Yurei
Par Tsubaki Hime
Bonjour à tous ! Déjà je m'excuse sincèrement pour tout le retard que j'ai pris pour cette fic. Il faut dire qu'entre les examens, les exposés et le site que je suis en train de faire, j'ai pas vraiment eu le temps d'y penser. Mais c'est fait et ça m'enlève une épine du pied. « Camellia Tsubasa », mon site, ouvrira très très bientôt donc vous n'aurez pas trop besoin d'attendre (bon y a pas grand-chose dessus mais bon…). Pour me faire pardonner, voici donc un tout nouveau chapitre de Yurei , le suivant sera mis en ligne mercredi, avec l'adresse de mon site (que j'ajouterais dans mon profile… Vous y ferez un tour hein ? Siouplaît ; ;)
Blood Kiss et bonne lecture,
Tsubaki Himé
Chapitre II
Rien ne va plus
L'homme sourit, découvrant une belle dent en or. C'était sûr, il allait gagner cette stupide partie de poker. Tout autour de lui, une foule se pressait, spécialement une jeune femme au regard aguicheur, laissant consciemment une main délicate sur son épaule. Il en aurait grogné de plaisir. A cinquante-ans, président d'une grande société, il pouvait tout se permettre. Et surtout fermer le clapet de ce blanc-bec qui le dévisageait, impassible, ses cartes retournées sur la table. Il ne les avait pas regardés depuis le début. Une technique très courante chez les pros. Mais est-ce que ce jeune homme en était un?
Il eut un sourire de nouveau. Il misa encore une dizaine de jetons et fièrement, dévoila sa quinte, attendant à ce que son adversaire blêmisse.
"Vous avez perdu", fit le jeune homme à sa grande surprise.
"Comment ça?" S'offusqua-t-il. "Regardez! Vous voyez bien que…"
"Et ça, est-ce que vous pouvez le voir?"
D'une main glissante, le jeune homme dévoila ses cartes sous le regard écarquillé des gens autour de lui. L'homme crut avoir une attaque. Non, il n'avait quand même pas…
"Full de reines", déclara le joueur, sans laisser apparaître aucune de ses émotions." Je reporte la mise."
"Non, c'est impossible"! S'écria son adversaire, rouge de colère.
"Tout est possible, surtout de vous battre."
Le jeune homme se releva dignement, prenant en main les jetons sur la table. Son visage, finement sculpté, retomba sur celui de l'autre joueur. La pâleur de sa peau était pailletée de taches violentes des néons et le bruit assourdissant du monde jouant au tables voisines tandis qu'un brouillard opaque de fumée de cigarette l'enveloppait, tel un voile incertain. Mais ses yeux, vert émeraude, avaient une lueur sûre de froideur calculée.
"Au fait, mon cher…", fit-il en leur tournant le dos." La prochaine fois, ne cachez pas des cartes en plus sous votre veste. Cela n'est pas très distingué…"
Un rire moqueur secoua la foule tandis que la femme séductrice, médusée, se recula du perdant qui, fou de rage, bouillonnait intérieurement, laissant partir le jeune homme vers d'autres tables, en quête de nouvelles parties à jouer.
"Qui est-ce?" Chuchota un homme à sa voisine.
"Ca doit être Kiyoshi Fujisuke", répondit cette dernière dans un souffle. "C'est le fils du grand champion de poker Daisuke Fujisuke. On dit qu'il a le même talent que son père, au Japon. Je ne le savais pas aussi jeune, ni aussi doué. Quelle classe, on ne dirait pas un adolescent…"
« Sale gosse », fulmina le joueur.
« Quels idiots… »
Hisoka, médusé, eut un soupir de fatigue. Il était tellement dur d'être parmi tous ces gens, au Paradise Hotel. Il avait été inscrit comme privilégié de l'hôtel et par conséquent avait été conduit à une des plus belles suites. Dieu qu'il aimerait être dans sa chambre, sans bruit, rien d'autre que le bruit du vent tiède de Las Vegas, observant les lumières de la capitale des jeux. Le voyage en avion avait été terriblement long, si long que l'adolescent en était venu à espérer que Tsuzuki fasse une bêtise, juste pour le distraire. Manque de chance, son partenaire, ne supportant pas l'avion, avait pris des cachets et dormi comme un loir. Pour une fois qu'il ne parlait pas, il en avait été attendrissant à regarder.
Le Paradise Hotel était un grand immeuble, d'au moins trente étage, tout de verre et de brillance. Les chambres étaient absolument magnifiques, la plupart aux meubles d'acajou, de la dorure sur les murs clairs, une salle de bain digne de cet endroit paradisiaque. L'hôtel se découpait en plusieurs parties. Sur les dix premiers étages se trouvaient les différentes salles de jeux, tel le casino de ce soir, une grande salle pour les réceptions ayant lieu à peu près tous les jours, un bar très chic et d'autres pièces réservées aux politiciens les plus importants. Cette partie était la plus classe du Paradise Hotel et cela était une des fiertés du propriétaire. Les dix seconds étaient réservés à la classe moyenne, qui, en raison de nombreux sacrifices financiers, avait pu se payer un court séjour dans ce paradis. Les chambres, à cette partie, étaient guère moins belles que les autres mais tout à fait respectables. Les neuf étages suivants constituaient la classe la plus riche, avec un balcon pour chaque chambre, décorée avec grand goût. Hisoka et Tsuzuki, quant à eux, avaient une suite au trentième étage, et cela faisait bien entendu partie du plan. Le trentième étage était le saint des saints, la dernière partie la plus belle et la mieux gardée de tout l'hôtel. Quant au casino, il était immense, composé de trois étages où la lumière sombre de la nuit, par la voûte en verre, se faisait distinguer sur le sol. Des enseignes aveuglantes éclairaient la salle toute en dorure où une multitude de monde, bien habillé et célèbre, discutaient de tout et de rien tandis que, dissimulés par le brouillard de la cigarette, les joueurs s'affairaient, silencieux, à tenter de gagner une somme étonnante au même prix que leur réputation. Toutefois, Hisoka se sentait mal à l'aise dans un endroit pareil, bien que joueur de poker.
La fumée pesante de l'anxiété, de la fierté et de l'angoisse parmi tous les joueurs le rendait nerveux et formait comme une boule au fond de sa gorge. De plus, son costume le serrait horriblement, bien qu'il devait être « séduisant », d'après son équipier. Mais il ne devait pas perdre le fil de l'enquête, malgré le malaise ambiant. Il était Kiyoshi Fujisuke, un jeune prodige du poker au Japon. Il retint un pauvre sourire. Daisuke Fujisuke n'était pas venu à Las Vegas depuis la naissance de son fils qui avait heureusement le même âge qu'Hisoka. Même les plus habitués à aller dans ces lieux ne devaient plus se rappeler de son visage. De plus, Kiyoshi n'avait jamais quitté le Japon. Une bonne couverture en somme, sachant que son don d'empathie était le meilleur coup de triche qu'un joueur pouvait avoir. Il suffisait à Hisoka de lire dans les sentiments de son adversaire pour savoir s'il était tombé sur des bonnes cartes puis faisait en sorte de préparer son jeu. La plupart du temps, il était excellent, et son impassibilité déconcertait les autres joueurs.
"Hisoka, ça va?"
Une voix réconfortante le ramena à la réalité pour tout aussitôt lui rappeler pourquoi il était là. Un homme d'environ vingt-six ans, le regard d'améthystes assombri par la pénombre ambiante de l'immense salle où cliquetaient les machines à sous, le froissement des cartes et le brouhaha des autres joueurs. Ses cheveux brun foncé retombaient en mèches désordonnées devant ses yeux et son smoking, tombant parfaitement sur ses épaules assez larges, le rendait irrésistible. S'ils n'étaient que tous les deux, dans une pièce où il était certain de ne voir débarquer personne, Hisoka l'aurait embrassé tant il dégageait de lui une aura de douceur et de force qu'il adorait.
"Je te rappelle qu'on est en mission", fit l'adolescent après avoir discrètement dévoré son partenaire des yeux. "Ne m'appelles plus comme ça, mais Mr Fujisuke."
"Je sais et moi je suis ton garde du corps, Hayao Ikesawa. Je suis né à Osaka il y a vint-six ans, mon C.V est…"
"C'est bon, n'en rajoute pas!" Siffla rageusement Hisoka, se retenant de faire avaler le verre que tenait son partenaire à la main.
Dans la foule compacte, Tsuzuki se permit une très légère caresse sur le dos de la main de son partenaire et amant. Un toucher si fugitif que même un œil attentif n'aurait pas remarqué. Mais ce simple contact suffit à Hisoka pour se sentir un peu mieux.
"Tu as trouvé quelque chose d'intéressant?" Fit-il dans un murmure que personne à part le Shinigami aux yeux d'améthystes n'entendit.
"Un peu, oui. Être le garde du corps d'un grand champion de poker, ça a pas mal d'avantages. Regarde sur ta droite."
Hisoka se retourna discrètement et vit un groupe d'hommes et de jeunes femmes ensemble, riant et parlant avec légèreté. Les quatre hommes avaient environ quarante ans ou un peu plus et avaient un visage grave, malgré l'ambiance électrisante du casino. Par contre, les deux jeunes femmes, elles, n'ayant apparemment que vingt ans, riaient et bavardaient avec cet élan d'hypocrisie noble que l'empathe ne pouvait pas supporter.
"Ces hommes sont tous de très grands hommes d'affaires, déclaré Tsuzuki en les désignant de son verre presque vide. Il y a Edwards Crooge, Jonathan Things, Aleï Stayle et enfin Christopher Hargeisa dont la fille a été la victime de notre « cher » yurei. Ils sont toujours ensemble et ont réglé de nombreux contrats par leur union. On les surnomme « le Quatuor des Affaires »."
"Et les deux jeunes femmes?" Fit Hisoka, ne les quittant pas des yeux.
"Ce sont les fille de ces hommes d'affaires. Elles les suivent partout où ils vont, pour ainsi être célèbres dans le monde. La première se nomme Deborah Crooge et la seconde Jenny Things."
Les deux Shinigami les scrutèrent attentivement. Celle de droite, riant d'une chose quelconque, était d'une magnifique beauté, il fallait le reconnaître. Sa peau de pêche, sans la moindre imperfection, avait une grande finesse des traits. Ses yeux noirs brillaient cependant d'un éclat supérieur et suffisant qui ne faisaient rappeler sa belle situation. Elle était très fine, et ses cheveux, aussi sombres que son regard, étaient bouclés de façon parfaite, voire suspecte. Elle avait ce sourire qui disait très franchement que peu importaient tous les efforts que pouvaient faire ses admirateurs, elle ne choisissait que l'élite et sa robe, au décolleté vertigineux, frisant presque le vulgaire en dévoilant plus qu'il ne fallait, marquait bien ce sentiment par la netteté du tissu.
Celle de droite était tout aussi belle et on se demandait finalement si les deux femmes n'avaient pas eu le même chirurgien esthétique. Son visage était d'une perfection douteuse. Comme si tout avait été calculé, de la courbe sensuelle de ses lèvres à ses longs cils. Ses yeux étaient d'un beau bleu bien qu'ordinaire, à la fois vifs et indifférents au monde présent. Elle ne se souciait pas des regards pleins de passion de ses admirateurs et, comme pour les faire rager, elle passait une main fine et manucurée dans ses longs cheveux blonds, et lisses. Un blond très clair et captivant. Elle avait une grande dignité dans ses gestes et ses bracelets d'or cliquetaient dans un bruit électrique à chacun de ses mouvements. Une aisance, presque innée chez elle, de vivre dans le luxe. Et ces tics, ce comportement, ne faisaient que rappeler à l'empathe aux yeux d'émeraude la situation de ses propres parents.
"Toutes deux sont actrices", ajouta Tsuzuki d'une voix calme. "Bien qu'elles débutent dans le métier, la réputation de leurs pères leur ouvrent les portes de la célébrité. Comme quoi…"
"Hum…"
Hisoka, sans mot dire, détourna le regard d'un tel spectacle. Il n'appréciait vraiment pas ce genre de filles, aussi sûres d'elles, et se croyant dans le dessus du panier. Ce comportement ne faisait qu'accentuer son malaise et sa peau, bien qu'avalée par la pénombre, était d'une grande pâleur, chose que Tsuzuki remarqua du premier coup d'œil. Hisoka avait beau dire que son partenaire ne connaissait rien de lui, il n'en était pas le cas. Tsuzuki savait pratiquement reconnaître le moindre signe de changement d'humeur de son équiper par le biais de ses lèvres, de ses yeux, de ses mouvements. Encore un peu et Tsuzuki pouvait presque se vanter d'avoir un don d'empathie à son tour.
Le Shinigami aux yeux d'améthystes donna son verre à son partenaire, qui, surpris, le prit sans chercher à répliquer.
"Ce n'est pas de l'alcool, tu peux en boire", prévint Tsuzuki dans un sourire taquin.
Les joues d'Hisoka s'empourprèrent.
"Dis tout de suite que je ne supportes pas l'alcool!"
"Aurais-tu oublié que la première fois que tu as bu du saké devant moi, tu t'es écroulé dans mon lit?"
Touché. Ne trouvant rien à ajouter, Hisoka s'éloigna dignement, avec un soupçon de puérilité qui ravit Tsuzuki dans un certain sens. Il ne pouvait pas s'en empêcher, taquiner l'empathe était tellement amusant. Il eut un bref rire et s'approcha bien entendu près du buffet, prêt à se faire éclater son smoking par toutes ces bonnes choses. De cet endroit, il y aurait en effet une large vision des choses, et cela lui serait bénéfique. Hisoka pouvait dire ce qu'il voulait, Tsuzuki savait garder son sérieux de temps en temps. Machinalement, il promena son regard d'améthystes sur la foule compacte autour de lui.
« Hum? »
Il se figea soudain, observant une personne en particulier, surpris par cette singularité. C'était une jeune femme, très pâle, si pâle que sa robe d'un blanc immaculé paraissait être de la couleur de sa chair. Elle se tenait immobile, droite et à quelques mètres de Tsuzuki. Contrairement aux autres, elle ne parlait à personne, et ses yeux, plongés dans la pénombre ambiante, semblaient vagues, ternis par une fatigue inconnue. Elle était très jolie, voire très belle. Les traits de son visage étaient fins, ciselés avec délicatesse; sa bouche, ni pleine ni fine, était entrouverte, comme si elle voulait happer de l'air. Ses cheveux étaient longs, ondulés comme des vagues, et d'un châtain si clair qu'ils en paraissaient presque blonds. Des reflets d'or caressaient sa peau et sa chevelure, tandis que, à la surprise de Tsuzuki, des fleurs décoraient sa tenue, longue, épousant les formes douces et sensuelles de son corps, ouverte à la hanche, dévoilant une jambe très gracieuse et fine, au mollet savamment décoré par une paire de sandales à talons très seyants. Les pétales des fleurs étaient d'un rose clair, si clair qu'on voyait à peine et très petits, attachés en petits bouquets dans ses cheveux et son poignet droit, comme bon nombre de jeunes filles à des soirées. Mais ce n'était pas n'importe quel type de fleur: c'étaient des fleurs de cerisier, un comble alors qu'ils étaient en Amérique. Comment cette jeune fille pouvait porter une telle fleur, dans un tel pays? Mais Tsuzuki n'eut pas le temps se réfléchir plus longtemps car, sans prévenir, la jeune fille, apparemment à bout de forces, bascula doucement en arrière et se serait écroulée sur le sol sans les bras du Shinigami qui la rattrapa au dernier instant, ne l'ayant pas quittée des yeux une seconde. Encore heureux qu'il ait pu aller jusqu'à elle sans renverser personne. Mais il y avait tellement de monde que son évanouissement était passé inaperçu.
"Attention, mademoiselle!"
Elle était d'une blancheur inquiétante. Tsuzuki, paniqué, l'aida à se redresser, la prenant par la taille. Elle semblait brumeuse et ses yeux, mi-clos, avaient une expression de vide. Il lui fallut quelques instants, prise avec fermeté dans les bras du Shinigami pour se remettre d'aplomb non sans mal. Puis, elle tourna son visage vers lui, surprise.
"Que… Que s'est-il passé?" Demanda-t-elle d'une petite voix.
Ses yeux, à la faible lueur de la salle enfumée, avaient un douce couleur bleue-verte, comme les Mers du Sud. Elle était vraiment très belle et bien plus naturelle que les deux femmes que Tsuzuki venait de voir. Et peut-être plus fragile.
"Vous avez eu un malaise, mademoiselle", répondit-il en lui souriant. "Il faudrait peut-être que vous sortiez prendre l'air."
"Je sais, mais il y a tellement de monde important ici", répliqua-t-elle d'une faible voix." Je dois être présentable, envers les collègues de mon père."
"Votre père?" Répéta Tsuzuki, surpris.
Elle eut un léger sourire, très doux, presque triste. On aurait dit une statue de verre tant de fragilité émanait d'elle.
"Oui", souffla-t-elle. "Je me nomme Helen. Helen Stayle. Mon père est Aleï Stayle, un homme d'affaires très célèbre."
Tsuzuki se figea.
« Stayle? Mais… Cette fille devait connaître Aline Hargeisa! »
Il fut ramené à la réalité par un nouveau malaise de la jeune femme qui manqua de s'écrouler indécemment dans ses bras. Presque gêné, il l'aida à se relever et la regarda calmement. Elle semblait à bout de forces. Elle était comme à part, dans ce monde clinquant et hypocrite. Incroyable qu'il s'agisse de la fille de Mr Stayle.
"Je vais vous accompagner à la terrasse", fit-il, rassurant. "Il faut après que vous alliez vous reposer."
"Merci", murmura Helen. "Vous êtes vraiment quelqu'un de gentil…"
Sans mot dire, Tsuzuki lui prit le bras pour l'aider à marcher vers la terrasse déserte, sans savoir qu'un jeune homme le dévisageait, perplexe.
« Que fait-il? »
Surpris, Hisoka ne lâchait pas du regard l'homme aux yeux d'améthystes qui accompagnait, tout sourire, une jeune femme à prendre l'air. Il la tenait par le bras, avec douceur, comme si cette dernière allait se briser. Cette image, malgré elle, tirailla le cœur de l'adolescent qui de toutes ses forces, se retint de les suivre pour savoir ce qu'ils faisaient.
« Tu es là pour l'enquête, tu es là pour l'enquête », se répéta-t-il comme une incantation.
Soudain, un liquide froid glissa sur sa chemise, coulant sur sa peau d'une façon plus que désagréable. Grimaçant de dégoût, il se tourna vers le responsable de cette étourdie, prêt à entendre des excuses valables. Tatsumi allait le tuer si jamais son smoking était tâché à vie.
"Oups, désolé", fit le coupable en tendant un mouchoir vers la tâche de vin qui s'élargissait sur la poitrine. "Je ne t'avais pas vu, excuse-moi."
Vexé qu'on le tutoie, Hisoka releva la tête et vit son interlocuteur. C'était un homme d'environ trente ans, souriant poliment. Mais il y avait quelque chose qui clochait chez lui. Ses cheveux d'un blond platine apparemment teints étaient en bataille, lui donnant un air jovial et séducteur. Ses yeux, bleu myosotis, avaient une lueur espiègle presque juvénile qui déconcerta le Shinigami aux yeux d'émeraude.
"Ca va, c'est pas trop tâché?" Demanda-t-il en étalant de plus en plus le vin sur la chemise d'Hisoka.
"Non, c'est bon, je peux me débrouiller tout seul", rétorqua l'adolescent en enlevant la main de l'homme de sa poitrine.
L'homme eut un sourire.
"Tu ne serais pas Kiyoshi Fujisuke, le prodige japonais du poker? Ton père est un ami du mien, je me nomme Anthony Rivan", ajouta-t-il en tendant une poignée sûre.
Hisoka la serra avec politesse, se rappelant de ce qu'il avait lu pour être un bon imposteur. Frederick Rivan, le père d'Anthony Rivan avait une très grande place dans le domaine chirurgical à Silicon Valley. De très grandes recherches avaient pu être menées à bien grâce à lui, et aujourd'hui, son fils reprenait le flambeau, allant dans toutes les villes les plus célèbres pour se faire apprécier autant que son père. Certains pessimistes disaient que si Anthony Rivan mourrait, alors ce serait une grand pas en arrière pour toute la science humaine. C'était un homme important et Hisoka le savait.
"J'ai appris que ta chambre se trouvait au 30e étage", fit Anthony d'une voix polie.
"Hum, c'est exact."
"Tu sais, nous sommes peu nombreux à avoir cet étage pour nous. Cette partie de l'hôtel est la plus belle et la plus privée. On y met que les gens d'honneur. Il y a toi, moi, le « Quatuor des Affaires » et leurs filles, exceptée bien sûr Aline Hargeisa."
Hisoka fronça les sourcils.
"Au fait, pourquoi n'y a-t-il pas eu une enquête ouverte officiellement depuis la mort de cette femme?"
Anthony haussa ses larges épaules.
"Ils ont étouffé l'affaire, y compris le père d'Aline", répondit-il d'une voix profonde. "La mort de la fille d'un homme important de la société chamboule pas mal de choses dans ce petit monde de la célébrité. De plus, c'est un parent à Mr Hargeisa qui tient cet hôtel. Pour conserver un certain nombre de personnes, ils ont fait en sorte qu'il s'agisse d'un déséquilibré mental et renforcé la sécurité. Mais ça s'arrête là. A ce que je vois, l'honneur et le prestige sont plus importants que des vies humaines", fit-il ensuite d'un ton amer.
Hisoka, malgré lui, approuva le point de vue, très surprenant dans la part d'une personne aussi célèbre qu'Anthony Rivan.
"Vous semblez bien concerné, Mr Rivan", déclara Hisoka sur un ton froid.
"Eh oui", sourit Anthony." Le père d'Aline a eu besoin de l'aide du mien pour l'aider dans une drôle d'affaire. Toutefois, je n'en sais pas plus."
Il eut un ricanement et, sans qu'Hisoka puisse l'en empêcher, glissa une main savamment baladeuse sur la taille de l'adolescent. Les joues de ce dernier s'empourprèrent de gêne et de colère. Il tenta de se dégager mais la pression de la main d'Anthony sur son corps l'empêcha de fuir. Il déglutit sa salive, tentant de redresser ses barrières psychiques au maximum. Et vite de préférence, il ne désirait pas envoyer consciemment une énergie de protection sur l'homme, car son corps réagissait plus vite que son esprit. Il se mordit la lèvre, furieux.
« Mais tu vas me lâcher, pauvre abruti? », songea Hisoka, se retenant de ne pas frapper Rivan de toutes ses forces.
Le regard d'Anthony se changea imperceptiblement, ses yeux s'assombrissant de plusieurs tons. Son visage, d'un coup, sembla être tiraillé par un sentiment inexplicable. Puis, un léger sourire ourla ses lèvres et, dans un murmure, se pencha vers Hisoka qui se figea à ce souffle contre son oreille.
"Tu sais ce qu'il te dit, le pauvre abruti?"
Le cœur d'Hisoka manqua un battement. Les yeux écarquillés, il se retourna vers Anthony qui l'avait lâché, souriant toujours de cette étrange façon.
« Que… Qu'est-ce que…? »
"Je te laisse, Fujisuke", ajouta Anthony, très calme." J'espère que tu me rendras visite, une prochaine fois. Good Bye!"
Et sur ces mots, il s'éloigna de l'adolescent, se mêlant à la foule bruyante et fatigante. Hisoka, encore sous le choc, sentit ses membres trembler malgré lui, un frisson inexplicable qui lui parcourait toute la colonne vertébrale. C'était désagréable, oppressant, presque douloureux. Et cette blessure, au fond de lui, étrangement brûlante, s'ouvrit, tel un barrage cédant sous la pression. Ne comprenant absolument pas ce qui lui arrivait, il crispa ses mains sur ses coudes, cherchant à faire passer cette souffrance qu'il n'avait jamais ressenti. Une froideur, si puissante… Elle ne provenait pas de quelqu'un de normal, non, ça ne pouvait pas être ça… Jamais un être humain vivant ne pouvait ressentir une telle émotion. L'empathe écarquilla les yeux, horrifié.
« Le yurei… Il est là! »
Son regard d'émeraude se posa sur les gens tout autour de lui, bavardant dans le cliquetis des verres glacials. Il pressa sa main sur son cœur, où battait une chamade insoutenable.
« Où est-il? Que veut-il? Et toi, Tsuzuki… Que fait-tu donc? »
"Je vais mieux à présent, vous n'êtes pas obligé de me tenir compagnie."
"Il n'y aucun problème, de plus, je ne tiens pas à vous voir faire un malaise encore une fois."
La jeune femme eut un léger éclat de rire qui raisonna comme un doux pleur étouffé. Une telle tristesse émanait d'elle que cela en était parfaitement troublant. Tsuzuki, souriant, la contempla dans l'ombre de la nuit, qui, par les éclats de la ville, transformait les courbes sensuelles de sa silhouette en esquisses gracieuses. Les enseignes au néon, le bruit de la ville masqué par le brouhaha du casino derrière eux, le bleu presque surnaturel du ciel plongé dans la pénombre éclaircie formaient un étonnant mélange sous les yeux d'améthystes du Shinigami. L'odeur suffocante de la chaleur se faisait tuer lentement par la fraîcheur nocturne. Une brise, légère, secouait la chevelure dorée de la jeune femme, et de temps à autre, un pétale de fleur de cerisier disparaissait au loin, pour ne plus jamais revenir.
Tsuzuki s'approcha d'elle, les mains appuyées sur la rambarde solide de la terrasse. Au-dessous d'eux, l'œil bleu de la piscine se mouvait en vaguelettes troubles et silencieuses. Deux yeux lagons croisèrent son regard.
"Je sais que cela doit être troublant de la part d'une occidentale de porter des fleurs de cerisier", fit Helen d'une douce voix.
"Un peu", répondit Tsuzuki. "Surtout ici, dans un tel endroit."
Helen se mit de profil, laissant la lune caresser les traits fins de son visage. Il y avait vraiment de la fragilité en elle, une étrange fissure que l'on distinguait au fond de son être. Et une candeur presque trop juvénile pour une femme de vingt ans. Une douceur… qui faisait rappeler à Tsuzuki une personne qui lui avait été chère…
« Ruka… »
Un nouveau rire de la part d'Helen ramena Tsuzuki à la réalité.
"Ma mère était japonaise, une grande chanteuse de Nô, qui se nommait Sumiko", ajouta-elle d'un ton que le Shinigami aurait pu qualifier d'amer.
Au regard que Tsuzuki lui lança, elle passa une main dans ses cheveux clairs. Une ombre avala ses yeux bleu-vert.
"Oui, je ne ressemble en aucun cas à ma mère. Ca me fait bizarre, comme si une partie de moi n'existait pas. Ce ne veut pas dire que je rejette mon côté occidental mais… J'aurais tellement voulu avoir une particularité physique de ma mère… Mais maintenant…"
"Maintenant?"
Helen soupira.
"Ma mère est morte deux heures après ma naissance. Une hémorragie interne. Il se trouve qu'elle avait le mal du pays, car depuis son mariage avec mon père, elle n'était pas retournée une seule fois au Japon. Et malgré l'interdiction des médecins, elle a pris des antidépresseurs qui m'ont coûté une malformation des poumons. Et ces médicaments l'ont affaiblie, au point d'y laisser la vie."
Tsuzuki baissa les yeux, sentant la tristesse germer en lui. Les lumières de la ville avaient la lueur de larmes brillantes, des éclats d'amertume sans fin.
"Je suis désolé", fit-il d'une voix profonde.
"Ce n'est pas grave du tout", le tranquillisa Helen, je suis habituée. "Ma mère, je n'ai jamais su par quel moyen, a pu se procurer des fleurs de cerisier par n'importe quel temps, à chaque saison. Elle disait que cette fleur lui rappelait son jardin, à Kyoto. Et maintenant, en porter sur moi me rappelle ma mère et ça m'aide à tenir, malgré la fatigue et mes poumons qui demandent des soins particuliers."
Elle se tourna vers Tsuzuki et eut un vague sourire désolé.
"Je ne devrais pas parler de moi à quelqu'un comme vous, cela doit vous ennuyer."
"Non, pas du tout", rétorqua Tsuzuki. "Je comprends mieux à présent."
"Je suis si impolie que je ne vous ai même pas demandé comment vous vous appelez, je suis impardonnable."
"As… Non, Hayao Ikesawa."
Helen le dévisagea avec candeur.
"Mr Ikesawa? Le garde du corps de Kiyoshi Fujisuke? C'est un jeune homme très doué dans le domaine du poker."
"Exact, il est très doué", approuva Tsuzuki, ne pouvant s'empêcher de penser avec quel talent Hisoka était capable de faire face à n'importe quelle difficulté.
Helen se détourna de lui, contemplant de nouveau les tours étincelantes de Las Vegas.
"Vous me semblez être un homme très gentil, Mr Ikesawa."
"Je vous remercie."
"Tellement gentil… que vous me faîtes penser à quelqu'un que j'ai connu."
Tsuzuki sursauta au son de la voix de la jeune femme. Ses épaules, nues et blanches, avaient un frisson régulier et vivement pour ramener un peu de chaleur, elle se frictionna la chair de ses bras, recroquevillée comme un petit oiseau. Sa voix avait une résonance brisée, tel un verre fracassé à jamais sur le sol. Elle se retourna et, son dos appuyé contre la balustrade, les mains fixées sur la barre glacée, elle rejeta sa tête par-dessus son épaule, observant les ombres floues de la nuit. Sa robe, blanche et étincelante comme l'astre lunaire, lui donnait l'air d'une déesse s'aventurant sur la terre mortelle pour la première fois.
"C'était un garçon… que j'ai rencontré il y a trois ans… Mais qui malheureusement, n'est plus de ce monde…"
Tsuzuki l'observa avec attention. Il n'était pas très doué concernant le réconfort de la gent féminine, toutefois, cette jeune femme avait en elle un tel débordement de tristesse qu'il était impensable de la laisser ainsi. Elle le dévisagea de la même façon qu'il faisait pour elle et s'offrit le privilège de lui sourire.
"Vous avez la même forme de yeux… Ce même éclat de gentillesse… C'est attendrissant…"
"Excusez-moi, Mlle Stayle mais…"
"Appelez-moi Helen", l'interrompit-elle d'un geste évasif de la main. "J'en ai assez d'entendre une telle marque de politesse. Je suis un être humain, pas une personne mise sur un piédestal éternel."
Tsuzuki, sans vraiment le savoir, sentit ses joues s'empourprer. Décidément, la ressemblance avec cette personne qu'il avait tant aimé était frappante. Il sourit, amusé.
"J'accepte, à une seule condition. Vous m'appelez Hayao et ainsi, tout est réglé."
"Je n'osais pas vous le demander", rit allégrement Helen. "Vous êtes vraiment quelqu'un de gentil, je ne peux que le confirmer."
Tsuzuki la toisa encore quelque peu avant d'observer les étoiles fugitives du ciel.
"Dites-moi, Helen", commença-t-il.
"Oui?"
"Étiez-vous une amie d'Aline Hargeisa, la jeune femme retrouvée morte il y a peu de temps?"
Helen fit volte-face, une expression de surprise et de peur mêlées se peignant sur son visage. Ses yeux, écarquillés, ne quittèrent pas le Shinigami du regard.
"Pourquoi me demandez-vous cela?" Fit-elle, d'une voix sèche.
Tsuzuki eut un haussement d'épaules, se rendant compte un peu trop tard qu'il s'était montré trop impatient.
"Je suis un homme qui vient de débarquer ici, et tout autour de moi, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Je m'excuse de vous faire peur ainsi mais tout cela m'intrigue."
Helen se radoucit. Elle eut un bref soupir, remettant une mèche ondulée derrière son oreille.
"Veuillez pardonner mon emportement", souffla-t-elle. "C'est que Jenny et Deborah ne cessent de parler de cela, depuis une semaine. Ca était très dur pour Mr Hargeisa et nous-mêmes. Nous essayons de ne pas être mêlés à tout cela mais c'est très difficile. La peur d'une nouvelle mort m'angoisse et c'est aussi pour cela que je me suis évanouie tout à l'heure. Je suis à bout de nerfs."
"Êtes-vous proche des filles de Mr Things et Mr Crooge?"
Helen eut un pauvre sourire résigné, comme si elle avait tenté de l'être.
"Pas vraiment", répondit-elle avec sincérité. "En fait, la seule raison pour laquelle nous sommes toujours ensemble est bien entendu l'association de nos pères respectifs. Comme nous n'avons pas de domicile réel, nous les accompagnons durant leurs voyages. Malgré cela, nous quatre, moi, Aline, Jenny et Deborah n'avons vraiment lié de liens particuliers. Nous sommes un peu comme des voisines d'hôtel et de villa, ça s'arrête là."
Elle s'arrêta un instant, les yeux pensifs.
"Toutefois, je me demande vraiment qui a bien pu tuer Aline… C'est peut-être un déséquilibré mental, comme disent les autorités mais… j'ai une étrange impression…"
Tsuzuki, sentant pointer une piste, s'approcha d'elle, prêt à récolter toute information intéressante.
"Oui? Quelque chose vous dérange?"
"Je… Je… Je ne sais…"
Ses yeux, soudain, perdirent un éclat évident d'énergie. Son visage fut perdu comme dans un flou et ne pouvant finir sa phrase, dans un soupir d'épuisement, elle s'écroula dans les bras de Tsuzuki qui, encore une fois, fut obligé de la rattraper in extremis. Tout aurait pu bien se passer si Helen, toutefois, n'avait pas basculé son visage tout près du sien, les lèvres entrouvertes, comme si elle quémandait un baiser. De plus, à la grande gêne du Shinigami, sa poitrine entrait en contact avec son torse de façon des plus provocantes. Ses cheveux, longs et doux, lui chatouillait l'épaule et ses mains, par idnavertance, s'étaient liées dans un sursaut de conscience égarée sur sa nuque.
« Mince! Qu'est-ce que je fais là! », songea Tsuzuki, paniqué et gêné.
CLING!
Un bruit de verre derrière lui le fit se retourner brusquement, ramenant encore plus la jeune femme inconsciente contre son corps. Ce qu'il vit lui retourna l'estomac, tant la honte l'étouffait.
Un jeune homme le dévisageait, en silence, ses mains libérées des deux verres qui s'étaient brisés sur le sol. Ses yeux, d'un vert émeraude perçant, étaient comme figés dans une expression inexplicable, un mélange de surprise, de colère et de tristesse sourde. Ses lèvres, entrouvertes, semblaient dire quelque chose mais sans succès. Rien, rien ne semblait jaillir de cette bouche que Tsuzuki avait par mainte fois embrassé. Le temps sembla se stopper brutalement lors de cette scène impossible à tolérer. Il était terrible de constater que les secondes et les minutes s'écoulant pouvaient paraître affreusement longues lors d'une scène qu'on ne voulait voir. L'adolescent, droit et immobile, ne put empêcher ses poings de trembler puis ce fut le reste de tous ses membres… Comment… cela pouvait-il…?
Le corps rigide, il contempla encore quelques instants la scène avant s'en aller d'un pas sec, laissant Tsuzuki seul en compagnie d'Helen. Un gémissement près de lui signala que la jeune femme s'était réveillée.
"Que… Que s'est-il passé?" Demanda-t-elle d'une petite voix
Mais Tsuzuki ne l'écoutait déjà plus. Furieux de s'être retrouvé dans une telle position, il se dégagea des bras d'Helen, s'excusant mollement de la laisser ainsi avant de se dépêcher de retrouver son partenaire. La jeune femme, surprise d'être laissée pour compte, eut un soupir résigné et, les yeux encore vagues, se tourna vers le ciel bleu d'encre, la brise la faisant frissonner.
Le silence de la nuit, revenu peu après le départ de ce jeune homme aux yeux d'améthystes, la plongea dans le chaos intérieur total. Ses yeux, brûlants, se brouillèrent de perles qu'elle n'arrivait plus à contenir. C'était trop dur, trop éprouvant… Comment cet homme pouvait autant ressembler à…
Helen eut un rire partagé entre la tristesse et le mépris d'elle-même, calant ses paumes contre ses joues froides, essuyant le trop-plein de larmes amères et douloureuses qui glissaient sur son fin visage.
"Finalement… Je ne mérite même quelqu'un qui te ressemble…, n'est-ce pas?" Chuchota-t-elle dans le froid nocturne. "Je ne mérite rien… Rien du tout… Et au fond… C'est bien mieux ainsi… Rien… Rien… du… tout…"
Ses pleurs, dans le gémissement du vent, furent emportés au loin. Dans son cœur, une boîte si durement fermée… venait de se rouvrir…
« Rien… Je ne mérite rien… Même pas la mort…»
A suivre…
