Yurei

Par Tsubaki Himé

Hello à tous ! Et oui, vous ne rêvez pas, il s'agit bien du sixième chapitre (vous ne l'attendiez plus, ne). Je dois dire que là, je ne suis pas vraiment satisfaite, je comptais même rajouter quelques pages et puis non, on se tient aux doses prescrites. Merci encore pour toutes vos reveiws, ça m'a boostée pour écrire la suite. Je suis contente de savoir que cette histoire vous plaise autant.

J'espère que ce chapitre vous plaira, en attendant le suivant (allez, préparez-vous à marquer les jours sur votre calendrier)

Blood Kiss,

Tsubaki Himé

Chapitre VI

Eclats de verre

Trois heures. Il venait de compter. Trois heures que l'homme aux yeux d'un bleu sérieux et irréprochable était sur l'ordinateur, à pianoter rapidement sans lâcher l'écran du regard. De temps à autre, il consulta un petit calepin posé sur son bureau, le feuilletait, avant de reprendre sa besogne que l'homme aux cheveux d'or ne comprenait pas du tout.

Ses yeux ambrés, interrogateurs, fixèrent les mains agiles de son supérieur sur la machine. D'habitude, il n'aimait pas trop utiliser l'informatique mais là…

Ne pouvant résister davantage, le scientifique alla voir son collègue et ami, lui offrant au passage sa tasse de café qu'il n'avait même pas entamé.

Le secrétaire, surpris, le regarda avant de sourire et de prendre l'objet tendu. Nul doute qu'il en avait besoin.

-Merci Watari, dit-il poliment.

- Je t'en prie.

Ce dernier, curieux, se pencha par-dessus l'épaule de Tatsumi qui continuait de vérifier des donnés. Un simple coup d'œil suffit à lui faire comprendre.

- Tu consultes quoi? Le registre?

Tatsumi soupira, avant de cliquer sur un autre fichier. Une brochure en anglais s'afficha, avec pour tire « Paradise Hotel, les délices de Las Vegas ». Watari siffla, impressionné par les photos des chambres et du luxueux casino.

- Mazette, c'est pas avec mes congés que je pourrai me payer des vacances pareilles, fit-il, envieux.

- Arrêtes, tu te fais du mal, rit Tatsumi avant que son visage ne reprenne un peu de sérieux. J'essaie de faire un rapprochement entre le Paradise Hotel et le registre de Meifu.

- Pourquoi donc? Demanda le scientifique, ne comprenant pas.

Il y eut un court instant de silence, juste le temps pour Tatsumi de valider une instruction avant d'ouvrir un autre fichier, celui du registre qui se composait de milliers de noms, dans un ordre bien précis. Les deux images, celle de la colonne administrative et l'autre du Paradise Hotel furent mises côte à côte. Tatsumi cliqua sur « Liste des membres », avant de répondre d'un ton profond et calme.

- Les meurtres ont tous eu lieu au 30e étage de l'hôtel, l'endroit le mieux surveillé. Donc, le meurtrier doit faire partie de ce groupe de VIP. Quant à l'identité du yurei, nous avons contacté nos homologues grecques qui ont bien affirmé avoir une disparition au niveau des âmes surveillées. Il faut donc trouver une anomalie chez les membres du 30e étage susceptibles d'être l'hôte de Pâris Cristinos.

Watari croisa les bras avant de soupirer.

- C'est un peu compliqué pour moi. Faut dire que je viens te t'offrir mon café qui est mon carburant pour toute la journée.

- Trop tard, rétorqua Tatsumi avant de boire une gorgée de la tasse.

Il se remit aussitôt à sa tâche première.

- Voyons… Aleï Stayle… Non, il n'y a pas d'incohérence, sa mort est prévue dans les trois ans à venir. Les autres membres du Quatuor ont l'air aussi cohérents par rapport aux registres. Helen Stayle… Mort non programmée, cohérence. Jenny Things… hum…

Il fronça les sourcils.

- Le registre n'est pas assez fiable, on ne sait pas grand-chose des gens du 30e étage. Il faudrait que j'ai accès aux données protégées, celles que le Chef a sur une disquette.

- Tatsumi, regarde! S'écria soudainement Watari, les yeux écarquillés, pointant quelque chose sur l'écran.

Surpris du ton de la voix de son ami, le dénommé se retourna, pour voir le scientifique montrer un nom dans le registre, puis dans la liste des membres. Ne comprenant pas, Tatsumi lut les quelques lignes désignées. Son souffle se bloqua dans sa gorge, tandis qu'il cligna des yeux. Ce n'était pas possible… C'était tout à fait… incohérent…

- Anthony Rivan… Non, ce n'est pas vrai…, souffla-t-il abasourdi. Il n'est…

Erreur! Erreur!

Les deux mots barrèrent ce qu'il avait sous les yeux, clignotant d'une lueur dangereuse. Il sursauta et tenta de fermer un fichier. Mais les deux inscriptions restèrent gravées, marques indélébiles informatiques.

A cet instant, comme si le mauvais sort s'acharnait sur eux, l'écran devint subitement noir, ne laissant de cette information tout à fait hallucinante qu'un crépitement, jusqu'à ce qu'un message en lettres rouges violentes : « Virus Download! Toutes les informations en cours d'application seront effacées du disque dur. Virus Download! ». Puis, enfin, l'ordinateur s'éteignit de lui-même, vaincu par cette force nuisible qui l'avait dévoré de l'intérieur. De la fumée s'échappa de l'écran, laissant les deux Shinigami silencieux, ébahis.

Même Tatsumi venait de comprendre.

« Quelqu'un » avait piégé les informations pour qu'il n'en reste rien. « Quelqu'un » avait fait en sorte que le seul indice qu'ils pouvaient avoir soit effacé. Le seul indice… On voulait les empêcher de découvrir la vérité. Et ça, le secrétaire de l'Enma-Cho ne pouvait pas le supporter.

Tatsumi reprit une respiration normale, avant de regarder Watari, tout aussi secoué que lui. Ses yeux bleus se durcirent, pour ne garder que l'étincelle froide du Maître des Ombres.

« Qui que tu sois, sache que je ne suis pas du genre à me laisser faire ainsi. »

- Watari, appelle Konoé, ordonna-t-il d'un ton tranchant.

Sa bouche eut comme une esquisse de sourire sans joie. Impassible, il reporta son regard sur l'ordinateur dénué de vie, vérolé jusqu'aux plus infimes parties de son processus.

C'allait être intéressant… Comment le hacker allait-il se débrouiller, en ce moment dans les entrailles du réseau du Royaume des Morts?

- Qu'il contacte nos homologues américains. Je pense qu'il aura une petite surprise…


- Mon Dieu… Mr Hargeisa…

Tout ce sang…. En mer rouge et douceâtre, s'insinuant dans le sol, il se répandait sur le corps immobile, déchiqueté de l'homme tandis que, tenue par une cordelette maudite, la tête demeurait figée dans le rictus du dernier instant. Et l'odeur… A s'évanouir d'écœurement…

Ne pouvant supporter pareil spectacle, le Shinigami aux yeux d'améthystes se recula de la scène, la bouche tordue de dégoût, avant de refermer les portes d'un geste sec, essayant de ne pas se rappeler l'expression d'horreur restée gravée sur la chair du mort. Dans le couloir, les témoins n'avaient pas bougé, en proie à un traumatisme déjà bien profond. Pâle, les yeux écarquillés, ils fixèrent le garde du corps avec horreur.

- Mr Ikesawa… Qu'allons-nous faire, maintenant? Demanda Mr Things, tremblant. Pour… Pour le corps de Mr Hargeisa…

Tsuzuki, morne, déglutit sa salive, mais cela bien difficilement. L'odeur du sang lui tournait bien trop la tête. Tout s'était passé tellement vite, comme un éclair aveuglant. En un flash douloureux, le corps ensanglanté de l'homme d'affaires sans scrupules s'était figé dans sa rétine. Plus encore que les précédentes victimes, le meurtre avait été cruel. Froid. Horrible. Presque… à l'image de la victime.

« Tant de morts… Tant de morts… », songea le Shinigami, le regard assombri.

Sans vraiment s'en rendre compte, il sentit ses poings serrés trembler de rage, et d'un sentiment qu'il ne parvenait pas à expliquer. Il baissa les yeux, voulant éviter cette question. Pourquoi était-ce à lui de répondre? Semblant comprendre sa détresse, la jeune femme aux yeux bleus-verts, avec douceur, lui prit le bras, avant de lui lancer un regard inquiet.

« Helen… »

L'adolescent, demeuré silencieux, contempla la scène, le visage grave, les bras croisés. Un petit frisson passa sur la chair de ses bras qu'il frictionna vivement et rapidement, essayant de ne pas croiser le regard bleu glacé de l'homme blond près de lui. Il se sentait mal. Jenny, reprenant lentement contenance, eut un mouvement de la main, comme pour dissiper l'horreur entre eux.

- Papa, fit-elle à Mr Things. Il vaudrait mieux alerter les vigiles. On… On ne peut pas laisser le corps de Mr Hargeisa comme ça. Il ne faut pas…

Malgré elle, sa voix trembla et, écœurée, horrifiée, elle porta une main tremblante dans ses cheveux d'or. Ses yeux, soudain vitreux, devinrent sombres et son corps faillit vaciller mais cependant, Mr Crooge la rattrapa galamment. Tous avaient un visage tiré par la fatigue et le désarroi. Encore un meurtre…

Stayle, se redressant légèrement, eut un geste vers Tsuzuki et la porte close, fermant ainsi le spectacle de morts qu'ils avaient refusé de voir, submergés par le dégoût.

- Vous avez raison, approuva-t-il d'une voix calme mais teintée de frissons. Jonathan, appelez la sécurité, et que tout soit bloqué au 30e étage. De plus, je tiens maintenant à ce que le personnel de l'hôtel soit au courant. Christopher a couvert cette affaire bien trop longtemps, il ne faut plus fermer les yeux sur les meurtres.

Il adressa un sourire rassurant au groupe silencieux.

- Je vais m'occuper de cela à présent, ajouta-t-il fermement. Retournez dans vos chambres et allez vous reposer.

- Papa, murmura Helen, désappointée. Tu es sûr que tu vas t'en sortir?

L'homme d'affaires sourit davantage à sa fille, pâle et surprise. Avec douceur, il lui caressa la joue, faisant glisser au passage une fleur de cerisier sur la peau. En voyant cette scène, Tsuzuki eut une douce pensée pour Mr Stayle qui malgré tout, aimait sa fille et la protégeait. Hisoka, n'ayant pas dit un mot depuis tout à l'heure, détourna le regard, fatigué. Toute cette histoire le démoralisait plus encore.

- Ne t'en fais pas, répondit Stayle. Va te coucher, repose-toi. Je veux que tout le monde en fasse autant.

Rivan, sans vraiment faire attention aux autres, prit son paquet de cigarettes, en glissa une entre ses lèvres et l'alluma de son briquet. Après avoir aspiré une bouffée grisâtre, il expira, un très léger sourire acide dessiné sur son visage aux traits réguliers.

- Quel sens du devoir, mon cher Stayle. Cela m'étonne de vous, connaissant le mépris et la haine que vous adressiez à Mr Hargeisa.

A cette phrase, l'homme d'affaires blêmit.

- Que voulez-vous dire par là, Rivan? Demanda-t-il d'un ton bien trop abrupt. Me soupçonnez-vous de quelconque façon? Ce serait d'ailleurs une faute de ma part, de vouloir m'occuper de ce meurtre si j'en étais responsable.

Anthony eut un rire frêle qui secoua ses épaules. L'extrémité de sa cigarette s'embrasa.

- Je ne soupçonne personne, je ne fais que dire ce que je pense, rétorqua-t-il tranquillement. Si cela vous gêne, dites-le moi, au lieu de vous énerver pour rien.

- Rivan…, fit Hisoka entre ses dents.

L'américain, l'ayant entendu, lui adressa un coup d'œil amusé et narquois. L'empathe avait de plus en plus de mal à le supporter. Rivan n'était pas un homme comme les autres, il le sentait. Cette manière de deviner ses pensées, de connaître un bout de l'histoire que lui ne savait pas, de « jouer » avec les autres, les enfermer dans leurs propres paroles. On avait l'impression qu'il tissait une toile de sous-entendus et de propos amères, pour mieux piéger. Et ce regard… froid…

Rivan, sentant l'atmosphère déjà tendue s'alourdir, eut un geste rassurant de la main, détournant les yeux avec sérénité.

- Mais je pense que je me montre un peu trop incorrect, dit-il comme pour s'excuser. Faire de telles accusations devant le corps de Mr Hargeisa n'est pas de rigueur. Au fond, faites comme vous le voulez, Mr Stayle. Appelez les vigiles, qu'ils puissent s'occuper du corps. Quant à moi, si jamais vous cherchez un digne suspect, vous me trouverez dans ma chambre.

Il écrasa le mégot sur le tapis du talon, sans se soucier du regard outré de tous ceux autour de lui. Puis, sur ces mots, il fit volte-face, s'en allant tranquillement dans ses appartements, ne laissant de lui que cette impression de malaise.

Tsuzuki, surpris, lança un regard entendu à son partenaire qui hocha de la tête, ses yeux d'émeraude assombris par la colère. Helen, résignée, eut un soupir, passant une main sur sa joue pâle.

- Allons nous coucher, murmura-t-elle. En attendant… en attendant les réponses… Je ne veux plus voir, entendre ou même imaginer une seule chose sur… sur Mr Hargeisa…

A cet instant, pour tous présents en ces lieux, l'odeur du couloir était surchargée de sang, de douleur secrète et malveillante. Le rouge du tapis éveillait en eux la couleur de ce liquide douceâtre, ayant jailli du corps de Mr Hargeisa. En eux l'expression d'horreur à présent sur le visage de la victime était encrée.

Un fil rouge avait fait taire l'homme… Le fil de la destinée…


- Ce n'est pas le même…

Surpris, Tsuzuki releva la tête, observant son partenaire qui, lentement, s'était retourné dans les draps, lui dévoilant un dos songeur. Cela faisait déjà plusieurs dizaines de minutes qu'ils étaient retournés dans leur chambre, suite au conseil de Stayle qui avait attendu l'arrivée des vigiles pour rouvrir la porte et dévoiler leur meurtre. En y repensant, le Shinigami eut une espèce de boule dans la gorge, l'empêchant presque de respirer. Le corps, par ordre de l'homme d'affaires, avait été emmené dans une chambre spéciale, pour éviter qu'il ne pourrisse, en attendant la police qui allait bientôt venir. Il fallait encore attendre un peu, pour voir ce que le meurtrier comptait faire.

Sur ce point, les Shinigami étaient allés se coucher. Ou plutôt, méditer sur l'affaire car la vision ensanglantée d'Hargeisa n'encourageait pas le sommeil. L'adolescent s'était déshabillé en vitesse, s'était glissé dans le lit et, tournant le dos à son partenaire, réfléchissait. Sa respiration, tenue et profonde, avait un rythme calculé, comme ses pensées.

Tsuzuki, retirant sa veste, s'assit de son côté du matelas, ne comprenant pas vraiment ce que voulait dire Hisoka.

- Comment ça, « ce n'est pas le même »? Demanda-t-il

- Tsuzuki, tu l'as bien senti, comme moi, rétorqua l'adolescent d'une voix glaciale, sans se retourner. Ce n'est pas la même personne cette fois-ci. Ce n'était pas Pâris. Cette manière de tuer, de présenter la victime… Ce n'était pas le yurei.

Hisoka frissonna et se blottit davantage dans les draps, plissant ses yeux d'émeraudes songeurs. Le Shinigami au regard d'améthyste eut un silence. C'était vrai, c'était tout à fait évident. Ce n'était pas la manière de procéder de Pâris. Pas aussi… froidement. Il y avait dans les meurtres d'un yurei la représentation de ses sentiments, ce qu'il éprouvait par rapport à la victime. Hors, concernant Hargeisa, il n'y avait pas eu la moindre vibration vengeresse. La cruauté froide du meurtre, en y songeant, rendait Tsuzuki perplexe. La manière de présenter le cadavre n'avait pas le même sens, la même signification. Pâris ne s'était attaqué en ce moment qu'aux filles du Quatuor. Et là, « il » s'en était pris justement à l'un des hommes. Ce n'était pas logique, tout comme l'absence de la pomme d'or qui était la marque de sa venue, de sa vengeance.

« La cordelette… »

Un détail lui vint en tête. Le fil rouge ayant eu raison d'Hargeisa était une arme qu'il avait déjà aperçu au cours d'une mission. Un fil extrêmement résistant, capable de soulever le poids d'un homme et de s'encrer dans la chair jusqu'à la transpercer. Une arme redoutable… utilisée par…

Il se figea à cette pensée. Non, ce n'était pas possible… Ce n'était pas Pâris qui avait tué Hargeisa. Mais qui alors? Et pour quel motif?

N'entendant plus son partenaire, Hisoka, après une très légère hésitation, se retourna de nouveau, pour le regarder, songeur et grave. Il était toujours surpris de le voir aussi sombre dans ses réflexions, aussi complexe. Une légère onde de sentiment lui secoua le cœur, ce qui le fit frissonner. Ce mouvement ne passa pas inaperçu aux yeux de Tsuzuki qui fut ramené à la réalité, fixant l'adolescent avec douceur. A ce regard, Hisoka crut défaillir de nouveau. Pas ce genre de regard, pas maintenant.

- Il y a quelque chose qui ne va pas, Hisoka.

Ce n'était même pas une question. Une affirmation de premier ordre. Tsuzuki ne savait pas mentir et disait clairement ce qu'il pensait, ce qu'il avait sous les yeux. L'adolescent, malgré lui, sentit ses joues s'empourprer. Déglutissant difficilement sa salive, il détourna le visage vers l'autre côté du lit, ne voulant pour rien au monde affronter les deux améthystes dont il était si épris. Mais, doucement, une main le prit par le menton, le forçant gentiment à regarder de nouveau le visage de celui qu'il aimait. Ses lèvres tremblèrent.

Tsuzuki se mit mieux sur le lit, s'allongea au côté de son partenaire, lui laissant tout de même de l'espace et même l'opportunité de partir, si cela gênait l'adolescent. Mais, ce dernier, les membres comme changés en plomb, ne fit plus un geste, tétanisé dans un mélange de peur et -était-ce possible- de ravissement.

- Il y avait quelque chose que tu voulais me dire, tout à l'heure, ajouta Tsuzuki d'une voix douce. Puis-je savoir quoi, sans être indiscret?

Hisoka tressaillit, la main sur son visage le faisant pratiquement défaillir. Oh non… Toutes les émotions qui le traversaient… Il ferma les yeux, inspirant profondément, tentant de faire reculer le flots de paroles, de larmes, de tout ce qu'il y avait en lui, dans le plus profond recoin de son cœur. Tsuzuki, le regardant, sentait comme une brèche dans la résolution de son petit ami. Il ne voulait pas qu'Hisoka soit le seul à payer toute cette bêtise, ce n'était vraiment pas juste. Il aimait éperdument l'adolescent, ne pouvait se passer de sa présence aussi vitale pour lui que d'exister. Son cœur se serra en voyant le doux visage de son ange se crisper sous la gêne et la confusion la plus totale.

- Tsu… Tsuzuki… Je voulais te dire…, commença l'empathe d'une voix mal assurée. Je voulais te demander…

Mais la phrase mourut presque aussitôt dans sa gorge et dans son esprit, effacée presque instantanément par deux lèvres douces et tendres se posant sur les siennes, l'intimant au silence de la plus belle des façons. Hisoka fut si surpris par la tournure des évènements qu'il ne pensa pas au début à répondre à ce baiser amoureux. Alors, lorsque Tsuzuki s'écarta de lui, lui souriant avec passion, il demeura abasourdi, ses grands yeux émeraudes écarquillés de surprise. Cette image innocente fit fondre le cœur de Tsuzuki qui ne put s'empêcher d'avoir un petit rire. En l'entendant, Hisoka sentit ses joues s'empourprer davantage. Gêné, il tenta de se dégager mais finalement, les bras de son partenaire lui enveloppèrent le dos, lui caressant la nuque par des gestes furtifs et délicats.

L'empathe n'y comprenait plus rien. A vrai dire, il n'y avait rien à comprendre.

- Tsu… Tsuzuki…, parvint-il à dire, la voix étranglée.

Son petit ami, le regardant avec tendresse, passa une main douce sur sa joue rougie par la gêne et l'incompréhension.

- On est vraiment des idiots, déclara le Shinigami aux yeux d'améthystes. On est vraiment bêtes, tous les deux, finalement.

Ébahi d'une telle phrase venant de son partenaire, Hisoka resta silencieux quelques secondes, le fixant avec de grands yeux perdus.

« Toutes ces émotions… qui me vrillent le cœur… »

Sa vision devint brouillée, suffoquante. Son corps, petit à petit, se mit à trembler. De froid, de peur, de bonheur, il n'aurait su dire avec quel exactitude quels sentiments. Ses barrières psychiques, fortement chamboulées, lui dévoilaient toutes les émotions de son partenaire qui le tenait dans ses bras. C'était vivant, violent, complexe, mordant, passionnel, adorable, brûlant et autre encore. Une explosion psychique qui lui tournait la tête, faisait gonfler dans sa bouche un goût inconnu mais pourtant familier. Il tressaillit davantage et, ne sentant même plus les perles salées glissant sur ses joues empourprées, il se pelotonna contre Tsuzuki.

Dire qu'autrefois il ne pleurait pratiquement jamais, ses larmes demeurant prisonnières au fond de son cœur. Au contact de Tsuzuki, son âme avait enfin dévoilé tout ce qu'elle contenait, ses passions, son trop-plein d'amour, son envie de protéger et d'être protégé. Maintenant, ses pleurs lui venaient naturellement aux yeux, déversaient ce qu'il ressentait. Il en avait même un peu honte, de pleurer comme un petit garçon mais au fond… peu importait…

Tsuzuki, dans un sourire épanoui, serra l'adolescent à l'en étouffer presque. Comment aurait-il pu faire sans son ange? Sa force, sa vie, son existence. Les sanglots presque muets de son petit ami lui procuraient un mélange de tristesse, le faire pleurer par sa faute, et un bonheur sans égal, le voir exprimer pleinement toutes ses émotions. Il lui caressa les cheveux, la nuque, respirant son odeur et profitant de sa chaleur qui lui avait tant manqué.

Deux lèvres froides se posèrent dans son cou, presque frénétiques, l'embrassant, l'embrassant encore, s'abreuvant de sa peau, de sa chair même. Entre deux baisers paniqués, entre deux caresses désirant prouver un amour puissant, une voix tremblante lui parvint aux oreilles.

- Ne… Ne me laisse pas… Je ne veux plus être seul… Je… Je t'aime…

« Un amour… qui me déchire l'âme… »

Tsuzuki, tout doucement, embrassa le bout du nez de l'adolescent, le calma enfin. Puis, enfin, il s'empara de ses lèvres, les mordillant légèrement au passage, pour se faire pardonner, à son tour, de tout ce qu'il avait fait à l'empathe, de toutes les souffrances qu'avait pu éprouver Hisoka à son égard. Hisoka répondit passionnément à ce baiser, dérivant dans une ébauche lointaine de plénitude, dans les affres des sentiments de son petit ami, laissant ses barrières psychiques grandes ouvertes en confiance absolue.

Le temps à cet instant, sembla s'écouler plus longtemps, plus lentement. Au bout du compte, les deux Shinigami, soulagés et les lèvres gonflées de baisers de pardon réciproque, restèrent muets, les yeux clos, dans la chaleur des draps.

Endormis ou pas, cela n'avait pas d'importance…

Tant qu'ils étaient ensemble…


Elle avait peur. Non, pas peur. Elle était terrifiée, tétanisée par une horreur lui comprimant le souffle, lui nouant les entrailles, un poignard dans le fond du ventre, s'amusant à vous sentir tendu jusqu'à ce que la lame de l'effroi vous transperce.

Toute tremblante, la jeune femme, encore plus pâle que la Mort elle-même, se releva de son lit, n'arrivant décidément pas à dormir. Ses gestes, nerveux, saccadés, glissaient sur tous les objets qu'elle touchait, tentant de se calmer. Elle savait qu'elle serait la prochaine, elle le savait mieux que quiconque.

La lumière faible de la lampe de chevet dessinait des ombres sur les murs, son visage aux cernes maussades. En mettant debout, ses pieds nus effleurèrent ses habits enlevés à la hâte, pour enfiler une légère robe blanche achetée à prix fort à Los Angeles. Il faisait si chaud dans cette chambre mais elle n'avait pas le courage d'ouvrir la fenêtre et d'accéder au balcon. La peur, si sournoise, le poignard traître de l'horreur fouillant au fond d'elle, pour mieux la prendre, pour mieux la faire pâlir d'effroi. Elle se tourna vers son grand miroir, tentant de mettre un peu d'ordre sur son visage dont elle était si fière.

Ses cheveux de soie étaient raides, sans vie, sans éclats, tombant en une cascades morne dans son dos. Ses yeux bleus avaient perdu leur lueur séductrice, leur brillance riche et supérieure; sa bouche, figure suprême de sa beauté, était gercée, bleuie d'un froid intérieur. Sa silhouette elle-même s'était comme voûtée, rétrécie alors qu'il n'y avait que quelques jours, elle se tenait droite, fière et désirable. Elle se contempla, muette d'écœurement pour sa propre personne, et serra les poings. Elle se mordit la langue, jusqu'au sang pour s'empêcher d'hurler sa colère.

La rage, mêlée à sa peur panique, lui défigura la raison. D'une enjambée, elle alla jusqu'à son armoire et, marmonnant des insultes, se mit à tout sortir, les robes, les vestes, les escarpins, tout, tout, tout, pour ne pas se laisser embrouiller par sa terreur, mais aussi regretter sa beauté perdue par toute cette affaire de meurtre. Elle déchira une chemise qu'elle adorait dans sa fureur, avant de retomber mollement, les bras ballants.

« Jenny… Calme-toi… », tenta-t-elle de se dire, soufflant profondément. « Calme-toi… Ne finis pas comme « elles », ne finis pas comme ces filles… Tu… Tu n'es pas comme elles… »

Mais pourtant, la phrase empoissonnée de cette demoiselle détestable, ses yeux lagons étincelants de fureur, lui revint en tête.

« C'est Pâris! Pâris qui est revenu, pour nous punir! »

« Pas Pâris… Ca ne peut pas être lui… »

Terrifiée, en proie à cette voix stridente dans sa tête, elle plaqua ses mains contre ses oreilles, pour faire cesser ce cri, cette accusation.

« Il est mort! Il est mort! Comprendront-ils enfin qu'il est mort! »

Des larmes de folie amère lui vinrent aux yeux et, gémissant doucement, elle tomba à genoux sur le sol, au milieu de ses vêtements, laissant le temps s'écouler au même rythme que ses pleurs, apeurée par ce fantôme qu'il allait sûrement avoir raison d'elle.

Et, dans l'ombre de la pièce, malgré la légère lumière de la lampe, n'entendant que l'écho de sa propre terreur, elle ne vit pas la poignée de sa porte se tourner, laissant une silhouette s'avancer, respirer cet air chaud de peur.

Dans le reflet du miroir, l'éclat d'un poignard étincela.


Il ne pouvait plus attendre. Il avait trop mal. Mal de vivre dans ce corps si dérangeant, le faisant pleurer comme un enfant. Il devait finir ce qu'il avait entrepris de faire, tuer ces démones, mais c'était si dur… Son cœur, qui n'était pas le sien, se mit à battre frénétiquement dans sa poitrine. Quelle étrange sensation de sentir le sang couler dans ses veines, d'entendre les battements de cet organe rouge qui dictait la vie, de respirer comme les autres.

L'Autre avait eu raison d'Hargeisa. Il l'avait tué, simplement et froidement. Et lui, amusé, avait assisté à la scène dans ce corps qui n'était pas à lui. Il respectait ceux qui devaient prendre des vies, quand il ne s'agissait pas de celles qu'il voulait lui-même. Et cette fille, Aphrodite…, la troisième…

Il savait qu'il faisait une erreur. Grossière, monumentale. Mais vivre avec cette nausée incessante, ce dégoût immense pour la chair dont il avait pris possession était une torture. Sans faire de bruits, silencieux comme l'ombre qu'il était, il se para d'une longue veste sombre et dans l'obscurité du couloir, quitta sa chambre pour rejoindre celle de sa victime. La lune était rouge, il y aurait donc deux morts ce soir-là…

L'odeur douceâtre de la chambre d'Hargeisa lui vint aux narines aussi s'autorisa-t-il un sourire convaincu. Que les vers mangent les tripes de cet homme, il n'en était que plus ravi. A cette heure, son jugement avait lieu dans le Monde des Morts, et alors… qu'il demeure aux Enfers!

Il serra sa main autour du poignard qui avait par maintes fois goûté au sang. Cette nuit, il n'allait rester qu'une seule diablesse, une seule. Sa vengeance serait enfin terminée, et lui pourrait disparaître enfin, noyé dans le noir infini, et ainsi qu'on entende plus parler de lui. Que ceux qui tenaient les ficelles de ce monde s'en souviennent…

Il avait eu raison d'attendre quelques heures, le temps que tout le monde soit parti. Les vigiles ne s'occupaient que des ascenseurs et des escaliers de secours, tandis que lui allait au centre de l'étage. Les humains étaient bien stupides. Surtout vivants… De plus, ce soir-là était plus risqué. Autant ne pas montrer ce visage…

Enfin, à pas de loups, il atteignit la chambre désirée. Sa main, délicatement, fit tourner la poignée, sans faire grincer un quelconque objet métallique. Comme toujours, ces idiotes ne s'enfermaient pas à clé. Même elle. Pauvre Jenny ignorante…

Il entra dans la chambre, à l'air lourd et renfermé. Une ambiance de peur stagnait dans la pièce, étouffait toutes les ondes présentes en ces lieux. Il la trouva par terre, recroquevillée, pleurant piteusement quelques larmes misérables de son corps terrifié. Dans le miroir, il la regarda attentivement, ne sentant pas la moindre once de pitié ou même de compassion à son égard. Aphrodite n'était pas la plus belle au monde, quoiqu'ils pouvaient penser. Une femme parée de luxure écœurante, se jouant de tous…

Dans le reflet, l'éclat du poignard étincela. Un coup rapide, net, qui lui couperait le souffle et la vie. Il savait qu'il faisait une bêtise. Mais il avait si mal…

Il leva le bras, concentré. Ne pas dire un mot. L'arme, dans un sifflement, commença son ascension…

Pour se figer.

A cet instant, peut-être frissonnante de froid et de fatigue, courbaturée, Jenny, dans un gémissement, s'était retournée et, les yeux écarquillés d'horreur, fixa la lame argentée. Contempla le visage de celui qui avait commis tant d'atrocités. Blêmit. Et sa bouche se tordit de terreur panique.

- AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH!

Il avait fait un faux pas.

Paniquée, Jenny tenta de se relever, son cri ayant déchiré l'air de la pièce mais, le poignard, fidèle à son maître ne glissa pas de son itinéraire. D'un coup tranchant, la lame s'encra dans la poitrine de la jeune femme, jusqu'à la garde, lui traversant la cage thoracique et le dos dans un craquement sinistre. Le corps, encore à peine agité de soubresauts, se crispa contre le manteau du yurei et une main déchira le tissu, faisant basculer le tueur en avant. Le sang se répandit sur lui, sur tout son habit, se déversant en fontaine rouge et odorante. Abasourdi, il contempla sa main où, par ironie, dans un geste brusque, il s'était coupé avec sa propre arme.

Il s'était trompé. Non, il ne fallait pas que ça se finisse comme ça. Les autres allaient arriver, il ne fallait surtout pas que…

Il fixa la fenêtre une demi-seconde. Sa coupure lui faisait mal. Et il n'hésita pas plus.

SCHAAAAAAAAAAAAALNG!

Dans un fracas assourdissant, il propulsa tout son poids contre la fenêtre qui explosa sous le choc. Les bouts de verre s'enfoncèrent dans son manteau, coupèrent sa main déjà entaillée. Il retomba sur le balcon avec plus ou moins de difficultés.

- Eh! Toi!

Ca ne devait pas finir comme ça…


- AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH!

Un cri, horrible, suraigu, déchira le silence du couloir comme une statue que l'on brise. Toute l'atmosphère tendre et calme de la chambre s'envola aussitôt alors que les deux Shinigami se redressèrent d'un bond, les yeux écarquillés de stupeur. Hisoka, soudain, se crispa, une main sur le cœur, le teint pâle.

- Hisoka, mais…

Sans perdre de temps, l'adolescent se leva, passant à la hâte une chemise et, d'une main ferme, tira son partenaire vers lui qui à son tour, crut qu'une pierre lui déchirait l'être. Des ondes de mort et ce cri…

Sans perdre un instant, ils se ruèrent dans le couloir, le cœur battant à toute allure. Cela provenait de la chambre de Jenny.

« Je vous en prie », implora intérieurement Tsuzuki. « Pas une autre mort, pas maintenant… »

Hisoka, le cœur serré par toutes les émotions fulgurantes du yurei, eut un mouvement brusque de la main et ouvrit brusquement la porte. Pas ça…

SCHAAAAAAAAAAAAALNG!

A cet instant, un bruit infernal eut lieu dans la chambre. Paniqués, les deux Shinigami entrèrent violemment pour finalement s'arrêter, abasourdis.

Sur le sol, étendue, Jenny demeurait silencieuse, les yeux grands ouverts, bras ballants le long du corps. Les Dieux de la Mort surent qu'elle n'ouvrirait plus les yeux, car, en signe de mort, une large entaille lui parcourait la poitrine, laissant dévoiler l'intérieur de la chair, déversant une mare de sang où les cheveux blonds étaient noircis, salis, la peau maculée de taches.

Une ombre, à la lueur de la lune, se redressa sur le balcon, les toisant avec fureur. Un manteau lui recouvrait le corps et la pénombre dissimulait son visage, ce qui empêchait toute aide pour savoir ce qui il s'agissait. Hisoka tressaillit en voyant deux éclats bruns sur un visage effacé. Les mêmes yeux que dans sa vision…

- Eh! Toi! Héla Tsuzuki, le visage crispé par la colère.

La silhouette les dévisagea, un temps qui aurait pu être une seconde ou une heure. Ses yeux, froids, glissèrent sur l'empathe puis sur Tsuzuki, avant de retomber sur le cadavre de Jenny qui se vidait de son sang. On aurait pu croire qu'un sourire éclaira les ténèbres mais sans plus, une goutte de sang perla sur son doigt, hypnotique, comme son regard.

- Pâris! Cria Hisoka, les poings serrés.

Le cri plus que le nom en lui-même réveilla le yurei. Il fit un pas en arrière et…

- Nom de…, souffla Tsuzuki, abasourdi.

D'une enjambée, l'ombre sauta du balcon agilement, comme si elle faisait partie de ce monde noir. Si rapidement et si furtivement qu'on aurait pu croire qu'elle n'avait jamais existé.

- Merde!

Les Shinigami coururent jusqu'au balcon et s'accrochèrent à la rambarde. Paniqués, ils observèrent la silhouette qui, comme flottant dans les airs, glissa de la barre de fer et retomba sur le balcon précédent en ne faisant pratiquement pas de bruit, puis, d'un geste…

SCHAAAAAAAAAAAAALNG!

Le yurei, dans un fracas assourdissant, brisa une vitre, juste à côté de celle de Jenny. Les éclats de verre, par la force et le vent, faillirent aveugler les Shinigami qui durent se cacher le visage. L'ombre s'engouffra dans la chambre voisine.

- NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON!

Une voix déchira la nuit, implorante, suffoquante, paniquée. Une voix que Tsuzuki, horrifié, reconnut aussitôt.

- Helen!

Sans perdre un instant, il courut dans le couloir et, le cœur battant à tout rompre, rejoignit la chambre de la jeune femme dont la porte était brusquement ouverte.

- Helen! Cria-t-il de nouveau.

Il demeura muet devant le spectacle qu'il avait sous les yeux. La fenêtre, ravagée par l'entrée fracassante du yurei, avait émis des bouts de verre partout, le sol, les murs, le lit. Un désordre confus régnait dans la pièce, une odeur suffoquante de sang qui lui donnait mal au cœur. Et, écroulée sur le sol, la jeune femme, toute tremblante, contemplait les dégâts qui étaient arrivés si vite, si forts.

- Oh mon Dieu…

Des bruits de pas dans le couloir signifièrent que des gens accouraient vers eux. A leur tête, Hisoka, le souffle court qui resta figé en voyant l'état de la chambre., suivi de Stayle, Things et Crooge. En dernier; Rivan se rua vers eux, le visage pâle de colère. Ses yeux bleus eurent une froide étincelle en fixant la pauvre Helen.

- Ma fille! S'exclama Stayle, horrifié.

Alors qu'il fit un mouvement vers elle, Tsuzuki fut plus rapide. Il entra dans la chambre, faisant craquer les débris glacés et transparents du verre sous ses pieds. Il s'agenouilla devant la jeune fille et sentit son cœur se serrer.

Helen était plus pâle que jamais, si pâle que l'on aurait pu croire qu'elle était morte, ses yeux bleus-vert étaient écarquillés, dilatés de frayeur, d'un traumatisme tel que jamais il ne disparaîtrait de sa mémoire. Ses bras, ses mains, son visage étaient parcourus de coupures, de plaies fraîches suintant d'un peu de sang. Son corps tremblait violemment, en proie à des spasmes incontrôlables. Elle ne réagit à la présence du Shinigami qu'à l'instant où ce dernier lui frôla la joue, joue marquée d'une fine trace rouge. Elle tressaillit brusquement et, regarda le Shinigami, paniquée.

Ses lèvres tremblèrent encore plus.

- Helen…, murmura Tsuzuki doucement, pour ne pas l'effrayer.

Elle le fixa avec ses yeux apeurés, traumatisés, encrés de cette image impossible à dire.

- Pâris… C'est Pâris… C'est lui… C'est lui… Ce bruit… Ce visage… Ce n'était pas son visage… Mais ses yeux… Ses yeux… Oh non…

Elle éclata en sanglots, brusquement, les larmes coulant pratiquement aussitôt sur ses joues. Tsuzuki la prit dans ses bras, la réconfortant doucement.

- J'ai eu si peur… J'ai eu si peur…, bégaya-t-elle, terrorisée. Il voulait me tuer, il veut me tuer… J'ai eu si peur… J'ai peur encore maintenant… J'ai peur de lui… J'ai si peur… Hayao…

Le cœur serré, Tsuzuki la rassura, et la prenant dans ses bras, l'aida à se relever. Le regard brumeux, la jeune femme étudia les bouts des verre marqués de son sang, les dégâts, les traces sur le lit. Elle inspira, tenta de calmer ses larmes, avant d'inspirer de nouveau.

- J'ai entendu le cri de Jenny, avoua-t-elle. Je me suis réveillée en sursaut et à peine ai-je eu le temps de me lever que ma fenêtre a volé en éclats. Et je l'ai vu… Juste ses yeux, pas son visage, je n'ai pas vu son visage… Il s'est rué vers moi, emmitouflé dans son manteau…

Elle désigna ses coupures aux mains et aux bras.

- Il m'a attrapée violemment, m'a bousculée pour mieux s'enfuir. Je… Je ne sais pas où il est parti… Mais son couteau… Son couteau m'a frôlé…

Hisoka, silencieux, s'approcha de la porte qu'il effleura légèrement. A ce contact, il eut un petit frisson, tentant de délier toutes les émotions noires et violentes de l'esprit. Il avait en effet touché la porte, mais… L'empathe frissonna davantage, sentant de nouveau cette odeur familière se répandre dans la pièce. Ce n'était pas la même chose que le sang, c'était différent, subtil, une trace indélébile.

« Pourquoi cela me rappelle… des mauvais souvenirs? »

Une silhouette passa près de lui, le ramenant à la réalité. Anthony, encore un peu pâle, s'avança vers la fenêtre brisée, fixa l'horizon d'un air songeur. Il promena sa main sur les parois jusqu'à se figer.

- Aïe!

Il se recula brusquement, une expression douloureuse sur le visage. Surpris, Hisoka le regarda avec attention… pour voir une coupure sur la main, saignant assez abondamment.

- Saleté de bout de verre, grinça Rivan, prenant un mouchoir qu'il enroula autour de la plaie.

« Une coupure… »

Les images dansaient dans la tête de l'empathe, se gravaient pour disparaître aussitôt. Il se sentait mal, d'un coup. Les yeux bleus de Rivan, le regardant vaguement, ne l'aidaient pas, tissant leur toile autour de lui, le ficelant dans un piège complexe. Un courant d'air froid passa par l'ouverture forcée de la chambre et le Shinigami aux yeux d'émeraude crut éprouver un malaise tenace.

Le sang, peu à peu, rougissait le mouchoir de Rivan puis ce dernier, mit la main dans sa poche, tranquillement, avec malgré cela un petit air de douleur. Le sang…

L'éclat de la lune, froide et hostile, ne présageait rien de bon. Il y avait deux morts, en une nuit. Deux victimes, qui n'avaient pas été cependant tuées de la même main.

« Pâris… Qui es-tu donc vraiment… pour décider de la vie des autres… si tu n'es pas un Dieu? »


Impossible de redémarrer l'ordinateur. Autant dire que le pauvre spécimen de technologie venait de rendre l'âme. Watari, qui en était maintenant à sa troisième cafetière, en était tremblant de rage et de dépit. Le scientifique en avait assez de cette histoire, de cet étrange hacker qui avait, par le simple envoi d'un virus, chamboulé toute une base de données.

003, sa chouette, eut un hululement fatigué. Elle devait avoir faim. Watari, fatigué, s'étira longuement sur sa chaise, avant de relever la tête vers les bureaux de la Section, vides à cette heure. Il n'y avait plus que le vrombissement de l'ordinateur portable de Watari, la respiration faible de la chouette et le cliquetis du clavier qui rythmaient son travail.

- Encore du café, Watari?

Pas seulement ça, en fait. Le scientifique, ses yeux d'ambre ternis par lé pénombre, se retourna vers son supérieur qui, le regard bleu doux et réconfortant, lui tendait une autre cafetière. Watari sourit gentiment avant de refuser d'un signe de tête.

- Je suis plein de café jusqu'aux oreilles. Non merci, Tatsumi.

Le secrétaire remit correctement ses lunettes sur son nez.

- Ca fait déjà quatre heures que tu passes sur cet engin de malheur. Je crois que je n'aurais pas dû te demander de m'aider, c'est bien trop dur.

Vexé, Watari eut un mouvement de la main.

- Hum, j'aime les défis dans ce genre, déclara-t-il, faussement en colère malgré tout. Tatsumi, « on » a piraté la base de données de l'Enma-Cho, c'est pas rien tout de même.

Tatsumi soupira et prit place sur une autre chaise, à côté de son collègue et ami. Avec douceur, il caressa le doux plumage de 003 qui hulula de plaisir et de joie, battant même un peu des ailes. Il ferma une seconde les yeux, puis se replongea dans les maigres informations qu'ils avaient pu retrouver grâce à l'ordinateur du scientifique.

- Il va falloir contacter Tsuzuki, dit le secrétaire d'un ton grave. S'il n'est pas au courant pour Rivan, ça risque de lui coûter cher. Il ne faut pas…

- Hum, tu as raison, approuva Watari.

Il brancha son ordinateur et recommença à faire une liste, fixant de temps à autre les notes prises par Tatsumi, avant de les recopier. Alors qu'il allait finir sa liste, le téléphone sonna posé sur le bureau d'un employé, d'un bruit strident qui firent sursauter les deux Shinigami.

Surpris d'avoir un coup de téléphone à ce moment, Tatsumi décrocha, pour poser son oreille contre le combiné.

- Oui, j'écoute?

Il n'y eut pas un bruit. Watari, curieux, dévisagea Tatsumi qui haussa les épaules.

- Allô? Il y a quelqu'un? Reprit Tatsumi d'une voix plus ferme.

Il le savait, entendait même une respiration. Contrôlée, profonde. Froide. Ce genre de silence qui ne veut rien divulguer, à part une angoisse étrange et subite. Le secrétaire, les sourcils froncés, eut un soupir agacé.

- Écoutez, si vous ne voulez pas parler, je vous préviens que…

- Parler est-elle une chose importante? Pour vous, du moins… Shinigami…

Tatsumi se figea, abasourdi. N'en croyant pas ses oreilles, il enclencha le haut-parleur, permettant au scientifique d'écouter. La voix n'était ni grave, ni aiguë, presque neutre. Il aurait pu s'agir d'une homme ou d'une femme tant elle était plate. Pourtant, une note tenue, sourde, se faisait entendre. Un sifflement mordant, acéré.

Tatsumi serra les poings.

- Qui êtes-vous? Demanda-t-il sur un ton froid.

Un rire lui répondit. Peut-être n'était-ce même pas un rire. Une exclamation.

- Vous tenez vraiment à le savoir? Répliqua la voix, qui, bien que neutre, semblait amusée. Vous savez, après ce petit « jeu » avec votre lamentable code de sécurité, me brancher sur votre ligne était une vraie blague.

« Le hacker… », songea Watari, figé.

La colère faisait battre le cœur du secrétaire à un rythme rapide, tenu.

- Pourquoi avoir fait ça?

- Pourquoi vous répondre? Rétorqua la voix du tac-au-tac

- Vous essayez de nous barrer la route sur une affaire qui est importante. Vous nous devez des explications!

De nouveau la voix rit. Un peu plus amèrement qu'avant.

- J'ai reçu des ordres, répondit le hacker. Je les exécute. C'est simple et facile. Aussi aisé que de vous lier les mains. Ce petit message n'est qu'un avertissement aussi, écoutez-moi bien.

Il y eut un silence très court mais vif et pesant. Tatsumi lança un regard à Watari qui s'était rapproché, les yeux flamboyants de colère.

- Cette affaire n'est pas la vôtre, ajouta le hacker sur un ton froid de menace. Elle ne vous est pas destinée. Laissez-nous faire, nous avons de quoi nous occuper de ça. Vous bloquer l'accès aux listes n'était pas bien compliqué, aussi, n'essayez plus de jouer aux plus malins, car d'autres choses bien plus « pénibles » pourraient se produire.

- Espèce de…, gronda Tatsumi. Comment osez-vous?

- Il serait dommage de s'en prendre à vos deux collègues, n'est-ce pas?

Le souffle de Tatsumi se bloqua dans sa gorge, le laissant abasourdi.

- Des menaces? Siffla-t-il.

- Vous comprenez vite, rétorqua la voix avec amusement. J'espère que cette discussion vous aura permis de comprendre… qu'il ne faut pas vous mêler de nos enquêtes…

- Attendez!

Mais trop tard, la voix de Tatsumi se perdit dans le vide, puis la longue résonance lui signifiant que son interlocuteur avait raccroché lui vint, incessante. Il demeura muet, le téléphone à la main, contemplant la table avec un regard éteint et furieux. Ses yeux de glace, après la surprise, se teintèrent de colère. Watari, à ses côtés, se mordit la lèvre.

- Les… Les salauds, gronda-t-il, tremblant de rage.

Silencieux, ils se fixèrent, le visage grave. Ils avaient été prévenus. « On » les avait prévenus et il était aisé de savoir qui.

La voix, encore présente dans leur tête, leur glaçait le sang. Elle avait été acérée, mordante, brûlante. Comme un débris de verre, elle leur avait coupé le souffle.

Et s'ils ne faisaient rien… Elle leur trancherait ce qu'ils avaient de plus précieux…

A suivre…