Tarô Misaki ne m'appartient pas, ni son papa, ni son copain Tsubasa.

Chapitre 2

Il releva la tête pour observer son visage dans le miroir au-dessus du lavabo. Lui, Tarô Misaki, à 22 ans, était en passe d'être élu meilleur joueur du championnat français après seulement une saison. Il avait reçu dernièrement deux offres qui comblaient toutes ses espérances. L'une provenait du club anglais d'Arsenal, l'autre de Barçelonne, le club de son ami Tsubasa. Deux offres très intéressantes et qui partageaient encore son esprit : jouer avec Tsubasa ou jouer contre Tsubasa ? Il sourit. Quoi qu'il décide, ce serait un plaisir.

Il passa une serviette sur son visage et son cou pour les essuyer et observa son reflet dans le miroir. La presse people le présentait à tort comme un play-boys briseur de cœurs, suite à deux histoires d'amour complètement ratées et qui n'avaient pas duré, mais qui cependant n'avaient pas échappé aux magazines à scandales. Malgré cela, les adolescentes et les jeunes femmes lui étaient après au moins autant que les paparazzis. Il avait remarqué depuis sa plus jeune adolescence, qu'où il soit, il éveillait toujours l'intérêt du sexe opposé. Il n'avait pourtant rien demandé. Il avait toujours essayé de ne pas s'en formaliser et de prendre cet intérêt comme une marque de soutien et d'amitié. Cependant, lors de sa participation, il y a quelques semaines, à une émission télévisée, il avait pris conscience que la plupart des gens le percevait comme on l'avait présenté ce soir-là, c'est-à-dire un parti de rêve : beau, riche, célèbre, talentueux.

Il soupira, dubitatif devant le miroir. Il devait objectivement reconnaître que c'était plutôt vrai. Cependant, cela ne lui ressemblait pas du tout, lui se voyait d'une tout autre façon.

Il sortit de la salle de bain pour s'habiller. Tout en boutonnant sa chemise avec lenteur, ses yeux se posèrent sur une des nombreuses photos accrochées au-dessus de la commode. Marie. Ou plutôt, Marie et lui, il y a 3 ans. Elle était finalement venue le voir au Japon, pendant un été. C'était la première fois qu'il la revoyait depuis son départ de Paris, après sa victoire au tournoi international cadet. Une fois rentré au Japon, ils avaient gardé le contact évidemment, s'écrivant souvent, se téléphonant plus rarement. Ils avaient continué de cette façon à partager leurs espoirs et leurs déceptions.

Elle avait toujours été de bon conseil, et encore aujourd'hui d'ailleurs, comme si elle savait mieux que lui ce qu'il lui fallait. C'était elle qui lui avait suggéré de quitter le Japon après son éviction de l'équipe nationale junior. C'était elle aussi qui avait rompu les derniers remparts de son indécision et l'avait poussé à aller rencontrer sa mère. Il lui devait beaucoup de décisions importantes, de bonnes décisions !

Malgré la distance, elle avait toujours été là d'une certaine façon, lui écrivant fidèlement, même lorsqu'il manquait de temps pour lui répondre. Il avait quitté beaucoup d'amis pendant son enfance et son adolescence, chaque fois qu'il changeait de ville avec son père. Pour certains ça avait été plus dur que pour d'autres. Il pensait à Tsubasa et à ses copains de Nankatsu et… Il pensait à elle aussi. Pourtant, leur premier au-revoir avait été un au-revoir sans larme, car ils ne doutaient pas de se revoir bientôt.

Finalement pas si tôt que ça... Deux années.

C'est par la suite que leur séparation s'était avérée plus douloureuse que prévue, du moins pour lui. Il s'était aperçu qu'il la cherchait souvent, surtout les premiers temps, qu'il reconnaissait sa voix dans celle d'une autre... Quand on frappait à la porte ou que le téléphone sonnait, il pensait malgré lui « Ha, ça doit être Marie » avant de réaliser que non, ce n'était pas possible.

Etrange.

Etrange, la place qu'elle avait prise. Une amie ? Une sœur ? Une âme sœur... Peut-être.

Ses sentiments, à l'époque déjà, étaient confus, mais il ne s'y arrêtait pas pour autant. Marie lui manquait, mais il la reverrait bien un jour.

Dans ce but, il lui avait donc réitéré une fois encore son invitation à venir au Japon pendant les vacances d'été. La coupe du monde junior devait s'y dérouler, et même s'il aurait peu de temps à lui consacrer, il serait heureux de la voir. Cette fois-ci, ses parents avaient été d'accord, son père l'accompagnerait. Elle avait vaincu la résistance parentale en obtenant son bac, et nul doute aussi qu'elle avait su les convaincre en se rendant insupportable, comme elle savait si bien le faire quand elle voulait quelque chose.

Et puis peu avant son arrivée, il y avait eu l'accident... Il l'avait retrouvé au moment de sa plus grosse épreuve. Aujourd'hui encore, il se souvenait de leurs retrouvailles, à Sendai, chez sa mère.

Quelques années auparavant...

Debout sur ma seule jambe valide, je la vis entrer dans ma chambre et s'arrêter à quelques pas pour me fixer. Puis, elle me lança sans aucune formalité, comme si l'on s'était vu la veille :

« Ton père m'a expliqué que tu avais préféré rester avec ta mère pendant ta convalescence. Je suis contente que tu te sois enfin décidé à la voir... Même si ça m'a un peu surprise »

Je lui souris. Ca faisait si longtemps.

« Mais je ne pouvais pas attendre que tu rentres chez ton père pour te revoir. J'ai quand même traversé la moitié du globe pour te dire bonjour » me fit-elle sur un ton de faux reproche. Mais sa voix tremblait. J'eus confirmation de ce que je redoutais lorsque je vis les premières larmes glisser sur ses joues. Etait-ce des larmes de joie ou de tristesse ? Je ne savais pas. J'avais du mal à discerner les émotions en ce moment. Ma dernière semaine avait été si éprouvante émotionnellement... La rencontre avec ma mère, l'accident et ses conséquences... Et maintenant, elle. Elle se tenait là devant moi, au pire moment de ma vie, après deux longues années. J'étais si ému moi aussi et je sentais l'eau me monter aux yeux. Sans y réfléchir, je tendais un bras et je l'attirais doucement contre moi, avant de laisser échapper une unique larme. J'étais soulagé. Pourquoi sa présence me soulageait-elle ? Je pus enfin, pendant quelques minutes, me laisser aller à la joie de la revoir sans penser au reste.

Nous nous détachâmes en douceur après un petit instant de silence et Marie essuya ses joues.

« On est vraiment des imbéciles ! On n'a pas idée de pleurer dans un moment pareille » dit-elle sur le plus sérieux ton de l'humour qui soit.

Nous éclatâmes franchement de rire. C'était bon de se revoir. C'était comme hier.

Elle n'avait pas changé. Enfin si. Elle avait grandi de quelques centimètres il me sembla. Sa taille s'était affinée et était mise en valeur par la petite robe à bretelles cintrées qu'elle portait ce jour-là. Très jolie… Je n'avais jamais remarqué qu'elle avait des jambes aussi...

« Tarô, ça va ? T'es bien rouge, tu veux que j'ouvre la fenêtre ? »

Je me réprimandais intérieurement pour avoir eut ce genre de pensée.

« Oui... S'il te plait. »

Elle se leva et avança jusqu'à la fenêtre, son mouvement remplissant la chambre d'un parfum sucré que je connaissais bien. Elle reprit place à mes côtés. Je l'observais toujours avec un air bienheureux.

« Et bien ! Tu as l'air béat, ça fait plaisir, mais j'aimerais que tu sois plus bavard et que tu me racontes. Ta jambe…Et ta mère ? Comment ça se passe avec ta mère ? »

Ses traits aussi semblaient un peu différents, plus fins. Sa bouche était toujours aussi délicate et souriante et ses yeux bleus étaient deux livres ouverts sur toutes ses pensées et ses émotions pour qui savait y lire. Elle avait coupé ses cheveux, qui flottaient maintenant au-dessus des ses épaules et une fine frange venait égayer son visage si besoin était. Elle secoua la tête de gauche à droite et me ramena à la réalité.

« Alors... ? »

« Ça se passe bien, je suis heureux d'être là, même si j'aurait préféré d'autres circonstances... »

Je vis alors son visage sensiblement se fermer. Elle savait bien la tristesse qui m'habitait et je savais qu'elle partageait le sentiment d'impuissance que je ressentais. Malgré la meilleure volonté possible, je ne pourrai pas jouer cette coupe du monde.

« Je ne pourrai pas jouer... » dis-je le plus détaché possible. Mais je ne me faisais pas d'illusions, elle me connaissait bien.

« Est-ce que c'est vraiment sûr ? Tu ne peux pas pour l'instant... Mais dans quelques semaines, pour la finale... Peut-être... »

Après l'opération, j'avais été anéanti par le chagrin pendant plusieurs jours avant de me faire une raison. Je lui en voulais d'y croire encore, là où j'avais moi-même finalement renoncé non sans peine.

« Excuse-moi... » s'empressa-t-elle d'ajouter devant ma mine plus déconfite que je ne l'aurais voulu.

Je lui souris. Je ne voulais pas qu'elle pleure. Pas pour ça. Je lui pris la main et la serrais très fort.

« Je suis content que tu sois là, tu m'as manqué Marie »

Il finit de boutonner son pantalon et détacha la photo du mur. Il s'en était passé depuis... Elle avait eu raison d'insister, puisqu'il avait effectivement pu jouer une partie de la finale de la coupe du monde après une rééducation intensive. Elle avait fait partie des personnes qui ne l'avaient plus lâché pendant l'année qui avait suivi ce match, un match qui lui avait coûté cher... De nombreux mois de rééducation supplémentaires. Mais le jeu en avait valu la chandelle. Ils avaient été champions et lui, confronté à lui-même les mois suivant, s'était transformé ! Sa volonté et son caractère s'étaient décuplés. Il affichait aujourd'hui sans complexe son désir de devenir le meilleur, meilleur que Rivaul, meilleur que Tsubasa... Et il savait que ce n'était pas une utopie, loin de là.

Il revint à la photo. Elle avait été prise le Noël suivant. En effet, à la fin de son séjour estival, Marie avait obtenu de ses parents, ou plutôt de son père, qu'elle resta au Japon quelque temps. C'était lui, Tarô, qui avait lancé l'idée quelques jours avant son départ…

« Dis moi, tu repars quand ? »

« J'ai mon avion le 29 au matin, autant dire très bientôt... J'aimerais pourtant bien rester. Je sais même pas ce que je veux faire en rentrant, j'ai pas envie d'aller à la fac. Ça va être dur pour mon père aussi je pense. Il a été content de revoir le tien après tout ce temps... Et vue ce qui l'attend à la maison, je doute qu'il soit pressé de rentrer »

« Pourquoi tu ne resterais pas chez nous quelque temps ? »

Cette question fit l'effet d'une bombe des deux côtés. Qu'est-ce qui lui prenait d'un coup de faire une telle proposition ? Il ne savait pas exactement. Peut-être voulait-il profiter d'elle plus longtemps et dans des circonstances meilleures. Peut-être se refusait-il égoïstement à la laisser partir.

« Je sais que c'est un peu inopiné, mais... Mon père serait ravi, j'en suis sûre, il t'adore. Il pourrait t'apporter des conseils et peut-être t'aider à débuter ta carrière d'artiste »

Bien sûr, qu'elle voulait encore rester au Japon. Ce pays l'inspirait. Ses paysages, ses mythes et ses légendes. Son imagination n'avaient jamais été aussi féconde que depuis trois semaines. Partager la vie de Tarô un moment lui ferait très plaisir aussi. De plus, il était clair qu'un break familial ne lui ferait pas de mal. Elle en avait assez de voir ses parents s'entretuer verbalement plusieurs soirs par semaine depuis des années.

Elle avait donc obtenu, non sans mal, de rester au Japon, sous la coupe protectrice des Misaki, père et fils, plus ravis l'un que l'autre. Ils avaient passé une année ensembles, en famille... Tarô savait que son père considérait Marie un peu comme sa fille depuis.

C'est pendant cette année-là également que Marie avait commencé sa marche vers le succès. Qui aurait cru que les premières ventes de ses œuvres se feraient si tôt et de surcroît au Japon ? Sûrement pas elle apparemment. Mais ses œuvres plaisaient au Japonais sans le moindre doute. A tout juste 19 ans, elle était rentrée en France, bien décidée à vivre de son art.

Il soupira en replaçant la photo sur le mur. Pourquoi, les choses étaient-elles devenues si compliquées ? Elle était exceptionnelle. Elle le gratifiait d'une amitié et d'une admiration sans borne. Ils partageaient depuis toujours une complicité sans faille, s'épaulant dans les pires moments... Que voulait-il de plus ? Tout n'était-il pas dans l'ordre des choses ?

17h30. Ces questions attendraient, il était presque en retard. Il lui avait promis d'assister au vernissage de son exposition ce soir. Tout en s'emparant de sa veste et de ses clés, il rit intérieurement en pensant au sort qu'elle lui réserverait, s'il avait le malheur de ne pas être à l'heure. La porte claqua derrière lui, seul le présent compte après tout !

A suivre…