Yurei
Par Tsubaki Hime
Hello à tous et encore pardon ! 3 mois sans écrire un autre chapitre, c'est vraiment mal, je l'avoue. Mais après un terrible passage à vide, avec cours et devoirs et enfin une grose flemme, cela n'arrange pas les choses. Enfin, je suis quand même contente de vous offrir ce dernier chapitre Yurei, avant l'épilogue qui j'espère donnera les dernières réponses aux dernières questions. Je ne suis pas très contente de moi pour ce chapitre (comme toujours, je suis une éternelle insatisfaite) mais j'espère qu'il vous plaîra. Encore pardon pour ce retard, c'est la première fois que je mets autant de temps pour écrire un chapitre. Mais bon flemme et cours ne font pas bon ménage. Alors, petits détectives, vous ne savez toujours pas qui est le yurei ? Vous allez avoir vos réponses. J'ai été très contente de savoir que vous ne l'aviez pas trouvé, ça prouve que j'arrive encore à écrire des trucs tordus.
Bonne lecture à tous,
Tsubaki Himé.
Chapitre VIII
Athio
Le corps… sous l'eau… Je peux voir le ciel d'ici, si bleu…
Pâris, on sera toujours ensemble… n'est-ce pas?
La lueur des ordinateurs était diffuse et blafarde. Le cliquètement monotone et strident des touches du clavier rythmait par synchronisation avec la musique de fond, du hard rock anglais, téléchargé illégalement via un site pirate. C'était une pièce grande et spacieuse, mais qui, étrangement, n'était occupée que dans le fond, où, reposaient sur une longue et large table basse trois ordinateurs, allumés 24h/24, tournant à pleins régimes. Les écrans laissaient apercevoir diverses choses. Celui de droite était toujours décoré de longues séries de chiffres incompréhensibles, s'effaçant pour laisser place à d'autres lignes toutes aussi compliquées, les signes, rouges sur fond noir, ayant un aspect menaçant et mystérieux à la fois. L'écran du milieu diffusait une chaîne télévisée, flash par flash, passant d'un reportage sur une guerre civile à une émission de cuisine, suivie à son tour par la météo dans le monde. Quant au troisième, il n'y avait ni plus ni moins qu'un graphique des valeurs boursières, où certaines courbes, par instant, baissaient d'un cran avant de remonter; d'autres n'avaient pas cette chance et sitôt au sommet redescendaient alors dans les entrailles de la barre critique, synonyme de faillite et vie fichue.
Tout autour de la table, des extraits de journaux, découpés à la hâte, traînaient sur le sol, compagnons des bols vides, des sachets de gâteaux ouverts et des canettes de soda sans le moindre reste de boisson. Il y avait aussi des bandes dessinées japonaises, empilées en tour tremblante, capables de s'effondrer au moindre choc. Il y en avait pour tous les goûts, allant du niais à étoiles aux psychologiques, et aux érotiques. Néanmoins, bien rangés dans une immense étagère prenant tout un mur de la pièce, des livres se présentaient. Étude de la criminalité au 20e siècle, analyse informatique, essais sur l'inconscient et le soi intérieur, les données révélées dans les trois plus grandes entreprises du monde…
Des schémas étaient accrochés comme en posters, des photographies de toute sorte, comme celle en noir et blanc d'un corps retrouvé d'un homme s'étant noyé, ou celle destinée à une affaire de tueur en série.
Pour dernier objet, un matelas épais, recouvert d'une couette rejetée négligemment et un large oreiller était posé sur le sol. Il n'y avait rien d'autre.
La personne, assis devant la petite table basse, ne perdait pas une miette des images de guerre civile se déroulant sous ses yeux, le hard rock en sourdine illustrant à merveille les expressions d'horreur des pauvres citoyens, tués en pleine boucherie entre deux clans. Une nouvelle ligne de chiffre s'inscrivit sur l'écran de droite. Une entreprise hollandaise sur l'écran de gauche perdit toutes ses valeurs et tomba dans la faillite. Le monde continuait de tourner, même si certains se cassaient la figure et se faisaient piétiner par les autres. La vie était une longue marche où les plus faibles tombaient les premiers, écrasés.
Il sourit en pensant à ça. Lui avait fait une pause. Maintenant, ce n'était plus qu'un spectateur amusé, se délectant de la fatigue de ces « coureurs », ne cherchant ni à les encourager, ni à les huer. Il prit une barre chocolatée fourrée aux noisettes dont il laissa retomber l'emballage, se ralliant aux autres détritus s'amassant à ses pieds. Il en croqua un bout, savourant la friandise, avant d'aller accéder un fichier protégé sur son écran principal. Des données s'inscrivirent, dévalant l'écran en des lignes verticales de lettres, de chiffres, comme une cascade. Un sourire, un peu élargi, naquit sur ses lèvres. Ces pauvres Dieux de la Mort… Ils n'avaient rien vus venir de son petit tour. Après tout rien de bien compliqué. Les défenses du réseau de Meifu étaient certes importantes mais, comme si celui qui l'avait programmé en avait eu assez, il y avait des imperfections dans les codes, qu'il avait trouvé en un rien de temps.
Il n'était pas stupide en point de ne pas penser que les Shinigami n'avaient aucune sauvegarde. Il les méprisait mais n'aimait pas pour autant trop sous-estimer ses adversaires. Ca lui retombait dessus presque avec autant de violence sinon plus que son attaque. Pour néanmoins combler les brèches possibles, il avait installé un véritable filet de virus, comme une toile d'araignées. Le premier pirate, susceptible d'être intéressé par cette mine d'or, serait aussitôt emprisonné par plus de mille virus, tous de la création du hacker. Il se rappela l'épisode du crack boursier de 1929 et eut un léger rire. Il n'était pas « parti » assez tôt pour en être l'auteur, ce qui était assez dommage à ses yeux. Il attendait avec impatience une nouvelle crise économique, pour ainsi jouer un rôle plutôt intéressant.
Le solo de guitare électrique, brutal, acide, comme il les aimait tant, bouillonnait dans sa tête. Il augmenta le son, avant de croquer un nouveau morceau de sa barre au chocolat. Tout en chantonnant sur les paroles de la chanson, il remit la chaîne télévisée où cette fois une sitcom des années 80 passait. Intéressé par cette stupidité niaise et humaine, il regarda quelques minutes.
Ting! Ting!
Il sursauta à cet instant. Un petit bruit strident le rappela à l'ordre. Surpris, il coupa la sitcom, avant de voir ce qu'il se passait.
Element non désirable dans le champ d'opération. Système en défense.
« Tiens, tiens… quelqu'un tente d'entrer dans le réseau des Shinigami… »
Souriant d'avance, il se connecta à son tour, ayant pris soin de se protéger des virus par un code les empêchant de le contaminer. Les données continuaient leur chemin, semblables à des ruisseaux verticales. Il mit tout cela en image 3D. Les données se transformèrent en une sphère composée de chiffres et de lettres, ne cessant de filer, faisant pivoter la sphère et les lignes la composant. Sur le bas côté de l'écran, un texte en blanc s'affichait. C'était le message de l'intrus.
« Que compte-il faire? »
Un bip le fit de nouveau sursauter.
Alerte. Barrière 1 franchie.
Il écarquilla les yeux, sentant son cœur se mettre rigoureusement à battre avec plus de frénésie. Ne comprenant pas le moins du monde cette facilité à pénétrer les barrières qu'il avait lui-même surprotégées, il vérifia les virus mis en place. Sur les 1586, plus de 30 pour centavait été détruit. D'un coup.
Coinçant sa barre chocolatée entre ses dents serrées, il se mit à pianoter sur son clavier, cherchant une faille dans cette attaque. Si à ce rythme le pirate forçait toutes les barrières, qui étaient au total de 4, protégées mieux que le ferait la NASA, il n'allait plus rester grand-chose des données récupérées.
- Merde… Comment il a fait celui-là?
49 pour centdes virus détruits.
Déjà?
Il se sentit pris d'une bouffée de panique qui ne dura heureusement que quelques secondes, mais cela suffit pour qu'il se sente vraiment pris au piège. Ne pouvant plus supporter cet étranger dans la forteresse qu'il avait construit lui-même, il ouvrit la connexion entre lui et le pirate. Aussitôt fait, il tapa son message.
Electronicat dit:
Qu'essaies-tu de faire? Si tu continues, je devrai me montrer plus méchant.
Il avait écrit ça par bravache. Il était tombé sur un bon. Et, inconsciemment, il ne pouvait s'empêcher d'éprouver du respect. Il mordit dans sa barre de chocolat, mangeant un bout. Mais sa gorge était tellement serrée qu'il avait du mal à avaler. La réponse de l'intrus fut rapide.
Le Cavalier Blanc dit:
Ces Dieux sont à moi. Que tu sois ou pas sur mon chemin, cela m'est égal.
Bip! Bip!
Alerte. Barrière 2 franchie.
- Mais… Mais c'est pas vrai!
Plus de 63 pour centdes virus détruits. Et il ne s'en était même pas rendu compte.
De nouveau, une bouffée brûlante de panique le saisit et, la respiration saccadée, ne se souciant même plus des deux autres écrans, il se pencha vers le principal, fortifiant les deux dernières barrières avec tout ce qui lui restait de protection. Comment avait-il fait? Il n'arrivait plus à avoir une explication logique à tout cela.
- Arrête ça! Pourquoi tu veux entrer?
- En quoi cela te regarde?
Alerte. Barrière 3 franchie.
La barre au chocolat tomba sur le sol. Terrifié, tétanisé de peur, il tenta de fortifier avec de nouveaux virus, sans même faire attention à la puissance de ces derniers. Mais il était trop tard à présent, plus de 98pour centavait été détruit.
Un nouveau clignotement en présence du Cavalier retint son attention.
Personne ne touche à mes poupéesBarrière 4 franchie.
A cet instant, l'écran devint noir, les données ayant été effacées, récupérées par l'intrus. Dans un vrombissement, l'ordinateur s'éteignit automatiquement pour se rallumer aussitôt. Médusé, abattu, il fixa le fond d'écran vide. Le Cavalier s'était connecté sur un autre réseau pour transférer ce qu'il avait pris. Abasourdi, le hacker demeura muet. La barre au chocolat fondait sur un sachet de chips entamé.
Ce fut au bout d'une bonne dizaine de minutes qu'il revint véritablement à lui, l'écran toujours aussi noir. D'une main tremblante, il prit son téléphone portable, ouvrant le clapet et composant un numéro à la toute hâte. Déglutissant sa salive, il attendit que la sonnerie cesse pour parler sur un ton hésitant.
- Patron… Oui, c'est moi… Je crois que nous ne sommes pas les seuls à nous intéresser aux Shinigami… Il y a quelqu'un d'autre… Dangereux…
Une grande compagnie américaine d'assurances perdit ses valeurs. Plus de 100.000 postes allaient être supprimés. Et les gens continuaient de courir vers la fin de leur vie…
- Jeff Glowers, Exécuteur de la zone de Las Vegas… Ou ce que vous autres appelez « Shinigami »…
Atterré, l'adolescent aux yeux d'émeraudes dévisagea l'homme droit devant lui, le fixant de ses yeux bruns, si perçants, où une onde terrifiante se mouvait. Cette couleur, il s'agissait de la même des yeux de Pâris. Le même éclat, la même froideur cruelle. Mais pourtant… Ce ne pouvait être lui, il le sentait.
Tsuzuki, les dents serrées par la rage, se retenait visiblement de ne pas frapper l'imposteur en plein visage. Les poings crispés, il le regarda sourire, remettant les lentilles bleues qui avaient caché son véritable regard dans une boîte en plastique qu'il mit ensuite dans sa poche. Et, après cela, il retira le bandage de sa main qu'il s'était entaillé la veille. Sur la peau nue, il ne restait plus rien, pas même une cicatrice. Muets, les deux Shinigami virent même sous leurs yeux, la trace rouge du coup de poing s'évanouir de sa joue, comme un lointain souvenir.
Jeff eut un léger rire.
- Voyons, ne faites pas cette tête. Je suis comme vous après tout.
- Comme nous? Répéta Tsuzuki, sentant la colère monter un peu plus en lui. Vous vous êtes joué de nous, sans le moindre scrupule. Depuis le début, vous saviez que nous étions envoyés par le Juo-Cho et vous avez continué de jouer votre rôle!
Jeff haussa les épaules, un air impassible marquant les traits réguliers de son visage. Il prit de sa poche un paquet de cigarette et son briquet. D'un geste désinvolte, il pinça une cigarette entre ses lèvres qu'il alluma d'une courte flamme. La fumée âcre autour de lui se mit à dessiner des esquisses grises et opaques dans l'atmosphère tendue.
L'Exécuteur se permit le temps de prendre une bouffée de son tube de nicotine qu'il expira presque aussitôt avant de répondre, nonchalant.
- Ma mission est comme la vôtre: découvrir qui est l'âme errante. Par chance, mon visage a les mêmes traits que ceux d'Anthony Rivan dont l'âme a été transférée en attente d'une réincarnation. Mes supérieurs m'ont averti que nos homologues japonais étaient également sur le coup aussi je ne devais ne rien vous avouer et travailler de mon propre côté. Pourtant, au bout de quelques jours, j'ai reçu un autre ordre: l'heure de mort d'Hargeisa venait de sonner. Personne dans mon secteur ne s'y attendait, pas même moi. Mais tout avait été défini: Hargeisa devait mourir au Paradise Hôtel, c'était ainsi.
Tsuzuki le dévisagea, suspicieux.
- Mais… Pourquoi l'avoir tué d'une telle manière? Aussi barbare…
Jeff, surpris d'un tel point de vue, rit légèrement, avant d'aspirer une nouvelle bouffée de sa cigarette. Il alla jusqu'à un fauteuil où il s'assit tranquillement, jambes croisées, comme si tout ce qui s'était passé avant l'arrivée de Tsuzuki n'était qu'un simple malentendu. Ses yeux eurent alors une étincelle glacée, neutre.
- Voilà pourquoi nous sommes si différents, mon cher, répondit Jeff d'un ton narquois. Vous, Shinigami, allez chercher directement l'âme de la personne. Nous, Exécuteurs, nous tuons tout simplement. Nous avons le champ libre pour la façon que nous voulons utiliser.
Il tira de sa poche la cordelette rouge, la faisant tournoyer entre ses doigts. En la voyant, Hisoka eut un terrible frisson et porta instinctivement sa main à sa gorge où un léger trait se faisait encore voir sur sa peau. Tremblant encore, il se recroquevilla sur le lit où il n'avait pas bougé. Tsuzuki, le cœur brisé de le voir ainsi, lui envoya une pensée amoureuse et tendre avant de reporter son attention sur Jeff qui finissait de fumer.
- Nous possédons le taux de criminalité le plus élevé au monde, dit l'Exécuteur d'un ton froid. Il n'y a pas un jour sans que notre administration ne soit pas en crise. Les attentats, les braquages, les meurtres… Nous avons décidé depuis longtemps d'utiliser les mêmes procédés que les vivants pour nous emparer de leur existence. Vous trouvez cela barbare? Quant à moi je pense que ce n'est qu'un juste retour des choses.
Et, il aspira encore une bouffée de sa cigarette, fixant Tsuzuki comme s'il mettait ce dernier au défi de le contredire. Le Shinigami aux yeux d'améthystes n'eut un vague soupir excédé.
- D'après ce que m'a dit un collègue, un hacker a piraté nos données pour que nous ne puissions pas savoir qui vous étiez réellement. Peut-on connaître la raison de cet acte? Nous au moins, nous ne nous faufilons pas dans votre réseau informatique pour en récupérer des informations.
- Ce n'était qu'un ordre donné par mon chef de secteur, répliqua Jeff sans émettre une once de sentiment. Nous travaillons chacun de notre côté, c'est comme ça.
Hisoka, vacillant à peu, se mit péniblement debout, remettant correctement son pantalon et sa chemise, espérant de plus à se rappeler de la peur qu'il avait ressenti quelques minutes auparavant.
- Et bien entendu, vous gardez les indices pour vous, pour vous attribuer tout le mérite, n'est-ce pas? Dit l'adolescent d'une voix rageuse.
Jeff le fixa un court instant, plongeant avec tant de froideur dans les prunelles d'émeraudes de l'empathe que ce dernier ne put s'empêcher de détourner la tête, frictionnant la peau de ses bras. Il avait envie de vomir et l'angoisse affluait dans son corps de minute en minute. Il mourrait d'envie de courir, de claquer la porte et de prendre une douche froide pour se purifier, s'aider à ne plus se rappeler de tout ça. Il voulait encore pleurer mais le faire devant l'américain, c'était comme approuver sa victoire.
Jeff, satisfait de cet effet sur l'adolescent, cessa de le regarder pour contempler le Shinigami aux yeux d'améthystes.
- Je ne crois pas au mérite d'une mission. Je ne crois pas aux primes. C'est mon boulot, je le fais en solo. Prenez ça pour de l'égoïsme si ça vous tente, ou tout ce que voulez d'autre. Mais… si vous voulez me tirer les vers du nez, sachez que je suis au même point que vous.
- Vous avez quand même brouillé les pistes en vous faisant passer pour un suspect! Et comment faites-vous pour lire dans mes pensées? Lança Hisoka, furieux.
Jeff sourit doucement, narquois.
- J'ai le don de lire dans les pensées des Shinigami. Mais pas celles des vivants. Même quand j'étais encore en vie, je pouvais ainsi détecter la présence d'un Dieu de la Mort, même quand ce dernier était invisible. Les pensées sont toujours là, encrées dans leur tête, fit il en posant un index sur la tempe de son front. Je suis mort dans un accident de voiture et à mon arrivée au Tribunal, on m'a fait passer le test. Ils m'ont fait découvrir mon second pouvoir: celui de bloquer les ondes psychiques. Aussi, little boy, il m'était facile de savoir à quoi tu pensais. Dès le début j'ai su qui vous étiez, car je lisais vos pensées.
- Cela vous a fait bien rire, grinça Tsuzuki, les bras croisés, les prunelles étincelants de rage.
Jeff écrasa son mégot dans le bras du fauteuil où il était assis, ne se souciant guère de la tache noire se formant sur le tissu. Tout tranquillement il prit une autre cigarette qu'il alluma d'un geste sec du briquet. La fumée recommença à tournoyer en arabesques dans l'air. Il semblait beaucoup s'amuser, comme s'il était le spectateur d'une pièce de théâtre plutôt divertissante.
- Il est vrai que c'était drôle de vous voir vous agiter comme ça, trépignant en voyant les meurtres se dérouler sous vos yeux sans pour autant comprendre qui était le yurei. De mon côté, j'ai fait des recherches sur les autres du 30e étage. Il manque un élément dans tout ça, quelque chose qui ne colle pas dans l'affaire.
Tsuzuki, silencieux, le dévisagea. Effectivement. A présent, le suspect principal venait d'être rayé de la liste. Un Dieu de la Mort ne pouvait être un yurei, c'était tout simplement impossible. Bien qu'il fallait reconnaître que Jeff en se faisant passer pour un vivant, avait remarquablement troublé l'affaire. En tuant Hargeisa, c'était comme s'il avait rassuré Pâris et lui permettre d'avoir le champ libre pour tuer les filles. Mais maintenant de qui pouvait-il s'agir?
Hisoka, songeur, baissa les yeux. Il y avait quelque chose qui n'allait pas dans l'histoire. S'il n'y avait plus de suspects… Il y avait cette onde, si froide de colère, provenant de l'esprit, et cette odeur… si particulière… Il savait qu'il manquait quelque chose. Il réfléchit un court instant.
« Cette odeur… provient de quelque chose que je connais, qui me rappelle tant de mauvais souvenirs… »
La lune rouge… L'homme… L'arbre…
Il écarquilla le regard, le cœur se mettant à battre à tout allure. Ca y est! Il savait ce qu'il manquait! La preuve incontestable!
- Tsuzuki, viens avec moi! On va dans la chambre de Jenny!
Surpris d'entendre la voix d'Hisoka, aussi forte et paniquée, Tsuzuki sursauta, le voyant sortir de la chambre en courant. Ne comprenant pas ce qui se passait, il regarda Jeff qui sembla à cet instant un tantinet désappointé. Alors, les deux hommes suivirent l'adolescent dans le couloir désert.
La porte de la chambre n'avait pas été fermée à clé par les autorités. L'intérieur n'avait pas tellement changé, hormis le courant d'air de la fenêtre ouverte. Les traces de sang, à présent brunies, tachaient le sol. Les habits de la jeune femme, étaient encore en un tas brouillon. Il y régnait dans la pièce une odeur, mélange de froid et de sang.
Hisoka, sans même se soucier de cela, s'accroupit sur le sol, son regard d'émeraude brillant de concentration. Entendant Tsuzuki et Jeff au seuil de la porte, il ne se retourna pas. Il ferma les yeux un court instant, liant toutes ses ondes à celles restantes du yurei. Il grogna en ne sentant qu'un mince filet de sentiments lui parvenir. La présence des policiers était incrustée partout, dans les tissus, dans les meubles. Mais il devait bien rester un élément qu'ils n'avaient trouvé. Une chose insignifiante, qu'ils n'avaient pas jugé sérieuse.
- Hisoka…, fit Tsuzuki, le regardant faire. Qu'est-ce que tu cherches?
- La preuve, répliqua l'empathe d'une voix froide. Le yurei a fait une très grossière erreur en tuant Jenny. Il a perdu un élément, un seul élément.
A tâtons, faisant attention, l'adolescent se pencha davantage sur le sol.
« Concentre-toi… Concentre-toi… »
Doucement, très doucement, un fil de sentiments se lia à son esprit, fin et invisible.
Tsuzuki, sans mot dire, le regarda faire, sentant l'atmosphère se charger d'ondes tout autour d'eux. Hisoka faisait appel à toute son empathie pour retrouver la petite preuve, si petite, mais si importante.
L'adolescent se figea soudain, arrivé près de la fenêtre. Tremblant, il se recula, dévisageant quelque chose sur le sol. Le voyant ainsi, Tsuzuki s'approcha de lui, se mettant lui aussi accroupi.
- Je l'ai trouvé, dit Hisoka, les yeux écarquillés.
Jeff vint à son tour, fixant le mince élément sur le sol. D'un mouvement qui reflétait l'habitude, il prit une pince et un sachet plastique. Mais Hisoka l'arrêta juste avant. Surpris, l'américain le fixa.
- Que comptes-tu faire?
- Savoir si c'est vrai.
Il prit la preuve entre ses doigts, et la sentit. Il se raidit. C'était cette odeur. Une fragrance à peine perceptible, envahie par la senteur du sang, douceâtre et écœurant. Des images naquirent dans son esprit, la douleur, Meifu… Tous avaient un point particulier…
Une dernière mort en ces lieux…
Il se sentait vraiment, vraiment mal. Pire que tout ce qu'il avait pu imaginé. Il était presque content d'être mort. La souffrance corporelle était bien trop rude pour qu'il tienne encore le coup suffisamment longtemps. Dans un brouillard, il s'était réveillé en ce corps. Il ne savait pas ce qu'il avait fait. Mais maintenant s'en contre-fichait. C'était terminé, tout était terminé. Plus qu'une déesse, la plus cruelle. Il ne manquait plus que cette démone et il pourrait disparaître à jamais, soulagé, enfin pour se reposer dans un univers où aucun Dieu de la Mort ne pourrait le trouver.
Il en était à ses pensées quand un vigile vint le voir. Il retint un grognement et se ressaisit mais cet imbécile le dévisagea, avec une fausse inquiétude peinte sur le visage.
« Si j'étais réellement moi, tu m'auras frappé, tu m'aurais éjecté de ce lieu sans le moindre état d'âme… »
- Vous allez bien? Dites-moi…
« Tais-toi, laisse-moi, je veux partir, je veux mourir, je veux que ton visage ne soit que sang et pourriture… Ne me touche pas, ne m'effleure même pas! J'ai trop payé des sentiments des autres pour m'en soucier! »
- Ah…
Le vigile, soudain, cessa de sourire gentiment. Abasourdi, il considéra le tueur qui venait ni plus ni moins que de lui enfoncer un coup de poing dans le ventre. Une expression de profonde stupeur se grava sur celle de la douleur.
- Les gens comme toi devraient crever, lança le yurei d'une voix tremblante. Estime-toi chanceux de ne pas être sur ma liste…
Le souffle de l'homme se fit faible, tellement faible qu'il ne l'entendit plus. Dans un râle de douleur, il s'écroula contre le mur, mi-assis mi-allongé. Un peu de sang perla à sa bouche, et ce fut tout. Tremblant de tous ses membres fatigués, engourdis, de ce corps qui ne lui appartenait pas, le tueur se permit quelques larmes, juste quelques unes pour étancher cette souffrance qu'il éprouvait jusqu'au fond de ses entrailles.
- Ne m'approchez plus, qui que vous soyez, murmura-t-il sur un ton de rage froide et dangereuse. Je vous tuerai tous, même si pour cela je dois utiliser une centaine de corps. Saloperies…
Disparaître et tout oublier, pouvait-on au moins lui permettre ça dans toute son existence, vivante ou morte?
« Je ne veux plus de tout ça, je veux partir et qu'on me laisse… »
Lui restait-il encore un semblant de sentiments dans cette carcasse? Simple corps chétif…
Le ciel doucement, se peignait de couleurs vives et douces à la fois, de l'orange d'or au bleu de nuit, au rouge de sang et l'ocre de jour. Le soleil, en une sphère rougeâtre déclinait pour se faire dévorer par le soir, afin de revivre, de renaître de ses cendres le lendemain, toujours aussi présent. Une brise tiède soufflait dans l'air, se rafraîchissant doucement. A la terrasse du 30e étage, la jeune femme demeurait immobile, appuyée à la rambarde, fixant l'horizon. Son visage et ses bras, toujours couverts de bandages étaient d'une pâleur inquiétante. Ses cheveux d'or ondulaient, brillaient par les reflets solaires et ses yeux de lagon étaient submergés par une mélancolie sans bornes.
Plongée dans des pensées que personne ne pouvait s'imaginer, elle ne prit pas la peine de se retourner en entendant des pas derrière elle. Elle sourit doucement malgré cela, sans détourner son attention du ciel.
- Vous auriez dû restée couchée, Helen, fit une voix douce qu'elle connaissait bien. Vous n'êtes pas assez rétablie.
Elle eut un vague haussement d'épaules, avant de frictionner la peau de ses bras, sentant un léger frisson parcourir son corps frêle et fragile. Un petit rire la secoua puis, souriant toujours, elle se retourna enfin, pour faire à l'homme aux yeux d'améthystes, l'adolescent au regard d'émeraude et enfin l'américain aux yeux bleus.
- Je sais bien, répondit-elle doucement. Mais je n'en pouvais plus de rester allongée.
Elle dévisagea le garde du corps. Il semblait bien sombre, triste. Un voile d'inquiétude brouilla le regard de la jeune femme.
- Vous me semblez bien étrange, Hayao, déclara-t-elle, troublée. Qu'avez-vous? Que se passe-t-il?
- Vous n'aimiez pas Aline, n'est-ce pas, Helen? Répliqua Tsuzuki sur un ton froid.
Helen tressaillit, surprise de la réplique. Elle demeura silencieuse une seconde, ne comprenant pas.
- Je… Pourquoi cette question?
- Tout comme vous n'aimiez pas Deborah, ainsi que Jenny, ajouta le Shinigami sans la quitter du regard.
Par réflexe, Helen se recula, abasourdie. Dévisageant le garde du corps, elle eut un léger rire amer, remettant une mèche de ses cheveux clairs derrière son oreille. Son regard se fit un peu plus sombre.
- Je vous l'ai déjà dit: elles ne m'aimaient pas tellement, vu que nous étions toujours obligées d'être ensemble à cause de nos pères. J'ai essayé d'être un peu plus proche d'elles mais… je ne faisais pas partie de leur clan.
Elle eut un nouveau haussement d'épaules, riant encore un peu.
- Qu'avez-vous Hayao? J'ai l'impression d'être une méchante petite fille que l'on réprimande pour avoir volé des bonbons.
Tsuzuki la fixa, avec autant de rage et de tristesse mêlées dans le regard. Le vent continuait de souffler sans interrompre sa course. Le soleil allait mourir pour la nuit avant de revivre le lendemain. Les couleurs du ciel se faisaient de plus en plus sombres et rougeâtres, comme le sang qui s'écoule d'une plaie. Il mit une main dans sa poche, imperturbable, bien qu'il se sentait rongé par la peine.
- Vous n'avez jamais aimé ces filles, continua le Shinigami, essayant de rester impassible. Au contraire, vous les haïssiez de toutes vos forces, vous vouliez leur faire payer ce qu'elles vous avaient fait endurer, toute votre souffrance que vous cachez en vous. Est-ce que je me trompe, Helen?
Les prunelles de Tsuzuki se firent brûlantes. Il sortit une pochette plastique transparente, la mettant devant le regard de la jeune femme pâle.
Il y eut un silence lourd, pesant mais bref.
- Ou plutôt devrais-je dire… Pâris Cristinos?
Les yeux d'Helen s'écarquillèrent sous le choc. Complètement abasourdie, elle demeura raide un instant, sans mots, observant les hommes en face d'elle. Elle fit un pas de plus en arrière, le regard vide.
- Que voulez-vous dire? Demanda-t-elle d'une voix tremblante. Je… Je ne comprend pas…
- Vous étiez la seule à être bien placée pour pouvoir tuer les trois filles. Vous faisiez partie de leur entourage, vous étiez liées à elles par leurs pères. Et qui plus est, vous faisiez et faites toujours partie des victimes. Cela explique le fait qu'elles n'ont pas été effrayées de vous voir venir dans leur chambre.
Héra, Athéna, Aphrodite… Les trois déesses avaient été tuées par un être qui leur en voulait… Mais la dernière victime… n'était pas une déesse… Elle était « comme » une déesse…
Helen baissa les yeux, silencieuse.
- Vous avez préparé chaque meurtre avec soin, toujours en vous plaçant juste après dans le rôle de la prochaine victime paniquée et déboussolée. Vous avez joué un rôle indispensable. Mais vous vous êtes trahie, en tuant Jenny. J'ignore d'ailleurs la raison de ce faux pas. Mais là, tout s'est brisé.
La pochette plastique était toujours tendue entre les doigts de Tsuzuki. Et, à l'intérieur, il y avait une preuve, minuscule, mais véridique, qui confirmait tout ce qu'il avait dit.
C'était un pétale de fleur de cerisier, taché d'un éclat brun de sang.
Helen était connue pour porter des fleurs de cerisiers sur ses vêtements et sa chevelure, en souvenir de sa mère. Elle était la seule à faire ça. Jamais Aline, Deborah et Jenny n'auraient porté une telle fleur sur elles. Le fait d'en trouver dans la chambre d'Aphrodite confirmait les propos du Shinigami.
L'odeur de la fleur avait réveillé les mauvais souvenirs d'Hisoka. Sa malédiction, sa rencontre avec l'homme blanc, sous le cerisier en fleurs, lui détruisant à jamais sa vie. Il était impossible pour l'adolescent d'oublier cette effluve, mêlée au sang.
« Comme »une déesse…
Soudain, Helen rejeta la tête en arrière, éclatant de rire. Mais c'était un rire froid, métallique, cruel qui ne lui allait pas. Les épaules secouées, continuant encore et encore de rire, elle passa une main dans ses cheveux, avant de rouvrir le regard.
A cet instant, les Shinigami demeurèrent pétrifiés.
Ce n'était plus des yeux bleu lagon, tristes et tendres qui les fixaient. Ce n'était plus cette mélancolie douce et fragile, avec une pointe d'amertume. Deux prunelles d'ambre glacées, brûlantes de haine et de cruauté, brillaient de rage. Le visage d'Helen s'était lui-même métamorphosé, bien qu'il s'agissait toujours de son corps. Un sourire cynique et noir se lisait sur ses fines lèvres, sa posture, plus haute, plus moqueuse. Malgré le fait que c'était elle, tout avait changé.
Elle sourit, avec une grâce inconnue, hautaine et terriblement moqueuse.
- Hahahahahaha! Je reconnais bien là la lenteur d'esprit des Shinigami, lança-t-elle d'une voix forte.
Sa voix elle-même avait changé. Si douce et frêle, elle était à présent un peu grinçante, plus juvénile. La voix d'un garçon qui n'a pas encore mué.
Pâris.
Stupéfaits, les Dieux de la Mort ne dirent pas un mot. Helen, ou plutôt Pâris, souriant toujours, prit une pose sensuellement diabolique, tenant ses bras comme si elle avait froid. Une aura d'ondes, noires de haines, de vengeance inachevée l'enveloppait avec tellement de puissance qu'Hisoka frissonna.
- Pauvre Helen, si frêle Helen, chantonna Pâris, semblant se divertir. Une petite brebis dans un troupeau inquiet, cherchant du réconfort… N'était-elle pas l'actrice idéale? Vous n'êtes que des imbéciles, mes chers, pour ne comprendre que maintenant tout ce qui s'est passé.
Tsuzuki, furieux, s'avança.
- Comment as-tu fait pour prendre son corps! Tu l'as forcée, j'en suis sûr!
Pâris sourit davantage, remettant une mèche de cheveux blonds derrière son oreille.
-Forcée? En quoi l'aurais-je forcée? C'est elle qui a accepté, qui m'a conseillé de prendre son corps, qu'ainsi je pourrai mieux préparer tout ce que j'avais en tête.
Hisoka se figea. Les paroles de Tsuzuki, alors qu'ils étaient encore à Meifu, lui revinrent mémoire.
« Il a peut-être pris le contrôle d'un corps suffisamment faible psychiquement. Ou bien, mais le cas me semble improbable, l'hôte aurait consenti à lui donner son enveloppe charnelle. Mais je n'y crois pas tellement »
« Helen… a accueilli d'elle-même l'âme de Pâris dans son corps? »
Le corps de la jeune femme, tout à coup, se plia en deux. Les épaules de la jeune femme furent secouées, mais ce n'était plus d'un rire. C'étaient des pleurs étouffés, de profond désespoir. En se redressant, tremblant toujours, la jeune femme fit découvrir ses yeux baignés de larmes. De nouveau, la douceur animait ses traits, son regard à présent bleu lagon, comme avant.
- Hayao, gémit-elle. Excusez-moi de vous avoir menti… Mais… Pour Pâris, j'étais prête à tout pour qu'il me pardonne… Je… Je suis responsable de sa mort, je… Je lui ai offert mon corps, quand une nuit, il y a quelques temps, il est apparu dans mon esprit. Je l'ai vu, il voulait se venger des filles. J'ai… J'ai accepté de l'aider… Mais… que pouvais-je faire d'autre?
- Helen…, murmura Tsuzuki, abasourdi.
- Tais-toi, idiote! Répliqua soudainement Pâris à travers le corps d'Helen, le regard de nouveau brun de rage. Tu n'as pas vraiment le choix, tu le sais bien! Oui, tu as raison, tu es responsable de ma mort!
Une lutte se dressait sous le regard des Shinigami. Deux entités, dans le même corps, faisaient tout pour avoir la place qui semblait leur revenir de droit. Les larmes continuant cependant de couler, la haine encrant les traits de son visage, Pâris eut un rire amer et tremblant.
- Vous êtes-vous déjà senti trahi, cher « Hayao »? Au plus profond de votre âme et de votre chair, savoir que la personne que vous aimez le plus au monde n'a pas bougé le petit doigt pour vous venir en aide.. Cela est une douleur brûlante, pire que toute autre souffrance!
Le yurei serra les poings, une expression de profonde haine gravée sur sa chair. Il tremblait, de ce corps qui ne lui appartenait pas.
- Quand j'ai rencontré Helen, il y a trois ans, je n'étais qu'un petit naïf de quatorze ans. Je ne connaissais rien aux sentiments comme l'amour et le désir. Je travaillais avec mes parents, orfèvres, décorant des fruits de bijoux pour les touristes. Je menais une vie tranquille… Mais quand j'ai vu Helen, je me sentis comme changé. Elle avait soit, deux ans de plus que moi, elle était belle, douce, pas aussi prétentieuse que les filles qui l'accompagnaient. Dès le début, je l'ai aimée. J'ai crée mon premier bijou, une pomme tout en or, rien que pour elle, le gage de mon amour. J'étais heureux, j'étais vraiment heureux. J'étais prêt à tout pour elle, même quitter la Grèce. Elle avait tout prévu pour que l'on reste ensemble.
« On restera ensemble, Pâris… Je t'aime tellement… Tu es si gentil… »
Il eut un rire froid, plein de tristesse refoulée.
- J'étais bien avec Helen… Mais… elles, ces sales diablesses… Elles… Aline m'avait fait des avances, me trouvant « mignon ». Elle voulait s'amuser avec un garçon tant qu'elle était sur l'île. Je… Je ne l'aimais pas du tout! Je l'ai repoussée, il n'y avait qu'Helen qui comptait pour moi. J'ai pensé, en pauvre idiot, qu'elle ne m'en voudrait pas. Après tout, elle était belle et riche, capable d'avoir tous les garçons autres que moi. Je ne savais pas, qu'elles seraient toutes les trois aussi infectes avec moi.
« Sale pauvre… De quel droit te permets-tu de nous repousser? »
La vérité… Les humains pouvaient être tellement horribles, tellement noirs dans leur cœur… Les images se bousculaient dans sa tête, en éclats flous mais impossibles à oublier…
- Il pleuvait ce soir-là, tu te rappelles, Helen? Dit Pâris, pleurant des larmes de son ancienne aimée, mais un sourire cruel sur ses lèvres. Il pleuvait beaucoup et la roche était glissante près de la falaise… Il faisait très sombre…
La jeune femme prit sa tête entre ses mains, d'un geste désespéré. Encore une fois, la nuance brune de ses yeux disparut un instant pour le bleu lagon pur et paniqué qu'on lui connaissait. Ses larmes redoublèrent d'intensité, se transformant en douloureux sanglots.
- Pâris… Tais-toi… Ne me dis pas ça! Pas ça! Cria-t-elle de toutes les chétives forces qui lui restaient. Ne me rappelle pas ça, je t'en prie! Je suis si désolée… Je ne voulais pas!
- Pâris, laisse-la! Lança Tsuzuki, furieux.
- CA SUFFIT! Hurla de nouveau le yurei, reprenant le corps de la jeune femme, ses prunelles sombres étincelantes de rage violente. Tu ne voulais pas, Helen, mais tu as laissé faire! Tu les as laissées me faire tomber, tu m'as laissé m'accrocher désespérément au bord alors que mon corps ballottait dans le vide, tu as laissé Deborah me lancer des pierres à la tête, tu as laissé Aline me torturer de ses paroles horribles…
Il se tut une seconde… et sa voix ne fut plus qu'un murmure grondant, comme un fauve qui enfin peut se rebeller contre son maître.
-… et tu as laissé Jenny me marcher sur la main, afin que je tombe… Tu les as laissées, tu as assisté à la scène, cachée comme une misérable! Juste parce je n'étais qu'un simple humain ne les aimant pas, j'ai été puni, pour une faute qui n'en était pas une! Tu n'as pas cherché un instant à m'aider! J'étais désemparé d'une telle réaction, je n'ai même pas me défendre que déjà je sombrais dans la mort!
Jeff toisa le yurei avec une sombre colère dans ses yeux bruns.
- Et c'est pour ça que tu les as tuées? Rien que pour ça?
- Elles méritaient de mourir! Rétorqua violemment Pâris de toute sa hargne. Aline était Héra, la reine des déesses, c'est elle qui a monté ce complot! Deborah était Athéna, déesse de la prétendue justice, pour elle, me tuer était la meilleure façon de rétablir l'ordre des choses! Et Jenny était Aphrodite, c'est elle qui par son charme et sa fausse sincérité m'a conduit à la falaise où je pensais trouver Helen. Elles ont tout manœuvré, mais, pauvres lâches, ont paniqué quand elles ont réalisé qu'elles m'avaient tué pour un caprice de petite fille.
Tsuzuki le dévisagea, surpris. Il ne comprenait pas. Il devait y avoir quatre déesses…
-Et Helen? Qui était-elle?
La jeune femme sourit, de ce sourire qui ne lui appartenait pas et glaçait les sens. Elle eut un rire froid et aigu à travers le rideau de larmes qui décorait ses joues pâles.
- Helen n'était rien de plus que la cause de tout cela… Tout comme le premier Pâris fut séduit par sa beauté, cela déclenchant la guerre de Troie, j'ai été séduit par elle… Elle ne jouait qu'un rôle… Ce n'était qu'une simple humaine… Belle comme une déesse… sans pour autant en être une…
Fou de rage, Tsuzuki voulut s'avancer vers le yurei mais à peine eut-il fait un pas que d'un geste rapide, la jeune femme sortit d'une poche de sa robe un grand éclat de verre coupant et le posa sur sa gorge, de la main droite. Le Shinigami, à cette vue, se figea, tandis que Pâris souriait toujours, ses yeux bruns étincelant de moquerie cruelle.
-Encore un geste, imbécile de Dieu de la Mort…, siffla le yurei. Et tu peux être sûr que ta chère Helen te rejoindra à Meifu.
« Les éclats de la vitre… », songea Hisoka, furieux.
Évidemment, c'était clair maintenant… Pâris, en allant tuer Jenny, s'était précipité ensuite vers la chambre d'Helen. Il avait ensuite caché un grand éclat de verre dans son vêtement, avant de laisser l'âme d'Helen reprendre son corps. La jeune femme, ayant tout compris de l'acte de son ancien aimé, avait eu tout juste le temps d'ouvrir la porte de la suite, puis de s'écrouler sur le sol, terrorisée et paniquée. Bien sûr, la soi-disante apparition de Pâris avec un couteau était fausse, puisque c'était son corps lui-même qui avait tenu le couteau.
Elle avait joué un double-jeu, sans pour autant le révéler à qui que ce soit. Comme si elle savait qu'en fin de compte…
L'adolescent écarquilla les yeux.
Helen savait depuis le début qu'elle allait être tuée par Pâris. Dès l'instant où elle avait accepté que le yurei prenne son corps, elle avait compris que malgré tout ce qu'elle ferait, malgré tous les meurtres qu'elle aurait à accomplir, elle serait tuée, comme toutes les autres filles. Et elle avait accepté, tout simplement parce que…
-Pâris… Tu ne te rends pas compte, lança Hisoka. Tout ce qu'Helen a fait pour toi, ce n'était pas seulement parce qu'elle voulait se faire pardonner…
Les yeux du yurei le fixèrent avec une telle rage qu'il frissonna, tant les ondes noires l'enveloppant étaient fortes. Tsuzuki lança un coup d'œil à son partenaire, le visage impassible.
- Tout ce qu'elle a fait, tout le sang qui maintenant tâche ses mains…, c'est pour toi qu'elle a fait! Parce ce qu'elle t'aime toujours! Malgré le fait que tu t'es servi d'elle pour perpétuer tous ces crimes, elle t'aime toujours, comme avant!
La jeune femme ne cilla pas. La main posée sur la gorge, tenant le verre brisé, ne tremblait pas. Posé sur la jugulaire, il ne demandait qu'à trancher cette peau fine, et laisser écouler le sang de la dernière victime.
Elle eut un sourire dédaigneux.
- L'amour est bien un des sentiments les plus stupides de l'humanité… Cela nous rend faible et peut nous faire courir à notre perte… Je suis mort à cause de ce sentiment. J'étais naïf, j'étais aveuglé par l'amour et maintenant? Que suis-je devenu? Un esprit qui parcoure la vie et la mort, incapable de pouvoir disparaître en paix. Mais à présent, tout est fini, je ne crois plus à l'amour, je ne crois plus à aucun sentiment, si ce n'est celui que procure la vengeance. La dernière déesse va mourir et je pourrais disparaître enfin…
- Pâris, arrête! Cria Jeff.
- Je ne reçois plus d'ordres de personne! Répliqua rageusement Pâris, se reculant jusqu'à la rambarde du balcon. Restez en arrière, tous autant que vous êtes!
L'Exécuteur et l'adolescent ne bougèrent pas, sachant pertinemment que Pâris serait capable de trancher la gorge d'Helen. Pour lui, ce n'était pas une perte, car ce n'était pas son corps de toute façon. Il fallait préserver la vie d'Helen, coûte que coûte.
Cependant, malgré l'ordre donné par le yurei, Tsuzuki fit un pas, puis un nouveau encore. Le visage du Shinigami ne révélait aucun sentiment. Impassible, froid et calme, tout comme l'éclat de ses yeux d'améthystes.
- Tsuzuki? Murmura Hisoka, surpris.
Il sentit son cœur s'accélérer, alors que des ondes froides l'envahissaient, prenaient part à son esprit. C'était vide, creux, comme l'intérieur d'une poupée vide. C'était le cœur de Tsuzuki à cet instant. Complètement vide.
Le Shinigami ne ralentissait pas sa marche. Un pas, puis un autre.
Furieux, Pâris pointa le verre sur sa gorge. Un peu de sang coula doucement, en un mince filet, comme un avertissement.
- Ne t'approche pas! Reste où tu es!
Tsuzuki, effectivement, s'arrêta, à quelques mètres de la jeune femme aux yeux bruns, où -était-ce possible?- une lueur de terreur naissait dans le regard, mélangé à de la colère brûlante. Il y eut un moment de silence, aussi court que pesant, alors que les deux esprits s'affrontaient silencieusement. Puis, à cet instant, un sourire ourla les lèvres de Tsuzuki, qui contemplait Pâris mi-méprisant mi-moqueur.
- Pourquoi ne le fais-tu pas tout de suite, alors? Demanda-t-il d'une voix douce et calme.
Pâris tressaillit.
- Quoi?
- Tu m'as parfaitement entendu? Pourquoi ne tranches-tu pas la gorge tout de suite? Je suis déjà assez près de toi pour t'en empêcher et, il serait logique que tu tues tout de suite Helen, si tu ne veux pas en être empêché.
Stupéfaits, les deux Dieux de la Mort restés en retrait dévisagèrent Tsuzuki qui continuait de sourire comme si de rien n'était. On aurait dit qu'il s'amusait aux dépends de l'esprit vengeur. Il n'y avait aucune étincelle de sentiment et d'expression dans ses yeux, comme si il menait une conversation banale avec un collègue qu'il ne connaissait pas encore très bien.
« Mais qu'est-ce que tu fais, Tsuzuki? » songea Hisoka, n'arrivant pas à comprendre la logique de sa manœuvre.
Curieusement, les joues déjà pâles de la jeune femme pâlirent davantage, au point de laisser deviner le tracé des veines sous la peau, comme au bord de l'évanouissement. Les pupilles sombres se dilatèrent et la bouche fine s'entrouvrit, sans qu'un son n'en sorte pourtant.
- Fais-le, renchérit Tsuzuki, impassible. Tu as tué Aline, Deborah et Jenny comme le voulait la règle, parce qu'elles t'avaient tuées… Et maintenant, n'est-ce pas au tour d'Helen? Qu'est-ce que tu attends?
Le yurei semblait désappointé. Il ne devait pas s'attendre à une telle réplique du Shinigami. La lame du verre ne tremblait pas mais pourtant, elle était tenue avec moins de conviction, presque avec… réticence.
- Je.. Je n'attends rien…, répondit Pâris avec toute la volonté qu'il pouvait mettre dans sa voix. Ce ne sont pas vos affaires!
- Alors tues-la! Lança Tsuzuki, implacable. Pourquoi hésites-tu? Dès le début, tu n'as pas hésité à faire preuve de cruauté pour tuer les autres! Tu étais sans pitié et maintenant, tu ne parviens même plus à trancher une simple gorge! Tu dis que tu ne ressens plus rien, que tu ne ressens plus d'amour… Et maintenant, as-tu toujours raison en ta réplique?
Pâris regarda férocement Tsuzuki, enfonçant un peu plus la pointe dans la gorge. Un filet plus élargi de sang coula sur la robe. Pourtant, il ne fit rien d'autre, comme s'il attendait une autre réplique de Tsuzuki, acerbe et dure, pour continuer à rentrer le verre dans la chair pâle.
- Je ne ressens plus rien du tout! Lança froidement Pâris. Cette fille doit mourir et elle mourra!
- Alors tues-la! Répéta Tsuzuki avec plus de force. Qu'est-ce que tu attends? Ce sont pas tes discours qui vont la faire mourir!
De nouveau, Pâris eut un tressaillement à peine perceptible, passant pour un simple frisson.
« Je dois la tuer… »
Mais pourtant tu as peur…« Non je n'ai pas peur… »
Alors pourquoi ne le fais-tu pas?« Je… »
Parce que c'est elle, c'est ça?« Non, non ce n'est pas ça! Je… Je… »
- Non… Non! Laissez-moi tous! Cria-t-il soudainement.
Surpris, Tsuzuki se recula. Tremblant de tous ses membres, la jeune femme n'arrivait pratiquement plus à tenir la lame de verre entre ses doigts pâles, alors que le sang séchait maintenant en une trace brunie le long de son cou. Ses prunelles brunes se dilatèrent encore plus, comme horrifiées. Sa bouche tressaillit en un rictus désespéré. Complètement sous l'emprise d'une force que les autres ne voyaient pas, elle porta sa main droite à sa tête, celle tenant l'éclat translucide, comme pour couper court à un son désagréable.
- Pâris? Fit Jeff, indécis.
- Non… Arrêtes, laisse-moi! Lança la jeune femme d'une voix perçante. Tu m'avais promis, tu m'avais promis ça!… Non je n'ai pas promis!… Si, si!
Un dialogue paniqué se tenait dans le même corps, les voix changeant si vite qu'on avait l'impression qu'une seule personne parlait alors que ce n'était pas le cas. Fermant les yeux, la jeune femme tituba, s'accrochant au bord de la rambarde.
- Je n'avais rien promis, continua-t-elle, se souciant peu des Dieux de la Mort autour d'elle. Ce n'était pas important pour moi… Si ça l'était… Ca l'était pour nous deux! … Non, non…!
Brusquement, elle rouvrit son regard, dévoilant son visage. Tsuzuki eut un geste de recul. Le visage d'Helen semblait s'être séparé en deux expressions différentes, les muscles faciaux ne répondant plus aux mêmes ordres. La partie gauche de son visage était crispé dans un mélange de tristesse et d'horreur, l'œil d'un bleu lagon écarquillé; la partie droite était tordue d'une expression de rage haineuse, et de folie démente, l'œil d'un brun étincelant.
- Helen! Cria Tsuzuki, abasourdi.
Dans cette confusion, personne ne vit les larmes de la jeune femme. Dans cette confusion, personne ne vit la main gauche glisser dans une poche de la robe… jusqu'à ce que…
TCHAC!
D'un coup, tout sembla se figer. Muets d'horreur, les Dieux de la Mort contemplèrent la jeune femme qui vacilla, la respiration sifflante, le teint pâle. Ils la regardaient, courbée, le visage penché vers l'avant, la main droite laissant tomber le morceau de verre… tandis que de l'autre, se tenait un poignard enfoncé jusqu'à la garde dans la poitrine maculée de sang.
Il y eut un silence.
La jeune femme eut de nouveau comme un vacillement et manqua de s'écrouler au sol mais elle retint à la rambarde, par des gestes tremblants et faibles. La main crispée sur le poignard, l'enfonçant même un peu plus dans sa chair, elle déglutit sa salive.
- Helen! S'exclama Tsuzuki, horrifié.
Il fit un pas vers elle.
- Ne vous approchez pas, Hayao! Rétorqua-t-elle avec ses dernières forces. Sinon… vous seriez touché vous aussi…
- Touché? Répéta le Shinigami aux yeux d'améthystes.
Il regarda le poignard, enroulé dans une sorte de papier. Ses yeux s'écarquillèrent.
Le fuda des morts, celui qu'il avait placé dans la chambre d'Helen, pour qu'elle soit protégée du yurei. Comment… Comment l'avait-elle eu? Non… Son âme allait être…
Le fuda brilla d'une faible aura bleue. Hisoka, le cœur battant, dévisagea son partenaire, très pâle.
Deux yeux bleu lagon, baignés de larmes, fixèrent les Dieux de la Mort, avec la douceur qu'on leur connaissait. Triste, douce et fragile, la chétive Helen était revenue, tandis que les bras de la Mort semblaient l'envelopper, le sang coulant à flots de sa blessure au niveau du cœur. Trébuchant, elle s'appuya un peu plus contre la rambarde, dos au vide, le regard vague.
- C'était lui… ou moi… ou bien nous deux…, dit-elle dans un murmure à peine audible. On s'était promis… de rester ensembles… lui et moi… Toujours ensembles… Aah…
Elle recracha une gorgée de sang, s'étalant sur sa robe déjà maculée. Ses jambes tremblèrent et elle crispa ses bras sur la pierre pour ne pas tomber. Elle sourit faiblement à Tsuzuki qui crut défaillir en la voyant ainsi, belle et forte, une image nouvelle qu'il avait d'elle. Une étincelle flamboyait dans ses yeux tristes, comme de la résignation, mais de la force, beaucoup de force. S'attendant à ce destin et l'accueillant à bras ouverts, comme une condamnée qui accepte sa peine de mort avec dignité.
- Je n'ai rien voulu refuser de sa part, continua-t-elle tout doucement. Son amour comme sa haine, car au moins, il ressentait quelque chose pour moi… Même si je devais tuer, même si je devais mourir par ses mains… j'étais heureuse… de le savoir près de moi… comme l'on s'était promis…
Elle remonta une jambe vers la rambarde, l'autre droite et forte sur le sol, la main placée sur la rambarde, sans un regard pour le ciel rougeoyant. Les pétales de cerisier tombaient doucement, emportés par le vent, le soleil dorant ses cheveux clairs, pétiller son regard bleu. En cet instant, elle semblait inaccessible, tel un mirage, divine dans sa blessure. Elle n'était pas une déesse, « comme une déesse », plus belle qu'une déesse.
- Je ne partirai pas toute seule… Je ne serai plus seule… On sera tous les deux… Rien que nous deux…
Elle retira sa main de l'arme, qui resta plantée dans sa poitrine, droite et sanglante. Elle pleurait, fatiguée de tout ça, mais soulagée. C'était fini… Tout était fini…
- Merci, Hayao…, souffla-t-elle, souriante. Merci pour tout… Maintenant ça va aller…
- Helen…, murmura Tsuzuki, horrifié.
Elle fit un léger signe de la main, son bracelet de fleurs glissant sur la chair pâle de son bras, comme un au revoir entre amis de longue date.
- Athio…
Ce furent ses dernières paroles. Ses yeux se fermèrent et, le visage serein, elle laissa son corps basculer en arrière, sans plus aucun appui à la rambarde, se laissant tomber dans le vide des 29 étages en-dessous d'elle. Ses jambes allaient suivre le mouvement de son buste…
- HELEN!
Pris de panique, Tsuzuki se rua vers elle et d'un geste brusque, tendit le bras pour la rattraper. Ses doigts, doucement, dans une seconde qui parut une éternité, effleurèrent la peau de la main droite de la jeune femme et enfin, s'accrochèrent à son bracelet…
Bracelet qui glissa du poignet d'Helen et resta dans le poing serré du Shinigami…
- NOOOOOOOOOON!
Mais il était trop tard.
Le corps tomba du balcon et fit sa chute, longue, si longue, immobile. Ce fut comme une lente descente aux Enfers, sous les yeux des Dieux de la Mort. En bas, l'œil bleu de la grande piscine claire les observait, observait la silhouette tombant dans le vide, passant devant les clients qui, pendant un instant, apercevaient un corps de leur fenêtre.
Il y eut un cri venant du sol.
Et, enfin… dans un grand bruit d'éclaboussures qui retourna l'estomac d'Hisoka, le corps tomba à l'eau, brisant le vague courant de l'œil bleu. Petit à petit, une onde rouge sortit des profondeurs de l'eau. C'était le sang d'Helen qui continuait de s'écouler. De là où ils étaient, il apercevaient nettement la silhouette inerte, coulant encore, alors que son dernière souffle s'éteignait.
Silhouette qui, lors de l'immersion, rouvrit son regard, ses larmes ne pouvant plus se différencier de l'eau. Troublé, le soleil rougeoyait le parvenait, et le ciel, assombri, conservait les tons d'encre qu'elle lui connaissait.
« Je veux le ciel d'ici… si bleu…»
L'esprit embrouillé, elle ne vit plus que l'éclat rouge, puis… l'apparition d'un visage, diaphane, souriant, jeune, si tendre et beau… deux yeux bruns qui l'embrassaient, avec toute une pureté… des mains prenant les siennes, des lèvres touchant sa bouche pâle…
Elle crut sourire, alors que son corps cognait le fond de la piscine claire et demeurait ainsi, les membres engourdis.
« Pâris… On sera toujours ensemble… dis? »
Leurs âmes liées pour ne plus se séparer… un pétale de cerisier, lourd d'eau, remonta à la surface. Les deux corps, l'un froid et dur et l'autre de fumée et de rêve, restèrent blottis l'un contre l'autre, baignant dans une eau leur rappelant un jour d'été où, le ciel était de même couleur.
- … Ce n'est pas vrai…, murmura Tsuzuki, épouvanté, les mains crispées à la rambarde.
En bas, des gens accouraient, paniqués à la vue du corps sous l'eau. Des clients criaient, des enfants éclataient en sanglots, apeurés de voir pour la première fois de leur vie un cadavre.
Il se pencha en avant, se préparant presque à son tour à tomber.
- Elle n'est pas morte! Je le sais! Elle est juste inconsciente, il faut que j'aille l'aider!
- Tsuzuki, non!
Désespéré, il se débattit violemment quand deux bras minces l'enserrèrent à la taille, essayant de lui bloquer tout mouvement. L'adolescent, terrorisé et terriblement inquiet de voir son amant réagir de la sorte, le serra encore plus fort, sa tête posée contre le dos du Shinigami aux yeux d'améthystes.
- On ne peut plus rien faire pour elle, Tsuzuki! Lança-t-il d'une voix qu'il voulait forte, sans qu'il y parvienne.
- Si, on peut la sauver… On… On le peut…
Mais déjà ses gestes se faisaient plus tremblants… En bas, Stayle hurla de douleur quand il reconnut le corps de sa fille, qu'on avait réussi à sortir de l'eau. Pâle et souriant malgré la mort, elle avait une main posée sur le poignard lui passant au travers de la poitrine. C'était fini, maintenant…
La vue de Tsuzuki se brouilla, de plus en plus, alors que sa gorge se serrait… Un gémissement naquit de ses lèvres…, long et déchirant… Il s'effondra contre la rambarde, enfouissant son visage dans ses mains, pour cacher ainsi les larmes que son partenaire arrivait sans peine à entendre. Ses épaules tressautaient dans des spasmes à en briser le cœur.
- Je voulais… Non… Helen…, souffla-t-il d'un ton désespéré.
Les yeux d'émeraude d'Hisoka se voilèrent. Tendrement, il resserra sa prise contre Tsuzuki, alors que lui-même réfrénait ses perles salées. Son cœur lui faisait mal, mal à en crier… Tous les sentiments de Tsuzuki lui faisaient mal en cet instant, mélange d'horreur et de désespoir, de noirceur si longtemps refoulée… Et pourtant, il lui fallut encore quelques minutes avant de comprendre que la plus grande douleur qu'il ressentait… était la sienne… Il avait tellement mal…
Les sirènes des autorités se faisaient entendre mais dans un écho lointain, comme si tout le reste n'avait plus d'importance. Jeff sortit une cigarette de sa poche et l'alluma avant d'en inspirer une bouffée. Son regard brun se posa sur le ciel devenant de plus en plus sombre au fur et à mesure que le soleil, rouge comme le sang, disparaissait à l'horizon.
- Le ciel peut être bleu des fois…, lança-t-il sur un ton froid. Mais il est peut être aussi noir que les ténèbres… et aussi rouge que la mort… Peu importe tout ce que nous désirons, notre destin nous fera toujours face… Et ça, même si nous sommes immortels… ou pas…
Tsuzuki, le regard encore brouillé par des larmes amères, baissa les yeux vers ce qu'il tenait dans son poing crispé. Une à une, les fleurs se mourraient dans sa paume, fanées et pâles, se brisant en miettes, le fil du bracelet lui-même prêt à se casser.
Mais cette douce effluve s'en résultant, ne pouvait pas faire oublier l'odeur du sang tout autour d'eux.
« Athio… »
L'adieu d'une jeune femme… qui avait accepté son destin…
A suivre…
