Yurei
Par Tsubaki Himé
Gyaaaah, pardon pardon pour tous ceux qui ne vont que sur Prise totalement dans le sote, j'en ai oublié de poster le chapitre cinq ici. Ca fait donc plusieurs semaines voire un mois que je n'ai pas mis de chapitre, je suis impardonnable. Je vous conseille d'aller sur mon site ou sur mon blog (surtout mon blog) où là, il y a l'adresse de mon LJ où je viens de poster la préview du chapitre 6. Pour se faire pardonner quoi .
J'espère que ce chapitre vous plaira et soyez patient pour la suite.
Blood Kiss, Tsubaki Himé.
Chapitre V
Fil de sang
Noir… Tout autour de lui… Du noir, partout… Il n'y avait que ça… Pas une seule lumière, pas une seule once de chaleur.
Rien. Le néant.
Il se mit à respirer avec difficulté, la peur montant en lui comme un poison douloureux. Quels étaient ces frissons qui le prenaient, le parcouraient de leurs mains glacées. Pas de lumière mais ce chuchotement, lancinant, insupportable.
« Tu es seul… Tu es seul… »
Il était seul, tout seul. Il trembla, de plus en plus, complètement dévoré par cette froideur qui venait de nulle part et de partout à la fois. Pourquoi avait-il si froid? Pourquoi était-il terrorisé?
« Tu es seul… Tu es seul… »
Non… Non… Il n'était pas seul… Ses lèvres, comme murées par un silence si profond qu'il en avait perdu la clé, ne purent laisser échapper aucun bruit, aucun murmure, aucun appel à l'aide. Il frissonna de plus belle, tentant de faire passer les spasmes incontrôlables qui le possédaient. Noir… Noir… Et seul…
« Où est-il? » songea le jeune homme, apeuré. « Où est-il passé? Je dois le voir, lui uniquement… »
Oui, la présence capable d'éclaircir ses ténèbres. La personne qui grâce à sa chaleur dissipera sa peur. Lentement, pas à pas, dans ce monde fade et sans couleurs, à l'atmosphère saturée de terreur et d'horreur, il s'avança, de plus en plus profondément dans cette ambiance noire de doute et de solitude. A mesure qu'il marchait, l'obscurité, petit à petit, devenait comme plus douce, moins froide. Rassuré de ce changement subtil, il continua, hasardeux, tel un funambule sur son fil, aveugle à ce qu'il pouvait prévoir. Mais il devait faire taire cette voix au fond de lui, mordant dans son cœur, et répétant dans une voix sifflante.
« Tu es seul… Tu es seul… »
Personne à aimer, personne à haïr… Juste lui, tout seul… La voix devait se taire, s'étouffer. Comment pouvait-il la croire alors que, dans des taches colorées douces et accueillantes, les ténèbres faisaient place à de la quiétude chaude et avenante, de la tendresse non dissimulée. Comment ce monde cruel pouvait-il aussi vite changer? Peur de cela, mais tout tremblant de joie, il continua d'avancer, y voyant plus clair, y discernant des esquisses en couleur. Où était-il? Et quelle était cette voix?
« Tu es seul… Tu es seul… »
Mais… à qui appartenait cette voix? Ne comprenait-elle pas que tout changeait pour lui, que son cœur, doucement, se sentait en confiance? Les membres curieusement encore tout frissonnants, il continua d'avancer, suivant le tracé de son esprit, de son âme tout entière tirée par un cordon invisible. Était-ce la corde du destin, reliée à deux êtres pour l'éternité?
« Mais où suis-je? »
« Tu es seul… Tu es seul… »
Petit à petit, les tons de cet environnement devinrent si pétillantes de joie qu'il ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. Il se sentait bien, serein, presque heureux. C'était étrange de se savoir à la fois détendu et oppressé par quelque chose qu'il ignorait. Le sentier qu'il ne voyait pas se traça sous ses pieds, comme désignant le chemin à suivre pour trouver la personne dont il avait besoin.
« Comme dans le Livre de la Lune », songea-t-il, se rappelant vaguement de ce livre qu'il lisait lorsqu'il était enfant.
Ses pensées, comme « sucrées » dans ce paysage étincelant, devenaient elles-mêmes plus joyeuses et les frissons, bien qu'encore là, se muaient très, très doucement en plaisir tenu et présent. Confiant, il avança encore et encore; les yeux grand ouverts en même temps que son cœur.
Et c'est qu'il…
Son cœur, soudain, se bloqua dans sa poitrine, avant de résonner de bonheur sans fin. Il l'avait trouvée, cette personne! C'était bien elle, à quelques dizaines de mètres de lui. Il pouvait la reconnaître entre mille, jamais cette aura de tendresse l'enveloppant ne pouvait s'effacer. Sa voix, plus que son corps qui déjà courait vers cette passion débordante qui le faisait frémir, cria son nom, comme une douce mélodie.
- Tsuzuki! Tsuzuki!
Il se sentait poussé des ailes, son âme enfin allégée de toute peur. Mais cette voix… encore là…
« Tu es seul… Tu es seul… »
Celui qu'il aimait se retourna, surpris qu'on l'appelle. Le jeune homme crut pleurer de joie. C'était bien lui, il n'y avait pas de doute. Ce doux visage si beau, aux trais d'une finesse et d'une tendresse ineffable… Une chevelure brune espiègle aux mèches éparses retombant sur un splendide regard d'améthystes brillantes… Ce regard qu'il adorait par-dessus tout…
- Tsuzuki! C'est moi, Hisoka!
Il n'aimait pas paraître trop extraverti ou même montrer ouvertement ses sentiments. Mais le bonheur qui l'étreignait lui faisait tellement mal… Il en avait assez de ces paroles insistantes au fond de lui. Il n'était pas seul, non, pas du tout!
Tout tremblant de plaisir et de passion, il se jeta contre l'homme qu'il chérissait, se blottissant contre son torse, pleurant presque d'allégresse. Il l'avait retrouvé… Il l'avait retrouvé… Cette litanie colorée fit battre son cœur réchauffé, toute son existence entière.
- J'ai eu peur… si peur tout seul…, murmura-t-il, empli de bonheur. Mais tu es là, près de moi. Ne… Ne me quitte pas…
Une main tendre fit relever son visage vers celui de la personne la plus importante pour lui. Deux améthystes, tendres, le fixèrent avec tant de passion qu'il entrouvrit les lèvres, prêt à recevoir un baiser qui le plongerait dans une extase sans fin.
Il attendit, attendit encore… Mais… pour seul baiser… ce fut celui de l'horreur mordant son cœur…
- Et bien, que t'arrive-t-il mon garçon? Tu t'es perdu?
Abasourdi, ne comprenant pas du tout, l'adolescent se recula, observant attentivement son amour qui lui rendait son regard, neutre et surpris à la fois.
- Mais… Mais… qu'est-ce que…? Bredouilla-t-il, n'osant pas comprendre.
- Que se passe-t-il? Tu cherches quelqu'un? Tu veux que je t'aide à le retrouver?
L'esprit dans un brouillard sans nom, le jeune homme crut que son bonheur venait de se fissurer comme une cloche bien trop fragile pour être vraie. Il cligna des yeux, espérant que cet air poli allait disparaître du visage de celui qu'il aimait pour laisser place à de l'amour mais rien ne fit. Juste cet égard civique, ce besoin d'aider quelqu'un. Rien que ça.
- Mais… C'est toi que j'ai retrouvé! S'écria l'adolescent. C'est de toi dont j'ai besoin! Il… Il… Il n'y a que toi que j'ai cherché! Depuis des années j'ai cherché quelqu'un qui voudrait m'aimer et c'est toi, toi qui m'aime à présent.
Interloqué, l'homme aux yeux d'améthystes le regarda sans comprendre. Tout autour d'eux, le froid recommençait à régner, si désagréable que l'adolescent frissonna de nouveau. Tout tremblant, il se désigna en posant ses mains sur son propre torse.
- Tu me reconnais, n'est-ce pas, Tsuzuki? Hein, tu sais qui je suis?
« Tu es seul… Tu es seul… »
Son amour eut un léger sourire avant de répondre.
« Tu es seul… Tu es seul… »
- Non, je te reconnais pas, mon garçon. D'ailleurs, pourquoi devrais-je te connaître? Je ne sais pas qui tu es, bien que je sois étonné que tu saches comment je m'appelle. Enfin bon…
Noir… Froid… Le néant…
Une main dans ses cheveux châtains, les ébouriffant gentiment. Mais cette caresse n'avait pas la même valeur qu'avant. Complètement écœuré et brisé, l'adolescent fixa, les pupilles dilatées par l'horreur.
« Le fil qui nous réunit… Il se brise… »
- J'ai été ravi de te faire ta connaissance, même si on doit ne plus se revoir, ajouta poliment l'homme aux yeux d'améthystes.
- Tsu… Tsuzuki…, murmura le jeune homme, ses yeux émeraude ternes de pétrification.
Cette voix qui le tourmentait…
« Tu es seul… Tu es seul… »
Déjà son amour s'éloignait de lui, si vite, si loin… Lui tournant le dos… Il détestait ça… Il avait horreur… qu'on lui tourne le dos… Pour ne pas voir les larmes, ne pas voir la tristesse…
- Tsu… Tsuzuki! Reviens!
Les couleurs étaient éclatées par mille tortures, par mille souffrance. Le froid remplaça la chaleur qui avait naquis en lui. Il était tombé de son piédestal si vite qu'il en demeurait hébété. Un gémissement sortit de ses lèvres, apeuré, seul, une plainte qui venait de son cœur.
- Tsuzuki… Tsuzuki! Je te prie, ne me laisse pas!
Mais la silhouette disparaissait déjà dans le néant, ne laissant que cette impression douce de son âme. Paniqué, tentant de reprendre de l'air, il s'écroula sur le sol dont le tracé du fil s'amenuisait pour ne plus exister. Suffoquant, s'étouffant, il ne se rendit compte qu'après coup que des larmes amères et douloureuses glissaient sur ses joues pâles. Il renvoya son regard sur les ténèbres qui l'encerclaient de nouveau.
« Tu es seul… Tu es seul… »
Il connaissait cette voix…
« C'est la mienne… »
Il inspira à pleins poumons avant de crier, de tout son corps, son cœur et son âme.
- Je t'aime, Tsuzuki! Ne me laisse pas seul! Ne me quitte pas! Reviens auprès de moi! J'ai besoin de toi! Je t'aime! JE T'AIME, TSUZUKIIIIII!
Noir… Froid… Le néant…- Non… Je ne veux pas! Pas ça!
- Hisoka! Réveille-toi, Hisoka!
- Pas ça! Noooon! Je… Je ne veux pas!
- Hisoka! C'est moi, Tsuzuki! Ouvre les yeux!
Tout aussi vite qu'il avait commencé à se débattre, il cessa, ouvrant brusquement deux émeraudes tétanisées d'horreur. Sa respiration, saccadée, avait le rythme affolé de son cœur brisé de tant d'images. Son visage, couvert de sueurs froides, avait la pâleur d'un mort. Il lui fallut au moins trois secondes pour se rappeler qui il était et aussi qui était l'homme qui, à la fois ferme et doux, lui tenait les bras comme pour l'empêcher de le frapper. Un regard d'améthyste fixa le sien, brillant d'angoisse.
- Hisoka… Qu'est-ce qu'il y a?
- Non… Non…, souffla l'adolescent, encore sous le choc.
Ses mains se mirent à trembler. Puis ce fut le reste de ses bras, puis de tout son corps. Frissonnant d'un spasme difficilement contrôlable, il déglutit sa salive, la gorge en feu, des taches colorées aveuglantes et brûlantes lui brouillant les yeux. Yeux encore inondés de larmes dont il ne comprenait pratiquement pas le sens. Affaibli, les membres parcourus de tremblements froids, il sentit son cœur s'affoler lorsque son partenaire se pencha vers lui, lui caressant la joue.
- Hisoka… Qu'est-ce qui t'est arrivé? Demanda-t-il, la voix brisée par l'inquiétude.
Ce contact fugitif suffit à amplifier sa terreur. Avec des gestes incohérents et nerveux, il tenta de repousser le Shinigami aux yeux d'améthystes. Mais sa faiblesse corporelle et psychique n'aidant pas, il se retrouva à le pousser à peine de sortir du grand lit dans lequel il était installé. Complètement muré dans sa vision horrifique, il était persuadé que cet homme lui murmurant des paroles tendres n'était pas le bon.
Remarquant la soudaine agitation de l'empathe à son égard, Tsuzuki se recula gentiment, ne cessant de le regarder avec tendresse.
- Lai… Laisse-moi…, hoqueta l'adolescent sous l'effet de larmes encore présentes sur son visage. Ne… ne viens pas…
Les yeux de Tsuzuki s'assombrirent doucement mais le sourire passionné et presque penaud ne disparut pas de son visage. Sans chercher à contredire son partenaire, il lui fit un clin d'œil avant de tourner les talons et de sortir de la chambre, laissant le jeune homme en proie à des terreurs intérieures qui n'avaient même pas à avoir de nom.
Lorsque la porte se referma, Hisoka, lentement, se permit à souffler. Il avait si peur… Etait si terrifié… Les flashs dans sa tête, dans des déclics insupportables, ne cessèrent de parcourir son cœur et ses yeux vitreux. Mal partout, et surtout à l'endroit précis où tout humain se devait d'éprouver quelque chose, il déglutit de nouveau sa salive, le brouillard disparaissant très, très lentement. Ses idées, encore chaotiques, prenaient doucement le chemin de la raison, dans le seul but de le tranquilliser. A croire que ce corps qui n'était pas le sien faisait tout à sa place. Avec des gestes invisibles, son esprit délia le vrai du faux, écarta ce qui lui avait semblé si dangereux, l'aida à reprendre contact avec la réalité. Les taches colorées lui foudroyant le regard, par cette recherche minutieuse de détente ne voletèrent plus dans le décor et ce fut après bien après que son partenaire ait quitté la pièce que l'adolescent se rendit compte de ses gestes de recul.
Il venait de comprendre à quel point sa peur d'être de nouveau seul était fondée. Tsuzuki, par sa présence et son amour, était devenue une drogue qui le parcourait de bien-être et de sérénité. Substance humaine si désirable et chaleureuse qui, lorsqu'elle s'éloignait de lui, devenait froide, sans avoir à aimer. Hisoka eut un léger gémissement, calant ses paumes contre ses joues toutes brûlantes de larmes amères et de fièvre. Pourquoi était-il aussi épris de ce Shinigami gaffeur, turbulent, paresseux et idiot?
« Ton sourire… Tes baisers… Toi… »
Il n'y avait même pas de réponses. En fait, c'était bien lui l'idiot. Le Shinigami le plus stupide de tout Meifu. Il ne supportait pas que quelqu'un s'approche de Tsuzuki, l'aborde, tentant de le séduire. Il ne supportait pas le regard des autres sur son partenaire, enjôleur et aguicheur, voulant le faire dérouter. Il ne supportait pas que son petit ami le laisse seul ne serait-ce qu'une heure, pour ainsi dire « faire des recherches ». Qui aurait cru qu'il était jaloux à ce point?
Hisoka, pendant toute son enfance, n'avait pas été aimé. Seul, exclu des autres, sa confiance par maintes fois piétinée, il en était venu à penser qu'aimer ne servait à rien pour lui. Renfermé, n'ouvrant plus son cœur à personne, il s'était dit qu'au fond la vie ou plutôt l'éternité était mieux comme ça. Personne à aimer. Personne à haïr. Rien à donner et rien à prendre. Tellement simple, en fait. Ce système basé sur le néant s'était comme cassé la figure le jour où l'empathe, en proie à ses cauchemars et sa solitude voulue, avait rencontré Tsuzuki. Un homme de vingt-six ans d'apparence, souriant, joyeux comme un gamin lorsqu'on lui achète un bonbon, jovial et chaleureux, tendre et protecteur, ayant toujours une petite pensée pour ceux qui comptaient pour lui. Mais ce n'était que la face visible de l'iceberg. Sous cette façade se cachait un tel désespoir, une telle tristesse à la fois destinée au monde et à lui-même. Ses sentiments, pleins et toujours puissants, avaient dérouté Hisoka la première fois. Comment un homme comme lui, si doux et heureux extérieurement pouvait-il avoir tant de noir au fond du cœur et de l'âme? Perturbé à la fois physiquement et psychiquement, Hisoka en était venu à se laisser emporter par cette tornade humaine, qui, par ses sourires, ses gaffes, tentaient de le dérider. Et, miraculeusement, l'adolescent avait senti un changement au fond de lui-même. Quelque chose de doux, d'ancien et de nostalgique qui avait refait surface. Peu à peu, Hisoka s'était comme allégé de cette emprise noire de son passé. Libéré petit à petit, il s'autorisait à sourire un peu plus souvent, à être moins têtu et renfermé sur lui-même. Et finalement, il en était venu à l'évidence: il était amoureux de son partenaire. Fou amoureux. Totalement épris.
Hisoka venait de comprendre ce qui n'allait pas chez lui.
Il ne savait pas aimer.
Il aimait trop fort.
Tremblant de dégoût et de honte, il se couvrit le visage de son drap, pour y pleurer en silence, le corps parcouru de spasmes d'horreur. Il avait refusé à ce que Tsuzuki le console, le réconforte, alors qu'il ne demandait que ça, finalement.
« Idiot… Pauvre idiot… T'es qu'un imbécile… »
Mais ce n'était pas Tsuzuki qu'il insultait.
C'était bien lui et entièrement lui.
- Quelque chose…
- De fort qui sert à vous nettoyer la tête, l'interrompit le barman avec un sourire, reconnaissant l'homme aux yeux d'améthystes aussitôt. A vous voir, ça n'a pas l'air d'aller fort.
Tsuzuki hocha la tête, pensivement. Contrairement à ce qu'il pensait, le barman ne lui servit pas un cocktail bleu électrique pour la dernière fois mais… à sa grande stupéfaction une tasse de lait chaud légèrement trouble et doré. Ne comprenant absolument pas pourquoi l'homme venait de lui servir ça, il le regarda avec ahurissement.
Le barman eut un léger haussement d'épaules, ce qui ne fit que rappeler à quel point il avait un corps bien bâti. Un sourire se dessina sur ses lèvres.
- Une recette que je tiens de ma grand-mère. Du lait chaud avec un peu de miel. Ca détend suffisamment pour ne pas récurer la tête et avoir la gueule de bois. Je vous l'offre, vous avez l'air d'avoir vu un mort.
Tsuzuki, ne pouvant s'empêcher de penser qu'effectivement, il avait vu un mort même beaucoup plus que le jeune homme ne pouvait l'imaginer, sourit à son tour avant de porter à ses lèvres la tasse fumante et but une gorgée du liquide. Douceur sucrée et chaude se propageant dans sa gorge jusqu'à son estomac, il se sentit légèrement mieux, en profitant pour demander au barman de rajouter un peu de miel, trouvant son lait un peu trop fade. Les idées brumeuses, il tenta de faire le point sur ce qu'il venait de se passer.
Il n'avait pas réalisé tout de suite, quand son partenaire avait commencé à gémir, les yeux clos, crispant ses mains sur les draps. Tsuzuki, ne l'ayant pas quitté un seul instant, avait vu son visage se tordre de douleur et d'horreur mêlées. Des paroles incompréhensibles avaient jailli de sa bouche, d'abord dans un murmure puis, la terreur augmentant, les mots devirent comme un appel, une plainte. Le corps d'Hisoka s'était mis à trembler puis à se débattre, tentant de s'enfuir d'une emprise dont son partenaire n'avait pas idée. Paniqué, Tsuzuki lui avait bloqué les bras, lui criant presque de se réveiller.
Il eut un soupir.
Et puis… Hisoka, réveillé… l'avait chassé. A croire que sa présence auprès de lui le répugnait. Le cœur déchiré par cette simple pensée, Tsuzuki but une longue gorgée de son lait, fixant le comptoir avec une ombre dans les yeux. La musique du bar, douce, était un solo de saxophone. Une mélodie grave et triste, telle son humeur. Il y avait peu de monde, ce qui rendait l'ambiance intimiste et assez agréable. En espérant qu'aucune femme ne l'aborderait de façon provocante, Tsuzuki allait se plonger dans l'abîme de son amertume concernant un certain adolescent aux yeux d'émeraudes quand une voix polie le tira de sa rêverie.
- Mr Ikesawa?
Une hôtesse, ravissante et qui de toute évidence n'avait pas envie de lui sauter dessus lui présenta un plateau où un téléphone reposait.
- Un coup de fil pour vous.
Soufflé par une telle classe de porter le téléphone jusqu'aux résidents de l'hôtel, il salua la jeune femme qui s'en alla, non sans oublier de le regarder avec une étincelle dans les yeux. Le Shinigami soupira. Finalement, elle n'était pas si différente que ça.
- Allô?
La voix claire et tenue d'un secrétaire avare et pourtant doux qu'il connaissait bien résonna dans le combiné de l'appareil.
- Hello, Tsuzuki.
- Tatsumi? Fit Tsuzuki, un peu surpris.
- Ne t'en fais pas, je téléphone juste de la part du patron. Alors, où vous en êtes, vous deux? Pour l'instant, nous n'avons pas reçu d'informations de nos homologues américains mais ça ne saurait tarder.
- Ah… Il y a déjà eu un autre meurtre, celui de Deborah Crooge.
Tsuzuki considéra le barman qui le fixait avec des yeux ronds. A voir son regard, le jeune homme ne devait pas comprendre un traître de mot de japonais. Rassuré de pouvoir parler tranquillement sans qu'un expert en langues ne soit là pour l'écouter, il reporta son attention sur la voix de Tatsumi.
- Toujours la même chose. La victime a été tuée par arme blanche, on lui a transpercé les poumons avant de lui ouvrir la gorge. Puis, on lui a mis une robe somptueuse. Et enfin…
- La pomme d'or, n'est-ce pas? Fit Tatsumi, écoutant attentivement.
- Hum. Le petit indice que nous avons pu récolté est le prénom et nom du yurei dans sa dernière vie.
- Tu en es sûr?
- Pas à 100. Mais pourtant, une femme répondant au nom d'Helen Stayle l'a bien connu et je sais qu'elle dise la vérité.
Il y eut un court silence puis un bruissement de feuilles. Tatsumi avait dû prendre de quoi noter.
- Vas-y, je t'écoute, dit-il d'une voix calme.
- Pâris Cristinos. D'après ce que j'ai compris, il serait mort en Grèce.
- Oui, c'est en Europe que l'on a retrouvé son âme. Tu as déjà trouvé quelque chose, c'est déjà pas mal.
- Hum…, souffla Tsuzuki, songeur avant de boire une nouvelle gorgée de lait qui commençait à refroidir.
De nouveau un temps de silence.
- Tsuzuki?
- Oui?
- Tu m'as l'air bien sérieux… Je dirais presque triste.
Tsuzuki eut un sourire que son ami ne vit pas. Tatsumi avait toujours eu le don de lire dans les gens comme dans un livre ouvert, bien qu'il ne possède aucun don d'empathie ou de télépathie. Ca devait faire partie de sa nature compréhensive.
- Ca s'entend tant que ça? Demanda-t-il, amusé.
Un petit rire doux retentit dans le combiné.
- Disons que normalement, en tant qu'homme n'étant jamais allé en Amérique, tu serais déjà en train me raconter ce que tu as vu d'intéressant, comme des avenues, des casinos et j'en passe. Et là, tu es bien silencieux.
Il se tut de nouveau avant de reprendre, d'un ton un peu pertinent.
- Il s'est passé quelque chose Hisoka et toi?
Tsuzuki sentit légèrement son souffle se bloquer quelque part dans la gorge. Pour une raison qu'il ignorait, il eut comme un afflux de honte lorsque Tatsumi posa cette question. Ne supportant pas d'être aussi transparent, il laissa s'écouler deux secondes avant de répondre d'une voix peu assurée.
- On… s'est un peu disputé tous les deux.
- Ah? A cause de quoi?
- Sa jalousie, répondit Tsuzuki et ce dernier fut surpris de sa propre voix, très sèche et abrupte. Il est d'une jalousie maladive. Le premier soir, je discutais avec Helen Stayle. C'est une femme de nature fragile et à cause de je ne sais quoi, elle s'est évanouie dans mes bras. Et Hisoka nous a vus. Il a dû s'imaginer des choses.
- Je crois que c'est bien normal d'être jaloux, déclara le maître des ombres. Quand on est le petit ami d'un bel homme comme toi, on doit faire comprendre qu'il est déjà pris, non? Ajouta-t-il d'une voix un peu moqueuse.
Tsuzuki soupira.
- Tatsumi, ce n'est pas drôle.
Un rire lui certifia le contraire.
- Il faut se mettre un peu à sa place, Tsuzuki, dit Tatsumi après s'être calmé. C'est la première fois qu'il ouvre son cœur à quelqu'un qu'il aime vraiment.
- Je sais mais… il refuse de m'écouter. Il me regarde d'un air noir puis ne dit plus rien. C'est insoutenable.
- Tu le connais. Faire la tête, c'est sa manière d'exprimer ses sentiments.
Tsuzuki laissa échapper un rire amer dont il ne comprit pas vraiment la signification.
- Si c'est comme ça, il les exprime en permanence, lança-t-il d'une voix sinistre. Je n'en peux plus, Tatsumi. Tout à l'heure, j'ai retrouvé Hisoka inconscient. Il avait utilisé son don d'empathie sur la pomme d'or près de la victime, je ne vois que ça. Il s'est réveillé, tout à l'heure, complètement paniqué. J'ai tenté de savoir ce qui s'était passé mais, terrorisé, il m'a demandé de le laisser tranquille.
- Et… tu l'as laissé seul? Demanda Tatsumi.
Tsuzuki entendit clairement le reproche dans la voix de son ami, ce qui suffit à l'assombrir davantage. Il préféra aussi vite se justifier.
- Il suffisait que je sois à un mètre de lui pour qu'il se recule, j'ai préféré le laisser récupérer. Il était horrifié, comme si ce qu'il venait de voir était l'une des pires choses au monde.
Tatsumi se tut quelques instants. Lorsqu'il reprit la parole, sa voix était douce et presque limpide. Pourtant, il y avait comme de la colère et du véritable reproche.
- Je ne suis pas toi, Tsuzuki. Pas plus que je ne suis Hisoka. Donc je ne peux pas me mettre à votre place. Cependant, j'ose imaginer que pour Hisoka, la pire chose au monde qu'il puisse exister est de plus t'avoir à ses côtés. Même s'il s'agit d'un Shinigami expérimenté aux talents plus qu'appréciables, n'oublies pas que c'est aussi un jeune garçon qui demande d'être aimé. Je ne veux pas te donner des leçons mais…
- Tu es justement en train de m'en donner une, gronda Tsuzuki, excédé. Je crois bien que si tu avais arrêté de te jouer aux moralisateurs plus tôt, je serais encore avec toi aujourd'hui.
Il y eut un silence, si long que Tsuzuki eut tout le temps de regretter ses paroles. L'afflux de la honte lui montant aux joues, il se traita intérieurement de tous les noms avant de reprendre d'une voix plus faible.
- Je… Tatsumi…
- Je te rappellerais plus tard, le coupa la voix soudain glaciale du secrétaire de l'Enma-Cho. La facture du téléphone grimpe à toute vitesse, ce n'est pas à la portée de tous d'appeler de Meifu jusqu'aux Etats-Unis. Continue ton travail, et pense à ramener les souvenirs pour le patron.
- Tatsu…
Il y eut un déclic puis une longue note tenue, lui signalant que le maître des ombres venait de raccrocher. Se mordant la lèvre, Tsuzuki reposa le téléphone sur le comptoir avant de voir le barman revenir vers lui, s'étant éloigner par politesse pour qu'il puisse parler tranquillement. Il reprit le téléphone qu'il posa de son côté pour qu'il soit donner à la réception. Il considéra la tasse avec un petit reniflement.
- Votre lait est froid, maintenant, déclara-t-il inutilement.
- Un whisky, s'il vous plaît, dit Tsuzuki, ne se préoccupant pas de la remarque du barman.
Le barman secoua la tête d'un air accablé puis, hésitant un peu, dit.
- Ce n'est pas bien de noyer ses soucis dans l'alcool.
La seule réponse qu'il eut fut le regard noir de Tsuzuki, bien qu'il s'y attendait. N'osant plus rien dire, il servit un petit verre où demeurait un liquide doré aux effluves prenantes avant de repartir servir d'autres clients.
Tsuzuki, pensif, se repassait sa gaffe autant de fois qu'il le pouvait. Et à chaque fois, il se traitait d'imbécile. Pourquoi avait-il dit ça? Il savait, bien mieux que quiconque, que Tatsumi n'aimait pas qu'on dise des remarques blessantes sur sa vie amoureuse. Et, Tsuzuki, en grand gaffeur, s'était vu obligé de lui rappeler ce qui avait laissé une plaie assez profonde dans le cœur du secrétaire.
Il y avait bien longtemps qu'il ne s'était rappelé de cette époque, où, encore jeunot dans le Service des Assignations, encore accablé par ses démons, par cette étincelle de vie et de pitié pour tout être destiné à la mort, il avait eu Tatsumi comme l'un de ses premiers partenaires. Un homme aux yeux bleus et doux, au sérieux et à la compréhension dignes d'un véritable chef. Il avait pris Tsuzuki sous son aile dès son apprentissage, lui apprenant à utiliser les fuda, à ouvrir les portes menant au Meifu. Incroyablement doué, le jeune Shinigami avait très tôt su manier tous les fuda existants, jusqu'à aller au Gensoukai pour dompter les Shikigami, ces esprits divins se battant pour eux. Sa puissance n'avait d'égale que celle des Rois de Meifu et Tatsumi, fier de son élève, avait décidé de devenir son partenaire sur le terrain. Ils s'étaient mis à s'entendre de mieux en mieux, Tatsumi touché par l'attention et la tendresse que portait son partenaire aux âmes devant aller rejoindre le Monde des Morts, Tsuzuki troublé et passionné par cet homme qui avait toujours su le comprendre à demi-mots, et à chaque fois tenté d'apaiser ses idées noires. Peu à peu, leurs liens s'étaient resserrés jusqu'à ce qu'ils deviennent amants. Puis, au bout de trois mois, Tatsumi cessa d'être le partenaire de Tsuzuki pour retourner dans les bureaux et prendre la place de secrétaire. Beaucoup de gens avaient pensé que c'était parce que Tsuzuki avait trouvé un nouveau partenaire. Ce n'était que la raison officielle. Officieusement, Tatsumi et Tsuzuki avaient rompu, car, pendant ce laps de temps, ils s'étaient rendue compte que cela ne menait à rien, malgré leurs sentiments. Et, assez troublé par cette séparation, Tatsumi avait préféré s'éloigner de Tsuzuki, sans vraiment le dire, le laissant choisir un nouveau partenaire. L'amour avait mué en une profonde affection qui n'avait pas changé depuis cette époque. Tsuzuki était devenu l'un des Shinigami les plus puissants, changeant de partenaire de travail comme de mouchoir, et Tatsumi était devenu secrétaire, s'assurant du budget du service. Jusqu'à ce que Tsuzuki rencontre Hisoka.
Se mordant de nouveau la lèvre, le Shinigami aux yeux d'améthystes avala une gorgée d'alcool qui lui brûla l'estomac.
« Idiot… Pauvre idiot…T'es qu'un imbécile… »
Ce n'était pas Tatsumi qu'il insultait.
C'était lui et entièrement lui.
Il se sentait mal. Vraiment mal. Au bord de la nausée. Comme une envie… de disparaître… Il avait vraiment cette sensation… Il écarquilla les yeux, n'osant pas croire ce qui était pourtant la stricte vérité.
Son âme ne supportait plus le corps dont il avait pris le contrôle. Il y avait un rejet tardif. Non, impossible. Il fallait qu'il demeure encore un peu. Juste le temps de se venger tout à fait. Il en reste encore deux. Juste deux. Peu importait ensuite ce qu'il allait devenir. Toute sone existence reposait sur la mort de ces deux diablesses.
Il souffla à plusieurs reprises, tentant de faire passer ce goût acide qui flottant dans cette bouche qui n'était pas la sienne, palpa sa chair illusoire, posa ses doigts sur son visage d'aujourd'hui, celui qu'il n'avait jamais voulu avoir.
Mais il était obligé.
Il pâlit de dégoût et d'horreur. Il avait vraiment envie de disparaître.
« Non… Patience… Ne panique pas, reste calme… Ne panique… pas… »
Une terreur sans bornes coula dans ses veines, dans son sang dont il n'avait pas vraiment besoin. Il trembla violemment et, recroquevillé contre lui-même, considérant d'un œil vague la chambre qu'on lui avait offerte, eut un très léger sourire malgré la douleur. Pris de froid, de fièvre brûlante à la fois, il déglutit sa salive, la gorge en feu. Non, il devait combattre. Toujours fuir ce noir qui l'avait si durement emprisonné. Soufflant difficilement, il se redressa, prêt à aller ailleurs, fuir, fuir cette chambre et aller s'amuser, jouer un rôle éphémère.
- Je n'en ai plus pour très longtemps…, souffla-t-il, la respiration saccadée. Mais peu importe, peu importe.
Ses yeux brillants se posèrent sur la baie vitrée où par le ciel le temps s'écoulait.
- « Toi aussi »… « Toi aussi » Tu vas mourir… Même si je n'y serais pour rien…
Joker.
Les cartes reflétaient sa vie. Son âme. Et surtout ce qu'il ressentait. Refrénant comme une nouvelle envie de pleurer, chose qu'il ne supportait pas faire en public, il inspira profondément, continua de couper le tas de cartes d'une main experte. Les tables de jeu étaient presque désertes, seuls quelques joueurs désirant se faire un peu d'argent étaient présents, avec une ambiance plus solennelle. Mais dans quelques heures, une foule indénombrable de riches personnes, à la personnalité superficielle, l'odeur du tabac et de l'angoisse reviendrait lui serrer la gorge aussi avait-il estimé de se calmer l'esprit ailleurs que dans sa chambre, pour profiter du calme du casino à cette heure.
Joker.
« Idiot… Idiot… Idiot… »
Joker.
D'un geste rapide et un peu saccadé, il se fit quelques fulls, regardant les cartes, neutre. Il n'y avait pas assez de monde pour que quelqu'un daigne jouer contre lui. Ou alors était-ce à cause de son talent pour le poker. Kiyoshi Fujisuke était bien trop fort pour les amateurs. Soupirant une nouvelle fois, il reporta son attention sur son jeu solitaire lorsqu'un ombre passa sur la table, juste derrière lui. Surpris, il se détourna et vit la seule personne qu'il ne désirait pas voir. D'un coup, son humeur déjà au plus bas se trouva une pelle pour tomber encore plus profondément.
- Vous…, grogna-t-il.
La jeune femme était incroyablement belle, ce qui suffit pour le rendre mortellement jaloux. Deux yeux bleu-vert le regardèrent avec douceur.
- Bonsoir, Kiyoshi, dit-elle avec politesse.
Des fleurs de cerisiers glissèrent sur ses cheveux ondulés et soyeux, dont les reflets prenaient une couleur d'or par la lumière du casino. Les machines à sous résonnaient au loin dans des déclics sourds. Et le cœur de l'adolescent eut comme une étrange résonance qui n'avait rien de normal.
- Mlle Stayle, fit-il d'une voix rageuse.
- Appelez-moi, Helen, vous êtes bien trop jeune pour me nommer comme une adulte, répondit la jeune femme dans un sourire. De plus, je n'au envie d'être considérée comme une adulte, déclara-t-elle juste après dans un éclat de rire qui fit serrer les lèvres à Hisoka.
La tuer? Ou bien juste lui prendre la vie?
Joker.
Helen regarda les cartes éparpillées sur la table. Elle eut l'air de réfléchir un instant.
- Vous n'avez pas d'adversaire, n'est-ce pas?
« Non, y a l'homme invisible qui joue avec moi mais vous ne le voyez pas, espèce d'idiote! », répondit intérieurement l'empathe en détournant le regard et recoupant les cartes.
A sa grande surprise, elle s'assit en face de lui. Hisoka ne put s'empêcher d'avoir un pincement au cœur. Helen était réellement superbe. Sa robe, d'un blanc immaculée, dessinait ses courbes sensuelles et gracieuses, au décolleté comme il fallait, le cou paré d'un léger bijou; le tissu de sa robe, très léger, flottait à chacun de ses mouvements qui eux-même étaient pourvus d'une sensualité candide; ses jambes, dévoilées par l'ouverture sur le côté du vêtement, étaient fines et blanches, ses pieds chaussés de jolies chaussures attachées par des rubans à ses chevilles; sa coiffure elle-même avait de l'allure, ses cheveux, attachés en un haut chignon, laissant glisser quelques mèches éparses et ondulés sur ses oreilles décorés d'anneaux d'argent. Et, en bracelet et en barrettes, des fleurs de cerisiers posés sur sa chair.
Magnifique. Si belle qu'il en avait mal. On comprenait aisément pourquoi Tsuzuki…
Son regard d'émeraude s'assombrit, ce qui n'échappa à Helen qui, à sa grande horreur, posa une main compatissante sur la sienne, froide et fragile.
- Que se passe-t-il? Vous allez bien?
Hisoka retira sa main comme si la paume de la jeune femme avait été enduite de poison. Il plissa les yeux.
- Oui, très bien, c'est bon.
Un petit sourire d'Helen lui fit perdre pratiquement toute sa patience. Comment cette femme osait-elle venir vers lui, après avoir charmé SON Tsuzuki? Elle avait un tel culot que l'adolescent ne manqua de la dévisager, outré. Mais elle, souriant davantage, prit le paquet de cartes.
- Voulez-vous faire une partie contre moi? Demanda-t-elle d'un ton poli.
Il cligna des yeux, rembobinant la question de la jeune femme. Il la regarda comme s'il venait de la rencontrer pour la première fois. Amusée, Helen éclata de rire.
- Ce n'est pas comme si je vous proposais d'être mon amant, dit-elle, un brin narquoise.
Hisoka parut se réveiller et lui lança un regard noir.
- Hum.. Pourquoi pas? Fit-il en essayant d'avoir un ton détaché. Un poker?
Helen acquiesça puis se penchant vers l'empathe.
- J'ai envie de vous battre à votre propre jeu, souffla-t-elle comme une gamine qui veut faire une bêtise dans le dos de ses parents et qui a besoin d'un complice.
Dérouté, Hisoka souffla avant de rougir brusquement. En se penchant, Helen venait d'offrir une vue vertigineuse sur son décolleté. Peu habitué à de pareilles visions apocalyptiques, Hisoka se recula, recoupant les cartes d'un geste presque maladroit. Helen, se calmant peu à peu, posa son visage sur ses paumes.
- J'aimerais que nous parions quelque chose sur cette partie.
Hisoka cessa de battre le jeu.
Joker.
- Et quoi donc?
Helen sourit de nouveau, inclinant légèrement la tête sur le côté. Par ce geste, une petite expression d'innocence s'inscrivit sur son visage.
- Je me suis peut-être mal exprimée, ajouta-t-elle d'une voix profonde. Si jamais vous gagnez, vous me pourrez demander ce que vous voulez. Si c'est moi qui gagne, je peux vous demander tout ce que je veux. Qu'en dites-vous?
Suspicieux, Hisoka la dévisagea. La jeune femme, en cet instant, avait légèrement perdu de sa tristesse dont il avait l'habitude de ressentir. Quelque chose de doux émanait d'elle. Comme de l'apaisement. Comme si quelqu'un l'avait aidée à dissiper ses peurs.
« Et si… Non… Pas lui… », songea l'adolescent, son cœur le tiraillant encore une fois.
Il haussa les épaules, se sentant déjà dépassé par la tournure des évènements. Pour seule réponse, il commença à distribuer les cartes qu'Helen prit avec un léger sourire satisfait. Elle prit quelques jetons, pour la forme, qu'elle posa sur le centre de la table.
- Je mise 10, dit-elle, d'un sérieux qui échappait au Shinigami aux yeux d'émeraudes.
- Je suis.
Au bout de quelques minutes de jeu, Helen releva la tête, fixant Hisoka qui tentait de rester concentré sur ses cartes.
- Vous me semblez… bien énervé, Kiyoshi.
- Je le serai encore plus si vous continuez de parler ainsi, répondit aigrement l'empathe en prenant une nouvelle carte.
Un rire résonna en face de lui.
- J'ai l'impression que vous ne supporte pas ma présence, je me trompe?
Hisoka daigna relever la tête vers le regard de la jeune femme qui reposa encore un jeton sur le centre de la table. Ils se fixèrent encore un instant, à la fois calmes mais tendus. Quel paradoxe…
Joker.
Les yeux bleu-vert d'Helen pétillèrent. Elle soupira, relâchant la tension qu'il y avait entre ses épaules.
- Ca se voit, ça se sent. On dirait… que vous allez me tuer sur place, ajouta-t-elle dans un rire.
« Crois bien que je le ferais si j'en avais la possibilité! », gronda intérieurement Hisoka qui serra les poings si fort que ses jointures blanchirent.
- Je vous ai fait souffrir… à propos de quelque chose? Demanda-t-elle sur un ton plus sérieux et avenant.
- Ou… Non…
- Menteur, fit Helen en souriant. Je le vois bien dans vos yeux. En fait, vous êtes comme Hayao, ou Pâris. Vous ne savez pas masquer ce que vous ressentez. C'est… tellement…
Elle laissa sa phrase en suspens et, les yeux dans ceux d'Hisoka qui avait cessé d'être concentré sur son jeu, déclara.
- Vous savez, je n'aime pas Hayao, si cela vous angoisse. Pas comme vous le pensez, en tout cas. Je l'aime… comme un grand frère… Ou même plutôt un petit frère car il a ce petit je ne sais quoi de tendre et enfantin.
Elle rit de sa propre remarque et, reprenant une carte, refit un peu son jeu avant de reprendre la parole.
- Il est vraiment très gentil, votre garde du corps. Vraiment si tendre. Il avait l'air triste quand je l'ai vu tout à l'heure. Très triste, même. C'était comme s'il venait d'être laissé, sans qu'il ne comprenne pourquoi.
Hisoka, de plus en plus mal, sentit son souffle se faire plus faible. De l'air. Il lui fallait de l'air. Cette femme… Celle qui avait charmé celui qu'il aimait… Comment… Comment osait-elle lui dire ça…?
- Je pense, continua Helen, imperturbable. Qu'il faudrait peut-être cesser cette dispute.
Il la regarda avec effroi. A son air horrifié, elle eut un petit rire.
- Intuition féminine, répondit-elle à cette question muette. Je ne suis pas aveugle, je sais reconnaître des couples qui se font la tête. Je trouve cela stupide, vraiment. J'en ignore la raison mais…
- Vous ignorez? S'étouffa Hisoka. Vous… Vous osez dire que vous n'êtes pas au courant? Vous avez charmé mon garde du corps!
Sa voix, soudain très forte, fit sursauter les joueurs tout autour d'eux qui cessèrent leur jeu afin de mieux les regarder. Se sentant d'un coup très humilié, Hisoka tenta de se calmer tandis qu'Helen, les yeux écarquillés par tant de colère de la part d'un jeune homme si introverti, se tut. Elle le regarda, mi-surprise mi-effrayée avant de laisser échapper un petit rire que personne à part Hisoka n'entendit.
- Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle! Souffla-t-il, rageur.
- Vous venez de vous dénoncer, rétorqua la jeune femme.
Il se figea.
- Comment?
Elle croisa puis décroisa ses jambes, fixant son jeu une seconde.
- Vous êtes… vraiment attendrissant, déclara-t-elle, ravie. Vous êtes si épris d'Hayao, que j'en suis rêveuse.
« Mais… c'est qu'elle se moque de moi là! », songea Hisoka, médusé.
- Vous êtes très triste, Kiyoshi. Vous en avez assez de cette situation, ce malaise qu'il y a entre vous. Si c'est de ma faute, j'en suis alors désolée. Mais la jalousie qui vous consume est vraiment pénible à voir et à sentir.
« Une jalousie pareille, ça se sent à des kilomètres… »
Hisoka se raidit. A peu de choses près, Helen venait de dire pratiquement la même phrase qu'Anthony. Presque honteux d'avoir de tels sentiments, il baissa la tête, considérant son jeu retourné sur la table qu'il avait caché. Helen eut un petit soupir, passant doucement une main dans ses cheveux. L'éclat de tristesse qui avait disparu était revenu, plus brillant que jamais.
- Je ne veux pas qu'Hayao souffre, ou que vous, Kiyoshi, vous souffriez. Il serait dommage… que votre bonheur soit brisé par de telles futilités, vous ne croyez pas?
Le jeune homme aux yeux d'émeraude ne répondit pas, offrant malgré lui une réponse affirmative. Helen le dévisagea quelques instants avant de sourire, puis se redresse à la grande surprise de l'empathe.
- Mais… et votre partie? Demanda-t-il, stupéfait.
- Ah, ça?
D'un geste négligent de la main, un peu comme elle faisait glisser une addition à la fin d'un repas, elle retourna ses cartes, pour laisser Hisoka dans l'ahurissement le plus total.
Quinte Flush Royale .
Joker.
La jeune femme sourit davantage et se permit un gentil clin d'œil presque candide.
- J'ai gagné et j'ai eu ce que je voulais: que vous m'écoutiez. Je crois que le marché était assez équitable, non?
- He… Helen…
- Je veux que vous soyez heureux, tous les deux. Même si je me mêle de vos affaires, j'ai envie de vous savoir heureux.
Elle regarda un point lointain et pendants quelques secondes, sembla rejoindre un monde qu'elle avait perdu de vue.
- J'ai déjà perdu quelqu'un qui m'était cher, je ne vois pas pourquoi le bonheur des autres devrait être gâché par des stupidités, le mien étant déjà en miettes.
Elle inclina de nouveau la tête sur le côté, lui donnant l'air d'une gamine insouciante.
- Passez une bonne soirée, Mister Fujisuke.
Et sur ces mots, elle se retourna avant de s'en aller d'un pas léger, emportée par la foule de gens qui se pressait enfin, l'heure acceptable d'aller au casino venant de sonner. D'elle, Hisoka ne garda qu'une étrange impression, et un pétale pâle, glissé sur les cartes de sa victoire, comme pour le railler dans son impuissance. La tête vide, entouré de bruits des machines à sous et du brouhaha des gens tout autour de lui, il glissa le fragment dans sa paume qu'il serra si fort que ses jointures blanchirent.
« Je suis vraiment le plus beau des idiots… »
Plongé dans ses pensées, il ne vit en aucun cas la silhouette d'Anthony Rivan très pâle, les yeux vagues qui, après avoir eu comme un haut-le-cœur, s'en alla, ne laissant de lui qu'une étrange impression.
Tout comme Helen… et pourtant…
Il était fatigué, vraiment fatigué. Il devait quitter ce monde au plus vite. Non, rester, demeurer… Ses pensées étaient troubles, brumeuses. Après être parti, il inspira profondément, sentant des sueurs froides couler sur son visage. Puis ce fut le tour d'une eau salée, plus chaude. Ne comprenant, il eut l'impression que ses yeux lui brûlaient.
Et il pleura. Car il venait de comprendre. Il avait mal, et pleurer l'aidait à se débarrasser de ce poids. Il fallait que ces femmes meurent. Il se sentait si mal au milieu de ces vivants. Disparaître. Ne rien laisser de lui à part ces meurtres, ce désespoir parmi ces êtres humains.
« Je… Je ne peux pas partir… Pas maintenant! Pas maintenant! »
- Qu'est-ce que c'est que ça, Jonathan! Un contrat, ça! Un torchon, oui! Qu'il soit refait, sur le champ!
Cette voix. Elle lui donnait mal à ma tête. Tremblant de plus en plus, il se cala au mur et attendit. Attendit que cette personne vienne. Et qu'il fasse taire ce personnage. Lorsqu'il sentit sa présence, il préféra changer de direction, pour lui laisser le travail.
Il était un tueur…
Et il respectait ses collègues, vivants ou non.
La porte, tout doucement, se referma dans un grincement à peine audible. Hisoka, fatigué de cette soirée si superficielle, avait décidé au bout d'une heure de remonter, car ses barrières psychiques, bien que puissantes, n'étaient de taille à lutter ce soir. Mais l'idée de retrouver Tsuzuki qu'il avait tout bonnement rejeté quand ce dernier avait daigné le consoler ne l'enchantait guère.
« Il serait dommage… que votre bonheur soit brisé par de telles futilités… »
Soupirant une énième fois, il se colla contre le bois de la porte, avant de reporter son attention sur la grande pièce. La lampe de chevet étant allumée, et les ombres des objets, de son propre corps étaient comme déformés, prenant des allures de fantôme; la baie était légèrement entrouverte, offrant une brise fraîche. Et, allongé sur le lit, tournant la tête vers la fenêtre, Tsuzuki dormait, d'une respiration profonde et calme. Silencieux, Hisoka le regarda, le dévorant des yeux. Tsuzuki était encore plus beau lorsqu'il dormait. Il avait ce petit air sérieux, songeur, comme si ses soucis refaisaient surface durant son sommeil. Une mèche brune cachait une paupière close, soulignant le trait fin de sa joue, le contour subtil de sa mâchoire. L'empathe, très doucement, s'approcha de l'homme aux yeux d'améthystes et, du plus furtivement possible, écarta la mèche rebelle de son regard fermé. Tsuzuki, dans un grognement, détourna la tête avant de s'installer confortablement sur le côté, faisant dos à Hisoka.
« Tsuzuki… »
L'adolescent sentit son cœur se déchirer. D'un coup. Comme ça. Doucement, en silence, il sentit des perles d'eau glisser sur son visage, lentement. Suffoquant, il tenta de les réfréner mais c'était peine perdue. La vue embrouillée de larmes, il eut comme un gémissement étouffé. Tout tremblant, il cacha son visage de ses mains froides, pleurant comme un enfant devant celui qu'il aimait à la folie, endormi.
- Hi… Hisoka?
Pas si endormi que ça, finalement. Surpris d'être vu dans un tel moment de faiblesse, Hisoka tenta de s'écarter de l'homme qui venait d'être réveillé, le fixant avec surprise de ses yeux magnifiques. La faible lueur de la lampe fit vaciller la flamme qui sommeillait dans le regard de Tsuzuki. Inquiet puis hésitant à le prendre dans ses bras pour en être écarter de nouveau, il fixa l'adolescent qui continuait d'effacer inutilement ses larmes dans des gestes nerveux. Cela était peine perdue car de nouvelles coulaient sur ses joues, lavant le sillon de celles qui avaient disparu. Tsuzuki le prit tout doucement par les épaules, effleurant une seconde son visage mouillé par les pleurs.
- Mais… Hisoka…
- Je… Je suis un… un imbécile…, hoqueta le jeune homme.
Il releva péniblement la tête, et le cœur saignant de tristesse et d'amertume, fixa son partenaire droit dans les yeux.
- Tsuzuki… Je…
- AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHH!
Un cri déchira l'air à ce moment précis. Toue l'atmosphère douce s'étant finalement crée entre les Shinigami venait de voler en éclats. Le cœur battant à tout rompre, ils se regardèrent, paniqués.
Le yurei.
Sans perdre une seconde, ils sortirent de leur chambre en courant, vite rattrapés par Crooge et Stayle, ainsi que leurs filles, le teint très pâle. Anthony était déjà présent, ainsi que Things dont les yeux étaient écarquillés de terreur.
- Que se passe-t-il? Demanda Tsuzuki, un peu essoufflé par sa course.
Things ne répondit pas et, d'un geste tremblant, désigna ce qu'il voyait par la porte ouverte. Helen, curieuse, regarda à son tour, suivie de Jenny. Les deux femmes blêmirent davantage avant de pousser un cri perçant, plaquant leurs mains sur leur bouche, leur cri devenant un gémissement. Ne comprenant absolument pas ce qui se passait, Tsuzuki entra dans la chambre précédé d'Hisoka.
Ce qu'ils virent ne retourna pas seulement leur estomac mais également leur esprit.
Toutes leurs théories venaient de se casser misérablement la figure.
Dans la chambre obscurcie, il y régnait une odeur désagréable, écœurante. S'il n'y avait pas eu la lueur de lune discrètement réapparue par un pan lourd de rideau, personne n'aurait vu l'immense mare de sang glissant en rivière sur le sol, d'un reflet pourpre vibrant. Une goutte perla sur le reflet rouge, absorbée par la chair d'un corps étendu dans son propre liquide de vie.
Le corps d'un homme.
Un léger balancement régulier attira l'attention des Shinigami qui déglutirent leur salive. Lentement, ils levèrent les yeux…
- Oh merde…, jura Tsuzuki, complètement révulsé.
… pour voir un visage macabre, pâle, défiguré par la mort, leur offrir un dernier rictus. Cette tête, suintante de sang, retenue par une cordelette rouge. Le Fil de la Destinée. Souillé de rouge. De cette odeur répugnante.
Il n'y eut pas de commentaires. Pas un seul bruit. Juste le balancement de chair sanguinolente, déversant les restes de son liquide sur un corps rigide.
Le corps d'un homme méprisable.
Christopher Hargeisa.
« Où est la pomme d'or? Où est-elle passée? »
Il n'y avait rien. Rien de tout à cet instant. La Mort à leur côtés, le cadavre entama une danse invisible dans les airs.
Dans leur esprit, la théorie s'était transformée en un long fil rouge. Fil s'enroulant autour de leur raison, de leur être. Pour finalement les posséder et les rendre fous.
A suivre…
