Yurei

Par Tsubaki Himé

Hello à tous ! Excusez-moi encore du retard pour ce chapitre mais avec tout le travail cette année, il se peut que ma cadence niveau fics en soit ralentie. Donc excusez-moi encore. Ce chapitre est l'un des mes préférés, non pour le niveau et le style (eh oui, toujours insastifaite) mais pour l'intrigue. Dès le deuxième chapitre, je voulais en venir là, j'en suis plutôt contente. Ah, je tiens à signaler que ce chapitre est l'avant-dernier,allez, il n'en reste plus qu'un et l'épilogue. Je meurs d'envie de finir cette fic, ça fait plus de deux mois que je suis dessus et j'ai hâte de passer à autre chose. Mais bon, finissons-la bien et après on n'en parle plus. Merci encore pour vos reviews, je suis ravie de voir que cette histoire vous intéresse encore et que si vous n'y compreniez plus rien, c'est tout à fait normal (enfin pour les meutres et les suspetcs, c'est fait pour).

Blood Kiss et bonne lecture à tous,

Tsubaki Himé.

Chapitre VII

L'Exécuteur

Tout me semble d'un tel ennui… Tout est si ennuyeux, fade, vide de sens… Plus rien ne m'étonne, plus une parcelle de sentiments ne se réveille en moi…

Je pense sincèrement que cette existence est inutile…

Mais… peut-être que « lui »… pourra me divertir…


L'homme de cinquante ans d'apparence eut une grimace, à la dernière parole qu'une voix neutre mais cependant froide émit du haut-parleur.

- J'espère que cette discussion vous aura permis de comprendre… qu'il ne faut pas vous mêler de nos enquêtes…

Le secrétaire, ses yeux bleus parcourus d'une flamme glacée, éteignit la bande d'un geste sec de la main. Il fulminait intérieurement de rage. Bien qu'il eut réécouté cette voix une bonne dizaine de fois, il en ressortait toujours cette sensation sauvage de colère et d'indignation. On avait osé les menacer, et aussi, de manière à peine voilée, de s'en prendre à leurs collègues partis en mission. C'était intolérable. Ne supportant pas davantage la pensée qu'on puisse s'en prendre à deux Shinigami qu'il respectait et aimait particulièrement, il détourna la tête, fixant alors son patron assis à son bureau, les mains jointes sur la table mais si serrées que les jointures en étaient blanches.

Konoé eut un soupir grave et fatigué, faisant se tordre davantage la ride gravée sur le coin de sa bouche.

- Quelle histoire, gronda-t-il, accablé. Si seulement j'avais su à quel point elle était prisée…

Le secrétaire fronça les sourcils.

- Nous n'allons quand même cesser nos investigations sur le yurei en liberté, patron? Fit-il, sa voix contenant une note de colère sourde.

Le Chef du Service des Assignations cala son menton dans la paume de sa main, observant son secrétaire avec sérieux.

- Je ne l'espère pas, Tatsumi, répondit-il sur un ton sourd. Ce serait d'ailleurs étrange que nous ne puissions plus nous en occuper. Après tout, nous avons eu l'accord du bureau supérieur, ce qui à mon avis était amplement suffisant. Le fait qu' « ils » nous la demandent aussi durement est bien surprenant.

Sentant toute sa colère déborder, Tatsumi fit quelques pas et s'approcha de la grande baie vitrée, observant les grandes allées de cerisiers en fleurs, balayés par le vent doux, leurs pétales volant dans un ciel éternellement azur. A l'extérieur, assis sous l'un des arbres, un scientifique travaillait sur ses données, ses yeux d'or assombris par la concentration. Il avait besoin de calme et le bureau des Assignations, à cette heure, était bien trop bruyant.

Konoé fit tourner son fauteuil en cuir et aperçut le reflet du Maître des Ombres, l'étincelle froide de ses prunelles bleues.

- Seiichiro…, dit-il d'une voix calme.

Tatsumi tressaillit à ce simple nom mais garda le silence. Il n'aimait pas cette impression quand son patron l'appelait par son prénom. C'était trop… douloureux… Cela lui rappelait trop de mauvais souvenirs… trop d'éclats lui transperçant l'esprit.

Konoé soupira à nouveau.

- Je sais que tu t'inquiètes beaucoup pour Tsuzuki, à cause de ce message mais…

Tatsumi redressa ses lunettes sur son nez, essayant d'afficher un petit sourire rassurant mais hélas, sa bouche était comme figée.

- Tu as peur pour Tsuzuki… Que cela recommence comme « avant »…

Le secrétaire baissa les yeux, et, lentement, par un geste machinal, fixa son poignet droit, les boutons de manches, comme pour exorciser sa tête de toutes les images qui la brouillaient. Il ferma une seconde le regard et les flashs effrois de vérité emplirent son esprit. Et cette phrase, lancinante, blessante…

« Regarde mes mains, Tatsumi! Regarde-les! Y vois-tu encore une seule parcelle qui ne soit pas teintée de sang! »

Une boule se forma dans sa gorge. Il secoua brusquement la tête, ses yeux lui devenant brûlants de douleur. A quoi bon se rappeler tout cela? Cela faisait si longtemps maintenant, un point lointain dans sa mémoire déjà brumeuse.

Il se retourna pour faire face à son supérieur qui le dévisageait toujours, les mains crispées sur les accoudoirs de son fauteuil.

- Quoiqu'il en soit, dit le Shinigami d'un ton ferme. Je vais mener quelques affaires sur la provenance de la voix et en déterminer la fréquence. Même s'il ne s'agit que d'un hacker travaillant pour un compte, il faut remonter jusqu'à la source.

Konoé eut un très léger sourire, apparemment satisfait de voir l'un de ses meilleurs éléments reprendre aussi vite le sens du travail. Il ouvrit un tiroir et en sortit une disquette qu'il tendit à son secrétaire, visiblement surpris. Le sourire de Konoé s'élargit et pendant une fugitive seconde, Tatsumi crut y apercevoir cette esquisse carnassière si spéciale réservée à Tsuzuki.

- Il n'est pas encore né, ni mort, le hacker qui arrivera à empocher toutes les informations de mon secteur, déclara le chef avec mépris et fierté mêlées. Tu as en main la liste de toutes les fiches internationales, de toutes les morts enregistrées. Chaque bureau en possède une copie au cas où. Je ne l'ai jamais utilisée mais comme notre petit pirate s'est permis d'entrer sans frapper, je me vois obligé de m'en servir.

Tatsumi considéra pensivement l'objet donné. Puis, l'esquisse d'un sourire se dessina sur ses lèvres.

- Vous avez raison, patron. Comme toujours…

Ses doigts se crispèrent sur la disquette en un poing rageur. A l'extérieur, une brise emportait quelques pétales de fleurs pâles et gracieuses comme des songes fugitifs. Et lui, malgré cette douleur en plein cœur, il devait continuer de manier les ombres, pour ainsi mieux de masquer aux yeux de la vérité.

Dire tout ce qu'il ressentait n'était pas encore pour maintenant…

« Tsuzuki… »


« Une chose visible que l'on ne peut voir… Une senteur particulière et familière… mais si lointaine… »

Le jeune homme soupira doucement, plongeant son regard dans le verre glaçant doucement sa main convulsée. L'ambiance du bar de l'hôtel était plongée dans un brouillard opaque. Le solo d'un piano, coulant et enivrant, s'élevait dans la large et grande salle, aux murs à peine éclairés par de splendides lampes, en lueurs orangées et dorées, faisant naître les ombres sur les visages de ceux qui s'étaient arrêtés pour boire un verre ou discuter, voir seulement attendre de la bonne compagnie. Les tables basses, noire ébène, où se posaient la consommation des clients avaient un reflet de fauve; les fauteuils, dans la pénombre mystérieuse, étaient d'un rouge vivant, prenant la forme du corps de celui qui s'y posait.

La lueur centrale provenait du comptoir, une lumière de néon presque aveuglante mais il s'agissait du seul point où l'on pouvait se faire voir et voir les autres correctement.

L'adolescent, soupirant une nouvelle fois, avala une gorgée de son verre. Un soda. Il n'avait pas demandé d'alcool et de toute façon, le barman, l'ayant détaillé d'un bref coup d'œil, n'aurait pas voulu lui en donner bien qu'il fallait qu'il satisfasse tous les clients.

Une journée s'était écoulée depuis la découverte du corps de Jenny. Malheureusement pour les deux Dieux de la Mort, Stayle avait appelé une branche spéciale des autorités, venues prendre quelques indices. Hisoka eut une moue réprobatrice. A ce train-là, ces flics pas fichus de venir dès qu'il y avait un seul meurtre allaient tout récupérer, sans même comprendre que l'assassin… était quelqu'un qui n'était plus de ce monde.

Il fallait donc attendre un peu et se faufiler quand il y n'aurait plus personne. Le Shinigami avait d'ailleurs assez de « capacités » pour pouvoir y aller sans trop de dommages. Imaginant déjà quelques stratagèmes il pourrait utiliser pour aller à l'endroit voulu, il ne se rendit même pas compte d'une présence prenant place sur un haut tabouret métallique près de lui… jusqu'à ce que cette dernière vienne lui frôler la joue d'un geste de la main, ce qui lui suffit pour se retourner brusquement, presque violemment, fixant l'individu de ses émeraudes flamboyantes de surprise et de colère d'être dérangé en pleine réflexion.

Deux yeux bleu glacier le regardèrent avec amusement, riant même plus que cette bouche souple et fine.

- Holà, boy, je ne vais pas te manger, fit l'homme, remettant en place une mèche de ses cheveux blonds qui s'était égarée devant son regard, avant de passer un doigt vague sur un bandage lui recouvrant le dos de la main. Reste tranquille, t'as pas à t'inquiéter.

Hisoka, toisant l'américain effronté, eut un soupir dédaigneux. Ce regard bleu le faisait frissonner malgré lui, presque… presque comme un sentiment froid de malaise. Il passa une main sur sa propre épaule, essayant de réfréner ce tremblement intérieur, incontrôlables.

- Je ne suis pas inquiet, répliqua le Shinigami sur un ton froid et méprisant. Vous êtes bien trop futile et dérisoire pour que je puisse montrer une quelconque inquiétude en votre présence.

Rivan observa l'adolescent, détailla les ombres se formant par les lumières sur son front, ses joues, dans ses yeux de pierreries, sauvages, obstinées. Son regard se fit légèrement plus sombre, comme brouillé dans de l'encre, des taches noires inconnues de ce monde. D'un mouvement de la tête, il fit signe au barman de lui servir un whisky, désignant la bouteille. L'homme derrière le comptoir s'affaira et lui présenta le petite verre où vibrait par le geste de la main le liquide ambré et sirupeux, doux et fort à la fois de l'alcool. Un glaçon flottait à la surface et projetait ses éclats troubles sur le comptoir. Machinalement, plus pour ne pas voir les prunelles bleu de nuit d'Anthony qu'autre chose, Hisoka observa les formes fugitives et claires du reflet glacé.

L'homme avala une gorgée de son verre, silencieusement. Puis, de nouveau, dévisagea le garçon à côté de lui, lui tournant le regard. Amusé, il reposa sa boisson et, doucement, d'un mouvement futile de la main, prit le menton de l'adolescent pour le faire pivoter vers lui. Les joues d'Hisoka s'empourprèrent.

- Cessez ça tout de suite, siffla-t-il, rejetant la main froide de Rivan. Ne me traitez pas comme un quelconque objet!

Il frissonna à cette simple idée et, décontenancé, il se tut, les yeux mi-clos. Ce visage pâle… ce regard d'argent… ces mains glacées… Il déglutit difficilement sa salive, une lumière vive lui arrachant des souvenirs douloureux dans ses prunelles fermées.

- Fujisuke? Ca ne va pas?

La voix de Rivan, ayant une légère pointe d'inquiétude, le fit revenir à la réalité et l'ambiance suffoquante du bar. Il inspira une dernière fois, puis résolument, se tourna enfin vers Anthony, ce dernier intérieurement ravi de cela. L'empathe plongea, en signe de défi, son regard dans le sien.

- Dites-moi franchement ce que vous voulez, lança-t-il sur un ton ferme. Vous ne jouez pas un jeu franc, depuis le début de cette affaire.

Rivan le regarda encore une seconde, le visage impassible, figé presque, en une posture statufiée, écoutant les paroles mais comme s'il ne pouvait ou ne voulait pas en dire une. Il prit son verre et en but encore une gorgée, doucement, l'alcool descendant en lui. Le bruit du verre sur le comptoir eut une résonance sourde.

Le piano continuait son solo ou peut-être était-ce un autre morceau…

Rivan s'autorisa un temps de silence avant de répondre. Ce fut sur un ton neutre, plat, sans aucune émotion autre que l'illusoire lueur brillant dans son regard bleu.

- Je ne veux rien… Je ne veux absolument rien ici… Ici tout n'est qu'ennui, cette affaire n'est qu'ennui… Pour tout avouer, ce meurtrier commence à me lasser. Dommage, sa façon de présenter ses victimes était bien trouvée…

- Qu'est-ce que vous dites? Répliqua Hisoka, abasourdi d'un tel détachement. Vous… Vous vous moquez de ce qui arrive ici? Il y a déjà eu quatre morts! Comment pouviez-vous être aussi insensible à ce qui se passe!

Il n'arrivait pas à comprendre cet homme. Son empathie, laissée en retrait prudent, ne lui permettait pas de discerner le reflet des sentiments de l'américain. Il était insaisissable. Tout ce qu'il semblait toucher dans l'âme de l'homme s'évaporait, glissait d'entre les doigts de son esprit empathique. C'était… comme un malaise… Un vent étouffant dont l'image était deux yeux bleus sans émotion réelle.

Rivan demeura silencieux encore un temps qui sembla durer une éternité. Et, brusquement, il prit son verre de whisky et le tendit à Hisoka qui se recula instinctivement à ce geste. Stupéfait, il contempla le liquide ambré tournoyant dans le récipient transparent avant de dévisager l'américain.

« Où il veut en venir, celui-là? »

Le visage de Rivan parut se bloquer pour se détendre aussitôt, une esquisse de sourire flottant sur ses lèvres.

- Bois ça, tu verras, tu arriveras à ne plus ressentir peine et douleur en pensant à ces morts, dit-il comme s'il venait de lire dans ses pensées, encore une fois, ce qui ne rassura pas le moins du monde le Shinigami.

Hisoka, pour toute image se liant à l'alcool, fut celle d'un grand gouffre noir, où il basculait, la tête lourde et bourdonnante, la langue gonflée de ce liquide si tentant. Rien de repenser à la première fois où il avait bu du saké, il rougit doucement, se rappelant qu'il avait tout bonnement dormi dans le lit de son partenaire, partenaire qui aujourd'hui dormait avec lui. Il fixa, fasciné, captivé, dégoûté et furieux à la voix le whisky dont les effluves lui montaient déjà à la tête.

Se demandant vraiment si Rivan avait bien un cerveau, il détourna son attention du verre pour regarder l'américain. Il repoussa le verre d'une main malheureusement pas si décidée et ferme que cela. Il sentit un tremblement dans sa voix quand il répliqua.

- Non, merci, je ne bois pas d'alcool. Je… Je n'en bois pas…

Il se sentait véritablement stupide d'être attiré par un verre ainsi offert, comme un gamin hypnotisé devant le paquet de bonbons qu'on lui tendait. Il essaya de boire une gorgée de son soda pour confirmer ses dires mais le goût, soudain, lui semblait lointain, fade, et les bulles n'étaient en mesure de faire disparaître cette envie… presque cette obsession curieuse de stupide animal de trembler ses lèvres dans le contenu ambré du verre d'Anthony.

Ce dernier eut un léger rire qui secoua ses épaules. Il fit glisser le verre vers l'adolescent avant de répliquer.

- Curieux, on m'avait dit que Kiyoshi Fujisuke était connu pour sa grande passion des alcools. Cela m'étonne que tu ne bois plus.

Hisoka crut sentir ses entrailles se dessécher aux paroles de Rivan. Il avait sûrement dû oublier une partie du profile de celui qu'il devait remplacer mais… oh non… son personnage ne pouvait pas être un buveur! Lui-même ne supportait pratiquement pas l'alcool et pourtant… il en était tenté, plus curieux d'en connaître le goût. Il se sentait idiot, totalement stupide mais ô combien captivé.

- J'ai arrêté, bégaya-t-il. Je ne bois plus maintenant, ça me fait trop de tort et ça n'améliore pas ma santé.

A croire qu'il était une personne âgée dont le seule dernier plaisir de la boisson avait rendu le corps sec et immobile, presque mort d'avance.

Le barman lança un regard noir à Rivan qui, sentant le reproche à peine silencieux répondit à l'homme par un sourire effronté.

- Un autre verre, s'il vous plaît, demanda-t-il en détachant bien les mots, comme si le barman ne le comprenait pas. Et une bouteille de whisky.

Bon gré mal gré, le barman, le visage pâle et les lèvres serrées de colère, servit le tout et y ajouta quelques glaçons. Cela fait, il regarda tristement l'adolescent qui ne pouvait s'empêcher de fixer le liquide ambré frissonnant dans les verres, se traitant d'idiot alcoolique alors qu'il n'était simplement qu'idiot.

Rivan remercia le barman d'un mouvement de tête avant de tendre un nouveau verre, intact, au garçon aux yeux d'émeraudes.

« Mais… qu'est-ce que je suis en train de fabriquer? »

Mais son corps réagissait de lui-même. Il cria intérieurement qu'il ne pouvait pas mais, malgré lui, il laissa Rivan entrechoquer son verre contre le sien. Ses yeux bleus étaient impénétrables… et lui n'était qu'un livre grand ouvert…

- Si j'en bois, vous me foutez la paix après, gronda Hisoka, méfiant.

Rivan eut un mouvement d'apaisement de la main avant de boire une gorgée de son verre.

- Si tu le veux pas, le fais pas… Mais à en voir tes yeux, je pencherais plutôt pour le contraire.

Hisoka tressaillit alors, désappointé. Que gagnerait-il donc en buvant? Et… pourquoi en avait-il tant envie?

Il fixa le fond du liquide doré, ambré, aux reflets lourds de conséquences. Doucement, il leva le bras et laissa l'alcool couler dans sa bouche, sa main crispée sur son verre. Le goût se grava sur sa langue et, surpris, presque écœuré, il faillit tout recracher, vider son estomac contenant quelque chose d'inconnu mais, en défi par rapport à l'homme blond près de lui, il finit en une grande gorgée tout le verre, sentit le feu liquide descendre dans sa gorge, faire tordre ses boyaux, glisser dans tout son organisme, puis, en effluves sirupeuses, remonter à son esprit paniqué, captivé, grisé de cette sensation forte et troublante, de cet alcool qui venait de dompter littéralement tout son corps.

Il reposa brutalement le verre qui se cogna contre le comptoir, espérant ainsi ne pas rejeter ce qu'il avait ingurgité. Il déglutit sa salive, avalant les restes de cette boisson si dangereuse par la même occasion, avant de dévisager Rivan, le mettant au défi de lui dire quelque chose. Ce dernier parut surpris d'un tel comportement, puis, doucement un sourire amusé, ravi, enjoué naquit sur ses lèvres.

- Eh bien… Pour quelqu'un qui ne boit plus…

En disant ces mots, il remplit de nouveau le verre d'Hisoka qui le regardait, les lèvres sèches, l'estomac et la gorge en feu. Ce n'était même plus de la soif. Ce n'était même plus la curiosité de boire. C'était l'envie, le besoin. L'obsession. Il eut un tremblement dans les mains qu'il crispa sur ses genoux, attendant que le liquide ambré ait été déversé.

- Doucement, boy, lui rappela Rivan, sentant que le jeu commençait déjà à prendre des proportions dangereuses. Te rends pas malade non plus.

- Allez vous faire foutre, répliqua Hisoka d'une voix pâteuse qui, le cerveau déjà d'embrumé, ne se rendait même pas compte des propos qu'il employait. Je fais ce que je veux.

Et de nouveau, ce goût particulier, dégoûtant et délicieux, naquit sur ses lèvres, imprégna son palais, tatoué dans sa bouche quand il but aussi sec le second verre, la voix de la raison en lui ne cessant pourtant de crier qu'il se comportait comme le plus puérils des saoûlards au monde.

Ses membres lui semblèrent de plomb comme ses paupières qui s'abaissaient sous le sommeil de l'ivresse. La voix de Rivan lui était lointaine, déformée en propos graves et ridiculement insignifiants.

- N'avais-tu pas des soupçons sur moi? dit l'américain à l'adolescent, dans le brouillard d'odeurs alcoolisée. Dis-moi franchement… A présent, que ressens-tu pour tous ceux qui sont morts? Encore de la tristesse, de la vengeance?

Hisoka tressaillit de nouveau, soulevé par une nausée violente qui disparut aussi soudainement qu'elle apparut. Il fit un geste un peu hésitant de la main à Rivan pour qu'il lui serve encore un autre coup. Ses yeux, morts de raison, eurent alors une légère étincelle de moquerie, d'indifférence.

- J'en ai rien à battre, avoua le Shinigami, ayant même un sourire noir et cruel sur ses lèvres encore humides de whisky. Qu'ils crèvent tous… ça m'intéresse pas… Non… C'est…

Il se tut, les mots commençant à disparaître de son cerveau, comme de pages couvertes de lignes à l'encre que l'on effaçait petit à petit. Il n'arrivait pratiquement plus à articuler, ses lèvres soudain molles.

L'ambiance était suffoquante… Le piano continuait de jouer mais l'adolescent n'entendait plus les notes, juste un amas de sons distordus en échos agréable. Les ombres se coulaient, se brouillaient en un point immense, en tableau où l'on aurait renversé de l'eau dessus.

Ses yeux, au bout du troisième verre, se firent vitreux, opaques. C'était déjà un miracle qu'il ait pu tenir jusque là… Il passa une main tremblante sur son visage brûlant. Il sentait à présent toutes les flammes de l'alcool dévorer l'intérieur de son corps, en un poison lent et distillé dans son être. Au moment où il voulut saisir lui-même la bouteille, il fut pris d'un haut-le-cœur et stoppa aussi sec son geste. La bouteille, sous ses yeux, sembla vaciller, devenir double et, la tête bourdonnante, il arrêta donc de chercher à la prendre. Il avait la gorge si sèche… Il avait si soif maintenant…

Il enleva un bouton de sa chemise, mal à l'aise. Pratiquement aucune parole n'avait été échangée entre lui et l'américain. Ce n'était même plus une discussion. Plutôt un pari. Un défi. Un duel muet. Voir la résistance de l'adolescent.

- Je… Je ne me sens pas très bien, avoua enfin Hisoka, les joues empourprées de cette couleur si particulière à l'ébriété. Je… Je vais remonter…

Au moment où il leva pour partir, ses jambes semblèrent, traîtresses, se dérober sous lui, aussi, il faillit s'écrouler mais les bras de Rivan le retinrent et l'aidèrent à le remettre debout. Groggy, les pensées brouillées, la voix de la raison étant elle-même partie faire un tour aux abonnés absents, il n'arriva pas à répliquer qu'il pouvait se débrouiller. C'aurait été un mensonge et de plus… il se demandait, la bouche pâteuse, s'il était encore en mesure de parler.

- Je vais te raccompagner, je crois que j'ai poussé le bouchon un peu trop loin, fit l'américain aimablement, trop aimablement.

Anthony paya la bouteille déjà bien entamée, puis, souriant, prit l'adolescent par les épaules, l'aidant à marcher correctement vers l'ascenseur.

L'ombre du bar pouvait masquer les visages, les sourires et les regards. Elle dévorait ce qu'il était vrai, dévoilait l'illusoire.

Dans l'obscurité étouffante et le brouillard de la salle, la lueur du chaos brilla dans deux yeux bleus. Un chaos teinté si longtemps par un ennui lointain… mais enfin étincelant de nouveauté…

Il allait se divertir et se jouer de cette éphémère étincelle de vie…


La jeune fille était calme, assise dans le grand lit aux draps blanc, la tête remontée par plusieurs larges coussins. Ses yeux étaient clos, ses longs cils s'abaissant sur ses joues pâles de mort mais vivantes malgré tout. Ses cheveux d'or cuivré étaient une toison de bijoux autour de sa tête et, lentement, sa respiration, sereine, apaisait l'homme assis près d'elle, sur une chaise, attendant qu'elle se réveille.

Tsuzuki avait dû aider, bon gré mal gré, les autorités concernant les personnes de l'étage, qui ils étaient et autres choses encore. Helen, fortement chamboulée, avait passé toute la journée à s'angoisser, triste et perdue, seule sur la grande terrasse du 30e étage. Puis, fatiguée, elle avait manqué de s'évanouir une nouvelle fois, heureusement dans les bras du Shinigami aux yeux d'améthystes qui l'avait ramenée dans une chambre libre, la sienne en piteux état depuis ce qu'il s'était passé avec le yurei.

La jeune fille avait encore de longs bandages sur les deux bras, très légèrement teintés de sang à quelques endroits où la chair avait été le plus marquée. Les mains, les poignets étaient couverts de pansements.

Tsuzuki ne savait pas ce qu'il s'était passé pour que Pâris, un garçon qui d'après Helen était si doux et aimant, ait pu devenir un tel monstre. Il s'en était pris, comme il avait tenu à le faire, aux trois filles du Quatuor, hormis Helen. Mais ce n'était qu'une question de temps, un laps d'heures à la fois trop courtes et longues d'attente. Et si on ajoutait le meurtre de Hargeisa, sans aucun doute par une autre personne, cela donnait une vision plutôt rouge des Etats-Unis.

Le Shinigami, silencieux, prit la main gauche de la jeune fille et la plaça entre ses paumes, caressant la peau à travers le pansement. C'était une jeune fille si menue si fragile… Tant de malheurs lui tombaient dessus. Il ferma une seconde ses prunelles mauves. Le noir de ses yeux clos laissa alors le temps s'écouler et une vision, embrunie, enfouie dans sa mémoire déchirée, une silhouette, marchant dans la nuit. Une silhouette tout de rouge vêtue, dans le froid obscur. Deux yeux qui le fixaient…

« Pourquoi ai-je pris ta place, hein? Dis-moi pourquoi je me suis sacrifiée pour toi! »

La gorge de Tsuzuki se serra, si fort qu'il crut perdre l'usage de la parole. Il secoua énergiquement la tête, pour ne plus voir cette ombre, cette silhouette de sang se mouvant dans les ténèbres. Il ne fallait plus qu'elle reste présente dans ses souvenirs, dans son cœur meurtri.

« Toi… Toi que j'aimais si fort… »

- Hayao…

Surpris, Tsuzuki releva la tête et sentit par le même geste des doigts bouger dans sa main close. Il rouvrit le regard, pour voir deux yeux bleu de vert qui le fixaient, calmes, attentifs, mais loin d'une tranquillité et d'un apaisement qu'il voulait tant contempler. La jeune fille, sans dire mot, leva son autre main pour la poser sur celle du Shinigami, en caresse froide et compatissante.

- Helen, souffla Tsuzuki, ému.

Cette femme avait juste besoin qu'on la protège, qu'on fasse juste un peu attention à elle. Son premier et dernier amour était devenu un meurtrier et pourtant, elle l'aimait toujours, aussi passionnément qu'autrefois.

Tsuzuki sourit tendrement à la jeune femme.

- Vous allez mieux? Demanda-t-il doucement.

Helen acquiesça d'un signe de tête, avant qu'un légère sourire vienne timidement naître sur ses lèvres pâles.

- J'ai connu mieux, mais ça va…

Elle ferma le regard encore un instant, avant de le rouvrir. Elle fixa le haut plafond clair, pensive, silencieuse, ses yeux lointains, dévisageant un monde où les autres n'avaient pas leur place. Ses lèvres émirent un mouvement, les paroles muettes. Tsuzuki, surpris, la dévisagea. Elle sembla sentir son regard sur elle car elle soupira, fatiguée, lassée de cette existence où le simple goût du souvenir était celui douceâtre du sang sur sa langue.

- Je l'ai mérité, murmura-t-elle, faussement tranquille, presque figées dans une immobilité de poupée.

Tsuzuki fronça les sourcils.

- Que voulez-vous dire?

Helen tourna son visage pâle vers lui, un sérieux à présent gravé sur ses traits fins. Elle toucha un court instant une mèche de ses cheveux châtain d'or, avant de laisser retomber sa main dans un mouvement lent du bras.

- Aline, Deborah, Jenny… Je suis bien plus coupable que ces trois filles réunies, continua-t-elle sur un ton amer. J'ai vraiment peur de Pâris mais… Je suis responsable, je suis responsable de sa mort…

Tsuzuki sursauta. Que voulait dire Helen? Elle, coupable? Non, impossible, impensable… Il sentit son cœur rater un battement.

- Helen, vous n'êtes pas sérieuse, répliqua-t-il, se retenant d'hausser la voix.

La jeune femme lui lança à peine un regard. On aurait dit qu'elle n'arrivait plus à ressentir de la peur réelle, mais plutôt celle d'un enfant qui vient de briser un vase et qui, la mort dans l'âme, attend l'arrivée de ses parents pour que ces derniers le punissent.

Le Shinigami serra les poings, une onde de colère remontant à la surface de son esprit.

- Qu'est-ce que vous cachez, Helen?

- Rien, répondit calmement la jeune femme aux yeux bleu de vert, morte vivante, immobile dans les draps blancs. Rien du tout… Au contraire, je ne veux rien cacher, même si ça fait mal… Ce n'est pas moi qui ai tué Pâris mais c'est tout comme, tout comme…

Ses yeux se fermèrent doucement, sa respiration se fit plus profonde. Sa main froide contre la paume chaude de Tsuzuki se fit molle, sans vie. Ses lèvres s'entrouvrirent dans un léger souffle.

- Ce sera mon tour…

Et doucement, elle se rendormit, fragile statue de verre, brisée de l'intérieur. Le Shinigami eut l'impression qu'on venait de l'étouffer, tant sa gorge le serrait. Silencieux, il contempla la jeune fille prise dans un sommeil de tortures lourdes et, délicatement, l'embrassa sur le front, y dégageant quelques mèches ondulées et brillantes. Elle n'était pas comme « elle », dans son habit tout de rouge sang, sous la neige, le corps brisé…

Un corps brisé sur le sol… Mi-allongée mi-assise, couverte de bleus… Contre le poteau le sang qui coulait en flux rouges et odorants… et elle…

« Pourquoi suis-je morte à cause de toi! Qu'est-ce que j'ai gagné à être à ta place! »

Tsuzuki tressaillit, les yeux brûlants. Il passa une main tremblante sur son visage… La silhouette rouge… Il ne pouvait plus rester dans cette chambre, trop de malaise, trop de souvenirs l'étouffaient…

Il s'éloigna du lit, mit une main sur la poignée glacée qui pourtant lui brûlait la paume. Doucement, il se retourna et observa le corps pâle endormi.

Il hésita puis, ferma les yeux, se concentra. Dans un écho sourd, une onde bleue naquit devant sa main droite, brillante, résonnante, se déforma, se divisa, se réunit… Et, dans un souffle lointain, l'éclat de lumière se transforma en un fuda à l'encre dorée, gravée de signes sacrées. D'un mouvement de l'index, il fit léviter le fuda dans un bruissement d'ailes à peine perceptible jusqu'au bureau d'Helen. Le papier sacré, silencieusement, glissa doucement dans un coin du mur et s'y scella, de sorte que personne ne pouvait le voir, même si Tsuzuki savait où il était.

Le fuda des morts. Un sort si puissant qu'il était capable de détruire n'importe quelle âme. Tsuzuki déglutit sa salive. Il espérait avoir fait le bon choix, et sûr…

L'ombre de sang sous la neige était une image bien trop blessante pour qu'il se permette de recommencer de tout briser…

Un échiquier où il était le monstre…

Échec et mat.


Il se sentait ailleurs… Abruti par l'alcool, tétanisé par le sommeil. Il entendit vaguement la porte de sa chambre se refermer, bien qu'il se souvenait que ce n'était pas lui qui l'avait fait. Qui alors? Il tituba, retenu par deux bras rassurants. Rassurants? Quelle était donc cette pensée? L'adolescent eut un haut-le-cœur et dut serrer les lèvres pour ne pas tout revomir. Le teint pâle, le visage perlé de sueurs, il maugréa quelques mots dont lui-même ne connaissait pas la signification.

« Ah… J'ai mal au cœur… »

Mais qu'est-ce qui lui avait pris de boire de l'alcool? Même pas une gorgée mais trois verres d'affilié. Il fut ramené à la réalité en trébuchant sur des affaires traînant sur le sol et manqua de tomber par terre dans une prestance qu'un ivrogne aurait applaudi mais de nouveau, les bras le rattrapèrent, plus fermement et on le guida jusqu'au lit.

Il ne voyait quasiment plus rien à présent. Juste un amas d'images se superposant l'une sur l'autre, terriblement floues. La tête bourdonnante, il se laissa tomber sur le matelas, le contact des draps frais lui faisant pousser un soupir de soulagement. Une silhouette s'assit près de lui, assez grande.

- Il faut dire si tu ne tiens pas l'alcool, boy, fit-elle donc d'une voix suave et grave

Des mains s'affairèrent, petits êtres minutieux. Hisoka sentit qu'on lui enlevait ses chaussures, sans doute pour être plus à l'aise, puis, tout doucement, déboutonné encore un bouton de sa chemise, lui faisant respirer un peu plus d'air, bien que l'adolescent, suffoquant et brûlant de l'alcool de l'intérieur, ne sentait pas la différence.

- Je ne me sens pas très bien, murmura-t-il difficilement à la forme près de lui.

- Chut… Détends-toi, c'est normal…

L'ombre floue se pencha vers lui et de nouveau, un bouton de sa chemise fut enlevé. Hisoka plissa les yeux, essayant de voir son interlocuteur. Mais… Il ouvrit très légèrement la bouche, tentant de parler à nouveau.

- Où suis-je…? Demanda-t-il faiblement, l'alcool rendant sa langue gonflée et ses lèvres molles. Non…

Il tendit une main tremblante et mal assurée vers celui qui venait de le dévêtir légèrement. Ce dernier, tout doucement, caressa sa paume et, de ses lèvres, embrassa les doigts, les mordilla. L'adolescent sentit une chaleur encore plus violente lui enserrer le corps, tentatrice, brusque, imprévisible. Il essaya d'enlever sa main mais l'homme fut plus fort et la garda contre lui, avant de se pencher davantage vers le jeune homme aux yeux d'émeraudes brûlants.

Un sourire que l'empathe ne vit pas vraiment naquit sur les lèvres de son interlocuteur.

- Tu es vraiment beau, boy…, susurra-t-il presque tendrement.

L'adolescent, dans les limbes de l'alcool, discerna un toucher froid sur sa joue, en voile illusoire, glisser sur ses lèvres, puis sur son menton, son cou et sur sa peau découverte. Il frissonna et détourna les yeux, incapable de dire qu'il fallait cesser et également incapable de savoir s'il aimait ça.

- Tu es attirant, si attirant…, continua la voix.

- Non…. Pas ç….

Deux lèvres se posèrent sur les siennes, passionnées, amusées. Dans un gémissement, Hisoka se recula mais l'homme l'embrassa encore plus fort, le forçant d'un mordillement sur la chair douce de l'adolescent d'accentuer leur baiser. Une de ses mains glissa sur la chemise légèrement ouverte, et commença à glisser sur la peau de soie, à caresser la chair pâle, lentement, pour le faire succomber. Les gestes, de plus en plus sensuels, faisaient trembler le jeune garçon qui se débattit, le corps brûlant. Il ne voulait pas le faire, il ne le voulait pas.

- A… Arrêtez, je vous en prie…, hoqueta-t-il, la vue de plus en plus brouillée. Je ne veux pas…

Les caresses sur sa peau frémissante continuaient leur horrible torture, suivies des lèvres de l'homme, l'embrassant de parts et d'autres, sur ses lèvres, son cou, son torse, son ventre. Il n'en pouvait plus, c'était insupportable.

Il avait si chaud…. Mais il ne voulait pas faire ça, pas avec cet homme. Seule une personne pouvait le toucher de la sorte et le faire frissonner de plaisir. Cet homme aux yeux d'améthystes, si tendre, si beau…

- Tsuzuki…, gémit l'empathe, le souffle court.

Il ne vit pas les yeux de l'homme, tout comme il ne vit la longue ligne rouge glisser dans les mains de cette ombre au regard bleu. Mais, tel un serpent, le fil s'enroula autour de sa gorge, d'abord à peine remarqué.

- Je vais enfin pouvoir m'amuser, chuchota l'homme d'une voix ravie mais calme à la fois.

Hisoka tressaillit…

Les mains de l'homme tirèrent sur la cordelette, fort. Si fort… Trop fort…

- Aaaaaaaah!

L'adolescent écarquilla les yeux et, horrifié, tenta de s'éloigner de cette emprise sur sa chair. Sa gorge le faisait incroyablement souffrir. C'était comme si on le transperçait, on le traversait lentement par un fil brûlant et acéré. Il déglutit sa salive mais eut encore plus mal, sentant ses cordes vocales se tordre et gémir en suppliques. Un goût de sang commença à gonfler sa langue, à teinter ses lèvres. Inconsciemment, il porta ses mains tremblantes à son cou et essaya de ses doigts à attraper le fil de sa souffrance pour se dégager et d'aspirer une goulée d'air. La cordelette faillit lui trancher les phalanges et la douleur, coulant dans toutes ses veines le faisait frémir, trépigner.

- Non, arrêtez! Laissez-moi, arrêtez ça! J'é… étouffe!

Il dégagea ses jambes et fit un mouvement violent vers l'homme qui le stoppa aussi aisément que s'il avait affaire à un petit enfant de cinq ans et, d'un geste expert qui reflétait l'habitude, il enroula l'autre extrémité du fil autour des mains de l'adolescent, les levant au-dessus de la tête de ce dernier, lui coupant légèrement les poignets. En tirant dessus, Hisoka relevait davantage les paumes et ce geste serrait davantage l'emprise sur sa gorge.

Du sang, peu à peu, se mit à perler sur son cou, glissa en gouttes éparses et chaudes sur sa peau pâles.

La douleur dégrisa Hisoka qui sentit sa vue se faire de plus en plus nette, au point que le visage de son agresseur se dessina avec exactitude. Deux yeux bleus où le chaos reflétaient un amusement certain et enjoué, un visage si souriant mais mystérieux, des cheveux blonds en bataille…

- Rivan…, souffla l'adolescent.

Un cri jaillit de sa bouche mais mourut presque aussitôt, réduit au silence par deux lèvres froides et cruelles se posant sur les siennes. Un gémissement perça la barrière et Hisoka tenta de s'éloigner de ces mains terrifiantes, de son envie, de cette lueur dans le regard qu'il connaissait parfaitement.

« Pourquoi ne suis-je qu'une marionnette? Pourquoi ne suis-je qu'un pantin? » songea désespérément Hisoka.

Il savait qu'il n'allait pas mourir mais… le sort qui l'attendait était bien pire que la mort. Ses yeux se brouillèrent de larmes de détresse, coulant sur son visage pâle et paniqué. Il n'était qu'un patin, un jouet sans âme, fait pour divertir les âmes sombres et jeté dès la fin des étreintes. Pourquoi lui…?

Rivan le toisa de son regard brûlant et glacé à la fois, passant doucement sa langue sur la chair tendre du Shinigami.

- Voilà donc un jeu divertissant… La vie me paraissait tellement vide d'ennui… Divertis-moi, boy…

- Non, non…, sanglota Hisoka de plus belle, détournant ses yeux baignés de perles. Tsuzuki… Tsuzuki, je t'en prie…

Il ne voulait plus voir, il ne voulait plus souffrir… Mais pourquoi donc cette douleur? Pourquoi lui? Ses barrières psychiques, bien que remontées au maximum, ne pouvaient cesser les ondes chaotiques et malsaines de l'américain qui le fouillait intérieurement, dévorait toutes ses pensées. Qu'on lui laissait son esprit, le seul mur qui le protégeait de la folie et du désespoir…

Quand Rivan l'embrassa rageusement, lui mordant la lèvre, Hisoka vit des taches colorées se graver dans ses yeux, tant le fil l'asphyxiait, le faisait plonger dans une mort par procuration. Il ferma le regard, de toutes ses forces, pour ne pas voir, pour ne plus sentir tout ça.

« Tsuzuki… A l'aide, Tsuzuki! Je t'en prie, viens m'aider! »


Tsuzuki, surpris, observa toutes les personnes au bar. Parmi toutes les silhouettes à peine éclairées par les faibles lumières, il n'arriva pas à retrouver celle de son partenaire. Il savait qu'Hisoka était allé là pour réfléchir à l'enquête et qu'il était convenu qu'ils se retrouvent tous deux à cet endroit.

« Mais où est-il? »

Le Shinigami aux yeux d'améthystes, pensif, n'entendit pas arriver une jeune hôtesse, la même que la dernière fois, rougissante, lui tendre un plateau où un téléphone sans fil reposait.

- Mister Ikesawa, un coup de fil pour vous.

Il sursauta quand la jeune femme lui tendit le téléphone, puis la remercia d'un bref signe de tête, attendant qu'elle soit partie pour parler avec son interlocuteur. Il sentait que quelque chose n'allait pas, et il en frissonna même légèrement.

- Allô, ici Tsuzuki, commença-t-il, ne sachant pas à quoi s'attendre.

- Tsuzuki, c'est moi, Tatsumi!

Tsuzuki fronça les sourcils. Tatsumi avait une voix rapide, presque paniquée. Cela ne lui ressemblait pas le moins du monde, lui toujours calme et posé malgré les problèmes. Le souvenir de leur dernière conversation téléphonique lui revint et il se mordit la lèvre, honteux.

- Tatsumi, je te dois te dire que je m'excuse de…

- C'est pas le moment! Aboya le secrétaire de l'Enma-Cho. Vraiment pas le moment! Tsuzuki, il ne faut pas que tu t'approches d'Anthony Rivan, il ne le faut surtout pas!

Tsuzuki, surpris, mit quelques secondes avant de répondre.

- Comment cela? Qu'est-ce qui s'est passé?

- Un hacker s'est introduit dans les données informatiques de l'Enma-Cho et s'est débrouillé pour effacer toutes les informations qu'on avait pu se procurer sur le compte du yurei et des suspects. Heureusement, le patron en avait une copie intégrale. On a fait quelques recherches.

- Mais quel rapport avec Rivan? Fit Tsuzuki, agacé.

Tatsumi soupira avant de reprendre.

- Il faut que je te le dise, Tsuzuki… Anthony Rivan est…

Ce que lui avoua le maître des Ombres fit écarquiller les yeux d'améthystes du Shinigami. Le cœur battant, il demeura muet d'abasourdissement un instant qui parut une éternité. Ce n'était pas possible… Anthony ne pouvait pas être… Sans prendre le temps de s'excuser, il raccrocha et posa le téléphone sur le comptoir, lançant un regard furieux au barman.

- Où est Mr Fujisuke?

L'homme fronça les sourcils. Puis regarda la bouteille de whisky qu'il n'avait pas ranger.

- Il est parti avec un homme blond, plutôt grand, répondit-il d'un ton noir, apparemment en colère contre l'américain.

Il fixa Tsuzuki qui tressaillit.

- Votre employeur a bu, Mister. J'ai peur qu'il ait fait une bêtise.

Le sang ne fit qu'un tour dans le corps du Shinigami. La peur de perdre son partenaire et amant se grava en sa mémoire, si fortement qu'il en était presque persuadé. Hisoka était en danger, et s'il avait bu, il ne serait plus en cet instant qu'une poupée inconsciente aux mains d'un salaud. Il serra les poings, la rage transfigurant son regard. Les traits de son visage se durcirent, le rendant si menaçant que le barman, instinctivement se recula.

« Enfoiré, si jamais tu touches à un de ses cheveux…. »

Sans perdre une seconde, il se rua hors du bar, la colère battant comme un tambour jumeau à la terreur. Nullement gêné, il attrapa un homme par l'épaule s'apprêtant à prendre l'ascenseur et d'un geste violent l'envoya à un mètre derrière lui. Le garçon d'ascenseur, terrifié, se colla contre la cloison, fixant l'homme aux yeux d'améthystes avec panique. Tsuzuki, ne s'en préoccupant nullement, actionna lui-même cet engin de malheur.

« Hisoka, tiens bon! »


Il ne voulait plus le voir… Il ne le pouvait plus… Rivan ne le regardait pas lui, mais regardait son corps, s'en amusait, s'en divertissait. Il ne voyait pas les larmes de détresse et de désespoir ou ne le désirait pas.

L'américain serra davantage sa prise sur le fil, obligeant l'adolescent à se cambrer pour ainsi faciliter la tâche de l'homme à lui enlever son pantalon. Il prenait son temps, chaque seconde, chaque minute pour alors mieux le briser, l'écarteler.

Torse nu, les mains liées au-dessus de la tête, la gorge laissant couler du sang chaud et continu, Hisoka gémit davantage quand les mains de Rivan se posèrent sur la seule partie de son corps qu'uniquement son amant pouvait toucher. Il n'était pas encore nu mais il le serait dans quelques minutes. Ses barrières poussées au maximum, il tenta de projeter une onde d'énergie sur l'homme mais sans succès. Une espèce de blanc vide lui boucha l'esprit et il demeura presque inconscient pendant une seconde.

« Qu'est-ce qui s'est passé? »

Anthony sourit davantage et captura ses lèvres pour un nouveau baiser forcé, et soufflant, il murmura.

- N'essaye pas de jouer avec ça, boy… Ton don ne te sera d'aucune aide…

Hisoka écarquilla les yeux de terreur. Il recommença à se débattre, à s'extraire de la prise de l'américain. Doucement, les mains froides de Rivan glissèrent sur sa chair, plus bas, encore plus bas… Ne voulant pas voir cela, Hisoka ferma ses yeux brouillées de larme, une dernière pensée cohérente pour celui qu'il aimait.

« Tsuzuki… »

- SALOPARD!

PAF!

Il y eut une grande secousse sur le lit. Surpris et effrayé, Hisoka eut à peine le temps d'ouvrir les yeux qu'il vit son partenaire, le visage crispé par la fureur, former un poing serré avec sa main et frapper le visage apparemment décontenancé de Rivan qui s'écroula à deux mètres plus loin, contre la fenêtre dans un bruit mat. L'attaque avait été si violente que l'adolescent contempla Tsuzuki avec étonnement et peur mêlées. Jamais il ne l'avait aussi furieux, les yeux brillant d'autant de haine.

Ses lèvres tremblèrent.

- Tsu… Tsuzuki…, l'appela-t-il faiblement.

Tsuzuki, ne se préoccupant plus de l'homme étendu sur le sol, se précipita vers son amant et lui desserra le fil rouge lui emprisonnant les poignets et la gorge. Hisoka eut une grande inspiration, avalant une grande goulée d'air frais, avant de retomber mollement sur le lit, le corps tremblant et exténué, tâché de sang. Ses yeux d'émeraudes, ternis par la fatigue et la peur fixèrent Tsuzuki qui le prit passionnément dans ses bras, le berçant tout doucement. Des larmes, encore survivantes, coulèrent sur les joues pâles de l'adolescent qui se blottit contre son partenaire.

- Je voulais pas, je voulais pas…, murmura-t-il dans un dernier sanglot, cette fois de soulagement. Je voulais pas que ça recommence, comme avec « lui »…

- Chut…., c'est fini…, répondit tendrement Tsuzuki en le gardant contre lui.

Il y eut un bruit de verre à peine perceptible mais suffisamment pour que les Shinigami tournent la tête vers Rivan qui, péniblement, se releva. La fenêtre s'était fissurée sous le choc du coup de poing et du corps s'écrasant contre. Il se remit debout, observant avec amusement les deux Dieux de la Mort. Une marque rouge lui barrait la joue, souvenir de la frappe de Tsuzuki.

Ce dernier, la haine revenant au grand galop au fond de lui, se détacha des bras de son amant et, violemment, attrapa l'américain par le col de la chemise, ce dernier se laissant faire. Les yeux d'améthystes de Tsuzuki brillèrent de rage.

- Dites-moi qui vous êtes, imposteur! Siffla-t-il au visage de l'homme pas le moins du monde surpris à présent. Allez, dites-le-nous!

Hisoka regarda son partenaire avec surprise.

- Tsuzuki, que veux-tu par là?

Le Shinigami relâcha Rivan qui retomba au sol, avec dégoût. Il le toisa de haut, de haine, de rage, de dégoût.

- Ce n'est pas Anthony Rivan, avoua-t-il, les paroles de Tatsumi lui revenant clairement en mémoire. Le vrai Anthony Rivan est mort il y a moins de deux semaines, suite à une intoxication dans un des laboratoires de son père. Peu de personne encore maintenant est au courant de sa mort.

Il lança un regard noir à l'homme blond qui se permit de sourire.

- Mais vous, vous l'étiez, continua-t-il. Qui êtes-vous réellement? Qu'est-ce qui vous a poussé à vous faire passer pour Anthony Rivan?

Le sourire de l'homme se fit plus encore plus large et épanoui. Puis, sans prévenir, il éclata de rire, un rire froid et moqueur. Il passa une main dans ses cheveux d'or, et, doucement, posa un doigt sur ses yeux.

Lorsqu'il le retira, les deux Shinigami tressaillirent. Dans la paume de sa main, l'homme tenait deux minuscules lentilles de couleur bleu glacier. Deux yeux bruns les toisaient à présent, avec une lueur glacée et supérieure, railleuse.

« Cette couleur… comme celle des yeux du yurei… », pensa Hisoka, abasourdi.

Les deux Dieux de la Mort s'étaient attendus à tout, vraiment tout… sauf à la révérence polie de l'homme qui, les fixant de nouveau, déclara, souriant.

- Jeff Glowers, Exécuteur de la zone de Las Vegas… Ou ce que vous autres appelez « Shinigami »…

A suivre…