Chapitre 4

Trois mois et demi plus tôt, Harry se trouvait à Poudlard. Le château était déserté par les élèves, qui étaient plus en sécurité chez leurs parents en cette période troublée. L'Ordre du Phénix y tenait son quartier général, après que les Mangemort aient incendié la maison de Sirius. Harry avait hurlé de rage en voyant les derniers souvenirs de son parrain partir en fumée.

Les derniers mois avaient été très durs pour tout le monde. Localiser et détruire les Horcruxes, c'était comme participer à une course de fond au rythme d'un sprint. Il fallait aller vite, toujours plus vite, avec le cœur qui cognait dans la poitrine, la respiration hachée, les poumons en feu, les entrailles tordues par l'angoisse. Il fallait prier pour ne pas commettre d'erreur fatale qui réduirait à néant tous les efforts fournis, alors que Voldemort était sur vos talons et que les flashs verts d'Avada Kedavra crépitaient autour de vous.

Bien qu'Harry ait proclamé, à la fin de sa sixième année (achevée si tragiquement avec la mort d'Albus Dumbledore) que c'était à lui seul de faire le travail, il avait été soulagé de recevoir l'aide de tous les opposants à Voldemort : Lupin, Tonks (jamais loin de Lupin), Maugrey, le clan Weasley au grand complet, les professeurs de Poudlard et bien sûr tous les amis Griffondor. Une armée de taille modeste, certes, mais très efficace.

Sans oublier Severus Snape.

Quand il avait refait surface, Harry avait instantanément pris sa baguette, prêt à achever le traître dans la seconde. Minerva McGonagall s'était interposée pour expliquer que Snape n'était pas l'assassin qu'il croyait. Albus, mourant, avait exigé du Maître des Potions qu'il le tue, afin que sa mort ne soit pas inutile. Voldemort n'avait ainsi plus aucun doute sur la loyauté de Snape et celui-ci restait un espion essentiel. Tout avait été convenu en présence de McGonagall. Harry s'était insurgé : « Quoi, il a tué Dumbledore et il faudrait en plus lui dire merci ! » mais tous les membres de l'Ordre gardaient leur confiance en Snape, l'accueillaient toujours comme un des leurs, alors il avait bien fallu s'incliner.

Snape avait joué un rôle primordial dans la destruction des Horcruxes. C'était cela qui lui avait gagné progressivement la confiance de Harry. Non que cela paraisse l'affecter, d'ailleurs. Il restait le même, désagréable et arrogant. Et cela enrageait Harry. Un minimum de considération entre camarades de guerre, quand même !

Snape s'en moquait visiblement. D'un sort puissant, il venait d'envoyer Harry rouler à l'autre bout de la pièce.

« Aucun progrès d'aucune sorte, Potter. »

Harry savait qu'il était inutile d'attendre de l'aide. Il se releva seul.

« Ce n'est pas vrai ! » dit-il avec indignation. « J'arrive à lancer des sorts sans prononcer un mot ! »

« Et vous oubliez de vous protéger juste après. A quoi sert votre entraînement si vous vous exposez comme cible ? »

Harry se rappela les mots que Snape avait prononcés vingt mois auparavant : « Paré, encore et toujours, jusqu'à ce que vous appreniez à vous taire et à fermer votre esprit. » Il avait suivi le conseil. Il avait appris à faire de la magie par la seule force de sa volonté. Mais il semblait que cela ne suffisait pas à son professeur ; que rien de ce que faisait Harry ne serait jamais assez bien.

« Le Seigneur des Ténèbres est affaibli par la destruction des Horcruxes, Potter, mais il est encore assez puissant pour vous battre en duel. »

« Cessez d'appeler Voldemort le Seigneur des Ténèbres ! »

« Cessez de l'appeler Voldemort ! »

« Et l'autre con, ça vous va ? Ca vous va ? »

Les lèvres de Snape frémirent, comme s'il réprimait un sourire. Harry se sentit rasséréné. Mais l'homme reprit rapidement son air glacial.

« Vous n'êtes pas prêt. Or vous pourriez avoir à l'affronter bientôt. »

« Je sais. Demain peut-être. »

« Oui, peut-être dès demain. »

Snape avait l'air pensif, soudain. Et même un peu triste, se dit Harry. Si c'était le bon moment ? Si c'était maintenant ou jamais ?

« Je serai peut-être mort demain », avança Harry.

« Avec un peu d'intelligence, vous vous diriez ça depuis votre onzième anniversaire. »

« Cela n'a jamais été aussi réel que maintenant. Vous le savez. »

« Que puis-je y faire ? dit Snape avec amertume. Excepté vous entraîner du mieux possible. »

« Vous m'avez très bien entraîné, monsieur. C'est grâce à vous si je peux lancer des Impardonnables. Mais il y a autre chose que je voudrais vous demander. »

« Quoi donc ? » interrogea Snape, les bras croisés, avec l'air de celui qui s'attend à la pire des énormités.

« Je ne veux pas mourir vierge. »

Toutefois Snape ne s'attendait pas à cette énormité-ci, si son visage était une indication. Avant qu'il ne réagisse, Harry ajouta précipitamment :

« Je ne veux pas dire que je voudrais faire ça avec n'importe qui. Je veux dire que je veux le faire avec vous. »

« Vous ne savez pas ce que… »

« Je sais très bien ce que je dis. Je n'ai pas perdu la raison, je n'ai pas été ensorcelé, je ne plaisante pas. Je sais que vous êtes gay. Blaise Zabini me l'a dit. »

Snape avait repris ses esprits et son impassibilité.

« Comme je vous le disais à l'instant, vous n'avez aucune intelligence. Vous devriez tenir ce discours à quelqu'un qui vous convienne. »

« Oh vous n'allez pas me parler de la différence d'âge ou de l'obstacle prof-élève ! »

« Mais si, c'est bien mon intention. Et je vous parlerai aussi de mon passé de Mangemort, de serviteur du Mal, d'assassin d'Albus Dumbledore. »

« Vous ne l'avez pas réellement tué, c'est lui qui voulait… »

« J'ai pointé ma baguette et j'ai dit Avada Kadavra. Vous appelez ça comment, Potter ? »

« Euh… De l'euthanasie, monsieur. »

Snape se prit la tête dans les mains.

« Allez-vous en. Avant que je perde le peu de sang-froid qui me reste. »

« Non, dit Harry en faisant un pas en avant. Je veux rester avec vous cette nuit. »

« C'est hors de question. »

Snape avait reculé, comme si le mètre qui les séparait était encore trop peu. Harry cherchait désespérément un signe encourageant. Là… la respiration un peu trop rapide, les mains un peu tremblantes, le visage un peu trop rouge.

Harry se détendit. Il était quasiment sûr de ne pas se tromper sur l'attirance de l'homme à son égard. Certes, il était toujours le même, mais quand il ne se croyait pas observé, il lançait à Harry des regards d'une rare intensité. Le garçon savait que jamais l'homme ne ferait le premier pas : il se croyait souillé par son passé.

Cette pensée lui fit mal au cœur. Harry se rapprocha avec détermination et tendit la main vers la joue de son professeur. Celui-ci l'empêcha de finir son geste.

« Ne faites pas ça. »

Sa voix était suppliante. Harry, dansant intérieurement de joie, n'hésita plus. Il se haussa sur la pointe des pieds et colla sa bouche sur celle de Snape.

Il ne fut pas repoussé. Snape gardait une immobilité de statue et ne répondait pas à son baiser, mais Harry n'avait pas été jeté au sol, il n'avait pas été foudroyé sur place par un sort Doloris, il n'avait pas été changé en grenouille. Pour Snape, c'était presque un aveu.

Harry savourait le contact avec ces lèvres dont il rêvait depuis des mois, souhaitant connaître une formule magique pour qu'elles s'ouvrent pour lui. Il y eut soudain une brèche, et sa langue s'engouffra. Harry frotta ses hanches contre le corps immobile. Si seulement il pouvait répondre, si seulement…

Brutalement, Snape posa la main sur la nuque, l'attirant contre lui. Il prit contrôle du baiser et ce fut bientôt sa langue qui explora la bouche du garçon. Harry, fou de bonheur, se laissa volontiers plaquer contre le mur. La jambe de Snape glissa entre les siennes. Malgré le rempart de la robe noire, Harry pouvait sentir l'érection qui se pressait contre son ventre. Il gémit.

Snape s'arracha à lui, haletant. Harry en profita pour s'attaquer aux boutons du col. Il s'abreuvait de l'odeur qui montait de l'homme, la sueur du duel, les herbes de la dernière potion, l'excitation sexuelle, le tout formant un mélange hypnotique. Son sexe était dur à lui faire mal et il sentait s'échapper les premières gouttes de sperme. Il était d'accord pour que Snape le prenne contre le mur. Ou sur le sol. Ou sur le bureau. N'importe où, du moment que ça ne tarderait pas…

« Severus, je t'en prie… »

Mais l'homme reculait. Son visage prenait une expression horrifiée, constata Harry avec désespoir.

« Allez vous-en Potter. Je ne le répéterai pas. »

La voix étranglée était insupportable à entendre.

« Non ! Pourquoi ? Vous en avez envie, j'en ai envie, qu'est-ce qui… »

Snape le foudroya du regard.

« Cela ne vous a pas effleuré que je n'ai pas d'attirance pour vous? Ne vous bercez pas d'illusions! Je n'ai pas le moindre désir de vous mettre dans mon lit. Alors allez vous offrir à quelqu'un qui veut de vous! »

Snape disparut en claquant la porte.

Harry tomba assis, les yeux brouillés de larmes. Salaud, salaud, salaud…

HPHPHPHP

Poudlard fut attaqué le lendemain par Voldemort et ses troupes. D'une certaine manière, Harry l'avait vu venir. Il se jeta dans la bataille avec furie. Il prenait tous les risques, sans chercher le moins du monde à se protéger. Sa chance légendaire ne l'abandonnait pas, il n'était même pas blessé quand il se retrouva face à Voldemort.

Le Mage Noir n'avait plus toute sa vigueur, Harry était animé par l'énergie du désespoir. Le combat fut bref. Harry multiplia les Impardonnables sans même songer à se protéger d'un rebond. Puis il prononça Avada Kadavra et sentit un souffle puissant émaner de sa baguette. Jamais il n'avait autant voulu réussir un sort. Il voulait tuer. Il voulait mourir.

Il entendit vaguement que Voldemort lançait lui aussi la formule fatale. Il ne chercha pas à s'écarter. Voldemort tomba, et lui resta debout. « C'est idiot, pensa-t-il, il m'a raté. » Il ne ressentit aucun triomphe après sa victoire. Toutes ces années pour en arriver là.

Il avait survécu. A présent, il faudrait recevoir les félicitation du Ministre, les lettres d'admiratrices éperdues, les propositions de jobs de tueur de sorciers, les critiques de la presse. Et il faudrait revoir Snape, faire comme s'il ne s'était rien passé, poser à côté de lui sur les photos des manuels d'histoire…

Cela, c'était au-dessus de ses forces.

Harry transforma une branche. Il s'y reprit à trois fois avant qu'elle ait l'air d'un cadavre convaincant. Néanmoins McGonagall aurait été fière de lui.

Il rabattit la capuche sur sa tête et quitta le champ de bataille.

(à suivre)