5. Le cimetière

- Tiens, Harry.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda Harry, intrigué, saisissant la fiole et un petit sachet en papier que lui tendait Henry Densmore.

- Du Polynectar et quelques cheveux subtilisés en douce à des Moldus ayant environ ta taille et ta corpulence.

Harry ouvrit les yeux pour marquer son étonnement.

- C'est une décision de l'Ordre du Phénix. Transplaner au cimetière aurait été une solution qui avait le mérite de la praticité et de la sécurité. L'Ordre comprend que tu as besoin de quitter l'atmosphère confinée de ton domicile. Nous avons des consignes concernant les entorses tolérées à ta sécurité. McGonagall s'est inclinée, sous l'influence de Lupin notamment, qui comprend mieux que quiconque ce qu'est l'isolement. Il a fallu admettre que tu ne peux vivre sans sortir ni même te déplacer dehors constamment sous la cape.

Harry se sentit plus léger mais Henry leva la main.

- Cela ne veut pas dire que c'est une autorisation pour aller et venir comme bon te semble. Les Mangemorts ne sont pas idiots, s'ils surveillent la maison et qu'ils voient passer régulièrement un inconnu au quartier, tu peux être sûr que ta sécurité sera compromise. Pour ce matin, tu sortiras avec ta cape. Sur le chemin du cimetière se trouve un fast-food, tu iras dans les toilettes, boiras le Polynectar et tu ressortiras comme n'importe quel client. Prends garde à bien ôter tes lunettes et emmener un sac pour y mettre la cape.

Le trio gagna le sous-sol. Les Aurors se métamorphosèrent et glissèrent facilement à travers le carreau cassé. Ils s'éloignèrent pour faire le guêt et un roucoulement d'Ella, signal convenu, annonça que la voie était libre. Harry se recouvra de sa cape et se contorsionna pour ne pas se blesser sur les tessons acérés. Après quelques acrobaties, il huma avec plaisir l'air tiède et cligna plusieurs fois des yeux : malgré la faible luminosité, son regard était déjà habitué à l'obscurité.

- Je suis là, murmura-t-il pour ses compagnons.

Il se retourna et vit pour la première fois sa maison-prison. C'était une grande bâtisse de style victorien dont la façade aurait bien eu besoin d'être repeinte. Le jardin à l'abandon devait être agréable soigneusement entretenu. Dans le fast-food désigné, Harry parvint sans encombre aux toilettes et enfermé dans une cabine, glissa un cheveu dans la fiole de Polynectar et but en faisant la grimace. Les fourmillements et les étranges sensations ressenties lors de sa première absorption de Polynectar ne se renouvelèrent pas : le moldu choisi n'avait la corpulence d'un Crabbe ou Goyle et Harry n'avait pas à grossir de la même surface... Il sortit des toilettes et jeta un oeil au miroir : le reflet lui renvoya l'image d'un jeune homme d'une vingtaine d'années, au physique agréable et passe-partout.

Ayant franchi la grille en fer forgé du cimetière, le visage fermé, Harry se retourna et vit un pigeon, ou plutôt Ella, se poser sur une branche. Il ne vit pas de rat se faufiler entre les tombes mais savait que Henry Densmore l'avait à l'oeil. Harry erra lentement dans le petit cimetière : d'après les renseignements donnés par Lupin, la tombe de ses parents se trouvait à peu près au milieu du cimetière. Il leva les yeux : un cortège de silhouettes noires suivait un cercueil porté par quatre hommes. Harry sentit son ventre se crisper et il chercha Ella du regard. Il la vit voler vers le groupe mais elle se posa sur une branche à mi-distance entre le cortège et Harry : c'était certainement un vrai enterrement de Moldu. Harry frissonna : seize ans plus tôt, un même cortège, sans doute plus réduit, avait suivi le même chemin, mais avec deux cercueils... Il continua de chercher et vit une vieille femme à quelques mètres de lui. Elle portait un bouquet de roses. Harry se dit qu'elle venait peut-être souvent et l'interpella.

- Excusez-moi, madame, savez-vous où se trouve la tombe des Potter, James et Lily Potter ?

La vieille femme parut surprise et dévisagea Harry avec curiosité :

- Voyons, attendez, ça me dit quelque chose... Six ou sept tombes, un peu plus loin...

- Merci !

Harry tourna les talons et marcha de plus en plus vite : il plissa les yeux et vit deux noms gravés sur une petite tombe... Un cri perçant d'animal déchira l'air et Harry se retourna. Il resta figé en voyant la vieille femme une baguette magique tendue vers lui.

- AVADA KEDAVRA !

Harry frissonna violemment et ouvrit la bouche d'horreur en voyant un éclair vert aveuglant... Il tomba à genoux et ne comprit pas : il était vivant. Il se saisit maladroitement de sa baguette et la pointa vers la vieille femme. Celle-ci était allongée sur le dos, les traits déjà figés par la mort. Harry regarda autour de lui et vit Ella et Henry ayant repris leur forme humaine courir vers lui. Le cortège de Moldus en deuil s'exclamait bruyamment, stupéfait et Harry était certain d'avoir entendu le mot "Police".

- Mais qu'est-ce qui s'est passé ? bafouilla-t-il. J'ai vu la femme avec sa baguette et j'ai entendu "Avada Kedavra" !

- Ne restons pas là ! supplia Ella.

- Oubliettes ! cria Henry Densmore en pointant sa baguette vers les Moldus.

Harry vit le cortège se reformer en ne le leur accordant plus aucune attention.

- Aidez-moi à l'asseoir ! gémit Densmore. Si jamais d'autres Moldus arrivent...

Harry souleva le corps sans vie avec répulsion et aida les deux Aurors à l'installer sur un banc en position assise, comme si elle se reposait. Ella regardait autour d'eux très vite, son regard balayant tout le cimetière.

- C'est vous qui avez crié, Mr Densmore ?

- Oui. J'ai vu la femme tendre une baguette. Je la surveillais, je trouvais bizarre qu'elle apporte un bouquet de roses rouges. Je suis fils de Moldus et on ne met généralement pas ce genre de fleurs sur une tombe. Quand je l'ai vu sortir sa baguette, je me suis transformé mais trop tard. Etre Animagus, ça a ses avantages mais parfois...

- Ella, merci, je vous dois la vie ! lui dit Harry.

- Mais ce n'est pas moi qui l'ai tuée !

- Quoi ? fit Harry interloqué.

- Chut, vous deux, plus tard, regardez !

Harry regard le visage de la vieille femme. Il ne ressemblait plus vraiment à celui qu'il avait eu face à lui deux minutes plus tôt. Les traits de déformèrent, le visage s'allongea, les cheveux redevinrent longs et raides... Harry se frotta les yeux et les trois s'exclamèrent d'une seule voix :

- Bellatrix Lestrange !

- Co...comment ça se fait ? bafouilla Harry.

- Polynectar ! dit Ella. Si l'on meurt alors qu'on a pris l'apparence de quelqu'un d'autre, le corps revient vite à sa forme originelle.

- MAIS QUI L'A TUEE ?

- J'ai vu qu'Henry te suivait de près et je regardais le groupe. Je n'ai pas vu Bellatrix sortir sa baguette mais j'ai vu à l'arrière du groupe de Moldus un homme brandir une baguette et crier "Avada Kedavra" puis transplaner...

- Qui était-ce ?

- Je...je ne suis pas sûre...il faut que j'aille au Ministère...

- Ok, allons-y !

- Et mes parents ?

Les deux Aurors regardèrent Harry.

- Ca peut attendre quelques minutes, Ella ? demanda Henry.

- Oui, oui.

Harry se retourna lentement et lut sur une petite pierre tombale cette simple inscription : Lily et James Potter. Il baissa la tête et ne chercha pas à retenir ses larmes. Il avait cependant conscience de l'agitation dans son dos. Il vit Henry s'emparer du corps de Bellatrix Lestrange. Il se retourna et vit le corps de son ennemie jetée dans un vieux caveau abandonné.

- Qu'est-ce que vous faîtes ? Vous n'allez pas mettre son corps ici, en face de la tombe de mes parents ?

Devant le regard interloqué de Harry, Henry rougit de confusion.

- Oh pardon, Harry. Oui...je..C'est momentané, on reviendra chercher le corps...

- Il faut y aller, mon petit, lui dit Ella. Désolée...

Harry sentit une boule dans sa gorge et regarda une dernière fois la tombe. Il murmura "Je vous aime" et s'éloigna encadré de près par les deux Aurors.

Rentrée à Godric's Hollow, Ella transplana immédiatement pour le Ministère tandis que Henry faisait un rapport détaillé à Maugrey qui venait d'arriver pour son tour de garde. Le vieil Auror rugit et eut un rictus de satisfaction quand il apprit que la Mangemort était Bellatrix Lestrange. Harry et ses deux gardiens buvaient une tisane de verveine bien chaude quand Ella réapparut.

- Il est bien à Azkaban...

- Mais qui ? grogna Maugrey.

- Malefoy !

Harry sursauta.

- Tu veux bien t'expliquer, Ella ?

Henry Densmore criait presque.

- L'homme que j'ai vu tuer Lestrange a des cheveux blond très clair, presque blanc et j'ai cru que c'était Lucius Mal...

Elle s'arrêta, comprenant en même temps que les autres. Harry n'avait jamais été aussi estomaqué de sa vie.

- Drago Malefoy ?

- Ridicule ! lança Maugrey. Pourquoi cette vermine déjà soumise à Vous-Savez-Qui tuerait une alliée, fidèle parmi les fidèles, et sa tante de surcroît ?

- C'était lui, j'en suis sûre à présent, affirma Ella d'un ton sans réplique.

- Harry, qu'en penses-tu ? demanda Densmore.

Harry les regarda longuement.

- Je n'en sais vraiment rien, finit-il par dire.

Alors que les autres parlaient de renforcer la sécurité et de prévenir les membres de l'Ordre du Phénix, Harry laissa son regard errer dans la pièce. Il pensait à la scène sur la tour d'Astronomie de Poudlard, Dumbledore qui parle et Drago qui baisse sa baguette... Non, impossible. D'avoir des scrupules et d'hésiter à tuer était une chose, changer radicalement de camp en était une autre...