui avaient résolu la Crise Jénovienne, avaient perdu le pouvoir au profit de la famille Yamato et donc de son patriarche Hidetada, ces derniers avaient été largement impliqués dans les troubles, graissant la patte des indécis. Mais de telles preuves n'avaient été réunies que deux ans après, trop tard pour revenir sur un clan protégé par l'immunité fédérale donnée à la famille d'un des membres du Conseil, mais aussi sur l'exécution des anciens maîtres d'Utaï, fusillés pour haute trahison. Seuls deux enfants en bas âge avaient été épargné, l'un grandissant auprès du patriarche Tion Nanaki qui avait dès lors commencé à envoyé des membres régulièrement au Conseil pour éviter la reprise de telles décisions infâmes à ses yeux, l'autre était élevé par la famille de Laurentis qui chérissait cet enfant et qui avait à cœur de lui redonner sa place une fois l'âge venu. Inutile de dire que cela envenimait les relations entre Mideel et Utaï.
Que pensez-vous faire , commença poliment Hidetada.
J'ai plusieurs options… Vous qui étiez sur place lors de la dernière révolte, vous avez donc l'expérience de ce genre de situation, vous savez ce qui peut pousser des soldats à retourner leurs vestes.
Possible, répondit prudemment l'Utaïte qui semblait flairer un piège.
J'aurai voulu savoir ce que vous me conseilleriez dans une telle situation.
La dernière fois, une hausse des salaires a suffi à disloquer l'union sacrée que les généraux rebelles pensaient avoir instaurée dans leurs rangs.
Ce serait un échec aujourd'hui, soupira Hulenna. A cause de leur leader.
Ce Karan ? Il paraît que vous avez déjà eu recours à ses services il y a quelques années. Qu'a-t-il donc de spécial pour autant vous impressionner ?
Si on ne devait donner qu'un mot pour le définir ce serait charismatique. Il a réuni autour de lui une bande de jeunes gamins à l'époque qui sont devenus chacun des références au combat. Ils sont dévoués corps à âme à lui. Et il possède une sorte d'ascendant naturel sur les autres, il émane de lui une sorte de noblesse, cela force le respect et l'admiration à tous les coups. A vrai dire, le seul point positif, c'est que Sebris ne s'est pas rallié, ce qui lui a coûté la vie, mais nous évite un état de guerre civile proclamée.
Et vous avez des autres options ?
J'allais justement attendre une réponse du docteur Zandov, lança Dennis qui héla son collègue.
Ce dernier apparut la mine morne et terne. Il venait d'éteindre son téléphone et le rentrait dans la poche. Il avait un visage défait et se laissa tomber sur le siège le plus proche de ses deux interlocuteurs.
Mauvaise nouvelle , demanda Hidetada.
Un atout qui a disparu.
Le maître d'armes de votre fils c'est cela ?
Oui, répondit sobrement Zandov.
Qui était-ce , demanda Hulenna.
Je suis tenu au secret, mais Nanaki a toujours dit qu'il ne voudrait jamais défier l'homme en duel. Il a toute confiance en cette personne, mais ce dernier ne s'est pas remis d'un deuil.
Et c'est pour cela qu'il ne se bat pas pour nous , lança incrédule l'Utaïte.
Il se considère comme responsable de cette mort, et vit désormais en ermite, il refuse de parler à quiconque. Impossible donc de lui faire part de la situation et de le convaincre.
Bref, il ne faudra compter que sur notre talent oratoire…
Le reste du voyage ne fut guère agréable, le pilote avait eu la consigne de tourner au-dessus du champ de bataille pour évaluer les dégâts. A vue de nez, il faudrait plusieurs mois pour remettre tout cela en état, quelques uns de plus pour construire les éléments défensifs que les villageois ne manqueraient pas de réclamer, pas franchement à tort pour Hulenna qui avait pris connaissance du bilan de la bataille. Ils tournèrent dix minutes de plus au dessus de l'aérodrome, en attente de l'autorisation d'atterrissage. Ils purent voir une masse d'insectes s'agrandir le long du bâtiment de réception des voyageurs, le comité d'accueil était teinté de bleu, la tenue des soldats officiels, héritage de la Shinra.
L'ambiance était subtilement hostile à leur descente d'avion, personne ne les prenait à parti, tous avaient le dos tourné, histoire de leur montrer du mépris. Cela arracha un sourire ironique au chef du Conseil de Défense qui trouvait cette attitude plutôt inquiétante. Une atmosphère violente était préférable, il y avait toujours des failles à exploiter pour diviser les partisans des lynchages, ceux des procès et les révolutionnaires non-violents. Là, tous semblaient faire front et ne présentaient aucune petite différence qui aurait pu être utilisée.
Un bruit de pas lourds et un peu travaillé attira son attention. Dix silhouettes cachées dans de lourds pardessus blancs s'approchaient. Les Fils du destin. Aucun visage n'était discernable pour le moment, les capuches et les cols remontés permettaient de masquer les traits. L'un de ceux du centre s'approcha de Hulenna. Pas tellement grand par rapport à deux des autres personnes du groupes, ni le plus musclé à vue d'œil. Il enleva sa capuche. Des cheveux de la même teinte que l'ébène jusqu'aux épaules, des yeux bleus froids, mais attirants, des traits fins. Karan faisait face à Dennis. Les deux chefs se dévisageaient, un sourire léger sur les lèvres du Fils du Destin, un air stupéfait sur la face du chef du Conseil de Défense. Il avait eu toujours gardé le souvenir de ce jeune homme charmeur et n'aurait jamais cru retrouver le visage intact de son interlocuteur après quatorze ans, dont une bonne partie les armes à la main.
Vous semblez surpris, commença Karan.
Je n'aurais jamais pensé que tu utiliserais la chirurgie esthétique par coquetterie, répliqua Hulenna d'un ton léger.
Jolie réplique. Mais je n'ai pas changé physiquement, je suis simplement assez fort pour éviter les blessures.
Je vois ça, c'en est presque surnaturel que tu n'aies pas changé physiquement en quatorze ans. A croire que tu as mis la main sur la fontaine de Jouvence.
Ah, la fontaine de Jouvence… j'aurais aimé, je serais sans doute riche à cette heure.
Toujours aussi ambitieux à ce que je vois.
On ne change pas une formule gagnante, un proverbe que vous aimez utiliser je crois, répondit poliment Karan. Mais j'aimerais en dire autant que vous.
Le temps fait en effet son œuvre chez moi, enfin le stress, la fatigue et la quantité astronomique de travail aident bien.
En ce moment, c'est sûr que vous ne devez pas chômer, désolé de vous en rajouter.
Allons, tu sais parfaitement ce que tu fais, mais je trouve juste que ton moment est très mal choisi à vrai dire.
Vous êtes toujours aussi mauvais expert militaire que lors de la crise d'Utaï il y a quatorze ans. A l'époque vous pensiez que la guerre civile allait être longue, ce ne fut pas le cas grâce à mon intervention. Aujourd'hui, cette révolte est tombée à pic, vous êtes dos au mur, vous savez que vous ne pouvez pas utiliser vos troupes contre nous pour garder une chance contre l'Arme.
C'est vrai….
Et vous êtes venu négocier comme il y a quatorze ans, mais à l'époque ce fut un échec cuisant n'est-ce pas ?
La situation était différente, grogna Hulenna. Il y avait plusieurs généraux qui avaient chacun leurs désirs, parfois contradictoires. Il m'a été impossible de choisir un consensus sur lequel tous auraient pu s'accorder. Mais aujourd'hui, sauf erreur de ma part et changement de tes habitudes, tu es le seul chef de cette révolte.
Sans aucun doute, je sais que je peux sauver notre monde, et je sais aussi que je suis le seul à pouvoir le faire. Vous savez, je n'ai pas envie de négocier, vous êtes à ma merci, je pourrais vous faire massacrer sur le champ et prendre votre place.
Sans pouvoir justifier tes actes. Tu as toujours eu des envies de juntes légales.
Vous me connaissez toujours aussi bien, sourit Karan. C'est pour cela que je vous arrête en vue d'un jugement pour haute trahison.
Notre crime , intervint un Hidetada blême.
Vous êtes responsables de la défaite militaire face à l'Arme, de l'impréparation de nos troupes. Vous serez accusés de collaboration avec l'ennemi.
Le long silence qui suivit fut soudain coupé par un éclat de rire, celui du docteur Zandov. Karan lui fit face et les deux hommes se défièrent du regard. Karan reprit la parole avec un sourire pervers sur les lèvres.
Mais vous, docteur, vous n'aurez pas le droit au procès. Vous ne faites pas partie de la Fédération, vous avez encouragé la paix face au monstre qui menace de vous anéantir, vous êtes accusé d'espionnage, les rapports des réunions du Conseil de Défense vous incriminent. Vous n'aurez pas de procès, juste vingt minutes pour prier avant que le peloton d'exécution ne se charge de votre cas.
Je partagerais son sort alors, répondit fermement Hulenna.
Courageux. J'admire votre bravoure, et à vrai dire, j'attends toujours une certaine personne que vous auriez dû amener en toute logique avec vous.
Il ne vous considère pas comme une menace, répliqua fermement Zandov. Votre cas lui parait insignifiant, vous n'êtes qu'un avorton qui ne mérite pas qu'il se dérange.
Menteurs ! Je sais comme vous qu'il est devenu un ermite. Vous n'êtes plus aussi convaincants que ce que vous pouviez être. Il est toujours aussi prostré, c'est très amusant en fait… Bon, fini de rigoler, on va passer à la suite, il fait froid, je n'aimerais pas que mes troupes s'enrhument.
La réplique cinglante fut accueillie par un énorme éclat de rire qui secoua les rangs des soldats qui avaient observé la scène avec délectation. Ils se sentaient compris de cet homme qui allait leur permettre de devenir les fers de lance de la glorieuse Reconquête de la Planète face aux monstres de tout acabit qui pullulaient à sa surface. Il ne fallut donc que vingt minutes pour que les télévisions ne soient toutes branchées sur la petite cité nordique. Là, Karan y tint son premier discours public. Il révéla les disparitions des villes de Kalm et de Midgar, entièrement rasées, le résultat sanglant de la bataille du Village Glaçon. Il promit des mesures de répression contre ceux qui avaient permis cela, annonçant du même coup l'exécution du docteur Zandov, causant un vif émoi au Canyon Cosmos, et celle de Dennis Hulenna qui provoqua beaucoup moins de remous dans son fief de Junon. Il continua sur le procès des huit autres traîtres. Cette diatribe fut accueillie avec beaucoup de plaisir dans tous les coins de la Planète où les gens s'extasiaient de voir enfin un homme politique jeune et dynamique, qui voulait faire bouger les choses. Les quelques-uns qui dénonçaient la tendance totalitariste du discours furent peu écoutés ou alors on leur répliquait qu'ils n'étaient que des partisans de l'immobilisme qui rendait la vie toujours plus dangereuse et toujours moins agréable.
Karan profita des dix dernières minutes de la vie de Hulenna pour lui rendre une visite dans sa cellule. Il trouva l'ancien chef d'Etat assis vers la fenêtre, observant paisiblement les nuages blancs. Son tortionnaire était étonné de le voir si serein à la porte de la mort. Il se signala par un raclement de gorge qui détourna le regard de son prisonnier.
Je regardais les nuages, ils sont libres, sans compte à rendre eux…
Ils nous sont supérieurs sur la liberté c'est sûr, mais restent sous la menace du vent, du soleil, du froid…
Vous n'êtes sans doute pas venu pour parler de la poétique des nuages.
Non, en effet, mais de Gongaga. De la cité prison. J'ai regardé les rapports, pas un seul mouvement de prisonniers depuis près de quatorze ans… Qui sont ceux qui mobilisent près de deux milles hommes autour du dôme de protection ?
Je vais devoir vous faire un cours d'Histoire. Rappelez-vous des chroniques d'Engelus, le Cetra Illuminé. Il parle d'une lutte entre les siens, les Tions et un troisième peuple, humanoïde, si ce n'est une gigantesque paire d'ailes noires.
Il affirme que ces Damnés ont été massacré ! Serait-ce l'un des avatars des recherches d'Hojo ?
Non, bien au contraire. Ils étaient en fait cachés dans divers coins du globe et la Shinra a fini par mettre la main sur eux, avant l'arrivée d'Hojo dans l'équipe scientifique. Ils ont rapporté dans les quartiers supérieurs de Midgar près de six milles spécimens, hommes, femmes, enfants, vieillards, adultes, bébés. Tout le peuple des Damnés avait été capturé au fur et à mesure. Hojo en était d'ailleurs un admirateur et voulait créer quelque chose qui les égale ou les surpasse.
D'où ses recherches avec des « spécimens rares » et du Mako ?
Exact. Toutefois, après la mort de Séphiroth, les habitants de la petite ville de Gongaga ont connu un décroissement de leur nombre. Il y a eu une concertation pour que la ville soit rachetée, à bon prix. Avec des matérias, le dôme a été créé et deux mois après sa mise en marche, tous les Damnés y ont été transférés. Ils n'en ont pas bougé, sauf quand le Conseil de Défense en a utilisé quelques-uns pour ses besoins.
En fait, une main d'œuvre docile, puissante et sous votre coupe. J'en aurai sûrement besoin….
Alors, attention. Le roi Léonidas est arc-bouté sur le passé et veut reconquérir une partie des territoires qui appartenaient à sa tribu dans le passé. N'en libérez qu'une partie si vous voulez éviter de gros ennuis….
Je ne leur laisserais pas le choix, se soumettre et me donner le contingent de soldats que je désire, ou les massacrer.
Alors, prévoyez des troupes, ils mourront plutôt que de trahir les leurs, prophétisa Hulenna.
Cela ne me gêne pas du tout de devoir mettre à mort toute une peuplade, surtout quand elle semble aussi archaïque que celle-là. Toutefois, vous n'en saurez rien, c'est l'heure. Adieu…
Karan sortit de la pièce, laissant quelques soldats en extirper le prisonnier qui se laissa faire. Il croisa le docteur Zandov qui le regardait avec dédain et qui reçut une gifle en retour, dernier moyen d'asseoir sa domination sur l'homme avant de l'envoyer au poteau d'exécution. Il jeta ensuite un coup d'œil sur la scène, les deux épais tronçons de bois peints en noir qui se dégageaient de la vue de la place neigeuse, la foule importante qui acclama l'entrée du peloton d'exécution, la lecture de l'acte d'accusation, les deux prisonniers liés à leur dernier support qui refusaient le bandeau pour leur cacher la vue, Zandov qui se lançant dans les ordres que ses exécuteurs devaient suivre. Le bruit des douze fusils qui crachaient la mort sur les deux premières victimes des purges du nouveau maître.
Le Fils du Destin sentit une douce main lui caresser le visage et tourna ses yeux pour découvrir Rei, qui regardait la scène avec une pointe d'émotion dans les yeux. Lui aussi se sentait ému de voir deux hommes courageux préférer mourir plutôt que de lutter avec lui. Ils avaient choisi l'ultime liberté, et Karan regrettait le départ de Hulenna, qu'il avait apprécié et sur lequel il aurait voulu compter….
Je vais me rendre à Gongaga, j'ai les informations qu'il me fallait, lança Karan.
D'accord, je vais dire aux autres de s'y préparer, répondit Rei.
J'y vais seul.
