Tarô Misaki ne m'appartient pas, ni son papa, ni son copain Tsubasa.

Chapitre 4

Tarô ouvrit les yeux difficilement et s'aperçut qu'il s'était assoupi assis sur le canapé du salon. Seule la télévision encore allumée donnait un faible éclairage à la pièce. Il sentait un poids sur son côté gauche et baissa les yeux. Marie était endormie contre lui. Ce ne serait pas encore elle qui lui raconterait la fin du film...

Quelle heure pouvait-il bien être ? Il jeta un œil sur sa montre et lu avec peine 1h55. Ses yeux se posèrent à nouveau sur Marie et il repensa à la soirée qu'ils avaient passé après le vernissage.

Ils étaient allés directement chez lui pour des raisons pratiques. Il avait un appartement dans le centre-ville, alors qu'elle habitait la banlieue. Il arrivait assez fréquemment qu'elle dorme à la maison après une petite soirée amicale comme celle-ci. Il lui avait prêté un bas de survêtement et un T-shirt pour qu'elle puisse ôter sa robe et se mettre à l'aise. Ils avaient bien ri, quand elle était sortie de la salle de bain, car toute frêle qu'elle était, elle nageait dedans. Ils avaient ensuite commandé des pizzas (Une fois n'était pas coutume, comme avait dit Marie, la saison était finie...). En mangeant ils avaient discuté, pour beaucoup de l'exposition et de la prochaine tournée de Marie, mais également beaucoup du choix qu'il aurait à faire très bientôt au sujet de son club. Comme toujours son avis s'était avéré très précieux et il savait qu'il en tiendrait compte au moment de décider. Puis, ils avaient mis un film devant lequel ils s'étaient visiblement endormis.

Il observa Marie dans la pénombre. Ses jambes, restées en position assise, ne touchaient plus le sol. Le haut de son corps avaient basculé sur le coté et sa tête avait dû glisser de son épaule sur sa poitrine à lui. Ce ne doit pas être une position bien confortable, pensa-t-il. Mais elle dormait à poings fermés. Il éteignit la télévision sans bouger et la pièce fut aussitôt plongée dans le noir et le silence. Les yeux toujours ouverts, il écoutait la respiration régulière de Marie. Il sentait son souffle tiède à travers sa chemise. Il était bien. Il était serein. Rien de comparable à l'agitation intérieure qui l'avait secouée pendant le vernissage.

Il se remémora calmement le moment (les moments ?) où il avait été pris de confusion et aussi les étranges questions de Marie avant qu'ils ne quittent l'exposition. « Qu'est ce que tu voudrais de plus ? », « Tu ne te vois pas marié un de ces jours ? ».

Le mariage...

Cette question l'avait profondément perturbé. Bien sûr qu'il voulait se marier ! Ce qui l'avait troublé le plus n'était pas la réponse, qui était évidente, mais l'image qui lui avait instantanément traversé l'esprit. L'image de Marie.

Marie. Mariage. Une association d'idée spontanée, remontant apparemment de son cœur.

C'était d'autant plus déstabilisant qu'elle se tenait en face de lui à ce moment-là et qu'elle semblait attendre une réponse. Pourquoi lui demander cela maintenant ? C'était donc si inquiétant de ne pas être marié à 22 ans ? Elle ne l'était pas non plus après tout… Pas encore. Pas encore, mais peut-être un jour. Peut-être bientôt... Il soupira.

Son esprit revint à la séparation imminente qui les attendait. Pas la première et sûrement pas la dernière non plus. Elle allait partir un mois. Lui, dans environ un mois, quitterait la France pour l'Angleterre ou l'Espagne. Il devait envisager cette question très sérieusement pendant la semaine qui arrivait et faire rapidement part de son choix final aux dirigeants. Il avait déjà trop tergiversé. Il était rempli d'excitation devant les nouveaux challenges qui se dressaient devant lui. Il voulait plus que tout affronter les meilleurs et remporter la Ligue des Champions. Le football, c'était toute sa vie !

Non ?

Ce n'était pas si simple. Bien qu'impatient de retrouver son nouveau club, quel qu'il soit, et de s'entraîner avec ses nouveaux partenaires, il sentait pourtant au fond de lui une réticence, qu'il n'arrivait pas à expliquer, à l'idée de quitter Paris. Il était « parti » tellement de fois. Sa vie jusqu'à présent n'avait été qu'une succession de départs plus ou moins rapprochés. Il s'était habitué à n'avoir aucune attache là où la vie le menait. Cette fois-ci, il sentait la soif de partir conquérir l'avenir là où son ballon le mènerait, se heurter avec virulence à une simple contrariété. Quitter Paris. Quitter…Marie. Car c'était bien ça !

Ce n'était pas la seule chose qui le « contrariait » à l'heure actuelle. Même s'il était heureux, très heureux pour Marie, il n'était pas aussi enchanté qu'il aurait dû l'être à l'idée de la voir partir pour un mois. Il repensa à cet Américain, John Walt, qui ne l'avait pas lâché de la soirée. Il ne voulait pas qu'un homme comme lui, de 40 ans au moins, s'approche d'elle ou lui tourne autour. C'était comme ça ! Il était méfiant, il voulait la protéger.

Il porta un nouveau regard sur la forme endormie contre lui et il se décida à la porter jusqu'à la chambre d'amis. Il la transporta délicatement dans ses bras, la posa sur le matelas sans la réveiller et la recouvrit avec attention d'une couverture. Il s'assit au bord du lit et la regarda encore.

On aurait dit un ange.

Elle souriait bienheureuse dans son sommeil. Il tendit le bras pour passer une main un peu tremblante sur ses cheveux... Le long de sa joue... Le bord de ses lèvres... Son cœur se déchaîna sans prévenir pendant les dix seconde que dura son geste. Il respira profondément et ferma les yeux. Enfin, il se leva et sorti se coucher à son tour.

La semaine passa rapidement et vint la veille du départ de Marie pour Milan. Tarô, qui avait passé la semaine avec son ballon à réfléchir à son choix, se dit que le moment était venu de passer la voir avant qu'elle ne parte. Il ne s'était pas encore décidé au sujet de son futur club. C'était la première fois qu'il avait autant de mal à faire un choix. Il faut dire que ses réflexions étaient souvent perturbées. Ses pensées se montraient obstinément indisciplinées et elles finissaient toujours par s'échapper vers Marie. Il avait pris le parti de ne pas la voir de la semaine, pour réfléchir solitairement, et voilà que malgré ses efforts il ne pouvait s'empêcher de la voir dans son esprit. Elle devenait plutôt envahissante ! Pourtant il aimait penser à elle. Elle lui avait manqué ces derniers jours, bref avant-goût de ce qui l'attendait les prochains mois. Il n'arrivait décidément pas à s'y faire.

Il arriva donc chez Marie au moment où apparemment elle faisait ses bagages. Elle s'agitait de toute part, s'asseyant, se relevant, partant dans un sens, puis dans l'autre. C'était une scène assez comique de la voir ne tenant pas en place, comme un gosse à la veille d'un voyage scolaire. Devant tant d'animation, Tarô pris place sur un fauteuil pour assister confortablement à cet amusant spectacle. C'est vrai, qu'hormis le Japon, elle n'avait pas eu beaucoup l'occasion de voyager. Lui avait vu tellement de pays déjà… Il était sensible cependant à la surexcitation ambiante et sourit en attendant que la tornade se calme.

Prenant d'un coup conscience du cocasse de la situation, Marie s'arrêta net dans son activité, passeport et papiers dans une main, fer à repasser dans l'autre. Elle jeta un regard circulaire à la pièce.

« Mon Dieu ! Quelle pagaille ! »

Cet air un mi-surpris, mi-dépité devant ses propres œuvres domestiques lui allait à ravir, pensa Tarô. Elle était vraiment mignonne, perdue dans son salon au milieu de ses valises. Pour toute réponse, il éclata de rire. Elle fit alors mine de se renfrogner.

« Tu pourrais m'aider à… »

« À faire rentrer tout ça dans tes valises... ? » dit-il en essayant de se retenir de rire. Peine perdue.

« Je ne savais pas que tu avais de l'humour en plus »

« Tu devrais commencer par poser ce fer à repasser »

« Oui » soupira-t-elle amusée à son tour « Et je crois que je vais me poser aussi un moment. Je vais nous chercher quelque chose à boire. »

Il la regarda s'éloigner vers la cuisine. Il était content de la voir. C'était la première fois de la semaine qu'il riait. Elle avait un don pour le faire rire. Elle revint rapidement avec du jus de fruits et deux verres sur un plateau.

« Alors, tu es venu me souhaiter bon voyage ?»

Il hocha la tête positivement.

« J'espère que tout se passera bien et que notre expo aura autant de succès qu'ici »

« C'est évident que ça va marcher, ton travail est exceptionnel ! Tu es exceptionnelle ! » s'exclama-t-il intérieurement.

« Tu as l'air bizarre aujourd'hui... Tu as un drôle de regard... »

Elle avait tourné la tête et le fixait de ses yeux étonnés. À ce moment il se rendit compte qu'il ne l'avait pas quitté du regard depuis son arrivée. Se sentant rougir, il baissa les yeux sur son jus d'orange.

« Ça me fait drôle de te voir partir. D'habitude c'est moi qui pars »

« Cette fois-ci, c'est moi le globe-trotter ! Je t'enverrai des cartes postales à chacune de mes escales…Même si tu as déjà fait le tour du monde dix fois ! » ironisa-t-elle en riant.

Il aimait son rire. Comme il allait lui manquer le mois suivant, et après !

Comme si elle lisait dans ses pensées, elle lui demanda :

« Tu as fait ton choix ? »

« hummm... Pas tout à fait. Je te le ferai savoir dès que j'aurai décidé »

« Au fait ! J'ai quelque chose pour toi ! Bouges-pas ! »

Elle se leva à nouveau et parti en trottinant vers sa chambre.

Il aimait... sa démarche fluette et la jupe qui flottait de droite à gauche le long de ses hanches à chaque pas.

Elle réapparut, un large sourire sur le visage et une pointe de malice dans les yeux.

Il aimait cette attitude enfantine qui présageait une surprise ou un coup monté.

Elle lui tendit une grande enveloppe marron.

« C'est pour toi. Vas-y ouvre ! »

Il la saisit et l'ouvrit donc. De l'intérieur, il retira une feuille rigide sur laquelle étaient dessinés deux visages tournés l'un vers l'autres. Un dessin entièrement réalisé au crayon, sans couleur.

« C'est un souvenir, même si je sais qu'on se reverra bientôt. Je sais que je vais te manquer héhé ! »

« Encore plus que tu ne crois...» pensa-t-il touché devant le dessin « Justement, je n'avais pas de photos récentes de nous deux... »

De la plaisanterie, Marie passa à l'émoi. Sa sensibilité reprenait maintenant le dessus. Il y avait l'agitation des derniers jours, le départ, l'appréhension des prochaines semaines, quoi d'autre encore…

Il aimait cette sensibilité à fleur de peau. Il aimait ces yeux qui changeaient comme la lune, au gré de ses émotions. Ses yeux, le tabernacle de son âme. Une belle âme.

Le silence s'installa entre eux. Un silence naturel.

Il aimait depuis toujours ces moments de silences éloquents. Depuis toujours... Il aimait aussi...

Brusquement, il se sentit saisi et sa poitrine se serra. Depuis quand ? Depuis quand était-il amoureux de Marie ?

TTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTT

Je refermais la porte derrière Tarô, encore surprise et le cœur chamboulé. Il m'avait prise dans ses bras, juste avant de franchir la porte et de partir. C'était absolument déroutant. Les Japonais n'aiment pas trop les contacts physiques d'ordinaires et Tarô ne faisait pas exception. Moi-même n'étant pas très démonstrative de nature, nous avions trouvé d'autres moyens de nous témoigner notre affection. Aujourd'hui, c'était la seconde fois qu'il me serrait contre lui. La première fois avait été lors de nos retrouvailles à Sendai chez sa mère. Il n'allait pas fort du tout à l'époque, c'était juste après son accident. Soudain, je fus prise de panique. Et s'il avait un problème grave ? Non… Il m'en aurait fait part, c'est certain.

Pourtant, il avait été vraiment étrange aujourd'hui. Cette façon insistante de me regarder… Un regard troublé…Et il avait même rougi deux fois sans que je ne comprenne trop pourquoi. Ce comportement me laissait perplexe, alors que personne d'autre que moi sûrement n'y aurait accordé la moindre importance. Je me faisais des idées. J'étais tellement obsédée par mes sentiments et par la nécessité de les dissimuler que mon imagination me jouait des tours. On verrait bien… Avant de me perdre dans des réflexions sentimentales sans fin, je devais absolument terminer ces maudites valises et essayer de dormir quelques heures avant demain. Comme lui, je devais tout donner pour réussir. Priorité au travail et à ma passion !

A suivre.