Chapitre 2:
Trois semaine passèrent ainsi et une grosse épidémie de typhus arriva dans la tranchée, ce fut une vraie plaie pour les Poilus. La plupart tombèrent malades et moururent, d'autres, se tordant de douleur, réussirent à faire passer le mal. Mais tout allait en empirant… En effet le sol qui d'habitude n'était guère propre, certes, était maintenant recouvert d'immondices, d'excréments puants et liquides, de vomis et de corps morts déjà enfouis sous ces saletés. Les poux, les rats et les cafards avaient élu domicile dans ces tranchées, donnant un air encore plus misérable à ces lieux. Les Poilus sombraient encore plus rapidement dans la folie. Certains étaient proie à de violentes fièvres les plongeant dans un état de stupeur effrayant…Leur corps était pratiquement noir de poux qui grouillaient partout sur eux, dans leurs barbes, leurs cheveux et même sur leur peau et dans leur uniforme, favorisant ainsi le développement de la maladie.
Charles n'échappa pas au lot, après avoir beaucoup lutter contre ce fléau il attrapa le typhus… Il passa alors ses journées à vomir et à se tordre de douleur à cause de violents maux de ventre. Il n'avait même plus la force d'aller jusqu'aux « toilettes » pour se soulager. Il était totalement réduit à l'état de faiblesse, là, seul, appuyé contre le bord de la tranchée. Il cohabitait avec ses poux de corps et ses rejets, pris de temps à temps par de pénibles fièvres. Durant ses périodes de lucidités il pensait encore à sa douce infirmière mais peu à peu il cessa de continuer à croire qu'il la reverrait un jour, après tout n'était-il pas sur le point de mourir comme les autres ? Depuis que la charrette ne venait plus les approvisionner, il buvait de l'eau sale, mangeait de la nourriture pourri… Il ne dormait plus à cause des fréquentes attaques ennemi, il était réduit à l'état de néant. Ses compatriotes encore valides s'attristaient de le voir comme cela, ils commençaient déjà à dire :
- Dommage, ce petit avait devant lui un bel avenir…
Il fut malade comme un chien durant une semaine… Il eut ensuite une toute petite amélioration : ses maux de ventres étaient moins violents. Mais malgré ça nous pouvions dire qu'il était au bout du rouleau… En effet, là, à moitié effondré contre le bord de la tranchée il ne ressentait que la douleur : sa gorge irritée à force d'avoir vomi nourriture et eau, ses mains ensanglantées lors de ses tentatives de faire passer la douleur en se faisant mal ailleurs, son visage tiré et durcit par la poussière et enfin tous les insectes, poux et autre qui s'attaquaient à lui comme s'il était déjà mort. Tout le monde pensait que son heure allait bientôt sonner. Seulement il y eut un miracle…
Cela faisait un mois que ces soldats ne recevaient plus de nouvelles de l'extérieur, ni eau ni nourriture ni quoi que ce soit. Mais bientôt une charrette arriva durant une période de détente des attaques ennemies. Sur le coup personne n'osa y croire mais peu à peu les contours du véhicule se précisèrent et il arriva jusqu'à cette horrible tranchée. Dedans se trouvaient infirmières et docteurs ainsi que des vivres. Ce fut pendant une partie de lucidité de Charles où seulement la fièvre était présente, que sa douce élue débarqua. Mais il était trop faible pour se traîner jusqu'à elle, appuyé contre le bord de la tranchée il ne ressentait seulement la douleur des pierres contre son dos, des insectes le piquant encore et encore et de ses membres engourdis par l'épuisement. Et puis il se croyait encore prit d'hallucinations du à sa température…
- On n'osait plus croire à votre venue, fit Ern à l'infirmière dont le jeune soldat était amoureux. Bienvenue dans les catacombes !
- Des médecins s'occupent des malades… répondit-elle.
Elle semblait vouloir dire autre chose mais c'était comme si elle hésitait. Elle s'agitait sur place en replaçant une mèche derrière son oreille. Ern l'aida un peu :
- Qu'est-ce qui vous préoccupe ma ptite dame ?
- En faite je cherche quelqu'un…Un soldat que j'ai rencontré il y'a quelque temps… Blessé à la cuisse. Jeune…
Au fond d'elle elle voulut rajouter « et séduisant » mais rien que cette idée la faisait rougir. Ern écarquilla alors grand les yeux d'étonnement :
- Ah mais c'est vous ! Vous savez que ça fait un bout de temps que le p'tit a perdu l'idée de vous revoir un jour… déclara le Poilu. Faut dire qu'il n'est pas très bien en ce moment… Pratiquement au bout du rouleau… Dommage j'l'aimais bien moi ce p'tit gars.
- Où est-il ? demanda-t-elle inquiète.
- Je sais pas… Attendez je vais voir. Eh ! Jean !
Ern interpella un Poilu qui se trouvait non loin et celui-ci arriva en demandant ce qu'il voulait :
- Tu sais pas où serait l'Moufiot ?
- Il est dans la Vallée des Morts il me semble, répondit Jean.
- La Vallée des Morts ? demanda l'infirmière étonnée.
- Ouaip, fit Ern. C'est un peu plus loin dans la tranchée, plus personne n'y va c'est infesté de morts. Mais le pauvre il n'est presque plus capable de bouger…
- Conduisez-moi là-bas, ordonna-t-elle.
Jean ricana :
- Excusez-moi mais c'est pas trop un endroit fait pour les demoiselles comme vous !
Il s'en alla en riant encore tout bas puis la jeune fille se tourna vers son dernier espoir en le suppliant du regard.
- Suivez-moi, fit Ern qui avait bon cœur.
Essayant d'éviter cadavres et immondices, ils se frayèrent un chemin dans un passage boueux, chaque pas les rapprochant de plus en plus de Charles. En faite il ne se trouvait vraiment pas très loin d'où elle était arrivée, il avait du certainement la voir de loin, mais avec toute l'agitation elle n'aurait pas pu le remarquer.
Quand elle arriva sur les lieux, sa longue robe d'infirmière était sale et boueuse. Mais ce qu'elle vit ensuite la stupéfia : il était là…Seul, contre le bord de la tranchée, agonisant et très sale… il n'avait qu'un début de barbe car il était relativement jeune et ça ne poussait pas encore énormément. La jeune fille porta la main à sa bouche en le voyant ainsi, mais malgré cela il n'avait rien perdu de son charme à ses yeux. Elle remarqua qu'il portait toujours le même uniforme qu'elle avait déchiré au niveau de la cuisse pour le soigner. Elle n'attendit pas un moment de plus : elle courut à lui pendant que Ern restait en retrait.
Quand elle arriva elle fut tout d'abord choquée par l'odeur qu'il dégageait, un mélange de sang et d'excrément infecte… Elle eut un haut-le-cœur mais rien ne sortit heureusement. Et elle se mit à pleurer…
Quant à Charles, au moment où il entendit cette voix il essaya faiblement d'entrouvrir les yeux pour voir d'où provenait ce si jolie son. Il eut alors la vision d'une jeune femme accourant à lui, venant sans doute le chercher pour le pays des Morts… Mais c'était tellement flou…Quand elle lui prit la main il fut étonné de sentir enfin de la douceur…
- Est-ce si agréable de mourir ? dit-il avec peine d'une voix faible. Venez-vous me chercher pour m'emporter ?
- Non vous n'allez pas mourir. Je viens vous soigner, vous irez mieux ensuite, votre vie ne va pas s'arrêter dans cette tranchée ! fit avec fougue l'infirmière en pleurant.
Et soudain Charles se rendit compte qu'il n'était pas encore mort… Non il vivait, il ressentait encore la douleur de ses membres et tout le reste ainsi que cette main chaude… Mais… qui était donc avec lui ? Il essaya de plus ouvrir les yeux pour mieux distinguer ce visage et il le vit…
- Vous… vous êtes revenue ? Vous vous souvenez donc de moi ?
- Comment vous oublier…
- J'ai froid… Est-ce normal ? S'il vous plaît réchauffez-moi…
- Fermez vos yeux et laissez moi vous donner le baiser que vous m'aviez demandé…Et je vous apporterai la chaleur que vous attendez…
- Mes lèvres me brûlent et n'attendent que ça…
Il obéit et ferma donc ses yeux. La jeune fille se pencha en avant et malgré la saleté que présentait le jeune homme, elle effleura ses lèvres tendrement puis elle les entrouvrit et leur bouche se pressèrent l'une contre l'autre ardemment. Pour Charles c'était une vague de douceur car jusqu'à maintenant il ne ressentait que la douleur et là il avait de la chaleur humaine contre lui. Ces lèvres sur les siennes étaient chaudes et agréables, et leur langue mêlées… Il se sentit enfin revivre et quitter le monde de la souffrance.
Ern, un peu plus loin les regardait d'un air amusé :
- Bienvenue au pays des anges… dit-il à voix haute pour lui-même.
Quant à l'infirmière, le baiser lui procurait beaucoup moins de bien qu'à Charles bien qu'elle l'apprécia…Enlacée contre le jeune soldat les poux et autres insectes s'emparaient d'elle et lui grimpèrent le long du bras ainsi que sur le cou. Et puis l'odeur et le goût de la bouche de Charles lui avait installée une légère nausée permanente, mais elle l'embrassa tout de même car elle l'aimait…
La tête du jeune homme se mit de plus en plus à tourner et il sentit ses sens s'échapper. Il n'eut même plus la force d'embrasser sa bien aimée. Ses lèvres se séparèrent du baiser il tomba sur le sol boueux de la tranchée…
A suivre...
